La séance est ouverte.
La séance est ouverte à neuf heures trente.
La parole est à Mme Bérengère Poletti, rapporteure de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie, chers collègues, les indemnités journalières versées en cas d’arrêt maladie représentent, pour le régime général, plus de 6,2 milliards d’euros en 2013, après une progression de presque 10 % entre 2008 et 2012.
La mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécurité sociale, la MECSS, s’était saisie de cette question et avait formulé vingt-quatre préconisations en avril 2013. Cette proposition de loi en reprend quelques-unes, dont je regrette qu’elles n’aient pas été adoptées par la commission, le texte ayant été rejeté le mercredi 9 avril dernier.
Dans un contexte de comptes sociaux dégradés et alors que le Gouvernement réfléchit à un programme d’économies, il me semble légitime de travailler à un dispositif plus économe, plus efficace et plus juste. Tel est l’objet de cette proposition de loi, dont la première partie se propose d’améliorer le contrôle des salariés du régime général et la seconde tend à modifier le régime applicable à la fonction publique par l’expérimentation du contrôle par la CNAMTS des congés maladie des agents publics et le rétablissement de la journée de carence. Je rappelle que trois jours de carence s’appliquent pour près de 40 % des salariés du privé, et sept jours pour les artisans, commerçants et agriculteurs.
La proposition de loi vise à mieux connaître le coût total représenté par les arrêts maladie. En effet, la MECSS, lors de ses travaux, avait découvert avec étonnement qu’il lui était impossible de chiffrer ce coût total. Ni les représentants des employeurs, ni les sociétés de contre-visites médicales n’avaient été en mesure d’avancer ne serait-ce qu’une estimation du coût des indemnités journalières complémentaires versées par les entreprises.
C’est pourquoi il me semble nécessaire que les entreprises évaluent le montant des indemnités journalières complémentaires qu’elles versent à leurs salariés. La déclaration sociale nominative pourrait être l’outil approprié pour procéder à ce recensement. C’est ce qui est proposé à l’article 2.
La deuxième orientation vise à maîtriser cette dépense par des contrôles davantage ciblés et décloisonnés. Je propose ainsi, à l’article 3, d’améliorer les relations entre le contrôle de l’assurance maladie et les contrôles réalisés par les sociétés de contre-visite médicale mandatées par les employeurs. En effet, 75 % des avis transmis par elles aux caisses sont déclarés irrecevables. Un point pose problème : le délai de quarante-huit heures dont disposent les sociétés de contre-visite médicale pour envoyer leurs avis au service du contrôle médical. Je suggère ainsi de tenir compte du week-end et des jours fériés dans la computation de ce délai.
Par ailleurs, je propose que le contrôle mené par l’assurance maladie soit plus opérationnel. Les abus qui sont malheureusement constatés concernent essentiellement les arrêts de courte durée, qui sont les plus pénalisants pour les entreprises.
L’assurance maladie s’est dotée ces dernières années de plusieurs outils permettant d’assurer un contrôle plus sélectif. Le plus intéressant et prometteur est l’observatoire local des indemnités journalières, qui permet de segmenter et d’identifier les variables de l’évolution des arrêts selon chaque région en fonction de critères objectifs tels que le sexe, l’âge, le secteur géographique ou les secteurs professionnels. À Marseille, par exemple, la différence entre le contrôle ciblé et le contrôle aléatoire est frappante. L’observatoire local avait détecté une augmentation des durées d’arrêts atypiques pour des pathologies liées à la rhumatologie et à la dépression. Le contrôle ciblé sur ces arrêts a donné lieu à 45 % d’avis défavorables, contre un taux de 24 % pour les contrôles aléatoires.
Un autre dispositif, cher à M. Morange, coprésident de la MECSS, est l’envoi dématérialisé de l’avis de l’arrêt de travail par le prescripteur à la CNAMTS, ou « ATT en cinq clics ». Il permet une réception en temps réel et ainsi le contrôle des arrêts courts. Néanmoins, et l’on peut le regretter, seuls 20 % des médecins y ont recours.
Fort de ces outils, je propose que les contrôles médicaux soient menés par l’assurance maladie en fonction de trois axes, que reprennent les articles 4 et 5.
Le premier est la prise en compte du constat qu’une des obligations – telles que la présence à domicile en dehors des heures de sorties, ou l’exercice d’une activité non autorisée –, n’est pas respectée. Cette disposition concourt à une plus grande coordination et complémentarité entre les contrôles administratif et médical, qui restent encore trop distincts.
Le deuxième axe est le déclenchement du contrôle médical dès que la durée prescrite de l’arrêt dépasse celle des fiches repères élaborées par l’assurance maladie en lien avec la Haute Autorité de santé. La CNAMTS a évalué à 70 millions d’euros les économies représentées par la simple application de ces recommandations.
Le troisième axe concerne les arrêts itératifs courts. L’article 5 tend à rendre automatique le contrôle médical en cas d’arrêts itératifs. La CNAMTS mène aujourd’hui une action, mais il ne s’agit que d’un contrôle administratif, donnant lieu, au bout du troisième arrêt, à un courrier d’avertissement.
Par ailleurs, le contrôle doit avoir aussi une finalité d’accompagnement, afin de prévenir les arrêts à répétition du salarié et d’éviter, à terme, son éloignement du monde du travail, voire son licenciement pour inaptitude. L’article 6 prévoit ainsi le recours au médecin du travail par le médecin-conseil dès le deuxième mois de l’arrêt maladie et non plus à partir du troisième mois, afin de lutter contre la désinsertion professionnelle lorsqu’un décrochage est trop long.
Enfin, le dernier axe de cette proposition de loi répond à une exigence d’équité. Il me semble tout d’abord pertinent d’évaluer le coût représenté par une extension éventuelle du dispositif actuel aux populations les plus précaires. En effet, au sein du secteur privé, les conditions pour pouvoir prétendre au versement d’une indemnité journalière excluent, de fait, une partie des salariés, comme ceux travaillant à temps partiel ou en intérim. Une évolution est souhaitable, mais compte tenu de son incidence financière, il est nécessaire d’en évaluer la faisabilité. C’est l’objet de l’article 1er. J’espère que nous pourrons au moins en discuter.
Par ailleurs, je suggère d’allonger de deux années supplémentaires l’expérimentation relative au contrôle des arrêts maladie des fonctionnaires par la CNAMTS. Après une mise en place laborieuse – c’est le moins que l’on puisse dire –, le bilan apparaît aujourd’hui mitigé et perfectible, comme le souligne mon rapport.
De nombreux points doivent être résolus : effectifs supplémentaires au sein des réseaux des caisses primaires, généralisation des systèmes d’information, toilettage de textes mais aussi modification du champ du contrôle pour inclure les arrêts courts. Cette prolongation pourrait être mise à profit pour définir les modalités d’une véritable stratégie du contrôle, fondée sur le ciblage plutôt que sur une méthode aléatoire, à l’instar de ce que la CNAMTS a mis en place avec les observatoires locaux des indemnités journalières.
La ministre de la fonction publique elle-même a reconnu que le contrôle devait être renforcé et que les mêmes règles devaient s’appliquer aux salariés et aux agents publics. Je relève que le courrier qu’elle a adressé aux préfets et aux ministres sur le dispositif mis en place pour lutter contre l’absentéisme injustifié date du 27 février 2014, soit quelques jours après le dépôt de ma proposition de loi. Je me permets de souligner ce premier effet utile.
Enfin, à défaut d’un contrôle efficace, je propose le rétablissement de la journée de carence pour les agents de la fonction publique.
Je relève au passage les incohérences dans les argumentaires relatifs aux amendements de suppression d’articles déposés par le groupe majoritaire : on ne peut pas, d’un côté, s’opposer au texte au motif qu’il impose des contrôles contraignants dans le cadre du régime général et, de l’autre côté, s’opposer au rétablissement de la journée de carence au motif que le contrôle doit être renforcé pour les agents publics !
Si les arrêts sont justifiés dans la grande majorité des cas, il n’en demeure pas moins vrai que l’absentéisme de courte durée pèse lourdement sur l’organisation des structures et peut être générateur de tensions, tant pour les équipes que pour le personnel d’encadrement. La mise en place de la journée de carence tend à neutraliser ces effets fâcheux, notamment pour la fonction publique hospitalière.
Contrairement aux déclarations de la ministre de la fonction publique, l’instauration du jour de carence a eu un effet certain sur l’absentéisme de courte durée, notamment pour la fonction publique hospitalière et la fonction publique territoriale.
Au demeurant, il est inexact de se fonder sur une étude de la DARES pour relever que les taux d’absentéisme sont identiques dans les secteurs privé et public et refuser le rétablissement de la journée de carence. Cette étude concerne toutes les absences pour motif de santé – je vous renvoie à l’étude de la DARES –, alors que l’enjeu ne porte que sur les seuls arrêts maladie. Si l’on regarde de plus près les tendances et le nombre de jours d’absences, les proportions ne sont plus du tout les mêmes. Enfin, en cette période de rigueur budgétaire, les économies générées pourraient être de l’ordre de 100 millions d’euros, madame la secrétaire d’État, alors que vous cherchez des moyens supplémentaires.
En conclusion, le nécessaire contrôle ne nous dispense pas d’une réflexion portant sur le management déficient, source première de l’absentéisme itératif et de courte durée. L’importance des arrêts maladies de courte durée est un puissant révélateur du fonctionnement de nos organisations publiques et privées.
De leur dysfonctionnement, vous avez raison Mme Le Callennec ! Citons ainsi l’importance du nombre d’échelons hiérarchiques entre un agent et le responsable d’une entreprise, publique ou privée. Cet éloignement peut provoquer un désengagement progressif du salarié qui ne se sent ni reconnu, ni impliqué. À cela s’ajoutent des incohérences managériales qui se manifestent par des injonctions contradictoires, sources de tensions inutiles et de stress, pour l’encadrement comme pour les salariés. Il conviendrait d’agir également sur ces facteurs pour réduire l’absentéisme.
Je compte sur vous, mes chers collègues, pour donner une suite positive à ce texte qui nous permettra d’être plus justes, et plus économes des deniers publics.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, avant toute chose, je vous prie d’excuser Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, qui ne peut être parmi nous aujourd’hui.
Ne soyez pas blessant à mon égard !
Elle est retenue à Matignon, auprès du Premier ministre.
Le texte qu’il nous revient d’étudier aujourd’hui est une proposition de loi alibi. Alibi, parce que sur les huit articles qu’il comporte, deux sont d’ores et déjà satisfaits – il s’agit de l’article 1er et de l’article 7. Ils se contentent en effet de reprendre des éléments qui ont déjà été présentés et votés dans de précédents textes.
Que traduit donc en réalité cette proposition de loi ? Elle illustre deux postures dogmatiques de la part de ses auteurs et signataires.
La première consiste à voir en chaque assuré social un fraudeur potentiel.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
La seconde est de ne jamais laisser passer une opportunité de dresser les Français les uns contre les autres en stigmatisant les fonctionnaires, et en pointant du doigt.…
Exclamations sur les mêmes bancs
Mes chers collègues, nous allons essayer de bien commencer la journée. Nous écoutons Mme Rossignol qui seule à la parole.
…et en pointant du doigt, en l’espèce, le jour de carence.
Cette proposition de loi illustre aussi une défiance récurrente à l’égard du service public de l’assurance maladie et de son activité de contrôle médical,…
…ainsi qu’une croyance selon laquelle le privé – les médecins diligentés par les entreprises – ferait mieux que le public.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Je tiens au contraire à rappeler ici le professionnalisme et l’expertise de l’assurance maladie, qui a développé des outils de contrôle, qu’il s’agisse de référentiels de durées indicatives d’arrêt de travail par pathologie ou – pardonnez-moi l’anglicisme – de scorings permettant de cibler les prescriptions atypiques.
Permettez-moi de tenter de vous convaincre, tout d’abord,…
Je peux essayer !
…que votre proposition de loi se fonde sur un constat erroné. Vous affirmez que la dépense d’indemnités journalières est dynamique ; elle n’a, en réalité, augmenté que de 0,7 % en 2013.
Vous affirmez qu’elle a augmenté de 47 % entre 2000 et 2010 ; vous oubliez seulement de préciser que, dans le même temps, la masse salariale a elle-même augmenté de 40 %. Nous n’avons pas la même vision de cette dépense. Il y a, pour vous, une présomption de fraude. Pour le Gouvernement, cette dépense traduit avant tout un droit, celui du salarié malade à bénéficier d’un revenu de remplacement.
Et le corollaire de la vision qui est la nôtre est que le meilleur moyen de réduire cette dépense, c’est d’abord d’améliorer la santé des travailleurs.
Votre proposition de la loi n’apporte pas de réponse sérieuse à la question qu’elle prétend traiter, à savoir les abus dans la prescription des arrêts de travail. En effet, l’article 2 de votre proposition de loi prévoit de faire déclarer par les entreprises le montant des indemnités qu’elles versent. Cette information serait probablement utile pour la statistique – ce serait déjà beaucoup, me direz-vous –, mais elle ne permet pas de lutter contre les abus. On ne lutte contre rien avec des statistiques ! Au demeurant, la modalité que vous envisagez va à l’encontre des objectifs que nous poursuivons en matière de simplification des formalités pour les entreprises, et qui constituent l’un des chantiers prioritaires du Gouvernement.
Quant à l’article 4, il propose d’assurer une transmission systématique, des caisses primaires vers les services médicaux, des arrêts pour lesquels une obligation administrative n’a pas été respectée. Il prévoit également un contrôle médical si l’assuré ne respecte pas les règles administratives, notamment les heures de sortie, ou s’il pratique une activité pendant l’arrêt. Ces mesures sont inutiles et bureaucratiques – remarquez, cela va souvent ensemble ! Pourquoi ? Parce qu’il n’est pas besoin d’une mesure législative pour cibler les contrôles. Parce que, aussi, il n’y a aucun sens à prévoir des contrôles alors même que des indemnités journalières ont été suspendues pour cause de manquements.
L’article 5 propose une convocation obligatoire de tous les assurés pour lesquels les fréquences d’arrêts sont importantes. Là encore, il s’agit d’une approche bureaucratique et peu réaliste.
Il s’agirait en effet de recruter massivement dans les services médicaux de l’assurance maladie.
Il faudrait également créer des procédures supplémentaires, alors même que, pour être pleinement efficaces, nous devons cibler les contrôles.
L’article 6 prévoit d’abaisser de trois à deux mois le délai à partir duquel le médecin conseil peut solliciter le médecin du travail pour préparer le retour à l’emploi. Dans les faits, rien n’empêche déjà la caisse d’engager cette procédure avant cette date ; il serait donc plus pertinent de concentrer nos efforts sur la bonne application de cette disposition.
Au total, les dispositions que vous proposez sont contingentes ou inadaptées à la réalité du terrain.
Elles créent des procédures supplémentaires pour les assurés, pour l’assurance maladie et pour les entreprises, alors même que la simplification de notre système est engagée.
Elles appliquent d’ailleurs la même logique de suspicion aux arrêts de travail qui résultent d’un accident du travail, alors même que la justification et la légitimité de l’interruption de travail sont déjà établies.
Venons en maintenant à l’article 8 de votre texte, qui concerne le rétablissement du jour de carence. Il constitue le coeur de votre proposition de loi, son objet réel.
Comment le justifiez-vous ? En affirmant que le jour de carence est un moyen de lutter contre l’absentéisme !
Vouloir traduire cet a priori dans la loi, c’est mépriser et méconnaître les agents de la fonction publique.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Monsieur Jacob, j’en sais probablement autant que vous sur les agents de la fonction publique, compte tenu de nos expériences diverses.
Je préside un hôpital et je peux donc vous donner des chiffres précis ! Quelle collectivité avez-vous dirigée ? Quel hôpital avez-vous présidé ? Aucun !
Monsieur le président Jacob, écoutez Mme la secrétaire d’État !
Poursuivez, madame la secrétaire d’État.
Monsieur Jacob, vous pourrez très probablement vous exprimer à la fin de mon intervention. Ce sera beaucoup mieux, car tout le monde pourra bien entendre ce que vous voulez dire ! Maintenant, vous n’êtes pas très audible : attendez donc que j’aie terminé !
Vouloir traduire cet a priori dans la loi, c’est mépriser et méconnaître les agents de la fonction publique, je le dis et je le répète, en considérant que les incitations financières comptent plus que le sens du service public et l’éthique professionnelle.
C’est surtout se tromper, là encore, sur la réalité du monde du travail : il faut en effet rappeler sans cesse que l’absentéisme traduit d’abord, et avant tout, de mauvaises conditions de travail, un mal-être ou un climat social dégradé. C’est en renforçant le dialogue social que nous réduirons l’absentéisme. C’est tout le sens, notamment, du pacte de confiance lancé, à l’hôpital, par Marisol Touraine.
Au demeurant, concernant le jour de carence, et même si l’exposé des motifs de votre proposition de loi n’invoque pas cet argument, je réponds par anticipation à la comparaison que vous ne manquerez pas de faire entre les salariés du privé et les fonctionnaires.
