Intervention de Yannick Favennec

Séance en hémicycle du 27 février 2014 à 9h30
Prise d'acte de rupture du contrat de travail par le salarié — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYannick Favennec :

N’oublions pas que la prise d’acte de rupture par le salarié fait généralement suite à l’invocation de faits particulièrement graves, au point de remettre en cause la poursuite du contrat de travail et la présence du salarié au sein de l’entreprise.

Dans ces cas, et au-delà du seul aspect juridique, les facteurs psychologiques et sociaux ne doivent jamais être omis.

Or, les salariés qui décident de prendre acte de la rupture du contrat de travail se retrouvent face à une double difficulté : sans emploi, ils perdent également leur couverture sociale, dans l’attente du jugement des prud’hommes, seul juge de l’imputabilité de la rupture d’un contrat de travail.

Bien souvent, le délai d’attente de ce jugement est tel que les salariés se trouvent confrontés à des situations de grande précarité. En effet, dans l’attente d’un jugement, seule la situation de chômage du demandeur d’emploi peut être constatée, sans qu’il soit possible de le qualifier, ou non, de chômage volontaire.

Pôle emploi prend donc majoritairement des décisions de rejet de la demande d’allocations, au motif que le droit aux allocations de l’assurance chômage ne peut être ouvert qu’aux seuls salariés dont la cessation du contrat de travail résulte d’un licenciement, d’une fin de CDD, d’une démission considérée comme légitime, ou encore d’une rupture conventionnelle du contrat de travail.

Étant donné que les délais d’attente de jugement de l’instance prud’homale sont estimés en moyenne à dix mois, voire seize mois à Paris, les salariés sont confrontés à une situation particulièrement précaire. Mais au-delà, la procédure peut être bien plus longue, en particulier dans l’hypothèse de l’absence de conciliation devant le bureau de jugement et d’un renvoi en jugement.

Il n’est clairement pas acceptable qu’un salarié, dans l’attente d’une décision judiciaire, puisse se retrouver sans aucune ressource durant des mois entiers. Nous ne pouvons bien évidemment pas rester insensibles à ces situations personnelles souvent lourdes de conséquences, et nous nous accorderons tous sur la nécessité d’y apporter une solution.

Ainsi, la proposition de loi du groupe RRDP, en raccourcissant les délais d’instance en cas de prise d’acte de rupture du contrat de travail par le salarié, vise-t-elle avant tout à tenter de trouver une solution satisfaisante. À l’image de ce qui existe déjà pour les demandes de requalification des contrats de travail, une procédure rapide constitue nécessairement une part essentielle de la réponse à l’incertitude à laquelle font face à la fois les salariés et les employeurs. Ces avancées sont largement attendues, et cet objectif ne peut qu’être salué.

Cela est d’autant plus vrai que cette proposition de loi a obtenu, le rapporteur l’a rappelé en commission, l’assentiment des organisations syndicales mais également des praticiens du droit du travail, qu’ils défendent des salariés ou des employeurs. Les praticiens ont souligné le caractère inadéquat de la procédure de résolution judiciaire, tout en reconnaissant que souvent, faute de mieux, ils la conseillaient à leurs clients.

Toutefois, cette disposition nous paraît insuffisante.

En premier lieu, sur la forme, il est regrettable qu’un grand consensus avec les organisations patronales n’ait pu être trouvé sur cette question.

En second lieu, sur le fond, ajouter une exception à la procédure judiciaire, qui viendrait se superposer à celles déjà existantes, ne nous paraît être la meilleure solution. Cela irait en outre à l’encontre du choc de simplification promis par le Président de la République.

Plutôt que de créer un nouveau délai accéléré, des mesures ambitieuses devraient être prises afin de réduire les délais, aux prud’hommes mais aussi, plus généralement, pour toutes les décisions de justice.

En effet, ces délais, dans leur globalité, représentent une difficulté importante, tant pour les salariés que pour les entreprises, mais également pour tous les citoyens, en cas de litige.

Parmi les exigences du procès équitable protégées par la Convention européenne des droits de l’homme, figure le droit pour tout justiciable à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable.

Or les procédures s’étalant sur près d’une décennie entre la première instance et la cassation ne sont pas rares dans notre pays. C’est pourquoi la France est régulièrement condamnée pour non-respect du délai raisonnable par la Cour européenne des droits de l’homme. Cette lenteur de la justice est d’autant plus inquiétante qu’elle porte généralement préjudice aux justiciables les plus fragiles, ce que bien sûr nous ne pouvons tolérer.

Mes chers collègues, si le groupe UDI comprend l’objectif de cette proposition de loi, il considère néanmoins que celle-ci n’aborde pas le problème sous le bon angle. Plutôt que de se limiter à ce seul cas particulier, nous souhaitons que soit engagé un chantier véritablement ambitieux sur la réduction des délais de justice en France.

En effet, les dysfonctionnements de la justice responsables du désarroi des professionnels, des citoyens et des justiciables sont de plus en plus nombreux. Nous sommes aujourd’hui face à un service public de la justice qui ne dispose plus des capacités d’absorption suffisantes pour répondre aux exigences d’une société en pleine judiciarisation. Nous sommes face à une justice jugée complexe, illisible, dont l’usage est difficile et parfois incohérent. Nous sommes face à une défense à deux vitesses et à une réelle inégalité en matière d’accès au droit.

Ce dont nous avons besoin, c’est repenser la justice dans sa totalité, en prenant en compte l’ensemble des acteurs de notre système judiciaire et l’ensemble des problématiques qui l’entourent, de manière à améliorer le fonctionnement de cette institution tout en préservant son indépendance.

Sur un sujet aussi fondamental, nous ne pouvons pas nous en tenir à des améliorations à la marge, à des réformes de procédure. C’est pourquoi sereinement, mais de façon déterminée, le groupe UDI appelle le Gouvernement à se saisir de ce sujet sans plus tarder.

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