Intervention de Bérengère Poletti

Séance en hémicycle du 17 avril 2014 à 9h30
Arrêts de travail et indemnités journalières — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBérengère Poletti, rapporteure de la commission des affaires sociales :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie, chers collègues, les indemnités journalières versées en cas d’arrêt maladie représentent, pour le régime général, plus de 6,2 milliards d’euros en 2013, après une progression de presque 10 % entre 2008 et 2012.

La mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécurité sociale, la MECSS, s’était saisie de cette question et avait formulé vingt-quatre préconisations en avril 2013. Cette proposition de loi en reprend quelques-unes, dont je regrette qu’elles n’aient pas été adoptées par la commission, le texte ayant été rejeté le mercredi 9 avril dernier.

Dans un contexte de comptes sociaux dégradés et alors que le Gouvernement réfléchit à un programme d’économies, il me semble légitime de travailler à un dispositif plus économe, plus efficace et plus juste. Tel est l’objet de cette proposition de loi, dont la première partie se propose d’améliorer le contrôle des salariés du régime général et la seconde tend à modifier le régime applicable à la fonction publique par l’expérimentation du contrôle par la CNAMTS des congés maladie des agents publics et le rétablissement de la journée de carence. Je rappelle que trois jours de carence s’appliquent pour près de 40 % des salariés du privé, et sept jours pour les artisans, commerçants et agriculteurs.

La proposition de loi vise à mieux connaître le coût total représenté par les arrêts maladie. En effet, la MECSS, lors de ses travaux, avait découvert avec étonnement qu’il lui était impossible de chiffrer ce coût total. Ni les représentants des employeurs, ni les sociétés de contre-visites médicales n’avaient été en mesure d’avancer ne serait-ce qu’une estimation du coût des indemnités journalières complémentaires versées par les entreprises.

C’est pourquoi il me semble nécessaire que les entreprises évaluent le montant des indemnités journalières complémentaires qu’elles versent à leurs salariés. La déclaration sociale nominative pourrait être l’outil approprié pour procéder à ce recensement. C’est ce qui est proposé à l’article 2.

La deuxième orientation vise à maîtriser cette dépense par des contrôles davantage ciblés et décloisonnés. Je propose ainsi, à l’article 3, d’améliorer les relations entre le contrôle de l’assurance maladie et les contrôles réalisés par les sociétés de contre-visite médicale mandatées par les employeurs. En effet, 75 % des avis transmis par elles aux caisses sont déclarés irrecevables. Un point pose problème : le délai de quarante-huit heures dont disposent les sociétés de contre-visite médicale pour envoyer leurs avis au service du contrôle médical. Je suggère ainsi de tenir compte du week-end et des jours fériés dans la computation de ce délai.

Par ailleurs, je propose que le contrôle mené par l’assurance maladie soit plus opérationnel. Les abus qui sont malheureusement constatés concernent essentiellement les arrêts de courte durée, qui sont les plus pénalisants pour les entreprises.

L’assurance maladie s’est dotée ces dernières années de plusieurs outils permettant d’assurer un contrôle plus sélectif. Le plus intéressant et prometteur est l’observatoire local des indemnités journalières, qui permet de segmenter et d’identifier les variables de l’évolution des arrêts selon chaque région en fonction de critères objectifs tels que le sexe, l’âge, le secteur géographique ou les secteurs professionnels. À Marseille, par exemple, la différence entre le contrôle ciblé et le contrôle aléatoire est frappante. L’observatoire local avait détecté une augmentation des durées d’arrêts atypiques pour des pathologies liées à la rhumatologie et à la dépression. Le contrôle ciblé sur ces arrêts a donné lieu à 45 % d’avis défavorables, contre un taux de 24 % pour les contrôles aléatoires.