Pour les salariés du privé, le régime général prévoit en effet trois jours de carence. Mais, comme vous le savez, cette comparaison est inexacte et peu opérante car, dans un grand nombre de cas, l’employeur maintient le salaire, et il n’y a donc pas de jour de carence imposé au salarié.
Et alors ? Que faites-vous des autres cas ? Ce n’est pas cela, l’équité !
Mesdames et messieurs les députés de l’opposition, l’équité ne consiste pas toujours à aligner les régimes sur le moins favorable aux salariés : c’est la grande différence entre vous et nous !
Pour le reste, et comme je l’ai déjà dit, votre proposition de loi reprend des articles déjà votés. L’article 7 propose de prolonger l’expérimentation du contrôle des arrêts de travail des fonctionnaires jusqu’à la fin de l’année 2017 ; or cette expérimentation a déjà été prolongée, en loi de finances pour 2014, jusqu’à la fin du mois de décembre 2015.
L’article 1er demande au Gouvernement de remettre un rapport sur un assouplissement des conditions d’ouverture des droits aux indemnités journalières, pour inclure plus de salariés dans ce dispositif ; ce rapport a déjà été prévu par l’article 60 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2014, adopté à la suite d’un amendement présenté par le groupe socialiste.
Suite à cet amendement, le Gouvernement a annoncé que le droit aux indemnités journalières serait ouvert aux salariés justifiant de 150 heures de travail par trimestre. C’est une mesure de justice, que plusieurs parlementaires de la majorité nous avaient demandé d’étudier – je pense notamment à Mme la présidente de la commission des affaires sociales, Catherine Lemorton.
Cette mesure permet de mieux prendre en compte la situation des salariés précaires, ou à temps très partiel, qui ne peuvent pas bénéficier d’un maintien de salaire en cas de maladie ou de maternité, faute d’avoir pu atteindre le seuil de 200 heures qui s’applique aujourd’hui. Ce sont 600 000 salariés, le plus souvent des femmes, qui sont actuellement concernés par cette situation. Cette mesure s’inscrit donc dans la droite ligne de la réforme de notre système de retraites, qui a également abaissé de 200 à 150 heures le seuil permettant de valider un trimestre en vue de la retraite. L’objectif, là encore, est de mieux protéger les droits sociaux des salariés en situation précaire, particulièrement des femmes, car ce sont souvent elles qui sont concernées.
Je peux vous annoncer aujourd’hui que les caisses de Sécurité sociale seront saisies pour avis sur ce projet de décret en juin, ce qui permettra une publication du décret à la rentrée et son application au 1er janvier 2015. Avec cette mesure, nous démontrons, une fois de plus, que nous savons concilier progrès social et responsabilité dans la gestion des finances publiques : en effet, cette mesure sera prise, bien entendu, dans le respect de la maîtrise de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, qui a déjà été largement respecté en 2013.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, doublons, inexactitudes, méconnaissance des réalités du monde du travail
Exclamations sur les bancs du groupe UMP
…pour toutes ces raisons, vous ne serez pas surpris que le Gouvernement ne soutienne pas cette proposition de loi.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteure, mes chers collègues, notre assemblée est appelée à se prononcer sur cette proposition de loi déposée par Bérengère Poletti, moi-même et de nombreux collègues de notre groupe. Cette discussion, possible grâce à la réforme constitutionnelle de 2008 – je tenais à le rappeler –, aborde un sujet primordial pour notre pays : la santé financière de notre système social. Elle intervient d’ailleurs dans un contexte favorable à ces propositions. En effet, le Premier ministre lui-même, lors de son discours de politique générale, a déclaré qu’il fallait économiser 10 milliards d’euros sur l’assurance maladie, ce qui légitime, si cela était encore nécessaire, le réexamen de certains amendements rejetés par l’actuelle majorité lors de la discussion du dernier PLFSS.
L’histoire politique est riche de ces contradictions, ainsi que le rappelait fort justement notre collègue le président Bernard Accoyer, en commission des affaires sociales, à propos de la majorité au pouvoir qui, après avoir rétabli la clause de compétence générale que nous avions supprimée pour certains territoires, propose, à l’initiative de notre nouveau Premier ministre, de réinstaurer cette même suppression !
Cette proposition de loi est donc le résultat d’un travail fructueux mené au sein de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécurité sociale, co-présidée par Jean-Marc Germain et moi-même, et dont je rappelle le caractère totalement paritaire.
Elle avait d’ailleurs voté ces préconisations à l’unanimité. Au terme de plus d’une dizaine d’auditions et d’un travail auquel a participé la Cour des comptes, notre collègue Bérengère Poletti a remis un rapport sur les arrêts de travail et les indemnités journalières. Preuve de sa qualité, disais-je, il a été adopté à l’unanimité des membres de la MECSS. Malheureusement, cet esprit n’a pas survécu à l’examen partisan du texte par la commission, et nous verrons si cette contradiction avec l’objectif défini par le Gouvernement perdure dans cet hémicycle.
Ce texte poursuit un seul but : la réduction d’une partie de notre déficit social par l’efficacité, tout en maintenant la justice et l’équité entre ses bénéficiaires. En effet, les indemnités journalières ont représenté, pour le seul régime général, 6,2 milliards d’euros en 2013,…
…avec une progression de 10 % entre 2008 et 2012.
L’article 1er de cette proposition de loi est un article de justice. Il est apparu, durant les auditions, que 20 à 30 % des salariés les plus précaires ne peuvent prétendre aux indemnités journalières, parce qu’ils n’atteignent pas soit un plancher d’heures travaillées, soit une durée minimale de cotisation. Afin de n’exclure personne de ce droit qu’est la possibilité de s’arrêter de travailler lorsque la santé le requiert, il importe d’en estimer l’impact financier. La Constitution interdisant au législateur de créer une charge financière sans l’équilibrer par une recette nouvelle, il est demandé un rapport sur le sujet au Gouvernement – proposition reprise à l’article 60 du PLFSS pour 2014, introduit à l’initiative de la présidente de notre commission, ce qui montre, là encore, la pertinence des propositions de la MECSS. Une meilleure connaissance des dépenses permettrait aux parlementaires de légiférer en toute connaissance de cause.
Je n’évoque ici que le seul régime général, car il est actuellement impossible d’avoir une idée précise des sommes versées en la matière par les entreprises, que ce soit au titre du dispositif légal pour la prise en charge partielle du salaire ou au titre d’un accord de branche ou d’entreprise.
Afin de corriger cette situation, nous proposons, à travers l’article 2, que les entreprises évaluent le montant versé pour les indemnités journalières, par exemple au travers de la déclaration sociale nominative. Rappelons que 75 % des arrêts de travail sont de courte durée, et que 40 % des dépenses sont générées par 5 % des arrêts de longue durée ; l’assurance maladie se concentre, de ce fait, sur ces derniers.
Les articles 3 à 6 concernent le contrôle des arrêts de travail, afin de mieux les cibler. Nous ne sommes pas ici dans une chasse aux abus, ni à la recherche d’une baisse des dépenses par la radiation, mais dans la mise à disposition de moyens permettant une meilleure coordination entre les agents de l’assurance maladie chargés du contrôle administratif et ceux en charge du contrôle médical. De même, l’utilisation de référentiels validés par la Haute Autorité de santé et une articulation plus efficiente entre médecins conseils, médecins du travail et praticiens mandatés par les entreprises, dans le respect de leurs prérogatives respectives, faciliteront l’exploitation des données.
Enfin, la deuxième partie de ce texte concerne la fonction publique, dans un esprit d’équité avec les salariés du privé, tout en reconnaissant la spécificité des fonctionnaires de notre pays.
Ainsi, l’article 7 propose la prolongation jusqu’en 2017 de l’expérimentation du contrôle des arrêts des agents des trois fonctions publiques par l’assurance maladie. La ministre de la fonction publique avait d’ailleurs validé, lors de la présentation de nos amendements sur ce sujet au cours de l’examen du dernier PLFSS, la généralisation du système, ce qui montre là encore la pertinence de notre préconisation. Toutefois, nous le savons, cette mesure est complexifiée par certains problèmes techniques et juridiques révélés dans le cadre du travail de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécurité sociale. Je pense par exemple à l’absence de renseignements sur l’état civil des agents, ou encore à la transmission différée des données entre la fonction publique, les administrations et la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés. C’est pour cette raison que la prolongation de l’expérimentation est nécessaire.
Enfin, l’article 8 est une application du principe d’égalité entre les salariés du public et du privé,…
…tout en garantissant les spécificités des fonctionnaires, et non par une stigmatisation de ces derniers. Oui, les fonctionnaires de notre pays font des sacrifices importants, notamment à travers le gel de leur point d’indice salarial.
L’égalité stricte voudrait que nous les soumettions au même régime que les salariés du privé, c’est-à-dire à trois jours de carence.
Mais c’est bien parce que nous prenons en compte les différences entre ces salariés que nous proposons un seul jour de carence. Ce jour de carence pour les fonctionnaires, instauré en 2012, a fait ses preuves, malgré sa courte période de mise en pratique, fort partielle il est vrai. Selon une étude d’un important assureur de la fonction publique, les arrêts de travail ont baissé globalement de près de 40 % dans les fonctions publiques territoriale et hospitalière.
Afin de rejeter ce dispositif, certains invoquent la prise en charge, par des assurances privées, des jours de carence. Dans ce cas, que faisons-nous de ces salariés du privé dont aucun jour de carence, sur les trois, n’est pris en charge, ou du versement d’indemnité journalière variant de 50 à 100 % du salaire entre les différents régimes ?
Enfin, ne nous écartons pas de l’essentiel, un arrêt de travail se justifie par sa dimension thérapeutique et non par une réponse à une revendication catégorielle.
Oui, il est légitime de contrôler et d’évaluer la pertinence de sa prescription, quel que soit le régime de rattachement du bénéficiaire. Cette proposition de loi associe donc efficacité et équité. Mes chers collègues, le texte que nous vous proposons aujourd’hui devrait faire l’unanimité dans cet hémicycle, comme ce fut le cas au sein de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécurité sociale. Je vous invite donc à voter pour cette proposition de loi.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes tous d’accord pour dire que dans une période de crise et de déficit des comptes sociaux, il est nécessaire de chercher à mieux contrôler cette dépense dynamique que constitue le versement d’indemnités journalières.
Inspiré par un rapport rendu par la MECSS concernant les préconisations et la simplification du dispositif des arrêts de travail, l’opposition nous propose aujourd’hui d’examiner un texte qui n’en reprend pourtant pas la philosophie générale et qui n’en retient que l’aspect répressif.
Car si l’on suit votre cheminement de pensée, derrière chaque salarié en arrêt maladie se cache un fraudeur potentiel dont l’inclination naturelle tendrait vers l’oisiveté plutôt qu’à l’accomplissement de son travail avec conscience et professionnalisme.
Étrange raisonnement, vraiment, et que je ne partage pas. Derrière la majorité des salariés en arrêt maladie, il y a d’abord un salarié en souffrance. Il est donc nécessaire d’articuler l’assurance sociale et les politiques de l’emploi, sans pour autant pénaliser les trajectoires professionnelles des individus exposés à la maladie.
Je ne reviens pas sur le rétablissement du jour de carence dans les trois fonctions publiques ni sur les dispositions de ce texte qui ont déjà été débattues par le Parlement l’an dernier,…
…notamment au moment du vote de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2014 et que nous avions déjà rejetées.
Les préconisations du rapport de la MECSS étaient pourtant multiples et articulaient à la fois contrôle et prévention, avec de vraies interrogations, qui ont été rappelées lors de l’audition de la Cour des comptes.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Je n’ai pas votre expérience, monsieur Accoyer.
Celle-ci soulignait les insuffisances de données permettant de superposer les cartes du nombre de jours d’arrêt de travail, des pathologies, de la présence des médecins sur le territoire et d’expliquer les disparités régionales et les disparités en termes socio-économiques.
Un certain nombre de causes sont connues. De par l’allongement de la vie active et le recul de l’âge de départ en retraite, la santé au travail doit devenir une priorité pour les entreprises. Ces services de prévention existent la plupart du temps dans les grandes entreprises. Mais dans les TPE et PME où l’arrêt maladie d’un salarié a un impact direct sur l’activité de l’entreprise, il existe encore d’importantes inégalités de couverture entre les salariés en fonction de leur secteur d’activité.
À ces critères, il me semblerait également pertinent d’ajouter l’incidence de la qualité du travail dans notre pays, de s’interroger sur l’effet des conditions de travail sur les arrêts de travail, l’effet du niveau de leur prise en charge par la couverture assurantielle ou encore l’incidence d’une dégradation de santé sur le parcours professionnel.
Nous constatons que si les arrêts de courte durée ont diminué, les arrêts de longue durée ont connu une augmentation. Or la compréhension plus fine des déterminants des arrêts de travail et de leur incidence sur les parcours professionnels est un enjeu majeur pour les politiques publiques. On ne peut donc qu’encourager les recherches sur cette connaissance des arrêts de travail, longtemps peu étudiés en France, mais qui font l’objet depuis quelque temps d’un intérêt croissant de la part des chercheurs et des institutions.
Mais pour élargir le propos, votre proposition de loi en culpabilisant l’assuré social,…
…en distillant le doute, en faisant du malade un fraudeur potentiel, s’intègre dans une philosophie qui vous est chère : celle de la destruction de notre système de santé.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Aujourd’hui, ce sont les arrêts maladies et les indemnités journalières, demain le SMIC si je m’arrête aux récentes propositions de M. Gattaz de créer un « SMIC intermédiaire temporaire », estimant que le niveau actuel du salaire minimum « pose problème ».
Je n’ose ici vous rappeler que le SMIC net dans notre pays est aujourd’hui à 1 128,70 euros et que deux millions de travailleurs sont qualifiés de pauvres car vivant avec 800 euros par mois. M. Gattaz est moins enclin à parler de l’évasion fiscale, dont le coût pour les finances de l’État représente, selon un récent rapport du Sénat, entre 30 et 50 milliards.
Pour toutes ces raisons qui tendent à maltraiter en permanence les salariés, je ne peux souscrire à votre proposition de loi telle qu’elle est rédigée.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi de Mme Poletti pose un problème de méthode avant même que l’on puisse en examiner le fond. S’agissant de la méthode, la totalité des dispositions proposées ont été débattues – je le maintiens, monsieur Accoyer – dans cet hémicycle, pas plus tard qu’aux mois de novembre et décembre 2013. M. Accoyer prétendait que la suppression du jour de carence était d’ordre réglementaire : c’est inexact. Je le renvoie à l’alinéa 1 de l’article 67 de la loi de finances. Le groupe UMP avait déposé un amendement lors de la discussion de ce projet de loi, l’amendement no 165 , qui avait été soutenu par Mme Duby-Muller, et qui avait été rejeté.
C’était peut-être un très bon amendement, mais lorsque M. Accoyer affirme cela relève du domaine réglementaire et que cela n’a pas été débattu dans cette assemblée, c’est faux. Je viens de vous en apporter la preuve.
Ensuite, l’ensemble des autres dispositions proposées ont également été rejetées. Elles avaient fait l’objet d’amendements de Mme Poletti au cours de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Ces amendements avaient été rejetés…
…et voilà que l’on nous propose une nouvelle discussion sur des sujets qui ont été complètement instruits, discutés et débattus.
Dans ces conditions, à l’évidence, la proposition de loi ne vise nullement à modifier l’état du droit positif. Elle a uniquement une portée de communication et c’est à ce niveau qu’il faut la réduire. Quel est le message qu’on veut faire passer ? Il s’agit de rechercher un bouc émissaire…
Non, ce n’est pas de l’équité, j’y reviendrai. Il s’agit de laisser croire que les difficultés de la Sécurité sociale, que les difficultés de l’État seraient dues à de la fraude et c’est, comme à l’habitude – du moins en ce qui vous concerne –, haro sur les fonctionnaires.
J’apprécie, monsieur Jacob, que vous ayez connaissance de mes placements.
S’agissant du fond et d’abord de l’article 1er, celui-ci est satisfait. Je ne comprends donc pas qu’il soit représenté si ce n’est dans un but de communication : il ne s’agit pas d’une volonté de modifier et d’améliorer l’état du droit. S’agissant de l’article 2, je me séparerai peut-être de l’analyse qui a été faite, y compris par le Gouvernement, car je pense qu’il est satisfait par le décret du 28 mars 2013 relatif à la déclaration sociale nominative qui met en oeuvre les dispositions de la loi Warsmann relative à cette déclaration. Je me réfère plus particulièrement à l’article 3-1 (4°) de ce décret qui indique clairement que le traitement nominatif mis en oeuvre – le fichier créé – a pour objet la lutte contre la fraude. C’est l’un de ses objets.
Ensuite, je me réfère encore plus précisément à l’article 3-2 (5°) qui fixe le détail de ce que doit contenir la déclaration nominative : dans ce détail figure le détail des rémunérations. Par conséquent, l’on peut parfaitement comprendre que la distinction demandée au plan légal par la proposition de loi de Mme Poletti peut d’ores et déjà être demandée dans la déclaration sociale nominative. L’article 2 me semble donc – sous bénéfice d’inventaire – satisfait.
