…car vous choisissez, par la voie législative, de priver les acteurs publics du droit d’ester en justice en les privant d’un moyen juridique majeur.
« Encouragées par la jurisprudence ainsi esquissée, les nouvelles assignations ont eu tendance à augmenter au cours des derniers mois », écrit notre rapporteur. Cela signifie que si les tribunaux de grande instance de Paris et de Nanterre n’avaient pas condamné la banque Dexia pour non-respect des dispositions du code de la consommation relatives à la communication des taux, nous ne serions pas là pour en débattre aujourd’hui !
Ce que revendiquent les acteurs publics ayant contracté des emprunts toxiques est pourtant légitime : il s’agit de la possibilité de se retourner judiciairement contre ceux qui se présentaient comme leurs partenaires financiers, et de faire valoir leurs droits.
Ce projet de loi vise explicitement à entraver le droit à un procès équitable pour éviter des décisions qui pourraient être favorables aux collectivités locales.
Vous aviez déjà essayé de remettre en cause ce droit en décembre 2013 au détour d’un article interdisant toute remise en cause utile des taux d’intérêt contractuels. Cette disposition a été invalidée dans des termes très sévères par le Conseil constitutionnel. Pourquoi alors revenir aujourd’hui avec un nouveau texte présenté en urgence en invoquant un risque systémique majeur ?
Pourquoi extrapoler la généralisation de ces décisions de justice alors même que de très nombreux contentieux ne verront pas le jour car les faits sont aujourd’hui prescrits ?
La réalité c’est que le Gouvernement entretient, dans cette affaire, un lien consanguin avec les banques. Il entend faire adopter une loi de validation rétroactive dont les banques seront les principales bénéficiaires.
Dans l’étude d’impact versée aux travaux de notre assemblée, il est indiqué que le Gouvernement s’est engagé auprès des banques à ce que le présent projet de loi soit adopté. Les commissaires aux comptes des banques concernées ont reçu des garanties en ce sens, leur permettant de ne pas provisionner les risques encourus si les décisions des TGI de Nanterre et Paris venaient à se généraliser.
Le but de cette loi de validation est donc de permettre aux banques et à l’État de s’affranchir de leurs responsabilités.
Naturellement, ce n’est pas ce motif que le Gouvernement met en avant pour justifier ce projet de loi ; il invoque un dispositif d’exception : le motif impérieux d’intérêt général. Les services de Bercy ont sorti leurs calculettes, extrapolé les conséquences de ces décisions de justice, estimé le coût potentiel à 17 milliards : 10 milliards pour Dexia et la SFIL et 7 milliards au titre de la recapitalisation de Dexia par l’État. Une somme colossale équivalant, heureux hasard, au montant exact du pacte de responsabilité présenté par le Président de la République.
Le projet de loi, nous dit notre rapporteur, « poursuit incontestablement un but d’intérêt général impérieux au regard des conséquences financières colossales pour l’État ». Je vous le concède, ces chiffres peuvent donner le tournis, à condition toutefois d’être exacts. L’étude d’impact évoque par exemple la somme de 10 milliards supportés par Dexia et la SFIL. Seulement, ce que cette même étude ne précise pas c’est que dans le cas d’emprunts qui courent sur trente ans ou plus – et ils sont nombreux –, le poids supporté par les banques sera lissé sur cette période et donc divisé par autant d’années qu’il leur reste à courir. Autrement dit, à l’instant « t », le coût est très nettement inférieur à celui avancé.
Dans son rapport, le rapporteur de la commission des finances chiffre le risque financier direct pour l’État en l’absence de loi de validation entre 1,5 et 10 milliards d’euros, estimation plutôt approximative puisque le risque est évalué avec une marge d’erreur de plusieurs milliards !
Par ailleurs, dans cette affaire, le Gouvernement est bien laconique sur la situation réelle des banques autres que Dexia et la SFIL. Aucune donnée chiffrée n’est fournie. On pourrait même douter de la réalité du risque lorsque l’on compare cette situation avec le luxe de détails dont on est abreuvé s’agissant de Dexia et la SFIL.
Prétendant « résoudre la crise des emprunts structurés », le Gouvernement offre quand même une contrepartie aux malheureux acteurs publics qui seront ainsi déboutés de leur droit d’ester en justice : le fonds de compensation, censé accompagner les collectivités concernées et leur permettre de faire face aux emprunts à taux excessif qu’elles doivent rembourser, généralement en phase de « désensibilisation », c’est-à-dire quand les taux sortent de leur phase d’attractivité.
