Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’issue de la commission mixte paritaire, nous voici amenés à nous prononcer sur un texte finalement expurgé de tous ses cavaliers législatifs.
C’était d’abord l’article 19 qui, dans le texte initial, envisageait de supprimer purement et simplement les élections prud’homales, un article que vous avez eu la sagesse d’enlever de votre propre initiative, face à l’ampleur des protestations et à la mobilisation des organisations syndicales, notamment la CGT.
C’est maintenant l’article 20 du texte que nous avons examiné en séance, lequel réorganisait en profondeur les modalités de fonctionnement de l’inspection du travail, non à votre initiative cette fois-ci, mais face à l’opposition du Sénat et à l’impossibilité d’obtenir un consensus en CMP, ce qui aurait empêché l’adoption du texte avant l’interruption de nos travaux à la fin de la semaine. C’est une bonne nouvelle, qui correspond à ce que nous demandions depuis le début des débats, non parce que nous serions opposés à toute réforme, mais parce qu’il n’est pas acceptable de la traiter ainsi.
Je maintiens en effet que les responsabilités exercées par l’inspection du travail au service de la protection des salariés constituent un sujet trop important et trop complexe pour être abordé sans prendre le temps de la concertation avec les professionnels concernés et les organisations syndicales de salariés, pour être examiné au Parlement dans l’urgence et au détour d’un texte sur la formation professionnelle.
II soulève en effet des questions de fond : la menace sur l’indépendance effective des agents, même si ce principe reste énoncé dans les textes, la dépénalisation dans les faits de pans entiers du droit du travail, en dépit des dénégations de notre rapporteur et de M. le ministre, dont l’argumentation ne nous a pas convaincus. Il en est ainsi d’ailleurs, en raison du nombre anormalement bas de poursuites autorisées par les procureurs de la République.
C’est une évidence, la réforme de l’inspection du travail, avec l’objectif d’en améliorer l’efficacité et le fonctionnement face aux mutations actuelles et à l’accroissement des missions qui lui sont confiées, encore lundi dernier avec le contrôle de la conformité des stages en entreprise, exige d’être traitée sérieusement dans le cadre d’un texte spécifique, qui devra également aborder, bien sûr, la question des moyens financiers et humains pour être efficace.
Enfin, je répète que cet article 20 n’a pas sa place dans ce projet de loi sur la formation professionnelle, où il constitue un cavalier législatif, et je veux croire qu’il ne trouvera pas une autre monture pour être adossé de façon artificielle à un autre texte.
J’en viens maintenant au coeur du sujet, à savoir la formation professionnelle, les dispositions de ce texte étant issues d’un accord national interprofessionnel signé par l’ensemble des organisations syndicales et patronales, à l’exception de la CGT et de la CGPME.
Cette réforme était très attendue, elle était même indispensable dans un contexte de chômage de masse et de mobilité professionnelle accrue. La première raison est donc l’importance considérable de la formation professionnelle dans un monde du travail où les carrières évoluent rapidement et où les salariés connaissent plusieurs expériences professionnelles. Partant, la deuxième raison est la nécessité d’améliorer la qualification et les compétences des travailleurs. Il s’agit là d’un levier puissant, où se conjuguent, avec des salariés mieux formés et plus qualifiés, lutte contre le chômage et compétitivité accrue pour les entreprises, je veux parler de la vraie compétitivité, et non du coût du travail. Enfin, troisième raison, il était urgent de réformer un secteur marqué par la complexité pour les salariés, mais aussi par l’opacité, voire le détournement, d’une partie des fonds destinés à la formation professionnelle.