Concernant l’article 3, deux points sont à noter. On demande que les délais soient suspendus le temps du week-end, les jours fériés, etc. Cela pose un problème technique et cela paraît hors du temps. Problème technique : on marie un délai en jours avec un délai en heures. De ce point de vue, c’est une source de zizanie qui ne fera la joie que des juristes. Ensuite, on est au temps de la télétransmission.
Et au temps de la télétransmission, le contrôleur, après son contrôle, peut immédiatement le transmettre.
Non, madame la rapporteure. Il s’agit de médecins qui pratiquent des contrôles et qui sont équipés de tablettes. Dans l’instant, ils peuvent transmettre leur contrôle. Que l’on ne nous raconte pas d’histoires !
En ce qui concerne les articles 4, 5 et 6, je comprends que vous vouliez produire un effet d’affichage, mais cela est contraire à l’efficacité que vous affirmez rechercher. Le propre du contrôle, c’est que ceux qui doivent en être l’objet ne sachent pas à l’avance quand il s’exercera.
En effet, c’est normal, monsieur Tian, et pour une fois, nous sommes d’accord.
Le contrôle doit être adapté par les agents de contrôle ou par les administrations qui l’exercent en fonction des évolutions qu’ils constatent quant au nombre d’arrêts de travail ou lorsqu’ils estiment qu’il y a une anomalie s’agissant de telle ou telle personne qui a recouru à un grand nombre d’arrêts, ou s’agissant de tel ou tel prescripteur. Quoi qu’il en soit, ce contrôle doit avoir un caractère aléatoire. Si tel n’est pas le cas, et si l’on est dans les creux du système de contrôle, ces creux se remplissent. Il doit également avoir un caractère ciblé, mais il le peut d’ores et déjà. Nul besoin de texte pour le demander. À tel point que, dans votre rapport, vous faites une comparaison entre les contrôles aléatoires, qui restent nécessaires, et les contrôles ciblés.
Pourquoi demander la modification de loi lorsque la mise en oeuvre de la disposition que vous présentez est d’ores et déjà possible ? Au plan du contrôle, il faut une certaine souplesse et une part d’inconnu pour ceux qui font l’objet du contrôle, de façon que celui-ci puisse rester une menace, ce qui n’est pas non plus sans intérêt. En balisant tout, vous laissez une place dans laquelle on peut passer. En termes d’efficacité, vous êtes a contrario de ce que vous prétendez rechercher. Voilà pourquoi, en ce qui concerne les dispositions relatives au contrôle, je me sépare complètement de ce que vous proposez.
J’ajouterai que l’on ne peut pas à la fois demander aux administrations sociales de resserrer leurs effectifs et vouloir généraliser et systématiser les contrôles. Tels sont les éléments qui me conduisent, sur le fond, et parce que ces propositions ont déjà été rejetées, à confirmer les votes qui ont été les nôtres lors de l’adoption du projet de loi de financement de la Sécurité sociale.
Quant à l’article 8, qui est sans doute celui que vous préférez dans votre proposition de loi, il concerne le fameux jour de carence des fonctionnaires. On peut l’examiner en posant trois questions. Première question : l’absentéisme des fonctionnaires est-il supérieur à celui des salariés dans le privé ?
D’après les statistiques, le taux d’arrêt de travail pour les salariés du privé est de 3,7 %, celui des fonctionnaires de 3,9 %. Ces chiffres ne me paraissent pas significatifs et ne justifient pas que l’on revienne sur le jour de carence.
Deuxième question : s’agit-il d’une mesure efficace ? Vous dites que la suppression du jour de carence a permis une diminution nette du nombre des arrêts de travail, ce qui est exact. Mais il faut aussi dire que cette mesure s’est traduite par une augmentation de la durée des arrêts de travail. Ce qui a été gagné d’un côté a été perdu d’un autre. Cela s’appelle une politique de Gribouille.
Troisième question : cette mesure est-elle juste ? Non, elle est injuste. Quand vous faites des comparaisons avec les salariés du secteur privé, soulignant à l’envi qu’ils ont trois jours de carence, vous oubliez de préciser que deux tiers d’entre eux sont couverts par des accords conventionnels qui prennent en charge les jours de carence.
Autrement dit, votre proposition vise à imposer à la totalité des fonctionnaires un jour de carence quand les deux tiers des salariés n’y sont pas assujettis. Cela démontre bien l’injustice de votre démarche.
En résumé, en soumettant à nouveau à la discussion un texte qui a déjà été discuté et déjà été écarté, vous faites perdre du temps à notre assemblée.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Ce texte est avant tout un texte de communication, et de mauvaise communication, ce qui est suffisant pour que le groupe socialiste le rejette.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, Bérengère Poletti a effectué dans le cadre de la MECSS un excellent travail dont les groupes UMP et UDI se félicitent, à l’unanimité. Je tiens également à adresser un salut amical à Pierre Morange, qui a contribué à créer cette mission d’évaluation et de contrôle. Ses rapports sont adoptés à l’unanimité, sans quoi ils ne sont pas publiés et, par tradition, lorsqu’un texte issu de ses travaux est discuté dans l’hémicycle, il est adopté. Compte tenu de cette unanimité, …
…le groupe socialiste va certainement se joindre à nous pour le voter, ce dont je me réjouis.
Hier, le Premier ministre a annoncé 50 milliards d’économies. Il a déjà indiqué que les fonctionnaires – dont vous dites beaucoup de bien mais que vous massacrez régulièrement, notamment sur le plan fiscal – seraient les premiers punis et mis à contribution rapidement. Les retraités seront également les grands perdants de cette opération d’économies. Alors qu’il devrait y avoir l’unanimité s’agissant des indemnités journalières, vous préférez retourner à vos vieux dogmes, sans doute pour préserver un réservoir électoral, qui malheureusement a fui depuis longtemps. Vous devriez vous en rendre compte au lieu de poursuivre cette politique complètement démagogique.
Vous avez évoqué la généralisation de la mutuelle obligatoire dans les entreprises, mettant en avant le fait que les salariés du secteur privé ne subissaient pas de ponction au titre des jours de carence car ils leur étaient payés. Mais vous avez oublié de dire que ces salariés doivent s’acquitter de frais en constante augmentation pour être couverts. Ils subissent en quelque sorte une double peine, aspect qu’il vous faudrait bien évidemment mettre en balance dans votre argumentaire.
La Caisse nationale d’assurance maladie et la branche maladie de la Sécurité sociale sont les mauvais élèves de la gestion des fonds publics. L’URSSAF, les caisses d’allocations familiales et l’ensemble des organismes sociaux ont consenti de gros efforts en s’attaquant notamment à la fraude. Ils ont réalisé des économies considérables. J’ai même lu que Pôle Emploi avait indiqué avoir versé par erreur 825 millions de trop à des chômeurs, ce qui prouve qu’il y a un travail de contrôle approfondi. Les CAF annoncent des centaines de millions d’euros économisés. Les prestations sociales sont, dans leur ensemble, mieux contrôlées. La Sécurité sociale continue malheureusement à faire figure de mauvais élève en refusant de mettre au point des méthodes qui permettraient d’économiser l’argent, notamment au travers des indemnités journalières, au lieu de le gaspiller.
Il est vrai que le Gouvernement a donné un très mauvais exemple. L’abrogation du jour de carence dans la fonction publique avait pourtant permis, de l’aveu même de Mme Lebranchu, d’économiser 164 millions d’euros. Et encore s’agit-il d’une sous-estimation. Je préfère évoquer les chiffres donnés par la Fédération hospitalière de France, qui, a priori, n’est pas une sous-section de l’UMP. Son président a indiqué qu’il était très attaché au maintien du dispositif du jour de carence car il avait permis d’améliorer la prise en charge des patients – ce qui est quand même la priorité, dans un hôpital – et de réaliser de sérieuses économies dans les hôpitaux publics. L’absentéisme a en effet diminué de plus de 7 % de manière générale et de 20 % dans certains établissements. La Fédération a interpellé le Gouvernement en soulignant que la suppression du jour de carence serait néfaste pour les patients comme pour les finances publiques.
J’évoquerai encore la multiplication dans toutes les entreprises privées, petites ou grandes, des arrêts de travail de courte durée, notamment le vendredi et le lundi, comme je l’avais souligné dans le rapport sur les fraudes que j’avais élaboré dans le cadre de la MECSS. Cette explosion s’observe également dans la fonction publique. C’est étrange. Il serait temps que nous disposions d’informations plus fiables, notamment de la part de la CNAM.
Autre élément à prendre en compte : les disparités régionales. Mme Poletti a cité Marseille, qui est un exemple comme un autre. Il est assez étrange que la CNAM refuse de s’occuper de ce problème. Pourquoi serait-on plus malade dans une région que dans une autre ? S’il s’agit d’un vrai problème de santé publique, qu’on s’y attaque. S’il s’agit de simple confort, qu’on le dise et que l’on prenne les mesures qui s’imposent. Ces arrêts de travail brefs ressemblent souvent à une commodité,…
…phénomène contre lequel il faut lutter.
Rappelons que la fonction publique hospitalière donne dans certains hôpitaux ce que l’on appelle des primes de présentéisme, entérinées par les syndicats. Comment se fait-il que des directeurs d’hôpitaux soient obligés de donner de telles primes pour récompenser les salariés qui ne s’absentent pas ?
Soit, il faut les traduire immédiatement devant les prud’hommes car ils pousseraient les personnels à ne pas déclarer leur maladie, la sous-déclaration étant une pratique absolument scandaleuse, soit il faut considérer que pour éviter les arrêts maladie de confort, ils sont obligés de récompenser les bons élèves, ce qui est un peu bizarre. Cela rappelle ce proviseur de lycée qui avait annoncé qu’il donnerait des primes aux élèves qui assisteraient au cours. Nous voyons là que vous êtes dans une posture totalement idéologique.
Une étude de Dexia a établi que le taux d’absentéisme était de 6 % dans les collectivités de moins de dix agents et de 11 % dans les collectivités comptant plus de 350 agents : autrement dit, plus les collectivités sont importantes, plus il y a de malades. S’il ne s’agit pas là d’arrêts de confort, je ne sais pas comment les qualifier.
Comme certains chiffres cités semblent très torturés, je tiens à préciser que pour les agents de la ville de Montpellier, le nombre moyen des arrêts de travail se situe aux alentours de 19 jours contre un taux de 3,8 % chez Bouygues, 1,77 % chez Air Liquide et 1 % chez BNP-Paribas.
Sans doute y a-t-il de meilleures conditions de travail dans ces entreprises !
Travailler dans la fonction publique rendrait-il malade ? Je n’oserai aller jusqu’à répondre que oui mais il y a visiblement des abus qu’il faut combattre.
Le rapport de Berengère Poletti est excellent. Il faut voter à l’unanimité cette proposition de loi pour des raisons qui tiennent aux finances publiques mais aussi, d’une certaine manière, à la morale.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous étudions aujourd’hui l’excellente proposition de loi de notre collègue Bérengère Poletti. Au nom du groupe UDI, je tiens à saluer la qualité du travail accompli par Pierre Morange, mon collègue des Yvelines, qui co-préside la MECSS – qui se penche en ce moment sur la Caisse nationale de solidarité et d’autonomie –, dont chacun sait que les travaux sont à l’origine de cette proposition de loi.
Ce texte est le fruit d’un long travail parlementaire et ceux qui s’y opposent aujourd’hui ont la mémoire bien courte.
Rappelons que ce sont en effet les présidents de la commission des affaires sociales, ainsi que les deux coprésidents de la MECSS, dont M. Jean Mallot, parlementaire socialiste émérite, qui avaient saisi la Cour des comptes pour une demande d’enquête, voilà déjà plus de deux ans, en décembre 2011. La mission avait ensuite entamé des travaux qui s’étaient soldés par l’adoption à l’unanimité de son rapport, le 23 avril 2013.
Le sujet des arrêts de travail et des indemnités journalières n’est donc pas nouveau, d’autant que la Cour des comptes, dans son rapport public annuel de 2012, s’était inquiétée du déficit croissant de l’assurance maladie, suggérant un contrôle plus ferme et plus constant des arrêts maladie.
Comme l’avait souligné le rapport de la MECSS, les dépenses occasionnées par les indemnités journalières du régime général sont loin d’être négligeables : en 2011, elles ont atteint 9,5 milliards d’euros. Et nous savons que le coût total est bien supérieur, sans malheureusement pouvoir le chiffrer car le système des arrêts maladies se caractérise par une très grande opacité. De plus, les contrôles sont insuffisants : 90 % des contrôles effectués par l’assurance maladie portent sur les arrêts maladie de plus de 45 jours alors même que 76 % des arrêts sont d’une durée de moins d’un mois.
C’est pourquoi la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui revêt une importance particulière.
Elle vise à répondre aux carences identifiées par la MECSS. Je tiens à rappeler, une nouvelle fois, que son rapport avait été adopté à l’unanimité et que sa co-présidence, assurée par un député SRC et un député UMP, est un gage d’absence de clivages. Malheureusement, alors que cette proposition de loi comporte de nombreuses mesures nécessaires et intéressantes, certains d’entre nous font le choix politique de ne se focaliser que sur le dernier de ses articles, éclipsant les sept autres.
J’entends encore les cris d’orfraie de mon collègue Sebaoun, à la suite de la présentation devant la commission des affaires sociales de cette proposition de loi par notre collègue Bérengère Poletti. Nous ne pouvons que déplorer que le jeu politique l’emporte sur l’intérêt général.
Je vous exhorte d’ailleurs, mes chers collègues, à réfléchir à vos propos car je crains, après les annonces récentes du Premier ministre, que le Gouvernement, dans sa grande sagesse, ne vous propose d’adopter des mesures analogues dans le prochain PLFSS.
Au groupe UDI, nous sommes convaincus du bien-fondé de cette proposition de loi. Alors que notre pays s’enfonce chaque jour un peu plus dans la crise et que le Gouvernement cherche à colmater les brèches par des mesures inadaptées, nos collègues du groupe UMP proposent des mesures simples à l’efficacité certaine. Nos collègues du groupe socialiste s’insurgent contre celles-ci alors même que certaines d’entre elles sont réclamées par la Cour des comptes, dont l’impartialité ne peut être mise en cause. Et vous seriez bien mal avisés de ne pas saisir cette proposition de loi qui fait figure de main tendue quand le Gouvernement cherche par tous les moyens des sources d’économies pour parvenir au chiffre de 50 milliards d’euros.
Les économies ne sont en effet ni de droite, ni de gauche, mes chers collègues. Le bénéfice de ces mesures serait général et contribuerait à assurer la pérennité et la viabilité de notre système de protection sociale, dans la justice, qui nous tient tous à coeur. Face à un tel enjeu, nous estimons qu’il est nécessaire de mettre de côté nos divergences pour porter ensemble cette réforme nécessaire.
Je dirai également un mot du dernier article de cette proposition de loi, qui, je le sais, a retenu toute votre attention. Il s’agit du rétablissement du jour de carence dans la fonction publique. Cela va sans dire, nous sommes totalement favorables à cette mesure, nous l’avons toujours été.
Contrairement au secteur privé, pour lequel le code de la Sécurité sociale prévoit trois jours de carence, c’est-à-dire trois jours durant lesquels le salarié ne perçoit pas d’indemnités journalières, les fonctionnaires bénéficient de la rémunération de leurs arrêts de travail dès le premier jour. Dans le secteur privé, les grandes entreprises ou bien les mutuelles peuvent dans certains cas prendre en charge ce délai de carence et le payer aux salariés. Cependant, dans la plupart des cas, notamment pour les très nombreux salariés des TPE-PME ou les salariés qui subissent un emploi précaire, en CDD ou en intérim, ces jours de carence ne sont pas payés. On estime à un tiers la proportion de salariés du privé qui ne sont pas couverts par une complémentaire : les trois jours de carence ont un impact significatif sur leur pouvoir d’achat.
Il est important, pour ne pas opposer les salariés du secteur public à ceux du secteur privé, d’appliquer à tous un système identique et juste. La journée de carence dans la fonction publique, instaurée par le gouvernement Fillon à l’automne 2011, était ainsi une mesure de justice, dimension à laquelle vous devriez être sensibles, chers collègues de la majorité.
Elle avait également, et c’est non négligeable, permis de lutter contre le différentiel d’absentéisme assez choquant entre le secteur privé et la fonction publique. Cette mesure avait contribué à faire reculer de 7 % l’absentéisme dans la fonction publique hospitalière, encourageant ainsi des comportements vertueux.
Nous avions donc combattu sa suppression par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2014. Du reste, certains de nos collègues socialistes, bien éclairés à l’époque, s’étaient élevés contre cette décision. Je pense à notre collègue, bien connu de l’hémicycle, Thomas Thévenoud, qui avait à juste titre déclaré que les efforts demandés à la population devaient être « équitablement répartis entre le public et le privé ». Jean-Marie Le Guen, qui est aujourd’hui votre collègue au Gouvernement, madame la secrétaire d’État, avait également estimé que c’était une fausse bonne idée et que la mesure prise par le Gouvernement procédait « d’une vision un peu dépassée du dialogue social ».
Bref, mes chers collègues, alors que nous nous accordons tous sur la nécessité de faire des économies dans la justice, cette mesure qui avait généré 244 millions d’euros d’économies doit être rétablie sans tarder.
