Intervention de Christophe Castaner

Séance en hémicycle du 10 juillet 2014 à 15h00
Sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Castaner, rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, ce matin, en préparant cette intervention, je relisais sur le site internet de l’Assemblée nationale la définition du mandat de député. Permettez-moi de la citer : « Chaque député, bien qu’élu dans un cadre géographique déterminé, est le représentant de la nation tout entière. Ainsi, à l’Assemblée nationale et dans sa circonscription, chaque député agit et parle au nom de l’intérêt général et non pas au nom d’un parti politique, d’un groupe d’intérêt ou d’une région. » Peut-être pourrait-on compléter cette phrase en ajoutant : « d’un département ou d’une commune » ! En tout cas, moi qui suis maire, je m’exprimerai dans ce débat avant tout en tant que député de la nation.

De quoi parlons-nous ? De 17 milliards d’euros ! Telle est en effet la menace que les emprunts structurés font aujourd’hui peser sur nos finances publiques. Les collectivités territoriales, qui ont souscrit ces emprunts dans les années 2000, en sont les premières victimes depuis que ces instruments financiers – mélangeant un financement et des produits dérivés – se sont révélés toxiques. Le maire que je suis ne l’a pas oublié.

Un fait nouveau a changé la donne : le risque s’est déplacé à cause de la multiplication des contentieux. Vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État : c’est désormais l’État qui, par le biais de la SFIL et de la banque résiduelle Dexia, risque de devoir en supporter les coûts. Nous savons tous, par les responsabilités que nous exerçons, qu’il n’en a pas les moyens.

Notre assemblée connaît bien ces emprunts. Plusieurs de nos collègues ont pris part, il y a trois ans, aux travaux de la commission d’enquête dite « Bartolone-Gorges », des noms de son président et de son rapporteur. Les conclusions du rapport d’enquête adopté à l’unanimité par les trente membres de cette commission en décembre 2011 étaient sans ambiguïté.

D’abord, ces produits sur mesure, conçus au départ pour les besoins spécifiques de quelques grandes collectivités locales, ont été diffusés à grande échelle auprès d’acteurs publics locaux de toutes tailles et de toutes sortes : communes de moins de 10 000 habitants, services départementaux d’incendie et de secours, hôpitaux, bailleurs sociaux, etc.

Ensuite, les responsabilités sont partagées. Certains exécutifs locaux ont fait preuve d’une légèreté coupable, en souscrivant des produits dont ils ne maîtrisaient à l’évidence pas les ressorts. Les banques – le groupe Dexia, mais aussi plusieurs de ses concurrentes françaises ou étrangères – ont développé une offre commerciale inadaptée aux besoins des acteurs locaux, mais lucrative dans une décennie marquée par la contraction des marges bancaires.

Enfin, le contrôle des services de l’État s’est révélé trop limité sur le terrain et les administration centrales se sont montrées trop peu vigilantes.

Beaucoup a déjà été fait pour tirer les leçons de ces errements. La loi de séparation et de régulation des activités bancaires a permis de mieux encadrer – pour l’avenir – les conditions d’emprunt des collectivités locales. L’article 32 de cette loi, dont le décret d’application est en cours d’examen au Conseil d’État, énumère strictement les indices et les structures auxquels les emprunts locaux seront dorénavant adossés.

Afin de mieux contrôler les flux de ces nouveaux emprunts, notre assemblée a adopté l’été dernier plusieurs amendements, qui sont devenus les articles 92 et 94 de la loi de modernisation de l’action publique et d’affirmation des métropoles. Ces articles prévoient la caducité des délégations consenties par les assemblées délibérantes dès l’ouverture de la campagne électorale, l’élargissement du champ des débats d’orientation budgétaires dans les collectivités, et l’obligation de provisionner les risques liés à la souscription de produits financiers. En dépit de ces avancées, il reste encore à traiter le stock des emprunts structurés, ou du moins les plus toxiques d’entre eux. C’est l’honneur de notre majorité de s’y être attelée dans un contexte budgétaire pourtant difficile.

