Intervention de Aurélie Filippetti

Séance en hémicycle du 20 février 2014 à 9h30
Non-intégration de la livraison dans le prix unique du livre — Discussion générale

Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication :

Ce n’est pas toujours le cas sur ces bancs. Nous sommes souvent, – et nous au Gouvernement les premiers –, assez techniques, et ce n’est pas toujours extrêmement attrayant, y compris pour le public, auquel je fais confiance pour prendre avec le recul nécessaire les propos des uns et des autres.

Vous vous interrogez, madame Genevard, sur l’ampleur de la proposition de loi. Il me semble qu’elle répond aux usages d’aujourd’hui. Ce n’est pas un texte contre le commerce électronique. Bien au contraire, nous souhaitons améliorer le service en ligne offert par nos libraires, en particulier les libraires indépendants, les accompagner, notamment sur les délais de livraison en quarante-huit heures. C’est évidemment une évolution indispensable, et les éditeurs doivent pouvoir eux aussi livrer les libraires en quarante-huit heures afin qu’ils ne soient pas trop désavantagés par la concurrence des sites de vente en ligne.

C’est une loi contre les stratégies commerciales prédatrices de certains acteurs. Elle ne résoudra évidemment pas tous les problèmes, mais elle s’inscrit dans un cadre plus général, le plan d’aide à la librairie, que vous avez évoqué.

Sur la notification, vous avez parlé de l’« incurie » de mes services. Je ne peux pas vous laisser dire cela. Nous sommes tous extrêmement impatients de voir s’appliquer ces dispositions que nous avons imaginées ensemble, et la notification a été faite à Bruxelles dans les délais impartis, c’est-à-dire moins de quinze jours après la dernière discussion au Sénat. Il ne peut y avoir de notification qu’une fois que le texte est stabilisé. Donc, même si on l’avait notifié après son examen à l’Assemblée, on aurait dû recommencer après le passage au Sénat puisque ce n’était pas le même. Courait alors le délai de trois mois. Mais entretemps, notre fougue commune – et nous sommes évidemment très fiers et très heureux d’avoir cette passion commune pour le livre –, nous a conduit à préciser les choses avant une nouvelle lecture au Sénat. Cela n’alourdira pas la procédure parlementaire. Il y aura simplement deux lectures à l’Assemblée et au Sénat, comme c’est toujours le cas lors des navettes, et la loi sera définitivement applicable soit en avril, si la Commission prend trois mois, soit en septembre, si elle prend six mois.

Ce texte n’est évidemment pas le seul élément du plan librairie. Les librairies sont des lieux de vie, comme l’a souligné Rudy Salles, des lieux essentiels aussi pour la sociabilité dans les territoires ruraux. C’est pourquoi j’y suis attachée. Le plan librairie, je le rappelle, a permis de dégager des crédits importants pour l’ADELC afin de favoriser la transmission des entreprises et d’améliorer la trésorerie des entreprises, pour l’IFCIC, afin que l’on prête aux entreprises de vente de livres. Cela représente 5 et 4 millions d’euros, 2 millions d’euros ayant été ajoutés aux crédits du CNL en faveur de la libraire, ce qui fait donc 11 millions des pouvoirs publics, ce à quoi s’ajoutent les 7 millions d’euros promis par les éditeurs, qui veulent s’engager eux aussi dans le soutien à la librairie indépendante. Ce sont donc en tout 18 millions d’euros supplémentaires qui sont disponibles pour nos libraires.

Une partie de ces fonds ont déjà été mobilisés pour résoudre la crise des librairies du réseau Chapitre, auxquelles faisait allusion Marie-George Buffet et, s’il reste certes des cas douloureux, notamment les huit qu’elle a cités, sur lesquels nous continuons de travailler, trente-quatre librairies sur les cinquante-sept ont été reprises. L’on a ainsi sauvé d’ores et déjà 750 emplois, et notre mobilisation ne faiblit pas, avec, notamment, un projet à l’étude sur la librairie Les Volcans à Clermont-Ferrand. C’est tout de même un beau succès face à la crise des librairies Chapitre.

Pour compléter le plan librairie, madame Attard, a été créé enfin un médiateur du livre, qui va permettre de résoudre les litiges entre les différents acteurs de la chaîne du livre, et les agents du ministère de la culture seront désormais assermentés pour faire constater toutes les infractions à la loi sur le prix unique du livre.

