Intervention de Sergio Coronado

Séance en hémicycle du 27 février 2014 à 9h30
Procédures de révision et de réexamen d'une condamnation pénale définitive — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSergio Coronado :

En démocratie, c’est à la loi qu’il appartient de définir les délits et les peines. Dans cette perspective, le législateur a mis en place des garanties procédurales – le principe du contradictoire, la collégialité et la motivation des décisions, le double degré de juridiction, le droit de former un pourvoi – et renforcé les moyens offerts aux acteurs du procès pour rechercher la vérité, combattre le mal-jugé et éviter toute détention arbitraire. Le respect de ces règles confère aux décisions de justice une autorité de la chose jugée qui a un caractère général et absolu. Ce caractère général et absolu établit la présomption de vérité qui s’attache à la chose jugée et qui conduit à tenir pour vrai un jugement devenu définitif ; il est la condition de l’extinction des litiges, de la paix sociale et de la stabilité de l’ordre juridique.

Pourtant, chacun sait que le jugement des hommes n’est pas infaillible et que dans toute procédure judiciaire, le manque de preuves ou une erreur de procédure peut conduire à une injustice. Lorsqu’une erreur de fait survient, il devient nécessaire de faire triompher la vérité en permettant la révision du procès, afin de disculper le condamné victime de cette erreur : c’est l’objet de la révision d’une condamnation pénale définitive pour un crime ou un délit. Lorsqu’une erreur de droit a été commise, au mépris des libertés garanties, il convient de sanctionner cette violation et de rejuger la personne conformément aux règles de droit en vigueur, indépendamment de toute considération sur sa culpabilité : tel est le but du réexamen d’une décision pénale définitive consécutivement au prononcé d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme. Des affaires célèbres, que vous avez rappelées, madame la ministre, viennent illustrer la nécessité de ce texte. Cette proposition de loi entend prendre sa part dans le renforcement de l’État de droit. Elle tente, et c’est un défi, de concilier le respect de l’autorité de la chose jugée et la nécessité de réparer l’erreur judiciaire. Je crois que ce défi est relevé.

L’actuelle procédure de révision date de 1989. Un doute sur la culpabilité du condamné, doit fonder la demande de révision pour qu’elle puisse aboutir, et non plus la certitude de son innocence. La loi permet aux condamnés, et non plus au seul ministre de la justice, de demander la révision d’une condamnation sur la base d’un fait nouveau. Enfin, le filtre a été confié à une commission de révision des condamnations pénales. Le recours est d’abord introduit auprès de cette commission, chargée du filtrage et de l’instruction des demandes. Et c’est donc cette commission qui peut ensuite saisir la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui statue comme cour de révision, et qui a seule le pouvoir d’annuler une condamnation pénale, avec ou sans renvoi vers une juridiction de fond.

Il existe une autre procédure en cas de condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme, mise en oeuvre par une autre commission rattachée à la Cour de cassation : le réexamen d’une décision pénale définitive consécutivement au prononcé d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme. Je vous rappelle que notre collègue Noël Mamère a bénéficié de cette procédure. Il avait été condamné pour avoir attaqué le professeur Pellerin, qui affirmait en 1986 que le nuage de Tchernobyl avait été bloqué à la frontière et la Cour européenne des droits de l’homme avait condamné la France, permettant ainsi le réexamen de la sentence. Depuis 1989, 3 358 demandes ont été présentées à la commission de révision, parmi lesquelles 2 122 ont été jugées irrecevables et 965 rejetées ; seules quatre-vingt-quatre d’entre elles ont conduit à la saisine de la Cour de révision, qui a prononcé cinquante et une décisions d’annulation et trente-trois décisions de rejet.

Si les révisions sont rares, c’est que les juges font une interprétation stricte, trop stricte, du « doute raisonnable » pour accorder la révision : dans les faits, le condamné doit pratiquement donner la preuve de son innocence. De plus, la commission de révision des condamnations pénales exerce un filtrage trop rigoureux et empiète même parfois sur les compétences de la Cour de révision. Il importe toutefois de maintenir des filtres suffisants pour éviter de créer une nouvelle voie d’appel. Il s’agit de corriger des injustices, et non de juger à nouveau. Il faut donc maintenir un équilibre entre la sécurité de la chose jugée et la nécessité de réparer les erreurs judiciaires.

La proposition de loi réforme donc profondément l’architecture des recours, elle fusionne leurs procédures et précise les conditions d’ouverture d’une révision des condamnations pénales. Cette simplification de la révision des condamnations pénales est une avancée majeure. Il importe en effet de mieux tenir compte du caractère contingent et relatif de la vérité qui émerge de l’instruction et des débats judiciaires, et de tenir compte du rythme actuel d’évolution des technologies et des savoir-faire d’investigation et d’enquête. Si la procédure de réexamen a permis, depuis son instauration en 2000, le réexamen de trente et une décisions pénales définitives, la procédure de révision, quant à elle, n’a pas totalement joué son rôle.

L’amélioration, depuis 1989, des procédures permettant de revenir sur une décision pénale définitive n’a pas pleinement profité aux condamnés, c’est un fait. Les obstacles à l’aboutissement des demandes en révision peuvent également résulter de certains aspects de la procédure criminelle, notamment – et cela a déjà été dit – lorsque les scellés ont été détruits et que les débats de la cour d’assises ayant prononcé la condamnation n’ont pas été enregistrés. C’est pourquoi l’article 1er de cette proposition de loi crée une nouvelle procédure de conservation des scellés dans les affaires criminelles définitivement jugées. L’article 2 fixe, quant à lui, une obligation d’enregistrement sonore des débats des cours d’assises. Ces deux éléments sont nécessaires pour garantir les démarches en révision et leur introduction est une bonne nouvelle, tout comme celle du moindre doute, qui constitue une avancée notable.

Actuellement, il n’est pas possible de revenir sur le procès d’une personne qui aurait été innocentée, et je sais que cela a été un point de débat, voire de litige, lors des débats en commission. Cette question vient d’être reposée par l’affaire Jacques Maire, acquitté en octobre 2008 dans l’affaire du meurtre de Nelly Haderer, survenu en 1987. Des traces de sang ont été retrouvées sur le pantalon de la victime après le procès, dont l’ADN était celui de Jacques Maire. Notre collègue Georges Fenech a déposé des amendements pour autoriser la remise en cause des acquittements. Nous avons décidé de ne pas les voter, d’abord parce que ces amendements semblent être dictés par l’actualité immédiate. Or je crois qu’il n’est pas raisonnable de légiférer sous le coup de l’émotion. Nous avons assez dénoncé cette attitude au cours de la précédente législature, où chaque fait divers donnait lieu à une annonce, voire à un projet ou à une proposition de loi. Nous ne voulons pas d’amendements de circonstance.

Vous avez rappelé, madame la ministre, le point de vue que développait notre collègue Georges Fenech à l’époque de la mission d’information, et que je partage : « Je ne crois pas souhaitable de revenir sur les décisions d’acquittement. Nous avons également été convaincus que cela relevait plutôt de l’action publique que de la révision. On pourrait imaginer donner au parquet le pouvoir de déclencher une nouvelle enquête dans le délai de prescription. » Notre collègue Guy Geoffroy, deuxième signataire des amendements, était encore plus catégorique, puisqu’il déclarait : « J’ai toujours considéré que la décision d’acquittement était le corollaire – et même le corollaire puissant – du principe fondamental de la présomption d’innocence…

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