Cet article 8 n’est pas l’arbre qui cache la forêt, monsieur Sebaoun : il s’agit de rétablir une mesure nécessaire, que la Cour des comptes recommandait et qui, par conséquent, ne devrait appeler aucune contestation.
Il a toute sa place dans cette proposition de loi car, comme toutes les autres mesures des précédents articles, il vient renforcer notre système de Sécurité sociale et, à ce titre, ne peut qu’être salué.
Mes chers collègues, les députés du groupe UDI sont pleinement engagés pour le redressement des finances publiques et notamment des comptes sociaux. Nous en sommes convaincus : il est nécessaire de maîtriser la dépense liée aux arrêts de travail. Cela passera par une adaptation de notre réglementation les concernant et s’inscrit d’ailleurs parfaitement dans la perspective du choc de simplification promis par le Président de la République.
Il est également primordial de mettre en place un dispositif plus juste, qui passe à la fois par une réglementation plus protectrice privilégiant la santé au travail et la réinsertion professionnelle et par l’amélioration de la couverture des salariés et du contrôle. Pour toutes ces raisons, le groupe UDI votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de féliciter notre collègue Bérengère Poletti pour la qualité de son rapport et la pertinence de cette proposition de loi qu’à titre personnel je n’ai pas hésité une seule seconde à cosigner ; je crois que nous pouvons l’applaudir.
Elle est le fruit d’un travail parlementaire approfondi et de près de trente-deux heures d’auditions – trente-deux heures, madame la secrétaire d’État ! J’espérais, chers collègues de la majorité, que vous reconnaîtriez que cette proposition de loi arrive à point nommé. Le Premier ministre a annoncé dans son discours de politique générale, la semaine dernière, qu’il souhaitait écouter davantage l’opposition : vous en avez là l’occasion ! Le Gouvernement semble s’être converti à l’idée qu’il fallait réaliser des économies, madame la secrétaire d’État. En votant ce texte, vous joindriez les actes à la parole.
De quoi s’agit-il ? De suivre, en les inscrivant dans la loi, les préconisations contenues dans un rapport sur les arrêts de travail et les indemnités journalières, rapport voté à l’unanimité des membres de la MECSS, coprésidée dans un esprit constructif par notre collègue Pierre Morange.
Nous nous plaignons tous que trop de rapports, qu’il s’agisse de ceux de la MECSS, de la MEC ou de la Cour des comptes, ne soient pas ou peu suivis d’effets. Pour une fois, nous serions bien inspirés, collectivement, de tenir compte des recommandations d’une mission qui a mené ses travaux en toute objectivité. Le constat est sans appel et rappelé dans l’exposé des motifs : les dépenses occasionnées par les indemnités journalières, tous régimes confondus, s’élèvent à près de 20 milliards d’euros ; la prise en charge des arrêts de travail s’avère très inégale ; la connaissance du coût total des dépenses des indemnités journalières semble partielle ; les contrôles présentent de sérieuses lacunes. Cette proposition de loi a donc pour objectif de faire plus efficace, plus soucieux des deniers publics mais aussi plus juste.
J’insisterai sur trois points. Le premier concerne une idée reçue à laquelle il convient de tordre le cou : toutes les entreprises compenseraient les jours de carence de tous leurs salariés. Or ce n’est absolument pas le cas, d’où l’article 2 qui propose de faire évaluer le montant des indemnités journalières effectivement versées grâce – je vous ai bien écouté, monsieur Robiliard ! – à l’inscription dans la déclaration sociale nominative qui, semble-t-il, est effective. Évaluation !
Deuxième point : les contrôles. Très opportunément, les articles 4 et 5 insistent sur le renforcement de contrôles « ciblés » – vous l’avez dit vous-même, madame la secrétaire d’État –, encouragent une meilleure coordination entre les services médicaux et les caisses primaires d’assurance maladie et, enfin, appellent à l’honnêteté et à l’esprit de responsabilité de l’assuré. Pour mémoire, en 2013, près de 150 000 contrôles du délai de l’envoi de l’avis d’arrêt de travail ont permis de récupérer plus de 6 millions d’euros.
C’est d’ailleurs au nom de cet esprit de responsabilité que l’article 8 figure dans cette proposition de loi, qui rétablit le jour de carence non indemnisé dans les fonctions publiques ; c’est mon troisième et dernier point. Porté par Xavier Bertrand, alors ministre du gouvernement Fillon, dans la loi de finances 2012, cette disposition a été supprimée par la ministre de la fonction publique au prétexte que ses effets sur l’absentéisme n’auraient pas été démontrés. Tout juste a-t-elle consenti à un renforcement des contrôles par une disposition législative – que l’on attend toujours, d’ailleurs ! Effets pas démontrés ? La Cour des comptes a souligné que lorsque le jour de carence a été introduit dans la fonction publique, le taux de congés pour maladie de courte durée a diminué de 25 %.
Dans les hôpitaux et les collectivités locales, le nombre d’arrêts maladie d’une journée a chuté de plus de 40 % ! La Fédération hospitalière de France a constaté que le nombre d’absences avait baissé de 3 à 7 % en moyenne, et même de 20 % dans certains établissements !
Vous avez ce matin, une nouvelle fois, et à plusieurs reprises, tenté de laisser croire que la réintroduction d’un jour de carence dans la fonction publique stigmatise les fonctionnaires : je pense que c’est tout le contraire ! À force de réserver, de conserver devrais-je dire, des régimes particuliers, dérogatoires, aux trois fonctions publiques, c’est bien la majorité parlementaire qui oppose les Français les uns aux autres, les salariés du privé aux salariés du public.
Alors que l’immense majorité des fonctionnaires font consciencieusement leur travail, le seul fait qu’ils bénéficient d’avantages en plus de la sécurité de l’emploi est de plus en plus mal vécu, voire jalousé, par ceux qui n’en bénéficient pas. Ce ne sont pas les fonctionnaires qui devraient être la cible des critiques, mais bien le mode de gestion, l’organisation et le fonctionnement des structures dans lesquelles ils évoluent, avec le souci de l’équité. Le coût du jour de carence a été chiffré à 164 millions d’euros : pour qui cherche à réaliser des économies, les petits ruisseaux font les grandes rivières !
« Gouverner, c’est écouter l’ensemble de la représentation nationale et donc l’opposition », a affirmé le Premier ministre – Premier ministre dont je pense que vous soutenez les annonces, toutes les annonces, chers collègues ! Aujourd’hui, l’UMP vous demande solennellement, au nom de l’intérêt général, de soutenir cette proposition de loi ou, à défaut, d’en réintroduire l’esprit dans le PLFSS rectificatif que le nouveau secrétaire d’État aux relations avec le Parlement nous a annoncé pas plus tard qu’hier. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
J’ai reçu de M. Bruno Le Roux et des membres du groupe socialiste, républicain et citoyen une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à M. Gérard Sebaoun.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous prie tout d’abord d’excuser l’absence de Mme Lemorton, qui est retenue ce matin par des auditions dans le cadre de son rapport sur la permanence des soins.
Madame la rapporteure, avec votre proposition de loi sur les arrêts de travail et les indemnités journalières, vous souhaitez des modifications législatives portant sur les contrôles et, surtout, vous entendez réintroduire un jour de carence pour les agents des trois fonctions publiques. Ainsi que mon collègue Robiliard l’a rappelé, la quasi-totalité des articles de cette proposition de loi ont déjà fait l’objet de débats récents lors de l’examen des projets de loi de finances et de financement de la Sécurité sociale pour 2014, au travers des amendements que vous avez défendus avec les membres de votre groupe. Vos amendements, souvent déjà satisfaits, ont été rejetés ; cela vient d’être rappelé. C’est cette réalité qui a fondé le dépôt de la motion de rejet préalable que je m’apprête à défendre devant vous.
Puisque chacun s’accorde à dire que le temps parlementaire est précieux et que nous en manquons, il n’est pas nécessaire, à notre sens, de rejouer la « saison 3 » de la fraude et du jour de carence. Mais vous avez choisi d’y revenir une nouvelle fois : je vais donc m’attacher, sans polémique, à démontrer le manque de crédibilité de vos arguments.
Je ne reviens pas sur les articles qui ont pour seul objet la multiplication des procédures de contrôle, si ce n’est tout de même pour m’arrêter un instant sur les notions de fraude et de comportements abusifs, qui figurent dans votre rapport. La fraude est marginale, comme l’atteste l’enquête de la CNAMTS pour 2010. Elle représente 0,16 % des arrêts maladie et 0,05 % des indemnités journalières versées, soit 3 millions d’euros. Les fraudes sont de trois types : le cumul d’indemnités journalières avec une activité pour les deux tiers, la falsification de pièces justificatives ou encore celle liée aux employeurs, pour 15 %.
Je n’ai pas dit que cela n’existait pas, j’ai dit que cela représentait 3 millions d’euros ! La fraude existe et elle doit être combattue sans faiblesse, monsieur Tian, mais il convient de l’apprécier à sa juste réalité plutôt que d’en faire, comme vous le faites régulièrement, un outil de propagande.
Le comportement abusif de certains acteurs, assurés ou prescripteurs, doit également être repéré et sanctionné, et je reprends à mon compte une phrase du rapport 2012 de la Cour des comptes sur la Sécurité sociale, qui dit que la CNAMTS doit redéfinir clairement sa doctrine sur les contrôles. Leur bilan économique est en effet très limité et, à ce propos, on peut relever l’exemple de la caisse de l’Aube qui, en 2010, a mis en évidence un gain annuel, toutes charges déduites, de 11 000 euros pour 1 400 contrôles effectués, soit un bénéfice de 8 euros par contrôle, ce qui doit aussi nous interroger. Il nous faut donc mieux contrôler, mieux sensibiliser et mieux responsabiliser tous les acteurs.
Un mot sur les gros prescripteurs, dont on parle peu, qualifiés d’« hyper-prescripteurs » par la CNAMTS. Ce sont près d’un millier de médecins qui en 2010 ont prescrit plus de 10 000 journées d’arrêt, quatre fois plus que la moyenne de leurs confrères. Là encore, les outils existent, comme la mise sous accord préalable des praticiens. La campagne 2008 aura, semble-t-il, permis d’éviter, toujours selon la CNAM TS, 9 millions d’euros de dépenses, essentiellement à la médecine libérale, car il faut le rappeler et être justes, les médecins hospitaliers, à l’origine de 20 % des prescriptions d’arrêt maladie, ne sont pas concernés. Je n’ai malheureusement pas le temps d’aborder la question de la densité des praticiens sur les territoires, qui pourrait être intéressante.
J’en viens maintenant au coeur nucléaire de votre proposition de loi, madame Poletti, qui réside dans l’article 8 avec la mesure phare du texte : le rétablissement du jour de carence pour les fonctionnaires. Il ne vous aura pas échappé que le groupe SRC, qui siégeait sur les bancs de l’opposition en 2011, s’était fortement opposé à son instauration par les voix autorisées de Marisol Touraine, d’Alain Vidalies, de Christian Eckert ou encore de Jean Mallot, et j’en oublie. Devenus majoritaires, nous n’avons pas changé d’avis en votant sa suppression dans la loi de finances pour 2014, à l’initiative de la ministre de la fonction publique, Mme Marylise Lebranchu. Et puisqu’il faut encore aujourd’hui rappeler nos arguments, je vais le faire en m’appuyant sur les études existantes et non sur quelques chiffres publiés dans les médias et qui, sortis de leur contexte, ont surtout vocation à nourrir une suspicion généralisée contre la fonction publique.
Un rapide historique du feuilleton permet également d’éclairer le chemin tortueux emprunté par le gouvernement Fillon avant l’adoption définitive du jour de carence. En effet, la proposition initiale de ce gouvernement se limitait à un exercice strictement comptable, avec un nouveau mode de calcul des indemnités journalières, qui conduisait mécaniquement à une baisse de revenus pour les salariés en arrêt maladie. Stigmatisée même à l’intérieur de l’UMP, elle a évidemment été rapidement abandonnée.
C’était sans compter l’obstination de notre collègue Tian, auteur du rapport de la MECSS sur la lutte contre la fraude sociale, qui déposa le 15 novembre 2011 un amendement au projet de loi de finances pour 2012 visant à aligner les délais de carence du privé et du public. Le débat était donc relancé, avec ou sans l’aval du gouvernement d’alors – je l’ignore, même si j’ai ma petite idée ; M. Tian nous le dira peut-être tout à l’heure.
L’histoire retiendra que son amendement fut repoussé avec l’aval du Gouvernement, au profit d’un amendement défendu par Valérie Pécresse introduisant ce fameux jour de carence pour les agents publics civils et militaires en congé maladie. Mais la ministre du budget ne s’était pas arrêtée là dans ses explications. Écoutez attentivement ses propos : « Les parlementaires… » – vous en faisiez peut-être partie – « … ayant souhaité que nous ne modifions pas le calcul des indemnités journalières, notamment pour prendre en compte la situation de grande précarité d’un certain nombre de salariés du secteur privé, un accord a été trouvé avec la représentation nationale… » – elle voulait parler bien sûr de la majorité parlementaire de l’époque – « … pour augmenter le nombre de jours de carence dans le secteur privé et pour prévoir un quatrième jour de carence. »
Deuxième rétropédalage quasi immédiat du Gouvernement avec le renoncement du quatrième jour de carence pour le privé, et en reconnaissant qu’il s’agissait d’une mesure injuste qui allait toucher les salariés du privé qui n’étaient pas couverts par une convention collective ou un accord d’entreprise, notamment dans les TPE et PME. Ce revirement validait évidemment les arguments avancés par l’opposition de gauche et, je dois le dire par honnêteté, par plusieurs députés de l’ancienne majorité.
Pour clore le chapitre de la petite histoire – et j’imagine que vous en étiez, madame la secrétaire d’État –, la gauche sénatoriale obtiendra une victoire symbolique en votant un amendement de suppression porté par la rapporteure générale de la commission des finances, Nicole Bricq, avant bien sûr que le jour de carence soit rétabli par l’Assemblée.
Je rappelle enfin que la mise en place du jour de carence pour les agents des trois fonctions publiques au 1er janvier 2012 s’est effectuée évidemment sans aucune concertation et qu’elle fit l’unanimité des syndicats contre elle.
Je veux maintenant revenir sur trois idées fausses qui rendent, je le crois malheureusement, nos positions respectives inconciliables aujourd’hui.
Première idée fausse que vous portez : le jour de carence pour les fonctionnaires serait une mesure équitable. Je crois exactement le contraire. En effet, chacun sait que la majorité des salariés du secteur privé sont couverts par des complémentaires. Un rapport de l’IRDES portant sur l’année 2009 montre que 52,8 % des entreprises privées prenaient en charge les trois jours de carence de leurs salariés, 76 % pour les entreprises de plus de 250 salariés et 46,9 % pour les TPE de un à neuf salariés.
La question que nous devons donc nous poser, et Mme la secrétaire d’État l’a dit tout à l’heure, ce n’est pas moins de couverture complémentaire pour les fonctionnaires mais une meilleure couverture du risque maladie au bénéfice des 37 % des salariés du secteur privé qui ne sont pas encore couverts aujourd’hui.
Deuxième idée fausse : les arrêts maladie auraient massivement reculé en 2012 grâce à l’instauration du jour de carence dans les trois fonctions publiques. Là encore, je veux m’inscrire en faux. S’agissant des notes publiées par les filiales « collectivités territoriales » et « établissements hospitaliers » de l’assureur Sofaxis dont je ne conteste pas la validité même s’il est ici juge et partie, elles constatent toutes deux qu’entre 2007 et 2011 toutes natures d’arrêts confondus, la durée, la proportion d’agents arrêtés et le nombre d’arrêts augmentent tous significativement, et toujours au-delà de 10 %.
Dans les collectivités territoriales, la part du premier jour d’arrêt a représenté entre 7,5 % et 8,5 % en moyenne de l’ensemble des jours d’absence en maladie ordinaire entre 2007 et 2011. On constate, c’est vrai, une baisse inférieure en 2012 à 6,2 %, mais dans le même temps la proportion des arrêts supérieurs à quatre jours a continué à augmenter avec une plus forte hausse sur les arrêts les plus longs.
L’interprétation des auteurs de la note sur cette baisse observée en 2012 est particulièrement mesurée et à des années-lumière des manchettes qu’elle a suscitées dans la presse et qui ont été largement relayées par l’opposition. Ses auteurs pointent certes la possible évolution des comportements mais aussi davantage de présence au travail malgré la maladie – c’est ce que l’on appelle désormais le présentéisme – ou encore la pose d’un jour de congé pour couvrir leur jour d’absence. Ce constat est partagé par une communication récente de l’association des DRH des grandes collectivités. Dans ces collectivités, le nombre d’arrêts a pu diminuer en 2012 mais pas le nombre de jours d’absence. Et ce constat n’a pas entraîné de conséquences tangibles sur les finances locales, le premier jour d’arrêt représentant 1 % seulement du coût direct total de ces absences en maladie ordinaire en 2011, et 0,3 % en 2012 – je parle bien du coût direct.
