Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteure générale, mes chers collègues, chaque année, quel que soit le gouvernement, l’examen du projet de loi de règlement est l’occasion pour l’exécutif de tirer un bilan qu’il s’efforce de présenter de façon positive : c’est la moindre des choses, et, pour ainsi dire, un classique du genre.
Cette année, le Gouvernement met en avant le fait que les efforts engagés en 2013 ont permis une meilleure maîtrise des dépenses publiques, qui n’ont progressé en valeur que de 2 %, une hausse des recettes d’un peu plus de 15 milliards d’euros, principalement tirée par les mesures nouvelles, et un déficit budgétaire en baisse d’environ 12 milliards d’euros.
Dans un contexte où le chômage s’aggrave dans des proportions très inquiétantes, où la situation économique reflète un climat de marasme persistant, et alors que l’INSEE table sur une croissance de seulement 0,7 % cette année, l’exercice, avouons-le, sonne un peu creux.
Nous retenons surtout que les chiffres avancés dans ce bilan sont très inférieurs aux prévisions initiales. La réduction du déficit public est bien moindre qu’annoncé. Alors que la loi de finances pour 2013 prévoyait un déficit en recul de 24,9 milliards d’euros, cette baisse n’aura atteint que 12 milliards d’euros. Pour traduire la chose en langage courant, cela signifie que les politiques conduites et l’effort demandé aux Français auront été deux fois moins efficaces que prévu.
Si l’on regarde du côté des recettes fiscales en se référant aux documents de la Cour des comptes, on constate qu’elles sont – semble-t-il – inférieures de 14,6 milliards d’euros aux prévisions inscrites dans la loi de finances initiale pour 2013 : il manque 5 milliards d’euros au titre de l’impôt sur le revenu, 6,4 milliards d’euros au titre de l’impôt sur les sociétés et 5 milliards au titre de la TVA.
Si, au réel, les recettes fiscales augmentent, c’est, là encore, dans une proportion moitié moindre que les 28 milliards d’euros initialement prévus.
Nous pourrions imputer ce décalage entre prévisions et résultats à un « manque de prudence », pour reprendre les termes choisis de la Cour des comptes. Valérie Rabault, quant à elle, impute la forte baisse de la croissance spontanée des prélèvements obligatoires – je la cite – au « ralentissement persistant de l’économie française », sans établir cependant de lien entre ce ralentissement de l’économie et la politique conduite depuis deux ans.
Sans tomber dans la caricature en établissant des liens de causalité simplistes, il n’est pas interdit de voir dans le décalage entre prévisions et résultats un témoignage du peu de pertinence des choix opérés. Depuis que la crise économique a commencé, en 2007, de nombreux économistes alertent sur le fait que la réduction à marche forcée des déficits publics en Europe produit un effet strictement opposé à celui qui est officiellement escompté. Les plans d’austérité mis en oeuvre pour atteindre cet objectif sapent toute possibilité de rebond économique, font le lit du chômage et limitent les rentrées de recettes fiscales. On ne peut donc continuer à minimiser l’impact sur la croissance des restrictions du pouvoir d’achat des couches moyennes et populaires, qu’il s’agisse de la hausse de la TVA, du ralentissement de la progression des salaires ou de l’impact récessif de la baisse des dépenses publiques qui, non seulement comprime l’activité et réduit les recettes de l’État, mais échoue, in fine, à oeuvrer au redressement des déficits publics.
Face à cette situation, la droite continue d’incriminer le niveau prétendument trop élevé des dépenses publiques qui, pourtant, ne dérapent aucunement. En effet, en tendance, de 1978 à 2012, les dépenses publiques ont diminué de 2 points de PIB, les dépenses hors intérêts de la dette – c’est-à-dire pour le service public –, ayant quant à elles diminué de 3,5 points, alors que les recettes, pour leur part, ont chuté de 5,5 points de PIB. Ce n’est donc pas le niveau de la dépense publique qui contribue à creuser les déficits : c’est avant tout le manque de recettes. Chacun s’accorde d’ailleurs à constater que la course effrénée au moins-disant fiscal opérée par la droite pendant dix ans en est à l’origine.
