Intervention de Georges Fenech

Séance en hémicycle du 27 février 2014 à 9h30
Procédures de révision et de réexamen d'une condamnation pénale définitive — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGeorges Fenech :

Je tiens à vous remercier tout particulièrement, madame le garde des sceaux, pour nous avoir apporté l’aide précieuse de vos collaborateurs ainsi que celle de la direction des affaires criminelles et des grâces, et nous avoir vous-même confortés dans notre démarche lors de votre audition dans le cadre de la mission d’information.

Je voudrais aussi saluer, si vous le permettez, la présence dans le public de représentants d’associations, notamment France Justice et son président Denis Seznec.

Nous voilà donc rassemblés aujourd’hui, au-delà des sensibilités politiques, pour faire oeuvre commune de justice : une justice, mes chers collègues, qui s’honorera de reconnaître plus aisément ses éventuelles erreurs et d’en réparer autant que possible les conséquences.

Notre histoire fut longue et difficile pour faire triompher le primat de la vérité judiciaire, tout en préservant le principe de l’autorité de la chose jugée. J’en suis conscient, nous allons écrire une nouvelle et importante page historique : celle d’une justice plus respectueuse non seulement de la présomption d’innocence, mais également de l’innocence injustement bafouée.

Ce texte est issu de nombreuses contributions des plus hauts magistrats de la Cour de cassation, d’avocats, de chercheurs, de juristes, de sociologues, ainsi même que de condamnés réhabilités, de victimes, de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, de la Ligue des droits de l’homme et d’experts scientifiques.

Vous avez rappelé, madame le garde des sceaux, les nombreux textes qui ont jalonné cette histoire. Il aura fallu attendre que Robert Badinter, garde des sceaux, en octobre 1983, dépose un projet de loi qui n’a pas pu être examiné. Ce projet fut repris sous la forme d’une proposition de loi par M. Michel Sapin, proposition qui devait déboucher sur l’importante réforme du 23 juin 1989.

Le nouvel article 622 du code de procédure pénale n’exigeait plus, pour ouvrir la révision, la preuve de l’innocence du condamné, mais un fait nouveau ou élément inconnu de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné. Cette loi du 23 juin 1989, censée constituer une rupture, et malgré ses indéniables avancées, comme la judiciarisation de l’instruction, n’eut pas la portée que le législateur avait souhaitée.

En effet, la chambre criminelle, même si elle se garde de le formuler expressément dans ses arrêts, continue dans la réalité d’appliquer la jurisprudence qui était la sienne avant la loi du 23 juin 1989. Elle exige en effet, pour accorder la révision, non pas un simple doute sur la culpabilité, mais un « doute sérieux », au sens anglo-saxon.

Rappelons que le qualificatif de « sérieux » avait été expressément retiré de la loi par un amendement du sénateur Dreyfus-Schmitt : un simple doute né d’un fait nouveau ou d’un élément inconnu des premiers juges devait entraîner la réouverture du procès. Le temps est venu, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, de parfaire la loi du 23 juin 1989. C’est bien le « moindre doute », celui qui profite déjà au prévenu et à l’accusé, qui doit aussi profiter au condamné.

Certes, la majorité des personnes auditionnées a estimé qu’il n’était pas nécessaire de qualifier le doute, car le doute ne se divise pas : il y a doute ou il n’y a pas doute. Mais alors, pourquoi, quand on examine de manière attentive les huit révisions accordées depuis 1989, on constate qu’à chaque fois, c’est la preuve l’innocence qui a dû être apportée, et non un simple doute ? Il s’agit des affaires Patrick Dils, Rida Daalouche, Rabat Meradi, Guilherme Ventura, Marc Machin et Loïc Sécher.

D’autres requêtes en révision où la preuve indubitable de l’innocence n’avait pu être rapportée mais où, à mon sens, le doute existait ont été rejetées. Il en fut ainsi des affaires Seznec, Omar Raddad, Dany Leprince ou Maurice Agnelet.

Pour mettre un terme à toute difficulté et parce que, comme l’a souligné le syndicat de la magistrature, « si le terme n’est pas dans la loi, il est dans toutes les têtes », il est impératif de préciser l’intention du législateur sur ce point essentiel, coeur de la réforme.

Mais l’absence de qualification du doute n’explique pas à elle seule le très faible nombre de révisions accordées. Il fallait aussi remédier à la trop grande complexité de l’organisation juridictionnelle, source d’ambiguïté et de décisions contradictoires.

En effet, l’actuelle commission de révision et la cour de révision, vous l’avez parfaitement expliqué madame la garde des sceaux, deux instances juridictionnelles de même légitimité, issues de la Cour de cassation, interviennent successivement pour vérifier la recevabilité de la requête, procéder à des mesures d’instruction, décider de la remise en liberté du condamné, déclarer recevable la requête ou la rejeter.

Lourdeur du doublon juridictionnel, risque réel de contradiction de l’appréciation du fait nouveau ou de l’élément inconnu, tout cela créé une incompréhension et un malaise pour tous les protagonistes du procès ainsi que dans l’opinion publique en général.

C’est pourquoi la proposition de loi retient le principe d’une cour unique composée de dix-huit magistrats issus de toutes les chambres de la Cour de cassation, ce qui représente en outre l’avantage d’élargir le spectre des regards et des sensibilités. La cour nomme ensuite en son sein les cinq membres qui composeront la commission d’instruction nouvellement dénommée pour lever toute ambiguïté.

Autre défaut majeur, vous l’avez parfaitement explicité : la non-conservation des scellés. À cet égard, je suis très sensible au fait que vous ayez déjà estimé et validé le coût de leur préservation, qui ne me paraît d’ailleurs pas exorbitant.Quant à l’enregistrement sonore des débats, il était quant à lui bien évidemment attendu.

J’en viens maintenant, cher Alain Tourret, à ce qui nous sépare : la révision in defavorem. Par honnêteté intellectuelle, je dois dire que je me suis rallié dans un premier temps à l’avis dominant pour ne pas la retenir. Puis il y a eu cette récente et tragique affaire démontrant notamment que, grâce à la preuve ADN…

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