Intervention de Sergio Coronado

Séance en hémicycle du 19 mai 2014 à 16h00
Autorité parentale et intérêt de l'enfant — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSergio Coronado :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le vice-président de la commission des lois, madame la rapporteure, nul ne saurait contester les évolutions considérables qui ont affecté l’institution matrimoniale et la famille ces dernières décennies. L’ordre familial institué en 1804 par le premier code civil avait pour fondement le mariage, frontière entre l’interdit et le permis, assis sur le principe d’une complémentarité hiérarchique entre les sexes. Cet ordre matrimonial, qui avait une très grande cohérence sociale, s’est trouvé bousculé et transformé par l’émergence de deux nouvelles exigences : l’égalité des sexes et la prise en compte de l’enfant comme sujet, notamment comme sujet de droit. La métamorphose de l’institution familiale se traduit par un premier grand moment de modernisation dans les années soixante-dix, en France mais aussi ailleurs dans le monde. Dans notre pays, on assiste alors, en effet, à une succession de réformes du droit de la famille : réforme des régimes matrimoniaux en 1965, création de l’adoption plénière en 1966, passage de la puissance paternelle à l’autorité parentale en 1970, égalité des filiations légitime et naturelle en 1972, légalisation de l’avortement en 1975 et divorce par consentement mutuel en 1975 aussi. Et puis, cela a été rappelé à cette tribune, l’année dernière, le mariage civil a été ouvert aux couples de personnes de même sexe.

C’est dans la foulée de ces réformes, qui doivent beaucoup au mouvement des femmes, qu’émerge un autre phénomène social de masse : le divorce. Certains chercheurs préfèrent d’ailleurs appeler cela le démariage ; en effet, ce mot ne signifie ni la crise ni la dévalorisation du mariage. Désormais, se marier ou non n’est plus perçu comme une obligation sociale impérative, mais comme une question de conscience personnelle, un choix de vie, en somme.

C’est donc à ce moment clé que nous nous trouvons. Il s’agit, pour les législateurs que nous sommes, d’édifier un nouvel ensemble de repères et de normes capable de substituer à l’ancien ordre matrimonial de la famille une alternative cohérente et lisible pour tous. C’est pourquoi l’enterrement de la loi famille est une erreur et une faute.

C’est une faute, parce que ce n’est pas de bonne politique que de revenir sur ses engagements. Je le rappelle : et Mme la ministre chargée de la famille, votre prédécesseure, et le Premier ministre lui-même s’étaient engagés non seulement à présenter un seul et même texte, mais aussi à ce que celui-ci inclue une approche égalitaire de la filiation, qui permette aux couples de femmes de sécuriser pleinement le statut de leur enfant et leur projet parental. Revenir sur un tel engagement, alors même qu’il avait fait l’objet de tant de promesses, nourrit la déception et la méfiance. Un seul et même texte pour avoir une approche cohérente des différentes articulations que le législateur est appelé à trancher dans les nouvelles géographies familiales apparaissait et apparaît encore et toujours nécessaire.

Je ne prendrai qu’un seul exemple pour illustrer mon propos, pris, d’ailleurs, dans l’un des rapports remis au Gouvernement.

À première vue, la question de l’accès aux origines et celle des beaux-parents dans les familles recomposées n’ont rien à voir. L’accès aux origines concerne deux situations : celle des enfants nés sous X, adoptés ou pupilles, et celle des enfants nés d’un engendrement avec un tiers donneur dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation. Ces deux situations impliquent des personnes qui ont joué un rôle dans le passé, autour de la naissance de l’enfant, mais qui ne sont plus présentes dans sa vie, voire n’y ont jamais été, des personnes qui, en tout cas, ne jouent aucun rôle éducatif : les parents de naissance d’une part, les donneurs d’engendrement d’autre part. Au contraire, les beaux-parents qui vivent aujourd’hui dans les familles recomposées, qui n’ont pas été partie prenante de la naissance de l’enfant, mais qui, ensuite, ont rencontré un des parents de l’enfant, en partagent la vie et assument la responsabilité de l’éducation, du soin et de la prise en charge de la progéniture au quotidien.

