Intervention de Jean-Frédéric Poisson

Séance en hémicycle du 19 mai 2014 à 16h00
Autorité parentale et intérêt de l'enfant — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Frédéric Poisson :

Je vous conseille de consulter les conventions internationales, monsieur le Premier questeur. Un tel ajout, madame la rapporteure, n’aurait pas coûté si cher. Nous ne voulons tirer aucune conclusion de cette omission, mais puisque chacun semble ici attentif à ce que l’enfant soit protégé de manière spéciale, voilà un ajout déclaratif qui se serait parfaitement situé dans l’esprit d’ensemble de ce texte.

De même, nous nous sommes interrogés sur la nouvelle formulation proposée, à l’article 9, pour l’article 372-2 du code civil et sur la disparition du membre de phrase : « relativement à la personne de l’enfant ». Faire disparaître cette référence nous paraît curieux, mais il y a aussi d’autres éléments singuliers, et le déroulement des débats permettra d’y revenir.

La troisième raison porte sur l’instauration d’une forme particulière d’immunité à l’article 8. C’est un problème qui dépasse la notion d’intérêt de l’enfant et d’autorité parentale, et vous me permettrez d’y consacrer quelques instants.

Je donne lecture des alinéas 5 et 6 de l’article 8 qui vise à modifier l’article 227-5 du code pénal : « Ne peut donner lieu à des poursuites pénales le fait de refuser de représenter un enfant mineur à la personne qui a le droit de le réclamer : premièrement, si la représentation de l’enfant ferait courir un danger à celui-ci ; deuxièmement, en cas de manquement grave et habituel du titulaire du droit de réclamer l’enfant aux obligations qui lui incombent en application du deuxième alinéa de l’article 373-2 du code civil. » Aux termes de l’article 40-1 du code de procédure pénale, rien n’empêche que la loi limite le pouvoir d’action publique confié au procureur de la République : « Lorsqu’il estime que les faits qui ont été portés à sa connaissance en application des dispositions de l’article 40 constituent une infraction commise par une personne dont l’identité et le domicile sont connus et pour laquelle aucune disposition légale ne fait obstacle à la mise en mouvement de l’action publique, le procureur de la République territorialement compétent décide s’il est opportun d’engager des poursuites, de mettre en oeuvre une procédure alternative [… ] ou de classer sans suite [… ] ». Votre volonté de limiter le pouvoir d’action du procureur de la République n’est donc pas ici en cause. Mais l’alinéa 6 fait référence à un danger que ferait courir l’autre parent si l’enfant lui était présenté. Cette formulation est problématique, principalement parce qu’elle fait reposer sur une appréciation parfaitement subjective, en l’absence de toute décision de justice, la notion de danger. Le caractère extrêmement vague de cette notion permet en effet toutes les représentations, toutes les interprétations, et donc toutes les dérives. Je le répète : l’imagination débordante dont font preuve certains parents pour ne pas représenter leur enfant à l’autre parent doit nous rendre attentifs à cette réalité. On peut parfaitement imaginer, par exemple, que soit considéré comme dangereux la pratique d’un sport extrême, le voyage dans un pays étranger en proie à quelques troubles, la pratique de loisirs quelque peu décalés par rapport aux habitudes, un sport de combat ou encore une randonnée en montagne. Votre texte n’apportant aucune limitation à la notion de danger, c’est l’appréciation subjective et personnelle du parent qui doit représenter l’enfant qui prévaudra. On manque, là encore, à la première fonction de la loi : celle d’être intelligible, de prévoir des circonstances claires afin que l’engagement de la responsabilité de chacun soit parfaitement délimité.

Mais déplaçons-nous maintenant du côté du parent qui aurait fait l’objet d’un refus de représentation parce qu’il ferait courir « un danger » à l’enfant, selon la formulation de l’alinéa 6. Cette personne, ainsi privée de toute faculté d’engager des poursuites pénales, n’aurait plus aucun moyen de faire valoir, devant quelque instance que ce soit, son droit à accueillir son enfant. Dans la rédaction ici proposée, cet article se prive d’un fondement objectif, à savoir une décision de justice, et repose sur le caractère aléatoire d’un droit seulement fondé sur une décision arbitraire, et donc sans fondement objectif : celle du parent qui a la garde de l’enfant. On comprend votre motivation : personne ne peut bien entendu souhaiter qu’un enfant soit représenté à un parent habituellement maltraitant ou irresponsable. Mais ce que vous voulez inscrire dans le droit ne peut l’être en l’état si le droit de l’autre parent à accueillir son enfant n’est, lui aussi, parfaitement respecté et garanti.

Il est vrai que notre droit prévoit des régimes d’immunité. Dans certaine situations ou s’agissant de certaines personnes, l’infraction n’est pas considérée comme commise. Le droit reconnaît de tels cas et les encadre. Je pense, par exemple, à la faculté pour chacun d’entre nous de ne pas témoigner contre un membre de sa famille, et donc de ne pas être poursuivi pour non-dénonciation de crime, ou encore aux diplomates non coupables des faits qui leur sont reprochés, du fait de leurs fonctions et de leurs lettres de créance. Mais, mes chers collègues, de tels cas reposent sur des actes objectifs tels que déclarations, pièces administratives, garanties d’État, des éléments absents du texte ici proposé et qui ne suppriment donc pas le caractère subjectif de l’application de l’article 8.

On ne peut trouver davantage de solidité dans votre référence à la notion de danger, même si celle-ci est bien connue du code pénal. Je pense ainsi à la « mise en danger délibéré d’autrui », prévue à l’article 121-3 du code pénal et définie, en son alinéa 4, comme « la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou par le règlement ». Elle est considérée comme une circonstance aggravante dans le cas d’infractions commises à l’encontre de la vie ou de l’intégrité des personnes. Or ce n’est pas ce que vous visez ici, madame le rapporteur, et votre texte va au-delà de ces circonstances tout à fait précises, mentionnées par exemple aux articles 221-6 et 222-19 du code pénal, ou encore du chapitre intitulé « De la mise en danger de la personne », qui rassemble les articles 223-1 à 223-20, mentionnant des fautes dont l’esprit est gouverné par la notion de risques causés à autrui définie aux articles 223-1 et 223-2. À l’évidence, l’emploi des termes « ferait courir un danger à l’enfant » à l’alinéa 6 de l’article 8 ne peut être vu comme faisant limitativement référence à cette partie du code pénal : vous visez des situations qui vont bien au-delà de la menace à l’intégrité ou à la vie de l’enfant. En effet, le texte ne fait pas référence explicitement à cette partie du code pénal et, de plus, la situation des familles est beaucoup plus diverse que ce genre de situations.

Encore une fois, comme les débats en commission l’ont montré, l’intention de protéger l’enfant contre toute forme de violence ou de maltraitance qu’il risquerait de subir en étant représenté à l’adulte qui a le droit de le réclamer est partagée par nous tous. Ce n’est donc pas votre volonté, mais votre rédaction qui est en cause, le fait, je le répète, qu’il est impossible d’écrire ainsi en droit.

Quatrième et dernière raison : l’ensemble des éléments que je viens de pointer invite, en l’état actuel de cette proposition, à ce que l’Assemblée nationale se donne tous les moyens d’un examen plus complet et plus précis. Le groupe socialiste a fait le choix de la proposition de loi comme véhicule législatif, évitant ainsi la saisine du Conseil d’État.

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