Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, le projet de loi qui nous rassemble ce soir fait suite à l’échec de la mise en oeuvre des objectifs d’accessibilité universelle fixés par le législateur dans la loi du 11 février 2005.
Pour mémoire, cette loi contenait des dispositions organisant notamment la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des bâtiments d’habitation, des transports et de la voirie à l’horizon des 1er janvier et 13 février 2015. La mise en accessibilité se voulait « universelle », c’est-à-dire adaptée à tous, au-delà du handicap.
Passé ce délai, un dispositif de sanctions pénales vise les personnes physiques et morales qui ne se seraient pas mises à jour de leurs obligations au début 2015. Mais il s’agit là, reconnaissons-le, de la seule disposition contraignante puisque aucun dispositif de suivi intermédiaire n’avait été prévu, lacune expliquant sans doute, pour beaucoup, le retard conséquent de l’accessibilité dans notre pays.
Dès lors, la perspective d’un couperet au 1er janvier 2015 est devenue de plus en plus difficilement tenable, comme l’ont signalé plusieurs rapports de 2012 : celui des sénatrices Claire-Lise Campion et Isabelle Debré, ainsi que le rapport conjoint du Conseil général de l’environnement et du développement durable, de l’Inspection générale des affaires sociales et du Contrôle général économique et financier.
Devant ce constat, voici les termes de l’alternative. Nous pourrions faire ce qui a été fait depuis trop longtemps, c’est-à-dire ne rien faire. Or, ne rien faire, c’est laisser le contentieux devenir l’arbitre de la mise en accessibilité. Le risque est surtout social : soit, au niveau national, celui d’un dialogue conflictuel entre les associations de personnes handicapées et les responsables d’ERP, de transport, de collectivités ; soit, à l’inverse, au niveau local, que nous fassions comme si les personnes en situation de handicap allaient saisir la justice pour faire condamner leur médecin, leur épicier, le bar de la ville, le centre des impôts, le tribunal de ressort ou encore la salle de sport. Cela n’a pas beaucoup de sens et je comprends bien que nul ne souhaite en arriver là.
L’autre option était de reconnaître le retard et de se donner les outils pour se mettre à jour rapidement et sérieusement, dans une démarche de bon sens et, je dirai, de recherche d’harmonie sociale.
C’est l’idée générale qui est ressortie du processus de concertation conduit par notre collègue sénatrice Claire-Lise Campion.
Deux chantiers ont été conduits, débouchant sur deux rapports remis en février et mars derniers, l’un portant sur les mesures de simplification réglementaire, l’autre sur la création d’un agenda d’accessibilité programmée, que l’on commence à connaître sous le nom d’Ad’AP, ainsi que ses déclinaisons.
Les prescriptions des quatre articles de ce projet de loi s’inscrivent clairement dans cette démarche.
Réunie le 28 mai dernier, la commission des affaires sociales a conduit un travail de qualité pour enrichir ce texte. Dans un climat particulièrement constructif et consensuel, nous avons adopté d’importantes modifications.
En premier lieu, à l’article 1er, la commission des affaires sociales a adopté un amendement rendant les Ad’AP obligatoires. Nous partons en effet du postulat, audacieux dans l’histoire de l’accessibilité, que chacun doit se conformer à la loi.
Nous considérons que tous les propriétaires ou exploitants d’ERP qui ne seraient pas à jour avec les règles d’accessibilité doivent naturellement déposer un Ad’AP. Il est donc logique de prévoir qu’ils déposent obligatoirement un agenda et d’assujettir le non-dépôt au dispositif de sanctions.
En outre, nous avons précisé les délais de dépôt de ces agendas, ceux-ci étant circonscris aux douze mois suivant la publication de l’ordonnance. Soyons clairs, là encore : il n’est pas question de permettre à nouveau de jouer la montre.
Constatant que l’une des raisons de l’échec de la loi de 2005 tenait à l’absence de rendez-vous d’étape, nous avons adopté un amendement prévoyant des formalités de suivi à mi-période pour les Ad’AP d’au moins trois ans. Cette mesure ne vise donc que les ERP de grande taille. Dans l’esprit du texte en effet, la plupart des petits ERP devraient se voir accorder des agendas d’un an ou deux, correspondant à des travaux légers, mais indispensables.
De même, à l’article 2, nous avons prévu que les SDA-Ad’AP, spécifiques aux transports, seront déposés au plus tard dans les douze mois suivant la publication des ordonnances.