Deux situations, je l’ai dit, en apparence très opposées. Elles ont pourtant en commun quelque chose d’essentiel : toutes ces personnes sont maintenues à l’écart de la famille, elles sont privées d’existence au sein de nos institutions, par le droit, par l’État. Elles n’ont pas droit de cité, soit qu’elles n’aient pas de reconnaissance sociale, c’est le cas des beaux-parents, soit que leur identité soit devenue inaccessible, c’est le cas des parents de naissance, soit qu’elle ait été volontairement effacée, pour faire comme si elles n’avaient jamais existé, c’est le cas des mères accouchant sous X, des donneurs de gamètes et d’embryons. Et pourtant elles ont existé, elles existent.

Ces différentes formes d’effacement institutionnel peuvent être vécues par l’enfant comme le déni de son histoire biographique, et par l’adulte comme une atteinte à son identité personnelle et une injustice qui lui est faite. Ces questions doivent être traitées par le législateur. Ce n’est que partiellement le cas avec cette proposition de loi relative à l’autorité parentale et à l’intérêt de l’enfant. Si ce texte traite bien des beaux-parents, la question de la filiation pour les couples de même sexe a été laissé de côté alors même que les réalités qui sont en cause sont bien connues du législateur, alors même qu’il nous avait été dit, par voie gouvernementale, que tous les droits afférents au mariage étaient ouverts avec l’ouverture du mariage civil aux couples de personnes de même sexe.

Je l’avais dit pendant le débat ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe : la stratégie qui consiste à ouvrir les portes de nos mairies aux couples de personnes de même sexe tout en fermant la porte au débat sur la manière dont ces couples font des enfants et la reconnaissance de la filiation me paraît à la fois hypocrite et périlleuse. Heureusement, la garde des sceaux avait eu le courage de permettre par circulaire l’octroi de certificats de nationalité aux enfants nés à l’étranger de Français, « lorsqu’il apparaît, avec suffisamment de vraisemblance, qu’il a été fait recours à une convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui ». Ce fut un demi-pas. Il reste la question de la retranscription de ces filiations à l’état civil pour que le pas soit complet ; en l’espèce, il n’est nul besoin de passer par la loi, la circulaire peut suffire. Et puis, il y a la question de l’assistance médicale à la procréation pour les femmes homosexuelles en couple.

Le Gouvernement, après avoir pris un engagement, y a renoncé et vous ne cessez, depuis votre nomination, madame la secrétaire d’État, de donner, au nom de l’apaisement, des gages à celles et à ceux qui, au nom de la protection de l’enfant, ont banalisé les discours de stigmatisation et de discrimination, alimentant une homophobie ambiante qui se traduit depuis bientôt un an par des actes d’une grave violence. À toutes les femmes en couple, qui souhaitent que leur projet parental soit reconnu par la loi comme légitime et ne veulent plus bricoler ni traverser les frontières pour devenir mères, qu’offrez-vous ? D’emprunter le train comme le faisaient tant de femmes il y a quarante ans, avant l’adoption de la loi leur permettant de recourir à l’interruption volontaire de grossesse. Je crois sincèrement que la stratégie d’évitement du gouvernement montre ici ses limites.

Le choix de renoncer à la loi famille au bénéfice de plusieurs propositions de loi présente certes l’avantage de permettre de se réfugier derrière l’initiative parlementaire – je serais tenté de dire qu’à l’évitement il faut donc ajouter désormais la couardise –, mais ce choix conduit à mettre de côté ce qui peut faire débat ou conflit, mais qui est déjà une réalité sociale. En outre, ce choix ne permet pas de penser les articulations et les cohérences nécessaires lorsque l’on se donne comme objectif de fonder le droit de la famille sur le principe de l’égalité des sexes et de la mise en place de nouvelles protections et sécurités et de nouveaux droits pour les enfants.

Cette proposition de loi, qu’un certain nombre de mes collègues écologistes ont signée, est donc une tentative parlementaire, face à l’abdication gouvernementale, de s’attaquer à des situations familiales qui appellent des solutions sans tarder. C’est dans cet esprit que nous avons travaillé avec Mme la rapporteure.

Ce texte comporte quatre axes principaux, qui font l’objet de quatre chapitres distincts.