Un autre dispositif, cher à M. Morange, coprésident de la MECSS, est l’envoi dématérialisé de l’avis de l’arrêt de travail par le prescripteur à la CNAMTS, ou « ATT en cinq clics ». Il permet une réception en temps réel et ainsi le contrôle des arrêts courts. Néanmoins, et l’on peut le regretter, seuls 20 % des médecins y ont recours.

Fort de ces outils, je propose que les contrôles médicaux soient menés par l’assurance maladie en fonction de trois axes, que reprennent les articles 4 et 5.

Le premier est la prise en compte du constat qu’une des obligations – telles que la présence à domicile en dehors des heures de sorties, ou l’exercice d’une activité non autorisée –, n’est pas respectée. Cette disposition concourt à une plus grande coordination et complémentarité entre les contrôles administratif et médical, qui restent encore trop distincts.

Le deuxième axe est le déclenchement du contrôle médical dès que la durée prescrite de l’arrêt dépasse celle des fiches repères élaborées par l’assurance maladie en lien avec la Haute Autorité de santé. La CNAMTS a évalué à 70 millions d’euros les économies représentées par la simple application de ces recommandations.

Le troisième axe concerne les arrêts itératifs courts. L’article 5 tend à rendre automatique le contrôle médical en cas d’arrêts itératifs. La CNAMTS mène aujourd’hui une action, mais il ne s’agit que d’un contrôle administratif, donnant lieu, au bout du troisième arrêt, à un courrier d’avertissement.

Par ailleurs, le contrôle doit avoir aussi une finalité d’accompagnement, afin de prévenir les arrêts à répétition du salarié et d’éviter, à terme, son éloignement du monde du travail, voire son licenciement pour inaptitude. L’article 6 prévoit ainsi le recours au médecin du travail par le médecin-conseil dès le deuxième mois de l’arrêt maladie et non plus à partir du troisième mois, afin de lutter contre la désinsertion professionnelle lorsqu’un décrochage est trop long.

Enfin, le dernier axe de cette proposition de loi répond à une exigence d’équité. Il me semble tout d’abord pertinent d’évaluer le coût représenté par une extension éventuelle du dispositif actuel aux populations les plus précaires. En effet, au sein du secteur privé, les conditions pour pouvoir prétendre au versement d’une indemnité journalière excluent, de fait, une partie des salariés, comme ceux travaillant à temps partiel ou en intérim. Une évolution est souhaitable, mais compte tenu de son incidence financière, il est nécessaire d’en évaluer la faisabilité. C’est l’objet de l’article 1er. J’espère que nous pourrons au moins en discuter.

Par ailleurs, je suggère d’allonger de deux années supplémentaires l’expérimentation relative au contrôle des arrêts maladie des fonctionnaires par la CNAMTS. Après une mise en place laborieuse – c’est le moins que l’on puisse dire –, le bilan apparaît aujourd’hui mitigé et perfectible, comme le souligne mon rapport.

De nombreux points doivent être résolus : effectifs supplémentaires au sein des réseaux des caisses primaires, généralisation des systèmes d’information, toilettage de textes mais aussi modification du champ du contrôle pour inclure les arrêts courts. Cette prolongation pourrait être mise à profit pour définir les modalités d’une véritable stratégie du contrôle, fondée sur le ciblage plutôt que sur une méthode aléatoire, à l’instar de ce que la CNAMTS a mis en place avec les observatoires locaux des indemnités journalières.

La ministre de la fonction publique elle-même a reconnu que le contrôle devait être renforcé et que les mêmes règles devaient s’appliquer aux salariés et aux agents publics. Je relève que le courrier qu’elle a adressé aux préfets et aux ministres sur le dispositif mis en place pour lutter contre l’absentéisme injustifié date du 27 février 2014, soit quelques jours après le dépôt de ma proposition de loi. Je me permets de souligner ce premier effet utile.

Enfin, à défaut d’un contrôle efficace, je propose le rétablissement de la journée de carence pour les agents de la fonction publique.

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