Le moins que l’on puisse dire est que ces recensements sont aujourd’hui complexes, coûteux, et très imparfaits.
D’ailleurs, au terme du recensement pratiqué dans nos communes par des agents recenseurs recrutés par les conseils municipaux, nombre de correctifs sont appliqués « au doigt mouillé » par l’INSEE. Quand on est déçu, on demande à l’INSEE pourquoi le recensement souhaité par le conseil municipal n’est pas accepté : on obtient alors généralement des réponses très administratives, qui tombent comme des couperets, mais aucune explication précise. La proposition de loi qui vous est soumise tend à lever tout litige, toute contestation.
Troisièmement, ce texte n’est nullement attentatoire aux libertés individuelles. Quelle différence pourrait-on faire, en effet, entre une déclaration faite spontanément à la mairie et la remise par les agents recenseurs à la mairie puis à l’INSEE, sous le contrôle de l’État, d’un document lui aussi très inquisiteur ? Les documents de l’INSEE comportent, en effet, des questions très inquisitoriales : la composition de la famille, sa situation et celle des enfants, la nationalité, et j’en passe.
La déclaration faite spontanément à un service d’état civil aura exactement les mêmes incidences. D’ailleurs, à bien regarder le droit européen, aucune sanction n’a jamais été prononcée contre un État par la Cour de justice de l’Union européenne à ce sujet.
La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, le texte suprême en matière de protection des libertés sur le continent européen, ne dit absolument rien, non plus, sur ce point, ce qui tend à signifier qu’elle considère la déclaration de domicile comme n’étant pas attentatoire aux libertés. J’observe qu’en Allemagne, en Autriche, en Belgique, au Portugal, au Royaume-Uni et en Suisse, il existe bien une obligation déclarative. Or, que je sache, tous ces pays sont particulièrement protecteurs des libertés individuelles.
D’ailleurs, on trouve cette obligation de déclaration de domicile dans un décret du 22 décembre 1789, qui sera repris dans la Constitution de 1791. Or, il est inutile de vous rappeler, monsieur le secrétaire d’État, qu’il s’agit là de textes fondateurs de l’organisation française, qui se voulaient extrêmement protecteurs des libertés individuelles, en réaction à l’Ancien Régime. Ils ont, par la suite, été repris dans toute une série de textes constitutionnels.
Quatrièmement, je tenais à le rappeler, ce texte aura le mérite important de mettre un terme à la prime aux tricheurs, c’est-à-dire ceux qui refusent le recensement, ceux qui font de fausses déclarations, ceux qui obligent l’INSEE à ces rectifications « au doigt mouillé ». Il sera également extrêmement utile à la tenue de la liste électorale, pour éviter ces migrations d’électeurs à l’approche des élections, qui peuvent parfois rendre certains scrutins particulièrement suspects. Il répondra ainsi au vieil adage, selon lequel la liberté du tricheur détruit la liberté des honnêtes gens.
Enfin, permettant la pratique d’un recensement en temps réel, il permettra aux communes d’anticiper leurs investissements, notamment en matière scolaire. Cela a été rappelé tout à l’heure : 11 % de la population déménage tous les ans. Ainsi, la tenue du recensement peut s’avérer particulièrement compliquée.
La fraude en la matière peut donc avoir des conséquences importantes. Ce sera mon seul propos un peu « localiste ». Dans la région genevoise, qui compte aujourd’hui environ 450 000 habitants, aux portes d’une république et canton de Genève qui en comporte elle aussi environ 450 000, un grand nombre d’habitants se déclarent résidents à titre secondaire, alors qu’ils le sont en réalité à titre principal. Leurs enfants sont scolarisés en France, ils utilisent les infrastructures sportives et culturelles françaises ; mais pour des raisons, que l’on comprend bien, de compétitivité fiscale ou sociale, ils préfèrent résider en France plutôt qu’en Suisse et se déclarer résidents à titre secondaire.
Les conséquences pour les collectivités sont particulièrement lourdes. Nous avons tenté d’en convaincre l’INSEE : c’est évidemment une perte de dotation globale de fonctionnement ou de dotation d’équipement, lorsque les critères de population sont inclus dans son attribution. Pire encore, c’est une perte substantielle sur l’assiette de la compensation franco-genevoise, cette part d’impôt sur le revenu restituée par la Suisse à la France. Les résidents à titre principal constituent l’assiette de cette compensation par leur rémunération ; s’ils se déclarent résidents à titre secondaire, leurs revenus ne sont pas inclus dans l’assiette.
Je voudrais appeler votre attention sur un point, monsieur le secrétaire d’État : pour le pays de Gex uniquement, qui compte de 80 000 à 90 000 habitants, la perte en compensation franco-genevoise et en dotation globale de fonctionnement est évaluée entre 15 et 20 millions d’euros. Autant dire que les difficultés et les imperfections du recensement ont des conséquences extrêmement lourdes pour les collectivités territoriales.
Dès lors, monsieur le secrétaire d’État, je pense que cette proposition de loi répond à toute une série de préoccupations très lourdes pour les collectivités. Elle doit donc être examinée avec attention et adoptée par notre assemblée. Et que l’on ne nous dise pas que son application sera coûteuse !
Les économies réalisées sur le recensement et sur la tenue de la liste électorale seront absolument considérables. Ce n’est pas un transfert de charges, mais c’est, je le pense, un gain pour les dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales. « La liberté est le fruit du bon ordre », disait Pierre Gaxotte. Adopter ce texte permettrait de remettre de l’ordre dans le fonctionnement de la République, monsieur le secrétaire d’État ; et ce serait, je le crois, une bonne chose.