Il est à noter que les taux d’absentéisme pour raison de santé observés en 2012 restent très variables selon les catégories professionnelles : de 8 % pour les agents du bâtiment dans ces collectivités jusqu’à 24 % pour les agents de nettoyage. On peut peut-être en chercher les raisons.
J’en viens maintenant à la situation à l’hôpital. Je veux m’inscrire en faux contre le courrier adressé par la Fédération hospitalière de France à Marylise Lebranchu le 19 février 2013 pour défendre sa vision d’employeur. La FHF vante un « présentéisme » renforcé qui aurait amélioré la prise en charge des patients – avec des agents malades, bien sûr… – et les conditions de travail de ces agents. Cette assertion va à l’encontre des travaux sur le présentéisme exposés récemment devant le groupe d’étude sur les conditions de travail que je préside – je n’ai, hélas ! pas le temps de développer ce sujet passionnant. Dans le même courrier, la FHF affiche un taux d’absentéisme sur les maladies ordinaires en baisse de 3 % entre 2011 et 2012 en s’appuyant sur les huit premiers mois de l’année 2012, mais elle ne dit rien, pas un mot, sur le poids réel des arrêts maladie de courte durée, et notamment ceux d’une journée. C’est un amalgame. Les données fournies par la ministre de la fonction publique ne montrent pas de recul majeur du poids des arrêts de courte durée entre 2011 et 2012.
Troisième idée fausse : cette mesure aurait permis des économies très importantes. C’est, là aussi, une affirmation facilement battue en brèche dès lors que l’on veut bien regarder les chiffres disponibles. Le premier qu’il faut garder à l’esprit, et pour ne parler que du montant des indemnités journalières, c’est le chiffre de 6,3 milliards d’euros en 2011, contre 4,3 milliards d’euros en 2000, servis par le régime général de la Sécurité sociale. S’agissant de l’économie attendue avec l’instauration du jour de carence pour les fonctionnaires, le gouvernement Fillon avait tablé sur une économie de 200 millions par an environ pour la Sécurité sociale. M. Jacob, lui, n’a pas hésité à parler de 300 millions, et, pourquoi pas, de 1 milliard si d’aventure la carence était portée à trois jours. C’est de la pure communication. Nous sommes dans la fantaisie des chiffres et surtout dans une désinformation orchestrée, très préjudiciable à l’ensemble des fonctionnaires et des salariés.
Marylise Lebranchu a eu l’honnêteté d’annoncer une économie de 60 millions d’euros environ pour la fonction publique d’État, mais je n’ai pas retrouvé de chiffre fiable pour la fonction publique hospitalière s’agissant du premier jour d’arrêt, ni sur les collectivités, et je répète que l’association des DRH des grandes collectivités considère qu’il n’y a pas eu de conséquences tangibles sur les finances locales.
Au-delà de cette querelle de chiffres, on ne peut pas omettre une réalité totalement occultée par les défenseurs du jour de carence, à savoir le coût de l’instauration éventuelle d’une couverture complémentaire pour les trois fonctions publiques, qu’il faudrait évidemment envisager dès lors que vous prétendez – et vous le faites – être équitables entre tous, entre privé et public. Mme Lebranchu a parlé d’1 milliard d’euros pendant nos débats.
En conclusion, madame la rapporteure, j’aurais préféré placer nos échanges sur un autre terrain, celui de la réalité du quotidien de travail vécu par nos concitoyens, car je sais que, comme moi, vous y êtes sensible, comme probablement l’ensemble des députés ici présents. Nous pouvons sûrement partager une réalité incontestable, celle de la progression réelle, régulière, en volume et en coût, des journées indemnisées. J’ajoute que, comme vous l’indiquez dans votre rapporteur, l’activité de liquidation des indemnités journalières, tous risques confondus, mobilise 5 330 équivalents temps plein, soit près de 10 % des effectifs du réseau de l’assurance maladie, alors qu’elle ne représente que 6 % du total des charges.
En conclusion, je veux rappeler que l’absentéisme reste un phénomène multifactoriel, mobilisant de très nombreuses explications, qui elles-mêmes peuvent se cumuler : le vieillissement de la population, puisque les plus de cinquante-cinq ans représentent 13 % des bénéficiaires d’indemnités journalières en 2010, mais 20 % du total des journées indemnisées ; les conditions de travail, avec la pénibilité des métiers, l’augmentation des accidents de travail et l’explosion des maladies professionnelles ; le contexte économique et social difficile ; les maladies saisonnières ; l’augmentation des pathologies invisibles telles les affections psychiatriques ; le management ; le contenu du travail peu motivant et la perte du sens du travail ; la mauvaise adéquation entre un agent et son poste de travail ; les risques psychosociaux ; la conciliation difficile du temps personnel et professionnel. Et la liste n’est pas exhaustive.
Il nous faut collectivement mieux analyser toutes ces données pour leur donner une vraie réponse. Je nous invite tous à rendre leur juste place, mais seulement leur place, aux contrôles, sans les rendre forcément toujours plus complexes et plus nombreux. Et je vous invite, sans succès, j’en ai peur madame la rapporteure, à renoncer au jour de carence pour les fonctionnaires, dont j’ai tenté de démontrer qu’il n’était ni équitable, ni une source réelle d’économies.
C’est pourquoi mes chers collègues, je vous demande de voter la motion de rejet préalable que je viens de vous présenter.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
On voit bien que nous touchons ici au coeur d’une idéologie et qu’il s’agit pour la gauche d’une question taboue. Au cours de la discussion, certains orateurs nous ont reproché de faire preuve d’idéologie, alors que nous cherchons, au contraire, à être pragmatiques et à apporter notre contribution, puisque le Gouvernement parle de faire des économies. D’ailleurs, nous ne sommes pas les seuls à souligner ces économies puisque, durant les auditions, nous avons reçu l’AP-HP et la Fédération hospitalière de France, qui n’ont pas compris pourquoi le Gouvernement avait renoncé à cette journée de carence qui, pourtant, avait produit les effets escomptés.
M. Sebaoun s’est interrogé sur le contenu des chiffres…
…en indiquant qu’il ne retrouvait pas certains chiffres. Alors que nous avions annoncé, lors de l’instauration de la journée de carence, une économie de 122 millions d’euros, cette économie a atteint – et cela figure dans mon rapport – près de 61 millions d’euros pour l’État…
…et 55 millions d’euros pour la fonction publique hospitalière. Nous ne disposons d’aucun chiffre pour la fonction publique territoriale, mais nous nous demandons si la journée de carence y a bien été appliquée. En tout cas, les choses restent très vagues pour ce qui concerne la fonction publique territoriale.
Madame la secrétaire d’État, cette proposition de loi s’inscrit tout à fait dans l’actualité, comme cela a été dit à plusieurs reprises par nos collègues. Le Premier ministre demande en effet au Parlement et au Gouvernement de consentir des efforts budgétaires, ce qui signifie qu’il faut parfois faire des choix et parfois renoncer. Avec l’instauration de la journée de carence et le renforcement des contrôles des arrêts maladie, nous avions réussi à mettre en place une mesure qui n’était pas forcément très contestée et qui a été supprimée uniquement parce qu’il fallait céder quelque chose aux syndicats de la fonction publique, donc pour des motifs qui, il faut bien le dire, ne sont pas très honorables.
Certains orateurs ont indiqué que la plupart des articles de cette proposition de loi contenaient des dispositions déjà en vigueur. Je pense que c’est tout à fait faux. Les articles permettent en effet d’instaurer des dispositions nouvelles et efficaces. Il faut savoir qu’actuellement, dans la fonction publique d’une manière générale, il n’y a absolument aucun contrôle. Les contrôles administratifs n’existent pas et les contrôles médicaux ne se font pratiquement pas. On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre : soit on instaure des contrôles efficaces – et même l’expérimentation actuelle ne propose pas de contrôle efficace puisque les arrêts maladie ne sont contrôlés qu’à partir de quinze jours –, soit on instaure une journée de carence, ce qui permet d’être un peu plus raisonnable.
Pour essayer d’alimenter ma réflexion j’ai donné quelques coups de téléphone. Aussi, je vous citerai les chiffres d’un établissement de santé de ma région qui a instauré la journée de carence pendant deux ans, c’est-à-dire en 2012 et 2013, respectant ainsi les prescriptions de la loi, contrairement à la fonction publique territoriale qui pourtant en a bien besoin. Cet établissement a vu le nombre d’arrêts courts, c’est-à-dire ceux de moins de trois jours, baisser de 55 %.
Les autres sont en augmentation continuelle depuis plusieurs années. Vous ne pouvez pas dire que l’on a simplement assisté à un transfert, et que la diminution du nombre d’arrêts courts aurait entraîné l’augmentation du nombre d’arrêts longs. Celui-ci augmente de toute façon, et de manière continue, en raison du vieillissement de la population active.
Monsieur Sebaoun, je vous répète que cet établissement m’a indiqué que le nombre d’arrêts courts avait diminué de 55 %. Ce n’est pas moi qui ai inventé ce chiffre !
Madame la rapporteure, soyez honnête : il faut regarder les chiffres dans leur globalité !
Les statistiques parlent de 40 %. Alors que les artisans, les commerçants et les agriculteurs ont sept jours de carence, ce dont on a peu parlé, et que plus du tiers des salariés du secteur privé ont trois jours de carence, pourquoi ne pourrait-on pas instaurer une journée de carence pour les salariés du secteur public alors que l’on a vu, pendant les deux années où cette disposition a été appliquée, qu’elle était extrêmement efficace ?
On le voit donc, vous êtes vraiment dans l’idéologie.
D’ailleurs, pour en revenir à la fonction publique hospitalière, je veux bien qu’il y ait un mauvais management dans les conseils régionaux, mais on assiste à un record absolu : trente jours par agent et par an. C’est donc quelque chose d’énorme.
Comme je le disais tout à l’heure, on ne peut pas ne rien avoir : ni les contrôles, ni la journée de carence. Il y a un certain nombre de propositions que je fais concernant le contrôle. Il faut tout de même savoir qu’actuellement, il reste beaucoup de progrès à faire, y compris dans l’expérimentation qui est menée actuellement dans la fonction publique. On le voit bien : nous sommes devant un vrai problème d’injustice et de dépense publique, nous sommes en plein dans l’actualité. Je vous demande instamment de ne pas voter cette motion de rejet préalable, qui nous empêcherait de débattre démocratiquement de chacun des articles.
Il y a d’ailleurs des dispositions, dans cette proposition de loi, qui pourraient nous permettre d’avancer sur les problèmes de management, sur la transmission des arrêts de travail, puisque les contrôles seraient exercés de manière beaucoup plus efficace.
Ne rejetez pas tout cela, permettez-nous d’avoir tous ensemble une discussion, de développer nos arguments sur chacun des articles, au lieu de nous priver de ce débat démocratique. Je cite encore une fois votre nouveau Premier ministre, qui souhaite que nous ayons des discussions, et que vous écoutiez votre opposition. Prouvez aujourd’hui que vous adhérez à sa demande, pour qu’au moins nous puissions avoir une discussion argumentée sur l’ensemble de cette proposition de loi et sur les huit articles qu’elle comporte.
Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.
Nous en venons aux explications de vote sur la motion de rejet préalable.
La parole est à M. Pierre Morange, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Le groupe UMP votera évidemment contre cette motion de rejet préalable. Puis-je me permettre de vous rappeler que cette motion déposée par la majorité n’est que le reflet de sa schizophrénie politique, au vu des objectifs définis par le Premier ministre il y a quelques temps, évoquant les 10 milliards d’euros à économiser au titre de l’assurance maladie ?
Interruptions sur les bancs du groupe SRC.
La majorité n’a finalement pas la capacité d’assumer la prise en charge des instruments nécessaires à la mise en oeuvre de ces économies.
Je ne reprendrai pas l’excellente argumentation de notre rapporteure Bérengère Poletti, qui a été parfaitement explicite et synthétique dans son propos. Nous dire que cette proposition de loi n’a pas de sens au motif que la question a déjà été abordée pendant l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2014 ne me semble pas convaincant, tant il est vrai que, sur d’autres sujets, comme les clauses de compétence générale, les postures ont évolué pour aboutir à des positions totalement contraires de la part de la majorité. En raisonnant ainsi, on n’aurait plus qu’à conclure qu’il n’y a plus aucune légitimité au débat démocratique dans notre hémicycle.
Sur le fond, la focale se fait surtout sur l’article 8, avec une suspicion de chasse aux malades dans la fonction publique. Ce propos n’est pas raisonnable, puisqu’un arrêt de travail n’a de sens qu’en raison de sa capacité à apporter une réponse thérapeutique. Il ne doit pas faire l’objet d’une discussion de marchand de tapis syndicale, qu’il s’agisse de la fonction publique d’État, territoriale ou hospitalière.
C’est bien le regret que nous pouvons avoir : il est clair que cette motion de rejet préalable a pour motivation essentielle de conforter un bassin électoral qui est cher à la majorité.
Exclamations sur les bancs du groupe SRC.
Enfin, puis-je me permettre de vous rappeler un petit exemple ? En tant que co-président de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécurité sociale, que j’ai eu l’honneur d’initier en 2004, j’ai abordé un certain nombre de sujets quelque peu sulfureux avec l’ensemble de nos collègues,…
…et notamment celui de la lutte contre la fraude sociale. Notre rapporteur à l’époque était Dominique Tian. Avec l’autre co-président, mon alter ego, Jean Mallot, dans l’opposition à l’époque – excellent rapporteur et excellent co-président –, nous avions voté à l’unanimité un certain nombre de préconisations, montrant bien l’esprit qui animait cette Mission : du fait de sa composition paritaire, elle s’écartait des débats idéologiques en s’appuyant sur des lectures objectives, issues des travaux de la Cour des comptes.
Je ne vous donnerai qu’un simple chiffre : en l’an 2000, la lutte contre la fraude sociale rapportait quelque 60 millions d’euros. En 2012 : 600 millions d’euros !
Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.
La parole est à M. Arnaud Richard, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Nous avons dit combien cette proposition de loi était pertinente, puisque les dispositions qu’elle comporte avaient été adoptées à l’unanimité par la MECSS, suite à une analyse extrêmement explicite de la Cour des comptes, qui ne peut être remise en cause.
Mes chers collègues, on ne peut que s’étonner de cette motion de rejet préalable, sauf à ce que vous ne l’adoptiez pas… Qu’en sera-t-il – et je m’inquiète pour vous – quand vous allez devoir voter ce que vous propose le Premier ministre ?
Exclamations sur les bancs du groupe SRC.
« Schizophrénie », a dit mon cher collègue Morange, qui est médecin : je crois que c’est un euphémisme !
Madame Lemorton, bonjour : merci de nous avoir rejoints.
Qu’en sera-t-il quand vous aurez à adopter les 50 milliards d’économies que va vous proposer le Premier ministre ?
Au-delà du déni de réalité, compte tenu du respect que vous devriez avoir pour les travaux de la MECSS, je crois qu’il y a là un déni de majorité, parce que vous allez très certainement, mes chers collègues, devoir adopter les mêmes mesures – hormis peut-être l’article 8 – dans le prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale.
Nous aurions tout à fait pu nous mettre d’accord. Peut-être n’aurions-nous pas dû inscrire l’article 8 dans cette proposition de loi. Peut-être que, dans ce cas-là, nos collègues l’auraient adoptée, ce qui eût été une bonne chose pour les comptes sociaux.
En tout cas, le groupe UDI ne votera pas cette motion de rejet préalable.
Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.
La parole est à M. Olivier Falorni, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Certes, la question de l’absentéisme est essentielle, et le Gouvernement a d’ailleurs engagé à ce propos un renforcement des contrôles, mais l’UMP tente par cette initiative de résoudre les conséquences de l’absentéisme sans s’attaquer frontalement aux causes réelles des arrêts de travail et c’est bien là tout le problème.
Pour notre groupe, de telles mesures ne peuvent être discutées sans que la question essentielle de la santé au travail ne soit abordée, afin de remédier véritablement aux absences répétées.
En plus du facteur d’aggravation qu’est l’âge, ce sont surtout les caractéristiques de l’emploi qui expliquent les disparités qu’on peut trouver dans les différents corps de métier. Ce sont dans les métiers pénibles qu’on enregistre les plus forts taux d’absentéisme :…
…secteur de l’hébergement, restauration, hôtellerie ; bâtiments et travaux publics ; métiers de la santé. On constate également des inégalités entre les ouvriers et les cadres, puisque le taux d’absentéisme des premiers s’élève à 4,5 %, contre 1,6 % pour les seconds.
On voit aussi que l’emploi précaire est plus concerné que les salariés en contrat à durée indéterminé, ou que les titulaires de la fonction publique. Il est incontestable que les conditions de travail ont une réelle influence sur l’absentéisme.
Il faut donc en rechercher les causes dans la pénibilité du travail.
Cela signifie que, pour beaucoup de salariés qui s’absentent, ces derniers ne le font pas par envie. Cassons, mes chers collègues, ce cliché des fonctionnaires fainéants qui sous-tend un certain nombre de déclarations !
Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI. – Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Des postures pénibles, des charges lourdes, le bruit, la pression du temps, les risques d’agression, voire de fortes pressions psychologiques sont autant de facteurs qui sont à prendre en compte.