À l’article 3, nous avons souhaité apporter des précisions sur la gouvernance du fonds qui est créé afin de recueillir le produit des sanctions financières liées aux Ad’AP. Il s’agit de garantir la représentation des acteurs publics et privés ainsi que des représentants des associations.
Nos discussions ont également mis en évidence la nécessité de mieux formuler l’alinéa relatif à la circulation des chiens guides d’aveugle qui, en l’état, nous le confessons, semble relativement ambigu.
L’examen en séance de ce projet de loi me donne l’occasion de mettre en avant quelques points complémentaires.
En premier lieu, il nous semble nécessaire de réfléchir à la mise en place plus systématique d’une formation ou d’une sensibilisation des personnels des ERP sur les questions d’accessibilité. C’est une demande forte des associations qui, je crois pouvoir le dire, est parfaitement légitime.
J’ajoute que ce souci de formation vaudra également pour les ambassadeurs de l’accessibilité dont, d’ailleurs, certains pourraient être des personnes handicapées puisque les connaissances dont elles disposent en feraient des acteurs importants de la transmission du savoir.
Ensuite, nous souhaitons que la mise en place de sanctions financières ait aussi pour corollaire la mise en oeuvre de dispositifs incitatifs.
Nous souhaitons que le Gouvernement promeuve un système clair et accessible à tous à travers, par exemple, des prêts bonifiés, qui seraient des éléments incitatifs particulièrement intéressants.
Au-delà, je constate que nous disposons de peu d’outils pour évaluer réellement et complètement la situation et pour contrôler effectivement les avancées de la mise en accessibilité. Est-il normal que, dix ans après la loi du 11 février 2005, nous ne soyons même pas capables de mesurer l’ampleur de l’inaccessibilité et, partant, le nombre d’établissements à mettre en conformité avec la loi ?
Nous avons donc besoin d’outils efficaces. C’est pourquoi je rejoins la proposition de Mme la secrétaire d’État visant à mettre en place des registres de sécurité devenant également des registres de sécurité et d’accessibilité.
Il faut travailler le plus ardemment possible pour qu’en amont et en aval nous bénéficiions de « dispositifs-balais » permettant de vérifier la réalité de l’accessibilité ainsi réalisée.
Par ailleurs, vous le savez, le Défenseur des droits a constaté lors d’une étude test qu’un tiers des taxis parisiens sollicités avaient refusé des personnes accompagnées de chiens guides bien que le droit soit très clair sur cette question.
Les associations représentant les personnes aveugles dénoncent régulièrement les entraves au déplacement qu’imposent certains commerçants ou certains vigiles, malgré des dispositions législatives protectrices, car il y aurait peu de risques à refuser un chien guide d’aveugle, même si c’est illégal.
Là encore, seul le travail de sensibilisation permettra de fonder une culture commune rendant l’entrave au déplacement avec un chien guide définitivement inacceptable.
Nous touchons là une question politique et culturelle profonde que la menace d’amendes ou de sanctions pénales, finalement assez lointaine, ne réglera jamais à elle seule. Il relève de notre responsabilité de faire comprendre que l’accessibilité doit être l’affaire de tous. Nous sommes en effet tous bénéficiaires de ces normes à un moment ou un autre de nos vies, chacun doit le comprendre.
Le handicap résulte de l’interaction entre les possibilités de la personne et les obstacles que lui oppose son environnement. De fait, une personne en fauteuil face à des toilettes adaptées n’est pas en situation de handicap. Cette définition a l’avantage de déplacer le point de vue des limitations fonctionnelles vers le milieu dans lequel évolue la personne handicapée et devrait progressivement être adoptée par les politiques d’accessibilité.
Il importe de comprendre que le retard indigne de la France en matière d’accessibilité s’explique grandement par l’incapacité de la société à changer de point de vue sur le handicap.
Le législateur devra donc apporter une vigilance particulière à la sensibilisation, car toutes les associations représentant les personnes en situation de handicap ont souligné que l’échec de la loi de 2005 était dû non seulement à l’absence de volonté politique, mais également à l’absence invraisemblable de prise de conscience collective du problème de l’inaccessibilité.
Peut-être pourrais-je former le voeu que l’État accompagne résolument ce nouvel élan – vous venez d’ailleurs de nous le démontrer – dans la mise en accessibilité, mais qu’il le fasse en devenant lui-même, enfin, exemplaire !
En conclusion, mes chers collègues, l’urgence nous contraint à recourir aux ordonnances. C’est un fait…