Souvenons-nous du rapport de l’économiste Jean-Philippe Cotis, en 2010, sur la situation des finances publiques, qui indiquait qu’en l’absence de ces baisses de prélèvements, la dette publique serait environ 20 points de PIB plus faible qu’aujourd’hui. Une telle constatation devrait nous conduire à nous montrer beaucoup plus vigilants et beaucoup plus entreprenants sur le terrain de la dépense fiscale.
Comme le soulignait M. le premier président de la Cour des comptes devant notre assemblée, les économies sur ce chapitre ont seulement atteint, l’an dernier, 500 millions d’euros, bien loin des 3,6 milliards d’euros attendus.
J’ai eu l’occasion d’insister, lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative, sur la nécessité de prendre à bras-le-corps la question des niches fiscales, sachant que, l’an dernier, les dix premières ont représenté près de 30 milliards d’euros, soit 40 % des quelque 70 milliards d’euros qu’elles totalisent.
Certains, dans cette assemblée, préfèrent braquer le projecteur sur les dépenses publiques. Ils voudraient, au motif que le déficit s’aggrave, imposer de nouvelles mesures de rigueur, alors que ce dont notre pays, nos entreprises, nos finances publiques ont besoin, c’est au contraire de sortir du marasme par la relance de l’activité, qui ne peut s’entrevoir sans que l’État et les collectivités territoriales n’engagent les dépenses d’investissement utiles au redressement économique. Les déficits publics ne doivent pas être le prétexte ou le faux-nez d’une stratégie de démantèlement de l’État social.
Si les hausses d’impôts des ménages aux revenus modestes et moyens, la hausse de la TVA et la renonciation à une réforme fiscale d’ampleur ont été à nos yeux des choix regrettables, soutenir l’intervention publique et la protection sociale tout en réduisant les inégalités sociales n’est pas, à notre avis, une ambition hors de portée. Elle n’est pas contradictoire avec le redressement économique : elle en est au contraire, pour ce qui nous concerne, le plus sûr moyen.
Les allégements en direction des entreprises, de surcroît sans contreparties, n’offrent en revanche aucune perspective nouvelle, y compris sous l’angle de l’assainissement budgétaire. En effet, ces allégements sont financés par une pression fiscale accrue sur les ménages, une pression sur les salaires, qui vont être tirés vers le bas, au détriment de la consommation des ménages.
Qui peut croire, à gauche, que la baisse des coûts sera synonyme de croissance retrouvée ou que les allégements des prélèvements pesant sur les entreprises iront nécessairement à l’emploi et à l’investissement ? Comme le soulignait récemment Pierre Khalfa, de la fondation Copernic – je le cite – « un employeur n’embauche pas parce que vous baissez les charges, l’effet est marginal. Il crée ou maintient de l’emploi s’il y a de la demande, s’il y a de la croissance. »
L’examen des comptes de l’année 2013 sonne comme un nouveau signal conduisant non seulement à réviser les hypothèses trop optimistes qui sont les vôtres mais, surtout, à changer de logiciel. Ainsi que le rappelait Henri Sterdyniak, directeur du département « économie de la mondialisation » de l’Observatoire français des conjonctures économiques, ceux qui prétendent que les baisses des contributions des entreprises créent mécaniquement de l’emploi se fondent, – je le cite – « sur des travaux américains anciens que démentent toutes les analyses empiriques. Il est à tout le moins difficile d’estimer l’élasticité de ces mesures sur l’emploi. »
Pour 2014 se profile une nouvelle étape de l’austérité avec la baisse du pouvoir d’achat des retraités et des fonctionnaires et une réduction sans précédent des dépenses publiques. Ces mesures risquent d’aggraver encore les conditions de vie de nos concitoyens, de faire reculer non seulement l’investissement public, notamment celui des collectivités territoriales, mais aussi l’investissement des entreprises, la croissance, donc l’emploi.
Cette politique économique et budgétaire que vous préconisez prend désormais directement le contre-pied des engagements pris par le Président de la République devant les Français. Le respect de ces engagements aujourd’hui pourrait, au contraire, contribuer à ressouder la gauche, réconcilier la gauche et le peuple, tant au Parlement que dans le pays. Ce n’est malheureusement pas la voie que vous avez choisie. Nous voterons donc contre ce projet de loi de règlement.