Je ne doute pas des bonnes intentions de ce texte quant à la réduction de l’absentéisme et donc de l’allégement des dépenses publiques, mais à y regarder de plus près, madame la rapporteure, de toute évidence, votre proposition de loi semble être une fausse bonne idée. Sans l’article 8, notre groupe aurait pu voter cette proposition de loi. Mais la décision de rétablir un jour de carence pour les fonctionnaires est une injustice.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Elle serait inéquitable pour les agents de la fonction publique, tout en ayant un impact budgétaire très limité.
Et il faut rappeler que malgré leurs trois jours de carence, les salariés du privé, pour la majorité d’entre eux protégés par les conventions collectives, sont rémunérés par leur entreprise pendant les arrêts maladie.
Cet article 8 est donc de trop. La réintroduction d’un jour de carence serait injuste et inefficace, elle enverrait un très mauvais message à l’encontre du service public. Le jour de carence introduit par Nicolas Sarkozy a été supprimé par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, ce que nous approuvons. Nous ne voyons aucun intérêt à revenir sur cette décision. Cet article 8 est hélas dommageable à l’ensemble de votre travail. Il faut être pragmatique. Vous l’aurez compris à mon exposé, ce n’est pas le travail de qualité réalisé sur les sept premiers articles qui nous pose problème, mais ce huitième article, auquel nous ne pouvons pas souscrire, ce qui nous conduit évidemment à voter cette motion.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
La parole est à M. Denys Robiliard, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Il est peut-être une chose dont nous pouvons nous féliciter, c’est du présentéisme des députés de tous bords pour cette importante discussion. Au moins l’hémicycle est-il relativement rempli, ce qui, le jeudi matin, est plutôt rare. Félicitons-nous en.
J’entends parler d’idéologie et de schizophrénie ; je pense donc que c’est en ma qualité de rapporteur de la mission sur la santé mentale et la psychiatrie qu’on m’a invité à prendre la parole… Je ne m’arrêterai évidemment pas là. Arrêtons de nous lancer des invectives et écoutons-nous.
L’écoute, c’est réciproque. À ce que je vous ai dit, je ne crois pas qu’il ait été répondu. Quand on écoute, on répond !
Ce que je vous ai dit, d’abord, c’est que nous avions abondamment discuté, point par point, à la fin de l’an dernier, de tout ce qui est proposé dans ce texte : nous l’avons fait lors de l’examen du projet de loi de finances s’agissant du jour de carence, et lors de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale s’agissant des autres questions. Or je crois que dans la discussion parlementaire, il ne faut pas répéter toujours les mêmes débats.
Il faut pouvoir passer au sujet suivant. Tout cela a été discuté il y a moins de quatre mois : tirons-en les conséquences.
Deuxième point : je vous ai dit que les articles 1er, 6 et 7 étaient satisfaits, et vous ai indiqué les raisons pour lesquelles ils l’étaient. Vous n’avez pas répondu sur ce point.
Troisième point, sur les contrôles : moi, je pense que les gendarmes sont plus efficaces quand ils sont cachés. Si on annonçait à l’avance où ils vont être, on aurait de moins bons résultats. Voilà l’ensemble des raisons pour lesquelles le groupe socialiste votera cette motion de rejet.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.
La motion de rejet préalable, mise aux voix, est adoptée.
La séance, suspendue quelques instants, est reprise à onze heure quinze.
La parole est à Mme Virginie Duby-Muller, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, la proposition de loi que j’ai l’honneur de vous présenter vise à mettre en place un régime de déclaration de domicile en mairie des habitants installés sur le territoire de la commune.
En modernisant notre mode de détermination de la domiciliation des personnes, ce nouveau régime permettra de constituer des registres de population communale et d’améliorer ainsi le service rendu à la population, de mieux planifier la mise en place des services publics et de rendre plus juste l’attribution des dotations de l’État.
La culture juridique française et l’importance donnée à la protection de la vie privée, mais aussi les enseignements de l’histoire ont fait que notre pays a toujours regardé avec circonspection tout fichage général de la population. En ne prévoyant que des fichiers communaux, le présent texte prend en compte cette histoire mais, aussi, la demande de simplification des démarches.
Avant d’être l’occasion de constituer un fichier de la population établie sur le territoire d’une commune, la déclaration de domiciliation constituerait un progrès dans la simplification des démarches administratives de nos concitoyens.
Si une telle déclaration apparaît comme une nouveauté, il ne faut pas en exagérer la portée : chez la plupart de nos voisins européens, la déclaration de domiciliation constitue une obligation, généralement assortie de sanctions, résultant de l’obligation faite aux communes de tenir le registre de leurs habitants.
En outre, l’inscription au registre de la population détermine de nombreux droits et obligations, tels le droit de vote ou la perception de droits sociaux, de sorte que les sanctions expresses peuvent être considérées comme superflues.
Si l’inscription domiciliaire et la constitution de fichiers de population ne font actuellement pas partie du droit positif dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, le droit local issu de la période d’annexion par l’Empire allemand prévoit toujours une obligation de déclaration domiciliaire,…
…tombée cependant partiellement en désuétude du fait de l’absence de régime de sanction.
En outre, certaines catégories de personnes sont d’ores et déjà contraintes par la loi d’effectuer une déclaration de domiciliation. Une telle obligation pesait jusqu’en 2006 sur les étrangers, en application d’un décret du 31 décembre 1947. Ce régime a été aboli en 2006 avec l’entrée en vigueur de la partie réglementaire du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
L’inscription sur un registre communal est encore aujourd’hui imposée aux gens du voyage par l’article 7 de la loi du 3 janvier 1969. Saisi dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a jugé le 5 octobre 2012 que cette obligation était destinée à remédier à l’impossibilité pour ces personnes de satisfaire aux conditions requises pour jouir de certains droits ou pour remplir certains devoirs et, ainsi, qu’elle ne porte pas atteinte à la liberté d’aller et de venir et au droit au respect de la vie privée.
Enfin, le second alinéa de l’article 102 du code civil impose une obligation similaire aux bateliers et autres personnes vivant à bord d’un bateau de navigation intérieure immatriculé en France.
Le dispositif proposé par la présente proposition de loi ne prévoit pas de sanction et ne remet pas en cause la liberté d’aller et venir de nos citoyens. L’accomplissement d’une formalité nécessaire à un objectif d’intérêt général ne porte pas atteinte à la liberté d’aller et venir. Il ne s’agit pas de délivrer une autorisation de changement de domicile.
En outre, le Conseil constitutionnel, dégageant la liberté d’aller et venir comme une liberté constitutionnelle, considère qu’il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, « la sauvegarde des fins d’intérêt général ayant valeur constitutionnelle » comme le maintien de l’ordre public et, d’autre part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties, au nombre desquelles figure la liberté d’aller et venir.
Les mesures de police administrative susceptibles d’affecter l’exercice de ces libertés constitutionnellement garanties doivent être justifiées par un intérêt général. Ainsi, si l’on estimait que l’obligation d’inscription sur le registre communal de domiciliation portait atteinte à une liberté publique, cette contrainte limitée par l’absence de sanction resterait justifiée par la poursuite d’objectifs d’intérêt général.
Si l’article 1er de la présente proposition de loi prévoit une obligation de déclarer tout établissement ou transfert de domicile auprès des services municipaux, il ne prévoit ni régime de sanction en cas d’absence d’exécution de cette formalité, ni délai pour effectuer cette déclaration. L’absence de déclaration empêcherait simplement de bénéficier des services fournis au public nécessitant de prouver sa domiciliation.
Cependant, il importe de préciser les finalités et les objectifs d’intérêt général d’un registre domiciliaire.
Examinant le 13 mars dernier le projet de création d’un registre national de crédit aux particuliers, le Conseil constitutionnel a estimé que le registre ne présentait pas les garanties nécessaires et que l’atteinte au droit au respect de la vie privée ne pouvait pas être regardée comme proportionnée au but d’intérêt général poursuivi par le législateur.
Au regard de ce cadre, l’article 1er de la présente proposition de loi apporte plusieurs garanties.
Premièrement, il ne prévoit pas la création d’un fichier national unique regroupant les informations nominatives de l’ensemble de la population mais celle de 36 767 fichiers communaux n’ayant pas à être interconnectés par des « liens forts » permettant d’effectuer des recherches sur des fichiers interconnectés.
Deuxièmement, la gestion des registres et le droit d’accès et de rectification des personnes devront s’effectuer dans le respect des dispositions de la loi du 6 janvier 1978 dite « informatique et libertés ».
Troisièmement, l’accès aux données nominatives sera limité aux agents chargés de la mise à jour du fichier ; la diffusion de ces données à des personnes non autorisées ou leur détournement seraient passibles de cinq ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende.
Un amendement que je défendrai tout à l’heure a pour objet de définir précisément et limitativement les finalités pour lesquelles les données pourront être utilisées.
Enfin, la présente proposition de loi s’inscrit dans une démarche de simplification des formalités devant être effectuées par nos concitoyens.
Le régime de preuve de domiciliation n’est plus adapté à la demande des citoyens dans une société de l’information. Attester de son domicile apparaît de plus en plus compliqué pour nos concitoyens dans un contexte d’accroissement de la mobilité de la population : 11 % des Français déménagent chaque année.
Depuis plusieurs années, des mécanismes ont été mis en place pour faciliter les démarches de nos concitoyens, comme le service public du changement d’adresse ou le projet « dites-le nous une fois », plutôt destiné aux entreprises.
Le décret du 26 décembre 2000 fait de la déclaration de domiciliation la règle, sauf pour les formalités administratives les plus sensibles.
Cependant, tout le monde peut constater que ces dispositions rendent parfois malaisées la fourniture d’une preuve de domiciliation : les traditionnelles factures d’eau, d’électricité ou de téléphone sont de plus en plus souvent dématérialisées par les opérateurs ; de plus, elles ne comportent que le nom du titulaire de l’abonnement et non de ceux des autres membres du foyer.
Aussi, dans la majorité des cas, la domiciliation des usagers repose avant tout sur une déclaration plutôt que sur la fourniture d’une preuve, comme prévu par les articles 104 et 105 du code civil. Seule la confiance dans la bonne foi des personnes permet de prendre en compte leur nouvelle adresse de manière pratique.
Aussi l’article 1er de la présente proposition de loi propose-t-il de modifier les règles de preuve de domiciliation prévues par l’article 104 du code civil en disposant que l’accomplissement de la déclaration de domiciliation donne lieu à la remise d’un récépissé par les services municipaux. Ce récépissé de déclaration de domicile constituerait à l’avenir l’unique justification de domicile à produire pour l’accomplissement de toute formalité » administrative.
Ainsi, afin de simplifier la preuve de domiciliation de nos concitoyens, l’inscription sur le registre de domiciliation de la commune ou de l’arrondissement serait désormais la seule formalité essentielle pour effectuer les démarches administratives nécessitant de justifier de son domicile.
L’article 2 de la proposition de loi prévoit que les personnes ayant établi leur domicile avant l’entrée en vigueur du présent texte, fixée au 1er janvier 2015, disposeraient d’un délai de trois ans pour procéder à la déclaration de domiciliation auprès des services municipaux.
Mais le registre de domiciliation représenterait également une avancée pour la gestion des collectivités territoriales.
Si la mise en place d’une déclaration de domicile peut simplifier la vie de nos concitoyens, elle permettrait aussi d’améliorer les modalités de financement et de gestion des communes et des services communaux en donnant une vision plus exacte de la population établie sur le territoire communal.
La connaissance de la population est en effet un enjeu majeur pour les autorités communales et aujourd’hui un objectif du recensement de la population.
Si, en application de l’article 156 de la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, les modalités de recensement et de détermination de la population légale par l’INSEE ont évolué et ne reposent plus sur le seul recensement, les résultats obtenus par ces méthodes font l’objet de critiques récurrentes. Certaines communes contestent les chiffres de population légale tels qu’établis par les enquêtes de l’INSEE : ainsi, le maire communiste de Grigny, M. Philippe Rio, dénonce une sous-estimation qu’il évalue à 17 % de sa population dans le recensement de ses habitants, à l’origine d’importantes pertes de dotations publiques. L’INSEE prend en compte ces critiques et réalise parfois des enquêtes complémentaires.
En outre, des réflexions sont en cours sur l’utilisation de données provenant des fichiers détenus par d’autres administrations, en l’occurrence, des fichiers fiscaux ou du répertoire national commun de la protection sociale, pour affiner les résultats tirés des enquêtes de terrain.
Aussi l’article 1er de la proposition de loi prévoit-il de réécrire l’article 105 du code civil afin de prévoir les modalités de tenues par les services communaux d’un registre recensant les personnes ayant déclaré établir leur domicile sur le territoire de la commune ou de l’arrondissement.
Ces chiffres permettraient aux collectivités territoriales de mieux planifier les équipements et services nécessaires aux citoyens : les communes doivent en effet réaliser des investissements nécessitant de pouvoir planifier à moyen terme l’importance et la répartition de la population qui bénéficiera de ces services publics.
Mais les chiffres tirés de ce registre permettraient aussi une répartition plus juste des dotations de l’État : la « population DGF », c’est-à-dire la population retenue pour le calcul de la dotation globale de fonctionnement, est prise en compte avec un décalage pouvant atteindre trois ans ; selon les chiffres communiqués par la direction générale des collectivités locales, sur un montant global de 40 milliards d’euros de DGF, 12,5 milliards correspondent aux dotations de base des collectivités attribuées selon le seul critère de la population. À cela s’ajoutent 6,9 milliards de dotations pour lesquelles la population est un critère d’attribution parmi d’autres.
Enfin, le critère de population intervient dans le calcul du potentiel financier, qui permet de bénéficier de certains versements.
Si les résidents secondaires sont pris en compte dans l’attribution de la DGF, cela ne l’est que de manière minorée, à raison d’un habitant supplémentaire par foyer. Cette minoration n’est pas sans conséquence dans certaines zones frontalières où les facilités de transport permettent à des personnes travaillant à l’étranger de déclarer leur résidence en France comme secondaire alors même qu’ils l’occupent à l’année par crainte de perdre la jouissance des régimes sociaux et fiscaux dont ils bénéficient en étant officiellement résidents de l’autre côté de la frontière.
De la même manière, ces personnes ne sont pas prises en compte dans l’attribution des « fonds frontaliers », par lesquels le canton de Genève rétrocède aux départements et aux communes de l’Ain et de la Haute-Savoie 3,5 % de la masse salariale taxée à la source alors que, dans les faits, ces faux résidents secondaires doivent bénéficier des services municipaux, occasionnant autant de charges pour les communes.
C’est pourquoi l’article 4 du texte prévoit qu’à compter de l’attribution des dotations pour l’année 2018, les chiffres déduits du registre des personnes domiciliées servent de base à la détermination de la population légale de chaque commune, en lieu et place de la population majorée DGF.
Lors de l’examen en commission des lois, la majorité n’a pas adopté ce texte, en soulevant des arguments divers et parfois contradictoires, montrant l’embarras dans lequel elle se trouve pour expliquer pourquoi elle écarte cette proposition. Je vais donc tenter d’apporter des réponses claires.
En premier lieu, la présente proposition de loi n’a pas vocation à mettre en place un fichier national et universel de la population : elle vise avant tout à fournir une réponse concrète à deux besoins clairement identifiés. Elle ne prévoit pas d’interconnexions par des « liens forts », permettant notamment des recherches croisées : il sera possible que les mises à jour se fassent par simple envoi de message électronique ou postal du nom des personnes qui se sont inscrites dans une autre commune.
En second lieu, il a été reproché à ce texte de ne pas préciser clairement les finalités pour lesquelles seraient utilisées les données tirées des registres communaux. L’amendement no 3 que j’ai déposé le clarifie complètement, par une définition circonscrite : la fourniture aux intéressés de services et prestations par la commune et pour l’accès aux activités scolaires et périscolaires, ainsi que la réalisation de statistiques pouvant servir notamment à l’attribution des dotations de l’État.
En troisième lieu, il a été évoqué que la mise en oeuvre de cette déclaration représenterait un coût important en termes de personnel.
Mais il me semble que dans chaque mairie il existe un bureau de l’état-civil, un service en charge de la gestion des listes électorales, un autre service en charge des activités périscolaires, des prestations destinées à la petite enfance etc.
Comme la CNIL me l’a confirmé, il est tout à fait envisageable qu’en une seule inscription mutualisée on puisse s’inscrire ou mettre à jour l’inscription des membres du foyer sur toutes ces listes.
Je me félicite également de la décision du président Urvoas visant à vérifier la conformité de cette PPL à l’article 40 de la Constitution. En la déclarant recevable, le président Carrez a ainsi certifié que le texte ne créait pas de charges nouvelles pour les communes.
Enfin, certains ont laissé entendre que les données existantes étaient bien suffisantes pour gérer efficacement les communes. Je les invite à se rapprocher des maires de ma circonscription, dont les communes connaissent de substantiels manque-à-gagner, ou du maire de Grigny, qui a constaté une différence de 17 % entre les enfants recensés et la population scolaire.