Comme vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, le paragraphe I de l’article 92 de la dernière loi de finances a créé un fonds de soutien doté de 1,5 milliard d’euros sur quinze ans, afin d’accompagner les collectivités territoriales, mais également leurs établissements publics, les syndicats locaux ou les SDIS, dans la renégociation de ces emprunts. Les textes réglementaires nécessaires à la mise en place du dispositif ont commencé à être publiés et le comité d’orientation du fonds devrait être mis en place dès cet été.

J’insiste sur l’indispensable gestion de la sortie des dettes locales. Ce texte ne réglera pas l’ensemble des risques juridiques auxquels sont exposés les contrats. Il conviendra de poursuivre le travail de désensibilisation. Je demande donc au Gouvernement, après l’adoption de ce texte, d’inviter fermement Dexia et la SFIL à travailler à une désensibilisation massive. Le comité d’orientation du fonds de soutien devra être associé à ce travail. La banque Dexia porte une responsabilité : ce texte n’entend pas l’en exonérer.

Comme vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement a annoncé le 23 avril dernier la mise en place d’un dispositif ad hoc d’accompagnement des hôpitaux dont la situation est parfois proche de celle des collectivités locales. Il sera mobilisé à hauteur de 100 millions d’euros.

Cet engagement des ressources de l’État n’est pas sans contrepartie. La crise financière de 2008 n’a pas seulement fait exploser les taux d’intérêt de certains emprunts structurés adossés, par exemple, au taux de change entre l’euro et le franc suisse, elle a également fait vaciller le groupe franco-belge Dexia, confronté à une crise de liquidité, qui a dû faire l’objet d’un plan de sauvetage élaboré dans l’urgence par la précédente majorité. L’État est aujourd’hui doublement engagé : comme actionnaire, et comme garant.

Cette dernière dimension n’a pas été prise en compte par la commission d’enquête. Une réponse a été apportée à l’essentiel des points abordés par les conclusions de cette commission, mais seul le caractère trop limité du contrôle exercé par les services déconcentrés de l’État, et le manque de vigilance des administrations centrales, étaient évoqués comme engageant la responsabilité de l’État. Ce texte n’est donc pas contradictoire avec les conclusions de la commission d’enquête dite « Bartolone-Gorges ».

Entre-temps, les collectivités territoriales ne sont pas restées inactives. Confrontées au coût prohibitif de la désensibilisation de leurs encours toxiques, nombre d’entre elles ont choisi d’engager des actions contentieuses, souvent à des fins tactiques. Les décisions successives des tribunaux de grande instance de Nanterre et de Paris, en février 2013 et en mars 2014, ont retenu certains motifs de forme pour annuler les stipulations d’intérêts des contrats et les remplacer par le taux d’intérêt légal, quasi-nul. La semaine dernière, le TGI de Nanterre a confirmé une nouvelle fois sa jurisprudence à l’occasion d’une assignation déposée par la ville d’Angoulême. Si ces décisions étaient confirmées en appel, elles feraient peser sur les finances de l’État un risque hors de proportion.

Je veux à cet égard dissiper tout malentendu : l’État ne transfère pas son risque aux collectivités. Ce texte de validation se borne à rétablir la situation qui prévalait avant les décisions des TGI de Nanterre et de Paris. Il est donc faux de dire que ce projet de loi vise à transférer l’exposition aux risques de l’État vers les collectivités territoriales. L’État n’était pas partie aux contrats que les collectivités ont signés. Engager aujourd’hui sa responsabilité pour un problème juridique formel – l’absence ou l’erreur de taux effectif global – serait paradoxal. En revanche, les collectivités territoriales pourront toujours arguer de l’absence de conseil éclairé des banques pour les mettre en cause : ce texte ne les en exonérera pas.

