Intervention de Marie-Noëlle Battistel

Séance en hémicycle du 19 mai 2014 à 16h00
Autorité parentale et intérêt de l'enfant — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Noëlle Battistel :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteure, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, monsieur le vice-président de la commission des lois, chacun peut en faire le constat, les familles ont changé.

On estime aujourd’hui à environ 145 000 par an le nombre de ruptures de couples avec des enfants mineurs. Pas moins de 1 million et demi d’enfants, soit plus d’un enfant sur dix, vivent aujourd’hui dans des familles recomposées. Le nombre des familles monoparentales augmente également. Il s’agit très majoritairement, dans 85 % des cas, de mères seules qui, trop souvent, se retrouvent dans des situations de précarité. Un tiers d’entre elles vivent sous le seuil de pauvreté.

Cette proposition de loi vise à adapter le droit aux évolutions de la famille, avec pour ambition « d’apporter des réponses pragmatiques et les outils juridiques pour garantir l’intérêt de l’enfant dans les situations du quotidien, comme en cas d’accident de la vie ». Je salue l’initiative du groupe socialiste en ce sens.

Il était en particulier devenu nécessaire de reconnaître la place grandissante des beaux-parents dans l’éducation et la vie quotidienne des enfants. Je me félicite donc de cette initiative parlementaire, dont la pierre angulaire est l’intérêt de l’enfant.

La délégation aux droits des femmes a concentré ses travaux sur deux des cinq chapitres de ce texte, qui concernent l’exercice conjoint de l’autorité parentale d’une part, et le recours à la médiation familiale d’autre part. Elle a adopté plusieurs recommandations le 6 mai dernier, avant l’examen en commission de ce texte, ce qui a permis de l’enrichir et de le clarifier sur plusieurs points.

Un mot sur la méthode : nous avons souhaité nous saisir de cette proposition de loi car c’est la vocation même de la délégation aux droits des femmes que de veiller à ce que tous les textes fassent progresser l’égalité entre les femmes et les hommes. Nous avons également été alertés par plusieurs associations sur certaines carences du texte initial, en particulier sur la question des violences faites aux femmes, violences qui doivent être appréhendées dans l’acception la plus large du terme, y compris sur le plan économique.

Afin de mieux appréhender la portée de ce texte concernant plus particulièrement les mères séparées de leur conjoint, nous avons mené une série d’auditions. La délégation a pu, ainsi, entendre Mme la secrétaire d’État, mais aussi, au cours de deux tables rondes, des magistrats, des avocates, la mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains – MIPROF –, ainsi que des représentantes de plusieurs associations.

À l’issue de ces auditions, nous avons en particulier préconisé de compléter le chapitre III en spécifiant bien que la médiation familiale est exclue en cas de violences ou lorsqu’elle a pour conséquence d’allonger inconsidérément les délais de la procédure en cours. Il conviendrait également de prévoir que la formation dispensée aux médiateurs familiaux comprenne un enseignement sur la détection des violences intrafamiliales et des phénomènes d’emprise.

Dans le même esprit, nous recommandons de valoriser et développer les espaces de rencontre médiatisés, pour que le maintien des relations parents-enfants se fasse sans danger dans les cas de violences. Nous souhaiterions enfin voir élargis les critères d’attribution de l’exercice exclusif de l’autorité parentale.

Au-delà des violences, il nous a semblé nécessaire de prendre aussi en compte les situations de délaissement parental, lorsque l’un des parents est absent ou défaillant, par exemple lorsque le père s’abstient de payer sa pension alimentaire ou lorsqu’il ne s’y plie que très irrégulièrement. Ces situations, bien plus fréquentes qu’on ne le croit, sont inacceptables.

Le premier chapitre de la proposition de loi vise à renforcer l’exercice conjoint de l’autorité parentale, qui reste aujourd’hui le principe, même en cas de séparation des parents.

Elle opère dans ce cadre plusieurs modifications bienvenues – je pense en particulier au changement de terminologie qui résulte du principe de « double résidence ». En effet, les termes actuels de droits de « visite » et « d’hébergement » traduisent mal l’égalité de droits entre les parents lorsqu’ils exercent conjointement l’autorité parentale. Sur d’autres points en revanche, il nous est apparu souhaitable d’améliorer et d’enrichir le texte.

La délégation a adopté plusieurs recommandations qui s’inscrivent dans un objectif d’équilibre des droits et devoirs et permettent de mieux répondre à certaines situations. Il s’agit notamment d’affirmer plus clairement les responsabilités parentales, les devoirs à l’égard de l’enfant.

Nous préconisons tout d’abord d’engager un programme pluriannuel d’études sur la période « post-séparation » et les conséquences des ruptures conjugales, en particulier pour ce qui concerne le paiement des pensions alimentaires, l’exercice du droit de visite et d’hébergement, les motifs de rupture du lien entre le parent et l’enfant, le nombre et les raisons de la non-représentation d’enfants. Il semble en effet que les informations disponibles dans ces domaines soient lacunaires. De surcroît, cette recommandation s’inscrit dans le prolongement de travaux très récents du Haut conseil de la famille sur les ruptures familiales.

Il nous semble également nécessaire de prévoir expressément dans le code civil la possibilité de suspendre provisoirement l’exercice de l’autorité parentale en cas d’abandon de famille, en particulier de non-paiement caractérisé de la pension alimentaire, de non-exercice du droit de visite ou de non-accueil de l’enfant pendant les temps de résidence convenus, de façon renouvelée, et tant que le parent n’aurait pas recommencé à assumer ses obligations familiales pendant au moins six mois.

Pour endiguer les violences économiques et les risques de précarité, nous recommandons par ailleurs de renforcer la protection des mères et de leurs enfants contre les impayés de pension alimentaire en rappelant que l’insolvabilité organisée ne saurait dispenser un parent du versement de la pension, d’augmenter la pension alimentaire pour le parent qui ne remplit pas son droit de visite ou n’accueille pas son enfant pendant les temps de résidence convenus. Un amendement de la commission des lois va d’ailleurs dans ce sens.

Précisons enfin que si certaines dispositions ont pu susciter des interrogations au sein de la délégation, des éclaircissements ont été apportés depuis sur plusieurs points, et nous avons par ailleurs noté que plusieurs recommandations ont d’ores et déjà été suivies d’effet. Je tiens à vous en remercier, madame la rapporteure.

Pour conclure, mes chers collègues, je vous dirai qu’il ne faudrait pas enfermer ce débat dans une lecture trop simpliste, voire caricaturale – les droits des pères contre ceux des mères –, mais au contraire envisager très largement les enjeux transverses qui s’attachent à ces questions, en matière de lutte contre les inégalités et la précarité, de protection des plus vulnérables mais aussi d’égal accès des hommes et des femmes aux responsabilités familiales, et d’abord et avant tout, de protection des droits et de l’intérêt de l’enfant, au coeur des avancées législatives proposées par ce texte.

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