Intervention de Christiane Taubira

Séance en hémicycle du 16 avril 2014 à 15h00
Modernisation et simplification du droit dans les domaines de la justice et des affaires intérieures — Article 3

Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice :

…de vous préciser les principes à partir desquels le Gouvernement a fait travailler les services de la Chancellerie, il faut y voir une marque de respect à l’endroit du Parlement. De toute façon, les parlementaires n’aiment pas l’habilitation ; c’est ainsi et c’est normal. Nous aurions pu agir à la va-vite, en bâclant, mais nous avons choisi, par respect pour les parlementaires, de prendre notre temps. En vingt-deux mois, j’espère vous avoir tous convaincus du respect que, naturellement – ce n’est même pas un devoir –, je porte au Parlement.

Revenons à la position du Sénat qui, en l’espèce, sert de référence – même si c’est le projet de loi qui doit faire office de référence primordiale. Le Sénat a opposé un refus de principe, tous ses orateurs ayant dit plus haut et fort encore que les députés qu’il faut faire cette réforme, tous ayant dit plus clairement encore qu’il y a urgence à la faire – à tel point que le président de la commission des lois de la haute Assemblée, qui est cohérente, nous a proposé de l’examiner lors d’une semaine de contrôle. Reconnaissons en toute objectivité qu’inscrire un pareil texte à l’ordre du jour d’une semaine de contrôle ne permettrait pas d’offrir les conditions propices à un travail efficace. En termes de calendrier, l’examen de ce texte au mois de mai suppose que nous ne respections pas les étapes préalables à la discussion parlementaire, pourtant prévues par la Constitution – le passage en Conseil d’État puis devant le Conseil des ministres, par exemple. En effet, le Conseil des ministres a examiné le texte que nous vous présentons aujourd’hui. Si le Sénat souhaite un autre texte, de deux choses l’une : soit il s’agit d’une proposition de loi, mais ce n’est pas la voie qu’il a retenue, soit il s’agit d’un projet de loi et, dans ce cas, il est soumis aux contraintes constitutionnelles. En clair, le Sénat estime que la réforme est à faire en urgence et nous propose une date à cet effet, mais sa proposition n’est pas opérationnelle.

Chacun semble toutefois convaincu – c’est en tout cas l’opinion du Gouvernement – que cette réforme doit être faite. Vous dites, monsieur Costes, qu’il n’y a pas d’urgence : si, il y a une urgence pour les parties les plus vulnérables. En effet, l’essentiel du droit des contrats est aujourd’hui fondé sur la jurisprudence formulée depuis 1802, date à laquelle les dispositions initiales n’ont pas, dois-je le rappeler, été adoptées à l’issue d’un vaste débat législatif au Parlement – et pour cause : Napoléon Bonaparte était alors consul à vie ! Dois-je rappeler que le texte a été rédigé sous l’autorité de Portalis, lequel l’a présenté devant le Conseil d’État qui, à l’époque, était composé de cinq cents juristes qui n’étaient pas parlementaires ? J’accepte naturellement d’entendre que nous touchons là à un domaine qui relève de la compétence du Parlement : c’est exact, la Constitution le prévoit. Peut-on dire, néanmoins, qu’il faudrait se fonder sur un texte datant de 1802 sans considération aucune pour les deux cent douze années de mutations économiques et de métamorphoses sociales qui se sont écoulées depuis lors ? Les citoyens ordinaires ont bien davantage recours au contrat aujourd’hui qu’alors. On prétendrait donc que le texte ne saurait être aujourd’hui modifié, en invoquant les mânes de Portalis et du Consulat ? En rappelant le Consulat à vie et l’assemblée de juristes qui, sans amendement, sans observation aucune, a adopté le texte initial ?

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