Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le vice-président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, monsieur le rapporteur, chers collègues, en déposant cette proposition de loi tendant à encadrer les conditions de la vente à distance des livres, Christian Kert, au nom du groupe UMP, entendait apporter une solution concrète à la concurrence déloyale à laquelle certaines plateformes de vente en ligne se livrent sur le marché de la librairie, en offrant à leurs clients le double avantage du rabais de 5 % et de la gratuité du port. Cela faisait des mois, madame la ministre, que vous dénonciez la concurrence déloyale d’Amazon. Par cette proposition de loi, nous avons, nous, posé des actes.
Après plusieurs tentatives rédactionnelles, il semble que la version de l’article 1er adoptée au Sénat soit satisfaisante pour tous. En effet, si elle reprend le dispositif, certes alambiqué, qui avait été imposé par le Gouvernement en première lecture – soit l’interdiction du rabais de 5 % sur le prix des livres achetés en ligne mais avec la possibilité, pour le détaillant, de faire un rabais sur le tarif de livraison à hauteur de 5 % du prix du livre en question, proposition, vous en conviendrez, à peu près totalement illisible pour le consommateur –, elle y ajoute le principe, celui-là fort clair, de la non-gratuité du service de livraison, ce qui correspond, finalement, à l’esprit de la rédaction initiale de la proposition de loi déposée par le groupe UMP.
La politique de prix agressive de ces plateformes est sur le point d’avoir raison de nombreux libraires indépendants, un peu partout en Europe d’ailleurs : 20 % des librairies ont fermé en Espagne ; en Angleterre c’est un tiers des librairies indépendantes qui a disparu en dix ans ; en France aussi, pays de naissance de la loi sur le prix unique du livre, la situation est alarmante, comme le crie le Syndicat de la librairie française. De tous les commerces de proximité, la librairie est l’un de ceux qui sont le plus exposés à la faillite. En période de crise, le consommateur se replie instinctivement sur les achats de première nécessité : les livres, les fleurs, le restaurant, les achats d’impulsion, tout cela régresse, ce qui met à mal des pans entiers du commerce de proximité. À ce phénomène conjoncturel, s’ajoute un phénomène structurel, plus préoccupant celui-là, et qui touche à de nouvelles formes de consumérisme.
Madame la ministre, je ne sais pas si vous avez regardé les réactions des réseaux sociaux après l’adoption de ce texte en première lecture. C’était assez éclairant, je dois dire : quel contraste entre notre belle unanimité autour d’un sujet dont l’importance, à nos yeux, n’est pas discutable, à savoir la défense du livre, de la diversité de la création et de la librairie indépendante, quel contraste, donc, entre cette unanimité et les réactions d’humeur, voire d’hostilité, de lecteurs internautes attachés à un prix bas et à des facilités d’accès que permet la vente en ligne ! « Des nantis passéistes, déconnectés de la réalité de leur quotidien » : tel était l’esprit de ces messages, qui nous visaient tous. Cela pose question. Nous pensons tous que cette loi sera utile, et il est bien sûr hors de question de ne pas assumer nos choix, dictés par de légitimes préoccupations, mais cette incompréhension, chez certains, des objectifs que nous poursuivons est préoccupante car, on le sait, finalement, c’est le lecteur consommateur qui a la clé.
Je me souviens d’une campagne d’affichage conduite dans une ville importante de mon département, qui m’avait frappé. On lisait ceci sur d’immenses panneaux : « Pourquoi n’allez-vous jamais à la piscine que vous avez tant réclamée ? » Dans le même esprit, les libraires anglais ont conçu une publicité faisant appel au même esprit de civisme des citoyens : « Use us or lose us ! », « Utilisez-nous ou perdez-nous ! » Peut-être faudra-t-il, après que cette loi aura été votée, et concomitamment au déploiement du plan en faveur de la librairie que vous avez mis sur pied, madame la ministre, lancer avec les libraires une communication institutionnelle en faveur du commerce de proximité en général, et, singulièrement, en faveur de la librairie.
Voilà une piste que je suggère au Gouvernement, car je pense qu’il faut activer la citoyenneté chez le lecteur.
Mais je ne peux passer sous silence la façon cavalière, à tous les sens du terme, dont le Gouvernement a profité de l’examen au Sénat pour inclure dans le texte une habilitation à prendre une ordonnance rendant effectif l’accord-cadre sur le livre numérique signé le 21 mars 2013 ; vous aviez d’autres opportunités législatives, la loi sur l’audiovisuel public, par exemple, ou le texte annoncé et sans cesse repoussé, sur la création artistique.