Intervention de Rudy Salles

Séance en hémicycle du 20 février 2014 à 9h30
Non-intégration de la livraison dans le prix unique du livre — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRudy Salles :

Plus prosaïquement, il faut avoir en tête que nous n’habitons pas tous à dix minutes d’une librairie, et que nous ne sommes pas tous urbains ou Parisiens ! Dans les profondeurs de la vallée d’Aspe, par exemple, ne verrait-on pas un intérêt particulier à l’installation de guichets de librairie virtuels ? Il me semble d’ailleurs que cela avait été envisagé un moment, en lien avec une grande librairie bordelaise et le réseau postal. Ce qui est certain, c’est que, dans nombre de territoires, il n’existe pas d’autres moyens de se procurer un ouvrage que de recourir à des services de vente en ligne.

Pour autant, il ne faut pas faire des réalités de l’instant une fatalité. Oserai-je dire que ces petites librairies sont un outil d’aménagement du territoire ? Non, je ne le dirai pas, car, vous le voyez bien, c’est plus que cela. C’est un réseau de vie. Derrière un libraire, on aperçoit en filigrane tout un réseau de métiers : auteurs, éditeurs, imprimeurs, brocheurs, relieurs, typographes, papetiers, graphistes, correcteurs, traducteurs, commerciaux, magasiniers, coursiers, transporteurs, bibliothécaires… Bref, tout ce monde du livre représente autant de compétences et de savoir-faire qui peuvent demeurer là où ils sont.

Voilà le grand rôle de ces petits libraires : animer, au sens presque étymologique du terme, des territoires, mais aussi défendre les petits éditeurs – il en existe 8 000 en France. Les plus importants d’entre eux jouent un autre rôle : évoquer tous les livres dont on ne parle pas à la télévision.

Quel est, selon nous, le sens profond de cette proposition de loi ? C’est simplement le refus du moins-disant culturel, et même civilisationnel. Quand nous évoquons les stratégies d’optimisation de ces grands groupes de distribution, de quoi parlons-nous ? Nous parlons d’une contradiction ontologique entre l’acte de culture présumé et ce qui le rend possible. Or ce qui le rend possible, c’est une tricherie fiscale. En effet, selon la Fédération française des télécommunications, Google, Amazon, Facebook et Apple dégageraient entre 2,2 et 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires en France, mais n’acquittent que 4 millions d’euros par an en moyenne au titre de l’impôt sur les sociétés !

Ce qui le rend possible, c’est aussi une tricherie sur l’intérêt général. Ce sont des aides publiques locales pour l’implantation d’immenses entrepôts, tout cela pour aboutir, en l’état actuel des choses, à la création de 8 000 emplois au maximum, à comparer aux 80 000 emplois du secteur de la librairie. La contradiction ontologique que j’évoquais, c’est celle qui signe, on le voit bien, un certain modèle de société. De ce point de vue, la question qui nous est posée appelle une réponse très claire de notre part.

Ainsi, cette proposition de loi permettra d’offrir une petite bouffée d’oxygène aux librairies indépendantes. Mais ce n’est qu’un courant d’air rafraîchissant, pas nécessairement salvateur ! Plus profondément, nous avons à repenser la fiscalité de ces entreprises qui, établies dans des paradis fiscaux, échappent à la TVA, et ne sont pas imposées sur les bénéfices au même taux que les entreprises taxées en France. Nous avons aussi à imaginer une fiscalité qui colle aux nouvelles réalités de la création de valeur, notamment via l’économie numérique.

La question ultime qu’il faut se poser est peut-être celle-ci : où est donc l’Union européenne ? La directive européenne permettant l’application de la TVA dans le pays de consommation d’ici à 2015 est un premier pas dans cette direction. Il nous paraît néanmoins indispensable que les librairies indépendantes elles-mêmes prennent place sur le marché numérique du livre. Il semble qu’aujourd’hui, seules 500 librairies participent à la vente en ligne. Nous sommes très loin du compte pour imaginer de nouvelles complémentarités.

Voilà donc une proposition de loi qui appelle, naturellement, tout notre soutien. Elle appelle également une mobilisation plus structurante et plus ambitieuse. Nos librairies ont une véritable utilité publique, qu’il nous faut préserver dans un monde en mouvement. C’est en réalisant cette synthèse que nous parviendrons à faire la démonstration sincère et indubitable d’un choix collectif pour le maintien d’une exception culturelle sur notre territoire.

Pour toutes ces raisons, le groupe UDI votera en faveur de cette proposition de loi.

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