Dans ce contexte, cette réforme aurait pu être consensuelle, car nous en partageons les objectifs. La création d’un droit à la formation professionnelle attaché à la personne est une mesure que nous réclamons avec force depuis longtemps. Nous nous réjouissons donc de la création du compte personnel de formation. Il en est de même pour l’amélioration du système afin d’en accroître la lisibilité pour les salariés et l’efficacité, et de passer, comme il est écrit dans l’exposé des motifs, d’une obligation de financer à une obligation de former. Il s’agit de parvenir à un réel droit à la formation professionnelle pour chaque salarié de ce pays, qui pourrait ainsi se former tout au long de la vie, évoluer, acquérir des compétences, au bénéfice de tous : le salarié, l’entreprise et le pays tout entier.
Mais, lorsque l’on étudie les dispositions précises du texte, force est de constater qu’une fois de plus, les actes ont du mal à atteindre le niveau des intentions. Les avancées sont réelles, mais insuffisantes, et nous craignons fort que ces lacunes ne rendent le dispositif sinon inopérant, du moins très limité, notamment pour celles et ceux qui en ont le plus besoin.
Première limite, le droit d’opposabilité est marginal. Je veux redire avec force que la lutte contre l’illettrisme n’est pas du ressort individuel d’un salarié mais relève de l’État, avec le concours des régions et des employeurs. Or, avec cette loi, vous faites finalement porter sur les salariés la responsabilité de leur situation, en leur enjoignant d’utiliser les heures durement et longuement accumulées pour simplement apprendre à lire et à écrire. Nous considérons, ce faisant, qu’il s’agit d’un dévoiement du droit d’opposabilité.
Quant aux salariés à temps partiel, qui, je le répète, sont à 80 % des femmes, ils subissent une double injustice : injustice car leur rythme d’acquisition des heures portées au compte de formation est proportionnel à leur temps de travail, un temps de travail subi pour l’immense majorité d’entre eux, qui voudraient travailler plus longtemps, alors que ce public a besoin plus que d’autres de formation professionnelle ; injustice encore quand vous reportez de six mois, à la demande du patronat, la mise en oeuvre de l’une des rares avancées de la loi dite de sécurisation de l’emploi, à savoir le plancher de vingt-quatre heures de travail hebdomadaire, une disposition qui arrange le patronat, comme le souligne le journal les Échos : « les organisations patronales qui ont signé l’accord sur l’emploi, et donc cette mesure sur les temps partiels, comptaient beaucoup sur ces accords de branche pour pouvoir déroger à la règle. » Ainsi, vous tendez la main aux entreprises, telles que celles de la grande distribution, que nous ne plaignons pas vraiment, plutôt qu’à leurs salariés, essentiellement des femmes.
De façon plus générale, le rythme d’acquisition des heures portées au compte n’est pas à la hauteur des enjeux. Certes, vous avez réduit de neuf à huit le nombre d’années à temps plein nécessaires pour avoir droit à 150 heures de formation, mais huit années, c’est encore long, surtout pour n’acquérir que 150 heures. Aussi, nous regrettons que vous ayez repoussé notre amendement qui réduisait à six le nombre d’années nécessaires, ce qui était déjà beaucoup.
Cette demande, pourtant légitime, se heurte, bien sûr, à la baisse massive du financement du régime général de la formation professionnelle, et c’est bien à nos yeux le point essentiel d’achoppement de ce texte.
Engoncé dans le carcan de la baisse du coût du travail, le Gouvernement a donc une fois de plus cédé. Les chiffres sont têtus : le financement du régime général de la formation professionnelle par le patronat est en baisse de près d’un tiers. Nous parlons ici de 2,5 milliards d’euros, ce qui est considérable, d’autant qu’à ce fort recul s’ajoute la possibilité pour les employeurs de déroger partiellement à leur financement du régime général en cas d’accord d’entreprise.
Pour conclure, si nous nous réjouissons du retrait de l’article traitant de l’inspection du travail, lequel nous aurait conduits à voter contre ce texte, nous considérons qu’en dépit d’intentions louables et de certaines dispositions positives, le compte n’y est pas, notamment au niveau financier. Pour ces raisons, les députés du Front de gauche s’abstiendront.