Enfin, vous l’avez souligné, madame Bourguignon, nous avons fait hier avec la ministre allemande de la culture, Monika Grütters, une déclaration conjointe extrêmement importante puisque c’est la première fois que l’Allemagne s’engage de manière aussi forte en faveur de la TVA réduite sur le livre numérique, une TVA homogène avec celle sur le livre physique, c’est-à-dire que l’Allemagne a désormais rejoint la position française, ce qui sera donc pour nous un appui majeur vis-à-vis de la Commission européenne.

Il y a aussi dans les tuyaux le projet de loi sur le commerce, qui permettra de lisser l’évolution des baux commerciaux, pour qu’ils ne puissent pas augmenter de plus de 10 % par an. Les collectivités qui souhaitent accompagner les librairies auront la possibilité d’exonérer de CET celles qui ont le label LIR.

Notre solidarité est évidemment totale avec les bibliothécaires, chère Marie-George Buffet. Je l’ai fait savoir immédiatement, dès que j’ai pris connaissance des pressions qui s’exerçaient sur certaines bibliothèques pour exiger le retrait de certains titres. C’est évidemment inacceptable.

Parmi les autres mesures, je rappelle que la TVA sur le livre a été ramenée à 5,5 % dès 2012. Le taux que vous avez voté pour le livre numérique permettra d’avoir une TVA à taux réduit sur tous les livres, qu’ils soient physiques ou numériques.

La campagne « Mars, le mois des mots » va permettre de mettre en avant l’ensemble de notre réseau, les libraires, les éditeurs, les bibliothécaires, les auteurs bien sûr. « Mars, le mois des mots », c’est à la fois le Printemps des poètes, la semaine de la presse à l’école, la semaine de la langue française et de la francophonie, et ce sera aussi, à la fin du mois, le Salon du livre. Le mois de mars sera donc un mois où l’on pourra beaucoup parler de livres, de littérature, et c’est une excellente chose.

Cela n’empêche évidemment pas que l’on puisse examiner la proposition d’organiser une campagne de communication particulière en faveur de nos librairies.

Monsieur Charasse, la promotion de la lecture dans le cadre de l’éducation artistique et culturelle dans le temps périscolaire est évidemment essentielle. Les jeunes doivent être bien dans leur langue. Il faut continuer de se battre contre l’illettrisme. Il y a encore en France 2,5 millions de personnes qui souffrent d’illettrisme et je souhaite que l’on profite aussi de ces temps d’éducation artistique périscolaire dégagés par la réforme des rythmes scolaires pour favoriser une autre approche du livre et de la lecture.

Concernant l’habilitation à légiférer par ordonnance, je crois que nous sommes tous favorables sur le fond à l’accord sur le livre numérique passé entre les auteurs et les éditeurs. Le moyen le plus rapide de le mettre en oeuvre, c’était d’utiliser le premier véhicule législatif qui s’offrait à nous. C’est cette proposition de loi, et je remercie d’ailleurs l’opposition d’avoir accepté que l’on puisse y inclure une habilitation à légiférer par ordonnance. C’est vrai que tout cela est assez inédit du point de vue du droit parlementaire, mais c’est, nous le reconnaissons tous, dans l’intérêt du livre, de la lecture et de nos librairies.

Nous sommes dans l’urgence, bien entendu, mais l’on ne va pas décaler de plus de trois ou six mois la mise en oeuvre de ces différentes dispositions. Eu égard aux menaces en général qui pèsent sur le secteur du livre mais, surtout, à la force de frappe procédurale de nos adversaires en cette matière, nous devons être prudents, et il vaut mieux prendre un peu plus de temps pour consolider le texte. Je vous rappelle qu’il y avait eu quatre ans de discussion et de négociation avant la signature de l’accord sur l’édition numérique au mois de mars dernier. Le temps parlementaire a aussi ses exigences, que nous devons respecter.

Mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de cette belle solidarité que vous témoignez en faveur du livre et de la librairie. Face à un acteur de la mondialisation aux stratégies commerciales particulièrement agressives, comme Isabelle Attard l’a souligné, nous devons nous montrer tous très mobilisés et vigilants, afin de ne pas laisser détruire un écosystème fragile, celui du livre et de la lecture.

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