Monsieur le Président, madame la secrétaire d’État, monsieur le vice-président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous commençons cet après-midi les discussions sur les nouvelles protections que nous souhaitons apporter aux familles et aux enfants.
La proposition de loi relative à l’autorité parentale et à l’intérêt de l’enfant est issue des réflexions et des travaux engagés par le précédent gouvernement et par Dominique Bertinotti, qui en fut la ministre de la famille. Quatre groupes de travail ont fourni une réflexion utile et de nombreuses propositions. Le groupe socialiste, dont les travaux ont été menés par Marie-Anne Chapdelaine, reprend, dans le texte examiné aujourd’hui, certaines de ces propositions, auxquelles vous avez dit à l’instant que vous souscrivez également, madame la secrétaire d’État.
Cette proposition de loi n’est pas un texte de rupture. Elle s’inscrit pleinement dans la continuité des modifications du droit de la famille et entérine des évolutions de la société. Il en va ainsi notamment lorsqu’elle renforce la notion et le sens de l’exercice conjoint de l’autorité parentale issue de la loi du 4 mars 2002.
C’est également en s’appuyant sur la réalité sociale que la proposition de loi envisage de donner au beau-parent une existence ; il en va de même des dispositions en faveur du développement de la médiation, procédure initiée dans les années quatre-vingt-dix pour restaurer le dialogue au sein de la famille, ou du nouveau cadre pour le recueil de la parole de l’enfant par le juge aux affaires familiales.
Lors des auditions menées par la rapporteure, nous avons pu constater avec une grande satisfaction que ce texte rassemblait très largement les représentants des familles et les acteurs des conflits familiaux. Toutes les associations familiales saluent les avancées que ce texte va apporter, tout en restant naturellement vigilantes sur certains points. Les syndicats de magistrats et les associations de médiation ont exprimé également leur satisfecit.
Certes, nos propositions ne vont pas assez loin pour certains, ou trop loin pour d’autres, mais la présente proposition de loi est équilibrée dans son économie générale et dans chacune des mesures qu’elle vise à introduire dans notre code civil.
La proposition de loi relative à l’autorité parentale et à l’intérêt de l’enfant s’adresse à toutes les familles, indifféremment. Elle ne les catégorise pas. Elle ambitionne de montrer la nécessité d’un dialogue permanent entre les parents. Elle ne prétend pas prendre parti pour l’un ou pour l’autre. Elle permet à l’intérêt de l’enfant d’émerger et de s’imposer. Elle n’a pas vocation à en déterminer par avance le contenu.
Le chapitre premier de ce texte consolide l’exercice conjoint de l’autorité parentale, fondée sur le principe que le couple parental survit à la dissolution du couple conjugal, que les liens de filiation des enfants continuent à réunir les parents dans les décisions qu’ils doivent prendre pour eux. Il s’agit pour nous d’en améliorer la connaissance par les intéressés, d’en clarifier les contours et d’en assurer l’effectivité.
Parmi les dispositions proposées, celle établissant la résidence de l’enfant au domicile des deux parents séparés est sans doute la plus symbolique et la plus forte. Elle ne bouleverse pas notre droit, mais elle fait disparaître la notion de droit de visite et d’hébergement qui pouvait être considérée par le parent qui se le voyait attribuer comme une violence symbolique, la marque du parent perdant ou du « sous-parent ».
Le principe de coparentalité repose sur l’égalité dans l’exercice des responsabilités parentales. Nous instaurons l’égalité dans la sémantique, et dans l’intérêt de l’enfant. Il ne s’agit en rien de généraliser la résidence alternée paritaire, comme certains ont pu le laisser croire. Il s’agit seulement de corriger l’incohérence, qui existe aujourd’hui, entre l’égalité des droits des parents, manifestée par l’exercice conjoint de l’autorité parentale, la coparentalité, et l’inégalité de leur considération dans l’attribution de la résidence de l’enfant : la résidence pour l’un, le droit de visite et d’hébergement pour l’autre.
Dans le même esprit, nous rappelons formellement que l’exercice conjoint de l’autorité parentale signifie que les parents doivent s’informer réciproquement de l’organisation de la vie de l’enfant et prendre ensemble les décisions le concernant en codifiant la définition des actes importants pour lesquels l’accord de l’autre parent ne peut être présumé.
Enfin, pour les conflits qui conduisent les parents à ne pas respecter leurs engagements en matière d’exercice de l’autorité parentale, et dans l’intérêt de l’enfant, nous assurons l’effectivité de ces principes en rappelant la possibilité pour le juge de prononcer des astreintes, en instaurant une amende civile, en permettant d’ajuster ponctuellement la pension alimentaire et en réformant le délit de non-représentation d’enfant.
Dans son deuxième chapitre, la proposition de loi aborde enfin une question qui a fait l’objet de tentatives législatives récurrentes, mais toujours avortées : celle de la place des beaux-parents. Elle s’inspire en cela du rapport issu des réflexions du groupe de travail présidé par Mme Irène Thery.
Un enfant sur dix vit dans une famille recomposée ; au total, ils sont environ un million et demi. Un tiers de ces enfants est issu du nouveau couple ; ils vivent avec au moins un demi-frère ou une demi-soeur. Deux tiers sont issus d’une union antérieure.