Des chiffres précis figurent dans mon rapport. Le nombre de contentieux et leurs enjeux apparaissent bien plus importants pour la SFIL que pour Dexia. Pour la SFIL, 395 emprunts représentant un encours de 3,137 milliards d’euros font l’objet d’assignations. Pour Dexia, 51 emprunts sont en cause, représentant un encours de 379 millions d’euros. L’État est donc exposé à un risque direct, car il est obligé de provisionner à la fois l’impact financier de la substitution du taux légal, et le coût du débouclage des instruments de couverture souscrits par la banque. Il faudrait au moins constituer des provisions correspondant aux emprunts faisant l’objet de procédures contentieuses, c’est-à-dire 3,5 milliards d’euros. S’il fallait provisionner l’intégralité des procédures contentieuses, les provisions cumulées de la SFIL et de Dexia atteindraient 10,6 milliards d’euros, dont 7,5 milliards pour la SFIL et 3,1 milliards pour Dexia. Ces obligations de provisionnement se traduiraient à leur tour par des obligations de recapitalisation par l’État, car les deux entités n’ont pas assez de fonds propres pour les satisfaire.

À ce risque direct pourrait s’ajouter un coût indirect supplémentaire de 7 milliards d’euros, car la Commission européenne ne manquerait pas d’exiger l’extinction de la SFIL en cas de recapitalisation massive. Afin d’éviter ce scénario noir, les paragraphes II et III de l’article 92 de la loi de finances initiale pour 2014 prévoyaient de valider ces contrats de prêt afin de les mettre à l’abri d’une annulation par le juge civil. Vous savez tous que ces dispositions, même si elles ciblaient un ensemble limité de contrats, ont été jugées trop larges par le Conseil constitutionnel. Comme le Gouvernement l’a annoncé dès le mois de janvier, le présent projet de loi, déjà adopté par nos collègues sénateurs, propose de revenir sur les dispositions censurées.

L’article 1er déclare valides les contrats de prêt conclus par des personnes morales de droit public dont la légalité serait contestée pour défaut de certaines mentions prescrites par le code de la consommation, comme le TEG. L’article 2 procède à une seconde validation des contrats de prêt dont la légalité serait contestée au motif que le TEG mentionné – ou d’autres éléments prescrits par le code de la consommation – serait erroné. Il prévoit également, pour l’avenir, de mieux proportionner les conséquences financières pour l’établissement de crédit d’une erreur dans le calcul de ces éléments.

Aux termes de l’article 3, les contrats de prêt les plus simples – à taux fixe ou à taux variable, reposant sur des formules peu sophistiquées – sont expressément écartés de ces deux validations. Enfin, l’article 4, introduit par le rapporteur de ce texte au Sénat, demande au Gouvernement de remettre un rapport sur la législation applicable au TEG.

Les articles procédant aux validations législatives ont été réécrits à la lumière de la décision du Conseil constitutionnel. Le dispositif que nous examinons est ainsi plus ciblé que le dispositif censuré en décembre dernier. Cette nouvelle rédaction tient également compte de la variété des moyens soulevés devant le juge civil, et des décisions de justice rendues les 7 et 25 mars derniers.

Strictement proportionné à l’objectif poursuivi, ce projet de loi satisfait également aux autres critères dégagés par la jurisprudence constitutionnelle. En particulier, il poursuit incontestablement un but d’intérêt général impérieux au regard des conséquences financières colossales – 17 milliards d’euros sont en jeu, soit 0,9 point de PIB – pour l’État et du risque qui pèserait demain sur l’accès au crédit pour toutes les collectivités territoriales.

Déjà voté cet automne dans son principe, désormais mieux ciblé dans son dispositif, ce texte a été adopté sans modification par notre commission des finances, la semaine dernière. Je vous proposerai tout à l’heure un ultime aménagement d’ordre rédactionnel. Il appartiendra au Sénat, en deuxième lecture, d’adopter définitivement ce projet de loi d’ici la fin juillet. Pour l’heure, en ma qualité de rapporteur, je suis à votre disposition pour en débattre.

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