Le premier chapitre vise à renforcer l’exercice conjoint de l’autorité parentale en cas de séparation des parents. L’article 3 explicite la signification concrète de l’exercice conjoint de l’autorité parentale, qui implique que les parents s’informent réciproquement de l’organisation de la vie de l’enfant, et agissent conjointement. Il s’agit, en effet, d’une clarification nécessaire. Il en va de même de l’article 4, qui précise que tout acte de l’autorité parentale, qu’il ait un caractère usuel ou important, requiert l’accord des deux parents. Ce même article qualifie expressément le changement de résidence et le changement d’établissement scolaire de l’enfant d’actes importants ; c’est une bonne chose.

D’autres dispositions ont pour objet de rendre les règles relatives à l’exercice conjoint de l’autorité parentale plus effectives, en renforçant leur respect. L’absence de dispositif d’exécution forcée des décisions des juges aux affaires familiales constitue en effet une lacune. L’article 5 crée une amende civile, qui pourra être prononcée par le juge aux affaires familiales en cas de manquement grave ou renouvelé aux règles de l’exercice conjoint de l’autorité parentale ou si sa décision n’a pas été respectée.

Le deuxième chapitre de la proposition de loi vise à reconnaître et à sécuriser la place que les beaux-parents occupent déjà, de fait, dans l’éducation et la vie quotidienne des enfants. On est loin, cependant, d’un statut des tiers. La proposition de loi prévoit, comme l’a rappelé Mme la rapporteure, une série d’instruments accordant une place croissante aux beaux-parents, selon les choix opérés par les familles concernées et leurs besoins. Les parents pourront aussi décider de partager l’exercice de l’autorité parentale avec un tiers par exemple, par la voie d’une convention homologuée.

Le troisième chapitre aborde la médiation familiale. Et nous sommes d’accord pour la promouvoir, à l’exclusion des situations de violence. Cela a été évoqué par Mme la secrétaire d’État.

Le quatrième chapitre a pour objet mieux prendre en compte la parole de l’enfant dans le cadre de toute procédure le concernant. Dans cet esprit, Mme la rapporteure a bien voulu donner une suite favorable à l’un de nos amendements sur la prise en compte de la parole de l’enfant, avec la possibilité pour celui-ci, s’il est âgé de seize ans, de faire appel à un juge des enfants pour demander son émancipation.

Notre amendement sur la présomption de parenté, que la commission et le Gouvernement ont repoussé, sera également défendu. Il ne s’agit pas de réintroduire ici la question de la PMA, je vous l’ai dit en commission, mais d’assurer l’établissement de la filiation et de sécuriser la situation de ces enfants. Je l’avais dit lors de l’examen de la loi ouvrant le mariage civil aux personnes de même sexe, je le redis encore une fois ici, ce n’est pas une manière détournée d’avoir le débat sur cette question de la PMA. Cet amendement, nous l’avions déjà déposé, c’est un engagement politique que nous défendons, nous ne sommes en rien victimes de nos émotions, contrairement à ce que vous avez pu suggérer, madame la secrétaire d’État. D’ailleurs, l’un des rapports remis au gouvernement comporte une proposition similaire : il y est en effet proposé que l’établissement de la filiation repose pour tous les couples sur une déclaration anticipée de filiation. C’est le même esprit que celui de notre amendement.

Enfin, un amendement portant sur les violences et les châtiments corporels dont sont victimes les enfants au nom de la bonne éducation sera présenté. C’est un amendement nouveau. Je crois que nous ne pouvons pas tolérer que de telles pratiques éducatives existent. Nous avons été l’objet de sanctions. Trente-quatre pays ont aboli ces châtiments. À l’heure où le gouvernement fait preuve d’une grande détermination, que les écologistes soutiennent et accompagnent, contre les violences faites aux femmes, comment justifier qu’une paire de gifles entre adultes soit condamnable, à juste titre, alors que, dans le cas où la victime est un enfant, la pratique est tolérée ? Le refus de cet amendement n’est sérieusement pas justifié. Il n’est, je crois, même pas justifiable.

Chers collègues j’espère que nos débats seront argumentés, loin des fantasmes que d’aucuns se plaisent à alimenter, loin des caricatures, et des attaques. C’est en tout cas l’état d’esprit des écologistes au moment où nous abordons l’examen de ce texte.

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