Madame la garde des sceaux, je tiens tout d’abord à vous faire part de la satisfaction de nos collègues députés polynésiens s’agissant de votre décision visant à saisir la commission de révision des condamnations pénales d’une requête en révision de la condamnation de Pouvanaa a Oopa, accusé d’avoir voulu incendier la ville de Papeete en 1959. Nos collègues polynésiens sont en effet intervenus à plusieurs reprises auprès de vous afin d’obtenir cette révision.
Ils se félicitent également que la révision éventuelle de la condamnation puisse relever de la procédure rénovée prévue par cette proposition de loi. Nous avons là un exemple concret des effets de ce texte, monsieur le rapporteur.
S’inspirant des préconisations de la mission d’information sur la révision des condamnations pénales publié le 4 décembre 2013, la proposition de loi de notre collègue Alain Tourret a pour ambition d’améliorer l’effectivité de la réparation des erreurs judiciaires.
Réformer ainsi notre procédure pénale implique de concilier deux impératifs à première vue contradictoires mais inhérents au fonctionnement même de notre système judiciaire : d’une part, préserver l’ordre juridique par l’autorité de la chose jugée, d’autre part, éviter l’erreur judiciaire et savoir la réparer lorsqu’elle survient.
Évidemment, l’autorité de la chose jugée, une fois que la justice s’est prononcée sur le sort d’un accusé ou d’un prévenu, constitue un principe essentiel au maintien de l’ordre juridique dans un État de droit ainsi qu’un garant de la paix sociale sans lequel les décisions de justice seraient sans cesse remises en cause et les procès sans cesse recommencés.
Mais il est aussi des cas où ce principe ne peut être invoqué par les magistrats comme un obstacle au réexamen d’une affaire parce qu’il n’est pas de pire injustice que de voir un innocent en prison. C’est de la capacité de notre système judiciaire à reconnaître et à réparer ses propres erreurs et ses défaillances – qu’elles soient ou non imputables à un juge – que dépend la confiance que chacun de nos concitoyens place dans la justice de son pays. Comme l’a dit notre rapporteur : c’est la justice elle-même qui se grandit en reconnaissant ses erreurs.
Conscients de cet impératif, les législateurs sont intervenus à plusieurs reprises pour réformer les procédures de révision. Depuis les premières lois, dans les années 1800, jusqu’aux dernières – celles du 23 juin 1989 relative à la révision des condamnations pénales et, quatorze ans plus tard, du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes – la procédure de révision a été continuellement élargie.
Pourtant, en dépit de ces évolutions et malgré les progrès considérables de la science et des savoir-faire de l’investigation, les révisions sont encore très rares.
La modification, par la loi du 23 juin 1989, de l’article 622 du code de procédure pénale qui mentionne désormais non plus la certitude mais le doute sur la culpabilité du condamné pour qu’une requête en révision soit admise n’a eu que peu d’effets sur le nombre de ces révisions. Preuve que les procédures de révision aboutissent rarement, depuis 1989, seules huit condamnations criminelles – neuf, depuis le 18 février dernier avec l’affaire Iacono – ont été révisées.
Nous partageons donc le constat des auteurs de cette proposition de loi et du co-rapporteur Georges Fenech quant à la nécessité également soulignée chaque année dans les rapports de la Cour de cassation de réformer la procédure actuelle dans un sens favorable aux victimes d’erreurs judiciaires.
Principal apport de cette proposition de loi : la création d’une juridiction unique de révision et de réexamen.
Actuellement, trois organes de révision coexistent : la commission de révision des condamnations pénales, la chambre criminelle statuant comme cour de révision et la commission de réexamen.
La commission, comme la cour, peuvent vérifier la recevabilité de la requête, procéder à des mesures d’instruction, décider de suspendre la peine du requérant et se prononcer sur le fond du dossier. Ce fonctionnement donne le sentiment d’un véritable doublon judiciaire, sentiment renforcé par le fait que ces deux juridictions sont composées de magistrats de la Cour de cassation.
Afin de combler ces failles de notre système judiciaire, monsieur le rapporteur, vous proposez de fusionner ces différentes structures en une seule cour de révision et de réexamen.
La création de cette cour unique présente trois intérêts.
D’une part, elle ne remet pas en cause la pertinence de la distinction entre recours en révision et recours en réexamen consécutif au prononcé d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme – dont les objets sont distincts.
D’autre part, dans un souci d’impartialité, elle sépare mieux le stade de l’instruction et celui du jugement en distinguant au sein de cette cour unique une formation spécifiquement chargée de l’instruction des dossiers et du filtrage objectif des demandes infondées, la commission d’instruction des demandes en révision et en réexamen et une formation de jugement – cette dernière formation étant chargée d’apprécier plus subjectivement l’importance du fait nouveau ou de l’élément inconnu sur la culpabilité du condamné.
Enfin, elle permet de mieux définir les droits des parties, notamment, en donnant la parole en dernier au requérant devant la formation d’instruction et la formation de jugement, mais aussi en donnant à l’avocat accès aux pièces du dossier dans les mêmes conditions que lors d’une information judiciaire.
Garantir l’effectivité du recours en révision, c’est aussi donner à la justice les moyens d’instruire les demandes en révision et permettre au condamné de faire aboutir sa demande tout en veillant à encadrer suffisamment ces nouveaux droits dans le respect du contradictoire.
Dans les faits, la Cour de cassation rencontre de nombreux obstacles lorsqu’elle est chargée d’instruire les demandes en révision de nature criminelle. La proposition de loi prévoit des mesures de bon sens – je pense à l’allongement de la durée de conservation des scellés criminels ou encore à la systématisation de l’enregistrement sonore des débats.
Par ailleurs, la possibilité donnée au condamné de demander des actes d’investigation en amont du dépôt de sa demande ou de procéder, au cours de l’instruction de son affaire, à tous les actes qui lui semblent nécessaires, devrait faciliter la manifestation de la vérité.
Enfin, la proposition de loi prévoit de corriger une faiblesse importante du dispositif actuel, l’absence de qualification de la notion de doute. Ainsi que le propose le texte, le moindre doute, et non plus le doute sérieux jusqu’alors exigé par la jurisprudence, pourrait entraîner la révision de la condamnation pénale. Cette disposition mettra ainsi fin à l’obligation imposée dans la pratique au condamné d’apporter la preuve de son innocence.
Ainsi, mes chers collègues, le groupe UDI votera cette proposition de loi, qui procède d’une évolution nécessaire des procédures de révision et de réexamen. N’oublions pas néanmoins que les procédures de révision, parce qu’elles portent atteinte au principe d’autorité de la chose jugée, doivent être suffisamment encadrées et demeurer exceptionnelles.