Intervention de Isabelle Attard

Séance en hémicycle du 20 février 2014 à 9h30
Non-intégration de la livraison dans le prix unique du livre — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Attard :

Ce n’est pas en imposant des objectifs nationaux et individuels à l’inspection du travail que l’on améliorera le travail de terrain. La course aux chiffres a déjà montré ses aberrations dans la police. Ce n’est pas non plus en remettant en cause l’indépendance et l’autonomie des inspecteurs du travail qu’ils pourront faire du bon travail. Vous n’êtes donc pas le seul, monsieur le rapporteur, à ne pas prendre les mesures urgentes dont ont besoin les salariés français.

Je rappelle, enfin, la conclusion à laquelle j’avais abouti lors de mon intervention en première lecture sur ce texte : votre proposition de loi ne peut prétendre changer en profondeur l’état du commerce du livre en France.

Certes, il est possible que certains acheteurs passent par leur libraire plutôt que par des sites en ligne. Mais pour l’immensité des achats qui ne peuvent pas être réalisés localement – et pas seulement dans la vallée d’Aspe – par manque de librairies ou à cause de l’épuisement des stocks, votre proposition de loi ne fera qu’augmenter les marges des multinationales de la vente en ligne. Vous laissez en effet Amazon et ses concurrents louer des droits d’accès à des livres numériques en appelant cela des ventes : c’est une escroquerie sémantique ! Le contrat que leurs clients acceptent ne leur donne qu’un droit à lire, pas la possession d’un fichier électronique. La meilleure preuve en est qu’Amazon se réserve le droit de supprimer des livres des comptes Kindle de ses clients. Il est donc urgent, madame la ministre, de nous pencher sur la façon de mettre fin à ces systèmes fermés et privateurs, qui enferment les clients sans leur donner de possibilité de sortie.

Je suis donc fort déçue, monsieur le rapporteur, que, en tant que grand défenseur des libraires, vous n’ayez pas voté pour mon amendement au projet de loi de finances, qui proposait d’appliquer le taux réduit de TVA à la vente de livres sous forme de fichier en format ouvert, alors que les systèmes fermés comme ceux d’Amazon ou Apple, qui relèvent de la prestation de service numérique, auraient subi le taux normal de TVA. Vous n’avez d’ailleurs pas été le seul à ne pas voter pour cet amendement.

Monsieur le rapporteur, vous semblez sincèrement inquiet de l’avenir des librairies : je trouve cela très louable, car les libraires sont indispensables à la diffusion de la culture. Vous auriez donc pu proposer un soutien plus marqué envers eux, que ce soit financièrement ou légalement. Par exemple, je connais des libraires qui souffrent beaucoup des conditions imposées par les grandes maisons d’édition : commandes imposées, expéditions facturées à tort, livres abîmés mais non repris… Les abus sont nombreux et avérés. Quelles sont vos propositions pour rétablir un équilibre entre les principales maisons d’édition, fortes de leur concentration, et la myriade de libraires indépendants ?

J’en reviens à présent au second article de cette proposition de loi. Le Gouvernement a souhaité obtenir le droit de légiférer par voie d’ordonnance, en conséquence de l’accord-cadre sur le livre numérique signé le 21 mars 2013 par le Syndicat national de l’édition et le Conseil permanent des écrivains. Cet accord me semble équilibré : je n’aborderai donc pas le fond du sujet. Encore une fois, c’est la méthode qui me pose problème. La proposition de loi que nous avons étudiée en première lecture n’a aucun rapport avec ce second article. Je peux comprendre, madame la ministre, qu’il soit urgent de légiférer pour traduire dans la loi cet accord-cadre, mais je désapprouve formellement la méthode choisie, qui témoigne d’un manque de respect envers le rôle du Parlement.

Madame la ministre, vous nous avez expliqué tout à l’heure que cette proposition de loi retournerait au Sénat pour y attendre l’avis de la Commission européenne. Je comprends cette démarche : il n’est pas utile de voter des lois qui seront attaquées dès leur promulgation. Je n’en suis pas moins perplexe. Vous avez demandé aux sénateurs de voter un amendement vous permettant de prendre, par ordonnance, les mesures de nature législative correspondant à l’accord-cadre. La raison que vous invoquiez était l’urgence. Or nous débattons aujourd’hui pour la quatrième fois de ce texte quasiment inchangé, qui sera examiné encore une fois en commission mixte paritaire dans un futur proche ! Vous avez demandé au Parlement de se dessaisir de son pouvoir législatif pour que vous puissiez légiférer en urgence. Mais ces mesures urgentes vont être repoussées de plusieurs mois : nous avons bien du mal à comprendre la cohérence de ce plan d’action.

Le Gouvernement nous a pourtant promis un projet de loi portant sur la création, entre autres pour prendre en compte les effets de la révolution numérique. Ce véhicule législatif nous paraît beaucoup plus adapté à cette autorisation de légiférer par ordonnance. Madame la ministre, envisagez-vous d’inclure dans le projet de loi sur la création l’amendement autorisant le Gouvernement à traduire dans la loi l’accord-cadre conclu par le SNE et le CPE ? Ou faut-il comprendre que le Gouvernement, qui a déjà pris beaucoup de retard à ce sujet, compte encore repousser ce projet de loi ?

Enfin, vous avez mentionné un agenda législatif trop rempli. Et là, je suis tout à fait d’accord avec vous. C’est pourquoi je déplore vraiment les cinq semaines de vacances parlementaires du mois de mars. Alors que notre assemblée a voté contre le cumul des mandats, nous trouvons totalement anormal que nos travaux s’interrompent pendant si longtemps.

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