En dernier lieu…
…ces questions d’absence de contrôle et de sanction pénale ont laissé perplexes les membres de la majorité. Notre intention est claire : il n’y aura pas de sanction en cas d’absence d’inscription. La sanction, le bénéficiaire se l’infligera à lui-même, puisqu’il ne pourra pas bénéficier de certains services.
Cette proposition rejoint les préoccupations de nombreux parlementaires de tout bord, ainsi que d’élus locaux. Elle reste néanmoins perfectible, et je serai donc attentive aux amendements qui seront déposés sur ce texte.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale.
Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, l’Assemblée nationale examine ce matin une proposition de loi ayant pour objet de créer une obligation de déclaration de son domicile à la mairie. On peut comprendre l’objectif général de ce texte, qui est de permettre aux communes de disposer d’un état des lieux détaillé de leur population pour faciliter la gestion des services publics locaux.
Malheureusement, L’enfer est souvent pavé de bonnes intentions. Comme d’autres propositions de loi ayant le même objet, votre texte soulève en effet, madame la rapporteure, plus de difficultés qu’elle n’en résout. Elle crée en outre, pour les communes, des contraintes et des charges nouvelles qui, aujourd’hui plus encore qu’hier, ne paraissent ni raisonnables, ni justifiées.
Tout d’abord, la création d’une obligation de déclaration se traduisant par la constitution d’un traitement de données à caractère personnel appelle une attention particulière, vous l’avez dit vous-même, quant au respect des exigences constitutionnelles relatives à la protection des libertés individuelles. Comme l’a souligné à plusieurs reprises le Conseil constitutionnel, la création d’un traitement de données à caractère personnel doit être justifiée par un motif d’intérêt général précis et d’une importance suffisante, afin d’aboutir à une conciliation équilibrée avec la protection des libertés individuelles.
Le fait que la création d’un fichier des personnes domiciliées dans la commune n’ait pas de finalité précise, quand bien même ce fichier ne resterait que strictement communal, soulève donc une difficulté sérieuse, au regard des principes à valeur constitutionnelle de liberté d’aller et venir et de respect de la vie privée. L’utilisation potentielle des données personnelles des citoyens ayant déclaré leur domicile dans la commune pour la gestion de tout service public local est de nature à susciter des inquiétudes chez nos concitoyens. En effet, la constitution de fichiers des personnes domiciliées dans chaque commune pourrait être perçue comme la constitution, indirecte mais réelle, d’un fichier procédant à l’enregistrement de l’ensemble de la population nationale, allant à l’encontre des valeurs républicaines régulièrement rappelées par la Commission nationale de l’informatique et des libertés et le Conseil constitutionnel.
La récente décision du Conseil constitutionnel, qui a censuré la création d’un fichier des personnes ayant souscrit un crédit à la consommation en relevant notamment « l’ampleur du traitement » qu’induirait un tel fichier, montre combien nous devons rester prudents en matière de protection des libertés individuelles.
Votre souci de connaître avec précision les personnes établissant leur domicile dans une commune est également motivé par la recherche des données les plus précises possibles sur la population résidant de manière effective sur le territoire de cette commune. Si l’établissement de statistiques est par nature un exercice difficile, le Gouvernement ne peut toutefois laisser prospérer des doutes quant à la qualité des travaux conduits par l’INSEE. La marge d’erreur dans les travaux de recensement se révèle relativement faible et, en tout état de cause, les populations légales établies par l’INSEE permettent d’assurer de façon satisfaisante – tout le monde en convient – le calcul des dotations, que vous avez évoqué à l’instant.
Au demeurant, pour qu’il soit plus fiable que le recensement effectué par l’INSEE, il faudrait que le dispositif que vous proposez soit assorti des garanties nécessaires : obligation d’inscription, interconnexion des registres communaux, procédures d’audit et de vérification. Pour n’évoquer que l’obligation d’inscription, votre rapport montre bien que le dispositif existant en Alsace et en Moselle, dont vous vous inspirez, est tombé en désuétude sitôt la sanction pénale supprimée, en 1919. Or, sans rétablir de sanction administrative ou pénale, vous proposez de faire du récépissé de déclaration de domicile le seul moyen de preuve de la domiciliation, au risque de priver nos concitoyens de l’accès à toute une série de services publics ou privés.
Enfin, il faut y insister, le redressement des comptes publics, plus que jamais à l’ordre du jour depuis hier, nous oblige à n’envisager la création de nouveaux dispositifs que s’ils sont justifiés par un motif d’intérêt général et strictement proportionnés à cet objectif. Le Gouvernement s’est engagé à lutter contre l’inflation normative, dont se plaignent légitimement les élus de toutes les collectivités territoriales. Au regard du contexte budgétaire actuel, que vous connaissez, les élus locaux comprendraient mal la création d’une nouvelle obligation, dont l’importance de la charge budgétaire, qui n’a pas été évaluée, serait loin d’être négligeable. Par ailleurs, nos concitoyens percevraient tout aussi difficilement la création de cette nouvelle contrainte administrative, allant à l’encontre des politiques que nous souhaitons tous, de simplification des démarches administratives.
Dans ces conditions, madame la rapporteure, vous comprendrez que le Gouvernement ne puisse que partager les réserves déjà émises par vos collègues de la commission des lois, du fait des incertitudes juridiques que présente le texte, et des doutes qui existent quant à son opportunité.
La parole est à M. Édouard Fritch, premier orateur inscrit dans la discussion générale.
Monsieur le président, mes chers collègues, je souhaiterais tout d’abord, au nom du groupe UDI, féliciter Mme la rapporteure pour la qualité de son travail et la pertinence de la réflexion proposée. En effet, la question de la déclaration domiciliaire me semble tout particulièrement justifiée, à l’heure où la complexification des démarches administratives pèse trop lourdement sur l’ensemble de nos concitoyens.
Comme l’a très justement rappelé Mme la rapporteure en commission, la déclaration de domiciliation est une pratique répandue dans de nombreux pays européens. Une étude publiée en 2004 par le service de la législation comparée du Sénat présentait même l’absence de déclaration domiciliaire en France comme une exception. À ce jour, aucune pratique de ce genre n’est réellement établie, à l’exception du fameux article 104 du code civil, qui n’impose cependant aucune obligation.
À mon sens, plusieurs raisons justifient la création d’un fichier communal. Tout d’abord, il est important de le rappeler, une équipe municipale se doit de parfaitement connaître sa commune si elle veut pouvoir la gérer efficacement : une bonne maîtrise de la commune passe avant tout par une connaissance approfondie de la population résidente. Or les dotations de l’État aux communes, tout comme l’ouverture d’une pharmacie par transfert ou création dans les communes d’au moins 2 500 habitants, sont notamment conditionnées par le nombre d’habitants. Nous savons aussi que les équipements collectifs nécessaires à une commune, tels que les hôpitaux ou les écoles, doivent avoir une capacité suffisante pour accueillir les habitants et répondre à leurs besoins. C’est donc le dimensionnement des structures mises à la disposition de nos populations qui est en jeu.
Plus généralement, les projets d’une ville, qu’ils soient petits ou grand, ne peuvent valablement se développer que grâce à une connaissance précise du nombre de citoyens. Cela permet surtout de cibler les attentes de la population pour faire évoluer la commune dans le bon sens et organiser efficacement la vie sociale. C’est en ce sens qu’il me paraît nécessaire d’avoir une connaissance exacte du nombre d’habitants. Bien entendu, l’INSEE effectue des recensements dans les communes et il ne s’agit nullement de mettre en cause le fonctionnement actuel de ce recensement. Mais les informations récoltées peuvent parfois être imprécises et peu actualisées. Par exemple, les communes frontalières françaises doivent souvent faire face au problème des résidents étrangers d’un pays voisin qui présentent leur résidence comme secondaire, alors qu’ils y vivent toute l’année.
La proposition de loi permettrait ainsi de résoudre ce problème, en s’assurant du statut de résident principal des habitants de pays voisins. Dans ces circonstances, une déclaration de domiciliation aurait le mérite de faire gagner du temps, et surtout de fournir des informations plus claires et ajustées. L’organisation quotidienne d’une commune en dépend.
En dehors du fait qu’une connaissance précise du nombre d’habitants est essentielle pour la gestion d’une collectivité, l’instauration d’une déclaration de domiciliation permettrait de simplifier le quotidien des citoyens. En effet, la création d’un récépissé de déclaration domiciliaire s’inscrit dans une véritable démarche de simplification, dont nous avons réellement besoin aujourd’hui. Le récépissé remplacerait les traditionnelles factures d’électricité comme unique justificatif de domicile et pourrait alors devenir un véritable document universel, permettant de faciliter l’accès des habitants aux différents services publics.
Il représenterait un gain de temps, tant pour les citoyens que pour les employés communaux.
En outre, Mme la rapporteure a lié la création d’une déclaration de domicile à l’inscription sur les listes électorales : on peut y voir une mesure de lutte contre l’abstentionnisme, qui est en partie causé par l’absence d’inscription sur les listes électorales. Une inscription mutualisée dans le registre de domiciliation et sur les listes électorales serait à notre sens une bonne chose, tant que nous laissons aux citoyens le pouvoir de décider où ils souhaitent voter. Chaque année, combien de personnes déménagent, combien de jeunes quittent leur ville natale pour étudier ailleurs, sans penser à s’inscrire sur les listes électorales de la nouvelle commune qui les accueille ? Pensez-vous vraiment que ces personnes vont revenir, à chaque élection, voter dans leur ville de naissance ? Cette démarche est un premier pas vers une mutualisation plus généralisée, et très attendue.
Sur la forme, la déclaration de domiciliation correspondrait aux informations nominatives suivantes : l’identité des personnes – nom et prénom – leur date de naissance et leur adresse, ainsi que celles des personnes qui composent leur foyer. Il s’agit donc d’informations plutôt basiques, mais qui permettraient d’avoir une excellente vision d’ensemble de la population d’une commune.
La question qui se pose maintenant est de savoir comment ces informations vont être recueillies. En effet, nous devons avoir l’assurance que la déclaration de domicile représentera une démarche rapide pour l’habitant – il serait en effet assez cocasse de vouloir faire de la simplification en mettant en place une formalité fastidieuse. Dans ce but, nous pourrions envisager de recourir à un service numérique facile d’utilisation, tout en conservant un service physique à la mairie. Le récépissé devrait pouvoir être imprimé aisément par le citoyen pour toutes ses démarches.
La proposition de loi insiste également sur le fait qu’aucune sanction, notamment pécuniaire, ne sera prise en cas de non-déclaration de domiciliation. Cette absence de sanction est cependant compensée par l’impossibilité de bénéficier des services publics nécessitant de prouver sa domiciliation. Lourde de conséquences, cette sanction indirecte doit être parfaitement expliquée aux citoyens par les communes, et ce bien en amont de l’application de la mesure. Il est donc primordial de faire preuve de pédagogie, avant de sanctionner. Il faut aussi qu’un délai relativement long s’écoule, avant que le citoyen ne puisse plus se voir refuser l’accès à certains services publics sans son récépissé.
Enfin, comme un certain nombre de nos collègues, nous émettons une réserve quant à l’utilisation des données des citoyens : il est évident que ce registre ne doit pas devenir une sorte de grand fichier national des individus. Nous devons veiller à ce que ces fichiers restent communaux, sans aucune mutualisation nationale possible. Nous nous devons également de restreindre l’accès à ces fichiers aux personnes qui en ont réellement besoin.
Dans ce contexte, le groupe UDI est plutôt favorable à cette proposition de loi, même si les modalités de mise en oeuvre de la déclaration de domiciliation, ainsi que les modalités d’accès au registre, doivent être précisées.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteure, cette proposition de loi relative à la déclaration de domiciliation poursuit plusieurs objectifs. Le premier serait d’avoir une meilleure connaissance, détaillée et actualisée, de la population d’une commune. C’est là un but louable en soi.
Le second objectif de ce système de déclaration obligatoire est de faire en sorte que les financements accordés par l’État aux collectivités territoriales tiennent compte de la réalité de la population communale. Vous avez également souligné, à plusieurs reprises, l’idée de planifier les investissements dans les collectivités territoriales.
Si ces objectifs sont compréhensibles, faut-il pour autant changer le système actuel ? C’est la question qui nous est posée. Autrement dit, la proposition de loi qui nous est soumise apporte-t-elle un plus en termes d’efficacité et répond-elle aux objectifs poursuivis, y compris celui, développé par mon collègue, d’inciter à l’inscription sur les listes électorales pour lutter contre l’abstention ?
Je ne suis pas sûr que l’inscription soit véritablement un facteur de lutte contre l’abstention.
Notre dispositif actuel, qui repose sur la déclaration par nos concitoyens, est un système particulièrement souple. Ainsi, l’article 103 du code civil dispose que « le changement de domicile s’opérera par le fait d’une habitation réelle dans un autre lieu, joint à l’intention d’y fixer son principal établissement. » L’article 104 indique que la preuve résultera « d’une déclaration expresse, faite tant à la municipalité du lieu que l’on quittera qu’à celle du lieu où on aura transféré son domicile ». Dans l’hypothèse où cette déclaration expresse n’aurait pas été faite, la preuve de l’intention dépendra des circonstances.
On nous propose aujourd’hui de remplacer ce dispositif très souple par un régime obligatoire de déclaration avec un récépissé remis au déclarant. L’auteure de la proposition de loi a indiqué en commission qu’elle ne souhaitait pas que cette obligation soit assortie d’une sanction.
Dès lors, se pose la question de l’effectivité de cette nouvelle règle, et de l’avancée qu’elle apporte au système actuel. La délivrance du récépissé peut apparaître comme une mesure de contrôle renforcé, puisqu’il sera l’unique justification de domicile pour l’accès aux services publics communaux.
Imaginons qu’un maire vienne à refuser l’inscription : ne peut-on pas y voir un moyen détourné de contrôler la population et de refuser l’accès aux services communaux ? En commission, certains collègues n’avaient pas manqué de relever tout l’intérêt de cette déclaration obligatoire en matière de contrôle de la population.
Ajoutons que le système préconisé représenterait une charge pour les collectivités, car les habitants sont également obligés de déclarer leur changement de domicile au sein même de la collectivité. Une déclaration doit être faite non seulement lors de l’installation, mais également lors d’un changement de domicile au sein même d’une commune, ce qui est lourd. Qui plus est, vous prévoyez que, dans les trois ans, tout le monde soit obligé de déclarer son domicile à la mairie…
La fréquence de ces déclarations va donc inutilement surcharger les services d’état civil des communes. Près de 10 % de nos compatriotes changent de domicile chaque année : vous imaginez les surcharges pour les services des petites communes, et même des plus grandes, comme Rennes ou Nantes. Si 10 % de la population de Nantes devait chaque année déclarer leur changement de domicile, quelle charge pèserait alors sur l’état civil !
J’en viens aux financements de l’État, autre élément évoqué dans votre proposition de loi. Certes, il peut se produire ici ou là quelques difficultés : vous avez évoqué le cas de Grigny. Mais globalement, les financements de l’État sont effectivement calés sur les recensements de l’INSEE. On peut tout de même faire confiance aux services de l’INSEE pour bien connaître la population des communes…
…sans oublier qu’il est toujours possible d’effectuer si besoin est des recensements partiels. Je ne suis donc pas sûr que ces nouvelles modalités aient véritablement un effet dans les financements des collectivités territoriales.
Quant à la planification des investissements communaux, il me semble que les élus de terrain connaissent leur population et leur territoire.
Ils disposent de suffisamment d’éléments pour déterminer les besoins de leur population. De ce point de vue, on peut fondamentalement douter de la pertinence de la proposition de loi.
En conclusion, cette proposition de loi n’apporte aucune avancée significative à notre droit positif. Elle comporte en son sein des dérives en cas de détournement et, surtout, à l’heure où les orientations du Président de la République et du Gouvernement vont dans le sens de la simplification, elle s’apparente à un véritable choc de complication.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi, présentée par Mme Virginie Duby-Muller, qui vise à obliger toutes les personnes résidant sur le territoire national à déclarer leur domicile par une formalité simple accomplie au sein de leur collectivité de résidence.
C’est effectivement un changement assez profond des habitudes, des pratiques, et du fonctionnement de nos collectivités. Aujourd’hui, les personnes résidant sur le territoire national ne sont pas obligées de déclarer un domicile, sauf exception : une telle déclaration peut être exigée pour occuper un emploi ou effectuer une formalité. Hormis ces exceptions, il n’y a aucune obligation.
Sous le prétexte de la liberté d’aller et venir et de circuler, le code civil rappelle que le domicile est le lieu du principal établissement. En cas de contestation, le juge administratif ou le juge civil arbitre le conflit.
Aujourd’hui, le Gouvernement s’oppose à ce texte au motif qu’il générerait des coûts importants, contreviendrait à des principes essentiels et fondamentaux du fonctionnement de notre société et, partant, serait attentatoire aux libertés individuelles.
Le groupe UMP ne partage pas ce point de vue et il votera ce texte.