Dans les faits, ce fonds de compensation, qui porte mal son nom, ne couvre qu’à peine 10 % des sommes en jeu, et les collectivités ne pourront y prétendre qu’à certaines conditions. Il est d’ailleurs curieux que les banques qui se voient octroyer une véritable amnistie n’y contribuent pas à hauteur de leurs responsabilités.
Du reste, vous minimisez le risque pour les collectivités locales car vous évoquez l’encours de la dette, alors qu’il faudrait prendre en compte la toxicité des prêts, qui ne se déclenche pas immédiatement et peut se dégrader dans le temps.
Le fait nouveau, nous dit-on, serait que les banques ne seraient pas les seules à devoir payer, et que le risque serait déplacé vers l’État via la SFIL. Mais l’État, lorsqu’il a accepté de racheter Dexia, connaissait le risque qui était constitutif du prix de rachat. Pierre Moscovici le savait quand le choix de recapitalisation a été fait et Jean-Marc Ayrault lui-même a évalué les encours toxiques à plus de 100 milliards, ce qui n’avait pas fait ciller les agences de notation et les marchés qui ont considéré que cela ne faisait pas peser sur la France un risque majeur. Pourquoi, aujourd’hui, l’État s’affranchirait-il d’une responsabilité qu’il a choisi lui-même de prendre ?
Le texte que vous nous demandez d’adopter, monsieur le secrétaire d’État, est inique, car il accorde une véritable amnistie aux banques aux frais des collectivités dont la justice venait de reconnaître le préjudice. Il revient à faire endosser l’unique responsabilité des coûts des emprunts toxiques aux collectivités locales : comment pouvez-vous invoquer l’intérêt général quand vous transférez le coût pour l’État vers les acteurs locaux ? Il s’agit, en réalité, d’une mesure confiscatoire visant à prendre le parti de la banque Dexia et des autres banques concernées.
J’ajoute, monsieur le secrétaire d’État, que ce projet de loi est non seulement inique mais amnésique.
D’abord, il méconnaît les conclusions de la commission d’enquête parlementaire, dont je rappelle qu’elles avaient été adoptées à l’unanimité en décembre 2011. Le rapport Bartolone-Gorges formulait deux propositions fortes pour tenter d’alléger le poids des prêts sur les finances publiques locales et lever ainsi l’épée de Damoclès qui les menaçait. Il suggérait de créer un pôle d’assistance et de transactions pour accompagner les collectivités dans la renégociation des prêts toxiques avec les banques – principalement Dexia – en s’appuyant sur la mission Gissler. En cas d’échec, il préconisait une intervention législative pour plafonner les taux d’intérêt appliqués par les banques et les indemnités de sortie des prêts. Dans un premier temps, dans le cadre d’une négociation encadrée par l’État, le rapport proposait de « caper » les crédits toxiques. Avec ce projet de loi, le moins que l’on puisse dire est que l’on en est très loin. Pire, l’État renonce tout simplement à tenir son rôle de conciliateur.
Ce projet de loi est aussi amnésique parce qu’il méconnaît la condamnation passée de la France dans une affaire comparable. En 1996, le gouvernement de l’époque avait déjà invoqué le motif impérieux d’intérêt général pour faire adopter une loi de validation visant à clore les contentieux opposant des particuliers aux banques dans un cas similaire. Le Conseil constitutionnel avait, le 9 avril 1996, validé la loi portant diverses dispositions d’ordre économique et financier, pour éviter le développement d’un contentieux d’une ampleur telle qu’il aurait entraîné des risques pour l’équilibre du système bancaire.
Mais dix ans plus tard, le 11 avril 2006, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France, estimant que la loi portait atteinte au principe du droit à un procès équitable, et notamment à l’égalité des armes entre les parties. Elle a aussi relevé que l’État était partie prenante au litige en qualité d’actionnaire indirect de l’établissement bancaire auquel était opposé le requérant : « à supposer que l’État n’ait pas eu d’intérêt dans la procédure en cours proprement dite, il ne pouvait à tout le moins être qualifié de " neutre " quant à l’issue du litige », peut-on lire dans le jugement.
Le dispositif législatif qui nous est présenté aujourd’hui, fût-il validé par le juge constitutionnel – et rien n’est moins sûr –, court donc le risque d’être remis en cause par la Cour européenne de Strasbourg puisqu’il s’agit d’une situation de droit voisine.
En adoptant ce projet de loi, l’Assemblée nationale fermera définitivement la porte à tout réaménagement de la dette pour les collectivités locales concernées. C’est pourquoi le groupe UMP votera contre ce texte et engagera toutes les démarches nécessaires pour faire reconnaître les droits des collectivités territoriales et des citoyens dans cette affaire.