Les beaux-parents s’investissent affectivement et souvent financièrement. Ils exercent un rôle éducatif notoire et sont reconnus dans ce rôle par leurs beaux-enfants. Il est depuis longtemps devenu incontestable que l’intérêt de l’enfant peut nécessiter l’intervention de ses beaux-parents dans les décisions de la vie courante qui le concerne.
En 2009, la majorité d’alors – l’opposition d’aujourd’hui – avait enfoui une initiative gouvernementale tendant à réformer le droit des tiers au prétexte qu’elle ouvrait une éventuelle reconnaissance des familles homoparentales. En 2014, cet argument n’a plus de fondement.
Cette proposition de loi vise donc à créer non pas un statut, qui serait contraignant et imposé, mais un outil simple : le mandat d’éducation quotidienne, facultatif, et dont la portée englobe seulement les actes usuels concernant l’enfant.
Le mandat d’éducation quotidienne n’est qu’un premier degré dans l’intervention possible des tiers. La présente proposition prévoit également de réformer la délégation et le partage de l’exercice de l’autorité parentale, dont la portée est plus large et l’accès plus restrictif.
Le troisième chapitre de la proposition de loi stimule le recours à la médiation familiale. Née dans les années quatre-vingt en Amérique du Nord, elle s’est développée en France quelques années plus tard, inspirée par les expériences québécoises.
Il vous est proposé de reconnaître et de développer par la loi le recours à la médiation familiale comme moyen permettant aux parents de reprendre le dialogue, de s’éloigner de l’objet du conflit, d’apaiser les tensions et de porter un regard commun sur l’intérêt de l’enfant.
L’intervention judiciaire ne peut être la solution à tous les conflits familiaux qui portent en eux une charge émotionnelle, psychologique et affective lourde. Le dialogue nécessaire entre les parents, la nécessité de purger les conflits dans l’intérêt de l’enfant laissent toute sa place à la médiation familiale.
La loi de 2002 puis celle de 2004 relative au divorce ont mis en place des instruments permettant un exercice consensuel de l’autorité parentale, instruments que nous voulons aujourd’hui développer et enrichir.
Dans un rapport d’information sur la justice familiale publié en février dernier, les sénateurs Catherine Tasca et Michel Mercier précisent que, lorsqu’elle est mise en oeuvre, la médiation donne lieu à un accord entre les parties dans 57 % des affaires. Au tribunal de grande instance d’Arras, lieu d’expérimentation sur ces questions, lorsque les médiations sont menées à terme, elles donnent lieu à un accord dans 100 % des cas.
Pour autant, nous le savons, le recours à la médiation familiale reste marginal. En 2012, 2 789 affaires ont été renvoyées à un médiateur, soit 0,8 % du contentieux. Nous avons donc des marges de progrès et la proposition de loi envisage de commencer à les réduire.
Enfin, en sus de la possibilité pour le mineur de plus de seize ans de solliciter son émancipation, le quatrième chapitre propose une nouvelle écriture de l’article 388-1 du code civil qui encadre les conditions de recueil par le juge aux affaires familiales de la parole de l’enfant en anticipation des décisions le concernant.
L’enfant est le personnage central de la famille. Il n’était effectivement plus possible de laisser perdurer des dispositions qui font de la « capacité de discernement » de l’enfant – tels sont les termes exacts du code civil –, traduite dans les faits par la mention de son âge, une entrave à son écoute par le juge. Cette « capacité de discernement » est de surcroît différemment appréciée selon les magistrats et selon les juridictions.
En effaçant la notion de « capacité de discernement » et en précisant que sa parole est recueillie selon son degré de maturité, nous répondons enfin à des attentes maintes fois exprimées, notamment dans le rapport de 2013 du Défenseur des droits, M. Dominique Baudis, et de la Défenseure des enfants, Mme Marie Derain, sur l’enfant et sa parole en justice.
Cette proposition de loi, défendue par le groupe SRC et quelques membres du groupe écologiste, pourrait faire l’objet d’un consensus politique. L’atmosphère de nos travaux en commission pouvait le laisser espérer. Vous pouvez donc imaginer notre surprise face à l’avalanche d’amendements déposés par l’opposition que nous allons examiner.
Contrairement à ce que certains pourraient laisser penser, la gauche est légitime à légiférer sur la famille. Et nous sommes d’autant plus légitimes que notre vision de la famille est fortement ancrée dans leur réalité. Nous considérons qu’il n’y a pas de hiérarchie entre les différentes formes de familles, et que toutes – nucléaires, monoparentales, homoparentales, recomposées – peuvent cohabiter dans la loi comme elles cohabitent aujourd’hui sereinement dans la vie.
Cette proposition de loi est porteuse de sens pour les adultes et pour les enfants. Elle met dans le code civil les mots qu’il manquait sur la place de chacun des membres de la famille et clarifie le périmètre de leurs responsabilités, de leurs droits et de leurs devoirs.
Les décisions relatives à l’exercice de l’autorité parentale sur tel ou tel enfant ne peuvent être prédéterminées par la loi : elles s’apprécient concrètement, au cas par cas. Mais, à n’en pas douter, les clarifications nécessaires apportées par ces nouvelles dispositions contribuent, nous en sommes convaincus, à faire prévaloir pacifiquement la primauté de l’intérêt de l’enfant.