Premièrement, cette déclaration de domicile est très facile à mettre en oeuvre : tout citoyen se rendra aux services d’état civil d’une commune, remplira un formulaire, et pourra le remettre au secrétaire de mairie ou aux services d’état civil lorsqu’il existe. En quoi cette formalité serait-elle plus compliquée que ne le sont les formalités d’inscription à l’URSSAF ou sur les registres de la Caisse régionale ou primaire d’assurance maladie ? Il suffirait d’ailleurs qu’un décret pris en Conseil d’État fixe un cadre clair pour que la question soit réglée et que l’on ne suspecte pas la constitution d’un fichier attentatoire aux libertés individuelles.
Deuxièmement, cette déclaration est utile aux communes car elle met un terme aux procédures très imparfaites de recensement. Ce n’est d’ailleurs pas nouveau : depuis deux mille ans et le célèbre recensement commandé à Hérode par Quirinius, le recensement est un vrai sujet, à Bethléem et à Jérusalem comme aujourd’hui en France.
Sourires.
Le moins que l’on puisse dire est que ces recensements sont aujourd’hui complexes, coûteux, et très imparfaits.
D’ailleurs, au terme du recensement pratiqué dans nos communes par des agents recenseurs recrutés par les conseils municipaux, nombre de correctifs sont appliqués « au doigt mouillé » par l’INSEE. Quand on est déçu, on demande à l’INSEE pourquoi le recensement souhaité par le conseil municipal n’est pas accepté : on obtient alors généralement des réponses très administratives, qui tombent comme des couperets, mais aucune explication précise. La proposition de loi qui vous est soumise tend à lever tout litige, toute contestation.
Troisièmement, ce texte n’est nullement attentatoire aux libertés individuelles. Quelle différence pourrait-on faire, en effet, entre une déclaration faite spontanément à la mairie et la remise par les agents recenseurs à la mairie puis à l’INSEE, sous le contrôle de l’État, d’un document lui aussi très inquisiteur ? Les documents de l’INSEE comportent, en effet, des questions très inquisitoriales : la composition de la famille, sa situation et celle des enfants, la nationalité, et j’en passe.
La déclaration faite spontanément à un service d’état civil aura exactement les mêmes incidences. D’ailleurs, à bien regarder le droit européen, aucune sanction n’a jamais été prononcée contre un État par la Cour de justice de l’Union européenne à ce sujet.
La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, le texte suprême en matière de protection des libertés sur le continent européen, ne dit absolument rien, non plus, sur ce point, ce qui tend à signifier qu’elle considère la déclaration de domicile comme n’étant pas attentatoire aux libertés. J’observe qu’en Allemagne, en Autriche, en Belgique, au Portugal, au Royaume-Uni et en Suisse, il existe bien une obligation déclarative. Or, que je sache, tous ces pays sont particulièrement protecteurs des libertés individuelles.
D’ailleurs, on trouve cette obligation de déclaration de domicile dans un décret du 22 décembre 1789, qui sera repris dans la Constitution de 1791. Or, il est inutile de vous rappeler, monsieur le secrétaire d’État, qu’il s’agit là de textes fondateurs de l’organisation française, qui se voulaient extrêmement protecteurs des libertés individuelles, en réaction à l’Ancien Régime. Ils ont, par la suite, été repris dans toute une série de textes constitutionnels.
Quatrièmement, je tenais à le rappeler, ce texte aura le mérite important de mettre un terme à la prime aux tricheurs, c’est-à-dire ceux qui refusent le recensement, ceux qui font de fausses déclarations, ceux qui obligent l’INSEE à ces rectifications « au doigt mouillé ». Il sera également extrêmement utile à la tenue de la liste électorale, pour éviter ces migrations d’électeurs à l’approche des élections, qui peuvent parfois rendre certains scrutins particulièrement suspects. Il répondra ainsi au vieil adage, selon lequel la liberté du tricheur détruit la liberté des honnêtes gens.
Enfin, permettant la pratique d’un recensement en temps réel, il permettra aux communes d’anticiper leurs investissements, notamment en matière scolaire. Cela a été rappelé tout à l’heure : 11 % de la population déménage tous les ans. Ainsi, la tenue du recensement peut s’avérer particulièrement compliquée.
La fraude en la matière peut donc avoir des conséquences importantes. Ce sera mon seul propos un peu « localiste ». Dans la région genevoise, qui compte aujourd’hui environ 450 000 habitants, aux portes d’une république et canton de Genève qui en comporte elle aussi environ 450 000, un grand nombre d’habitants se déclarent résidents à titre secondaire, alors qu’ils le sont en réalité à titre principal. Leurs enfants sont scolarisés en France, ils utilisent les infrastructures sportives et culturelles françaises ; mais pour des raisons, que l’on comprend bien, de compétitivité fiscale ou sociale, ils préfèrent résider en France plutôt qu’en Suisse et se déclarer résidents à titre secondaire.
Les conséquences pour les collectivités sont particulièrement lourdes. Nous avons tenté d’en convaincre l’INSEE : c’est évidemment une perte de dotation globale de fonctionnement ou de dotation d’équipement, lorsque les critères de population sont inclus dans son attribution. Pire encore, c’est une perte substantielle sur l’assiette de la compensation franco-genevoise, cette part d’impôt sur le revenu restituée par la Suisse à la France. Les résidents à titre principal constituent l’assiette de cette compensation par leur rémunération ; s’ils se déclarent résidents à titre secondaire, leurs revenus ne sont pas inclus dans l’assiette.
Je voudrais appeler votre attention sur un point, monsieur le secrétaire d’État : pour le pays de Gex uniquement, qui compte de 80 000 à 90 000 habitants, la perte en compensation franco-genevoise et en dotation globale de fonctionnement est évaluée entre 15 et 20 millions d’euros. Autant dire que les difficultés et les imperfections du recensement ont des conséquences extrêmement lourdes pour les collectivités territoriales.
Dès lors, monsieur le secrétaire d’État, je pense que cette proposition de loi répond à toute une série de préoccupations très lourdes pour les collectivités. Elle doit donc être examinée avec attention et adoptée par notre assemblée. Et que l’on ne nous dise pas que son application sera coûteuse !
Les économies réalisées sur le recensement et sur la tenue de la liste électorale seront absolument considérables. Ce n’est pas un transfert de charges, mais c’est, je le pense, un gain pour les dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales. « La liberté est le fruit du bon ordre », disait Pierre Gaxotte. Adopter ce texte permettrait de remettre de l’ordre dans le fonctionnement de la République, monsieur le secrétaire d’État ; et ce serait, je le crois, une bonne chose.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs, la proposition de loi déposée par Mme Duby-Muller vise, comme on a pu le constater, à rendre obligatoire la déclaration de domiciliation. Cette obligation, si cette proposition de loi est adoptée, entraînerait plusieurs conséquences aux effets négatifs mesurables, tandis que les bénéfices immédiats ou lointains d’un tel dispositif resteraient quant à eux incertains. Je pense à ce qui a été précisé par notre collègue sur la domiciliation des transfrontaliers.
Un des effets, et c’est la principale des motivations avancées, serait la capacité renforcée de l’État de dénombrer avec précision sa population, et ce afin d’adapter les moyens alloués aux collectivités à la population réelle. L’intention est louable, mais une première question se pose : est-il bien utile de dédoubler un service assuré jusque-là avec précision par l’INSEE ? Nos voisins ont, il est vrai, expérimenté la constitution de fichiers communaux supposés être actualisés, croisés et sécurisés. Il en est ainsi de l’Allemagne qui a pourtant commis une erreur d’évaluation considérable puisque ce système a conduit le gouvernement fédéral à surévaluer sa population d’un million et demi d’habitants.
Nous avons, en revanche, en France la chance de disposer, grâce au travail remarquable de l’INSEE, de données fiabilisées et actualisées. Cela est reconnu de tous : collectivités, démographes ou économistes. Pourquoi est-il donc nécessaire de créer un doublon ? La « donnée population » entre dans le calcul de quelque 12 milliards d’euros de dotation. Elle ne peut par conséquent être soumise aux aléas de registres mal tenus.
Deuxième question : quand bien même la constitution d’un tel fichier représenterait réellement une avancée, quelles en seraient les modalités pratiques, le coût et l’organisation du système de protection et de gestion des données ? Cela créerait de nouvelles charges pour les collectivités territoriales. Il faudrait créer des fichiers dans les 36 000 communes françaises, les interconnecter entre eux et former, ensuite, les personnels spécifiquement autorisés à traiter ces données dans le respect de la législation. Il faudrait de plus préciser les destinataires explicitement désignés pour en obtenir régulièrement communication et, par la suite, déterminer dans chaque commune qui sont les « tiers autorisés » ayant qualité pour les recevoir de façon ponctuelle et motivée. Cela supposerait également la gestion et la mise en place des systèmes et logiciels communs et contrôlés. Que d’argent serait dépensé alors que l’INSEE assure déjà ce travail ! Combien de postes de travail seront ainsi mobilisés dans chaque commune pour une efficacité discutable ? Quel coût matériel et humain cela représenterait-il pour nos collectivités ?
Enfin mes chers collègues, au-delà de ces considérations liées à la rationalisation de l’action et de la dépense publique, n’oublions pas que nous parlons ici de la constitution d’un fichier géant de soixante et un millions de personnes. Lequel d’entre nous prendrait le risque de s’engager, sans garantie aucune, sans certitudes quant à son usage et son efficacité sur la création d’un tel objet ?
Nous ne pouvons donc pas aujourd’hui, en l’état de cette proposition de loi, nous prémunir d’un risque de détournement de fichiers. La très grande variété de son usage tout autant que celle de ses destinataires ne peut nous inciter à prendre un risque aussi important. Depuis les années soixante-dix et le projet SAFARI, nous avons ainsi enrichi notre législation de mesures protégeant les données personnelles. Le législateur a pu anticiper parfois, s’adapter toujours aux évolutions technologiques afin de garantir à nos concitoyens le droit à leur vie privée.
Être réaliste, c’est prendre ainsi en compte la complexité des architectures de données, la fragilité des systèmes de protection, les niveaux d’autorisation d’accès et la vulnérabilité de tout système ayant vocation à échanger et partager des données. À titre d’illustration de ces difficultés de maîtrise et de contrôle des systèmes d’information, rappelons-nous le cas de cette grande banque française qui avait, en 2011, rendu accessible 1,2 million de documents bancaires à 85 000 salariés… La CNIL avait à juste titre averti cette société de ces manquements à l’article 34 de la loi informatique et liberté.
Chacun d’entre nous connaît donc ces problématiques et sait à quel point il est nécessaire d’établir des protocoles lourds, cela en conformité aux certifications, lois et normes en vigueur. Si cette proposition de loi est adoptée, un fichier partagé contiendra les données personnelles de soixante et un millions et demi de personnes. Sommes-nous certains de pouvoir rendre inviolables de telles données ? Sommes-nous financièrement et techniquement en mesure d’équiper nos collectivités et de les mettre en réseau ?
Dans une période où tout l’effort de notre nation est dirigé vers une maîtrise de la dépense publique, il n’est pas opportun d’ajouter de la charge à la charge et de la complexité à la complexité. Telles sont les raisons qui m’amènent, au nom du groupe SRC, à proposer de ne pas voter cette proposition de loi.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
La discussion générale est close.
La parole est à M. le secrétaire d’État.
J’ai bien écouté les propos de Mme la rapporteure et ceux de toutes les oratrices et orateurs. Je maintiens toutefois la position du Gouvernement, défavorable à cette proposition de loi pour trois raisons majeures que je rappelle rapidement.
La première raison est d’ordre financier. Vous connaissez l’état de nos finances publiques, qu’elles soient nationales ou locales. Votre proposition, madame la rapporteure, aurait un coût pour ces finances publiques. On peut envisager les deux solutions ; mais, en tout état de cause, la période n’est pas propice à des dépenses supplémentaires, notamment au niveau local. Au moment où l’État annonce clairement et courageusement qu’il va diminuer ses dotations aux collectivités locales, ce n’est pas le moment d’en rajouter, si j’ose dire.
Deuxième raison majeure : votre proposition compliquera la vie de nos concitoyens et celle des élus communaux et de leurs services. Là encore, à l’heure où le Gouvernement, soutenu par le Parlement, souhaite simplifier la vie des entreprises, des citoyens et des collectivités locales, ce n’est pas non plus l’instant de compliquer le recensement de la population.
Enfin et surtout, il existe un risque constitutionnel, vous l’avez vous-même évoqué, et il n’est pas mince. Constituer un fichier aussi vaste regroupant l’ensemble de la population française serait difficilement accepté par le Conseil constitutionnel. Vous avez rappelé comme moi sa jurisprudence. Votre proposition risque fortement, je le pense, d’être frappée d’inconstitutionnalité.
Pour ces trois raisons majeures, le Gouvernement s’oppose à votre proposition de loi.
J’ai bien entendu les inquiétudes du ministre et des élus de la majorité. J’imaginais davantage d’adhésion à un texte finalement pragmatique et soutenu par des élus locaux, et ce de façon transpartisane.
Vous considérez, monsieur Fourage que ce texte ne représente pas d’avancée et qu’il serait source de complexification. J’ai construit mon argumentation en m’appuyant sur le point de vue du citoyen et sur celui de la collectivité. Les coûts ainsi générés seraient amortis a posteriori par les effets de l’obligation de domiciliation, à savoir des dotations plus justes et une gestion au plus près des besoins.
J’ai également bien entendu vos propos sur le fichier national et le risque d’atteinte aux libertés fondamentales. Comme l’a également souligné, après moi, mon collègue Etienne Blanc, un certains de pays européens pratiquent l’obligation de domiciliation sans avoir été pour autant mis à l’index par les juridictions européennes. La proposition de mutualiser ce fichier avec les listes électorales n’a pas pour objectif de diminuer l’abstention, mais de lutter contre la « mal-inscription » qui concerne tout de même 28 % de la population privée, du coup, de la possibilité de voter.
Madame Chapdelaine, vous avez cité l’exemple de l’Allemagne et le hiatus entre l’addition des fichiers communaux et le fichier national. Les amendements que j’ai déposés, qui prévoient la radiation des personnes expatriées ou décédées, permettraient de disposer d’un fichier communal juste. L’addition, le cas échéant, de ces fichiers communaux aboutira à un nombre d’habitants correspondant au chiffrage établi par l’INSEE. Enfin, je tiens à rappeler qu’il ne s’agit absolument pas d’un fichier national : mon amendement no 3 précise d’ailleurs explicitement les finalités des données qui seront ainsi recueillies dans le registre communal.
Sur le plan technique enfin, l’intérêt paraît évident : le fichier le plus important concernerait la ville de Toulouse, qui compte plus de 400 000 habitants. Les fichiers déjà existants – fichiers fiscaux ou fichier de la Sécurité sociale – sont techniquement tout à fait performants et interdisent tout risque de détournement.
Tels sont les éléments que je souhaitais porter à votre connaissance.
J’appelle maintenant les articles de la proposition de loi dans le texte dont l’Assemblée a été saisie initialement, puisque la commission n’a pas adopté le texte.
La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine, pour soutenir l’amendement no 4 tendant à supprimer l’article 1er.
Comme son nom l’indique, cet amendement tend effectivement à supprimer l’article 1er.
Sourires.
La commission des lois a accepté le présent amendement. J’y reste personnellement défavorable.
Favorable.
L’amendement no 4 est adopté ; en conséquence, l’article 1er est suppriméles amendements nos 1, 2 et 3 tombent.
La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine, pour soutenir l’amendement no 5 tendant à supprimer l’article 2.
Même si la commission des lois a accepté cet amendement, j’y reste à titre personnel défavorable.
Favorable.
L’amendement no 5 est adopté et l’article 2 est supprimé.
La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine, pour soutenir l’amendement no 6 tendant à supprimer l’article 3.
Favorable.
L’amendement no 6 est adopté et l’article 3 est supprimé.
L’amendement no 7, de suppression de l’article 4, est défendu.
Le Gouvernement et la commission y sont favorables et Mme la rapporteure y est défavorable à titre personnel.
L’amendement no 7 est adopté et l’article 4 est supprimé.
L’amendement no 8, tendant à supprimer l’article 5, est défendu.
Il a reçu un avis favorable du Gouvernement et de la commission. Mme la rapporteure y est personnellement défavorable.
L’amendement no 8 est adopté et l’article 5 est supprimé.
L’amendement no 9, tendant à supprimer l’article 6, est défendu.
Il a reçu un avis favorable du Gouvernement et de la commission. Mme la rapporteure y est, pour sa part, défavorable.
L’amendement no 9 est adopté et l’article 6 est supprimé.
L’amendement no 10, de suppression de l’article 7, est défendu.
Il a reçu un avis favorable du Gouvernement et de la commission. Mme la rapporteure y est défavorable à titre personnel.
L’amendement no 10 est adopté et l’article 7 est supprimé.
Mes chers collègues, nous avons achevé l’examen des articles de la proposition de loi.
L’Assemblée ayant rejeté tous les articles, il n’y aura pas lieu de procéder au vote solennel décidé par la conférence des présidents.
Prochaine séance, mardi 29 avril 2014, à quinze heures :
Questions au Gouvernement ;
Discussion du projet de loi relatif aux activités privées de protection des navires.
La séance est levée.
La séance est levée à douze heures quinze.
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Nicolas Véron