Intervention de Françoise Descamps-Crosnier

Séance en hémicycle du 12 juin 2014 à 15h00
Formation pratique aux premiers secours dans la préparation du permis de conduire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançoise Descamps-Crosnier :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui est d’origine sénatoriale. Fortement inspirée par une proposition de loi de notre collègue Bernard Gérard, elle vise un objectif d’intérêt public, que chacun pourra saluer.

Au-delà des aspects pratiques – dispenser la connaissance des gestes de premier secours – ce texte a pour ambition de sauver davantage de vies. Les premières minutes sont en effet les plus déterminantes pour la survie d’une victime d’un accident de la route. Ce texte propose donc d’instaurer une formation aux notions élémentaires de premiers secours dans le cadre de la préparation à l’obtention du permis de conduire. Sur le principe, je ne pense pas que quiconque puisse y trouver à redire. Il s’agit dès lors d’examiner les modalités de mise en oeuvre de cette idée.

M. le rapporteur défend la version de ce texte issue des travaux du Sénat. Comme Marie-Anne Chapdelaine, je dois admettre que j’ai des doutes sur cette version de la proposition de loi. Ses dispositions sont perfectibles en plusieurs points. Je vous exposerai rapidement celles de mes interrogations que je veux apporter au débat.

Ma première interrogation est d’ordre institutionnel. Il m’apparaît toujours incongru que le législateur soit amené à légiférer pour contrebalancer le non-respect de la loi ! En effet, comme vous l’avez vous-même souligné en commission des lois, monsieur le rapporteur, il existe déjà un dispositif obligatoire de formation aux gestes de premiers secours à destination d’un public assez large. Le législateur a prévu une obligation de formation des élèves à l’attestation de prévention et de secours civique de niveau 1, attestation délivrée après une formation de sept heures, mais cette obligation est mal respectée : 20 % seulement des élèves de troisième seraient formés chaque année.

L’article L. 312-13-1 du code de l’éducation dispose que « Tout élève bénéficie, dans le cadre de sa scolarité obligatoire, d’une sensibilisation à la prévention des risques et aux missions des services de secours ainsi que d’un apprentissage des gestes élémentaires de premier secours. » Cette proposition de loi revient donc à dire : « la loi n’est pas respectée, alors légiférons davantage ! ». Il me paraît hautement improbable que ce type de comportement, de la part du législateur, soit de nature à freiner l’inflation législative que l’on ne cesse de dénoncer par ailleurs, alourdissant d’autant de normes l’action aussi bien publique que privée dans notre pays.

Au-delà de cet aspect, il me semble que trois éléments doivent être soulevés dans le débat. Le premier est d’ordre technique : il s’agit de l’allongement du délai d’apprentissage que votre proposition ne manquera pas d’entraîner. Certes, ce délai d’apprentissage varie en fonction des candidats. Mais, lorsqu’un candidat doit repasser l’examen une ou deux fois, il n’est pas rare qu’il n’obtienne son permis de conduire qu’au bout de deux années, ce qui retarde d’autant la maîtrise d’une compétence aujourd’hui indispensable à l’entrée dans la vie professionnelle, particulièrement pour les territoires faiblement pourvus en réseaux de transport public. En pratique, quatre heures de plus seraient mobilisées au cours de la formation des candidats. Il est heureux que la version du texte qui nous est soumise ne prévoie plus de module spécifique, comme cela a été le cas un temps. Nous devons donc intégrer cet aspect dans notre réflexion.

Je souhaite soumettre un deuxième élément, d’ordre financier, à notre réflexion. Dans le contexte actuel, il est légitime de se demander comment seront répartis les coûts que cette nouvelle formation ne manquera pas d’engendrer. Chaque heure de formation doit être payée. Par qui ? L’auto-école ? Compte tenu des contraintes financières de certaines auto-écoles et du cadre très contraint dans lequel elles évoluent, cette hypothèse ne manquerait pas de soulever des difficultés qui pourraient remettre en cause les équilibres économiques actuels – je pense notamment aux petites structures, particulièrement en milieu rural ou périurbain, qui n’ont pas forcément les moyens de mettre en place ces formations. Quand bien même cette solution serait retenue, il y a fort à parier que les coûts induits seraient réintégrés dans les prix des auto-écoles et payés in fine par les élèves. Un renchérissement du coût du permis de conduire, déjà extrêmement élevé, notamment pour les jeunes, ne saurait être acceptable. Ce point a d’ailleurs été soulevé par les sénateurs ; certains d’entre eux ont estimé que le surcoût serait de l’ordre de 25 euros.

Lors de l’examen de ce texte par la commission des lois, vous avez suggéré, monsieur le rapporteur, que les associations de secourisme pourraient participer à la formation et à sa validation. Chacun appréciera la valeur de cette idée ; je m’interroge néanmoins sur ses conséquences financières, sans compter les difficultés d’ordre logistique et humain et les potentielles inégalités territoriales. Les dispositions de cette proposition de loi ne permettent pas de répondre à ces questions.

Troisième et dernier élément : nous devons adopter une vision globale de la question qui nous est posée. Comme je l’indiquais au début de mon intervention, il s’agit de préserver la vie de nos concitoyens autant que faire se peut ; l’enseignement des gestes de premiers secours y participe évidemment. Que les auto-écoles puissent être un lieu de formation est une bonne idée, sous réserve que les modalités de cette formation soient bien définies. Nous devons cependant aller plus loin pour garantir l’efficacité de cette formation. Ne devrions-nous pas adopter un dispositif qui permette à chacun, au-delà de la formation initiale, de bénéficier tout au long de sa vie de rappels réguliers, afin que la connaissance et la pratique des gestes de premiers secours soient les plus efficaces possibles ?

Telles sont, mes chers collègues, mes interrogations.

Le travail que nous avons accompli ensemble en commission a abouti à un dispositif plus clair et plus simple. Je souhaite donc que cette proposition de loi poursuive son chemin dans la procédure parlementaire, et je vous invite à la voter dans sa version adoptée par la commission des lois le 4 juin dernier, version enrichie par les amendements du Gouvernement.

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