Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, à partir de la fin des années 1990, les collectivités territoriales, mais aussi les hôpitaux publics et les sociétés d’HLM, ont souscrit des prêts structurés, en se laissant séduire, parfois naïvement, par les taux réduits affichés et par la longueur des délais de remboursement, de vingt à trente ans. Avec la crise de 2008, les taux de ces produits financiers à risque ont atteint des niveaux prohibitifs. Les difficultés croissantes de Dexia ont pu ainsi conduire à des taux d’intérêt de plus de 14 % ! L’explosion des taux pour les collectivités concernées a eu pour conséquence de condamner certaines d’entre elles à expédier les affaires courantes, à renoncer à tout investissement ou financement public, au profit de la rémunération de ces emprunts toxiques.
La fragilisation des banques prêteuses par une exposition trop importante au risque a conduit l’État, de son côté, à octroyer sa garantie au groupe Dexia en 2011 et à créer la Société de financement local, héritière du stock d’emprunts toxiques de la banque Dexia, qui était alors évalué à 8,5 milliards d’euros. Les contentieux entre les collectivités territoriales et les banques concernées se sont depuis développé, fondés sur trois motifs : l’absence de mention du taux effectif global, le TEG, dans les contrats, l’erreur dans l’explication de ce taux et le manquement de la banque à ses obligations d’information et de conseil.
Le tribunal de grande instance de Nanterre, dans une affaire qui opposait Saint-Denis à Dexia sur un contrat de prêt structuré, a prononcé dans les faits, le 8 février 2013, la déchéance des intérêts exigés par l’établissement. Cette jurisprudence a été confirmée par un jugement du 7 mars 2014 du même tribunal de grande instance de Nanterre, dans le cadre d’une affaire opposant une collectivité territoriale à Dexia, lequel a abouti à substituer le taux d’intérêt légal à la stipulation conventionnelle d’intérêt.
Une récente jurisprudence Lille Métropole Communauté Urbaine contre The Royal Bank of Scotland a quant à elle souligné, pour donner raison à la collectivité, le « défaut de conseil », c’est-à-dire le fait que l’établissement de crédit n’aurait pas respecté ses obligations déontologiques.
Parce qu’il estime que ces jugements successifs favorables aux collectivités locales accroissent le risque financier direct pesant sur la Société de financement local et sur Dexia, et donc sur les finances publiques, l’État étant respectivement actionnaire de ces deux établissements à 75 % et 44 %, le Gouvernement avait présenté au Parlement, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014, un ensemble de mesures visant à apporter « une solution pérenne et globale » au problème des emprunts structurés.
Cette solution reposait sur trois mesures : la création d’un fonds de soutien, doté de 100 millions d’euros par an pendant une durée maximale de quinze ans, et deux mesures d’exception consistant à proposer la validation législative des stipulations d’intérêts figurant dans les contrats de prêts afin qu’il soit à l’avenir impossible pour les collectivités de les remettre en cause dans des procédures contentieuses. Ces procédures de sécurisation des stipulations des contrats de prêts concernés ont été censurées par le Conseil constitutionnel en décembre dernier, au motif que la portée de la validation était trop large en termes de personnes et de prêts couverts.
Compte tenu de cette décision, le Gouvernement a décidé de préparer un nouveau projet de loi, celui que nous examinons aujourd’hui. Ce nouveau dispositif repose sur deux mesures de validation législative : l’une concernant l’absence de TEG, de taux de période et de durée de période, à l’article premier, et l’autre portant sur l’erreur de TEG, de taux de période et de durée de période, à l’article 2, réduisant ainsi le périmètre de ces mesures de validation aux seuls contrats de prêts structurés par des personnes morales de droit public.
En limitant cs dispositions aux seuls prêts structurés souscrits par des personnes morales de droit public, le Gouvernement pense à la fois satisfaire aux exigences du Conseil constitutionnel et neutraliser l’essentiel du risque que font peser les jugements récents de condamnation de la Société de financement local et de Dexia sur les finances publiques.
Le Gouvernement prétend par ailleurs promouvoir ainsi une position d’équilibre – voire d’équilibriste ! – entre la préservation des intérêts de l’État et la nécessité de répondre aux difficultés des collectivités locales. Pour justifier d’une mesure qui prive en réalité les collectivités de la possibilité d’ester en justice, ce qui est une décision extrêmement grave, Bercy fait valoir le risque financier maximum pour l’État, direct ou indirect, de la déchéance des intérêts des prêts structurés ou de l’application du taux d’intérêt légal aux prêts structurés, qui résulte des décisions de justice et pourrait représenter pour les finances publiques un coût estimé à 17 milliards d’euros,
Ce chiffrage, disons-le, nous semble largement surévalué. L’encours de ce qu’il faudra utiliser comme provisions pour abandon de créances sera sans doute beaucoup moins important puisque, pour l’essentiel, nul ne remet en question le règlement du capital dû. À supposer, d’autre part, qu’une vaste opération de remboursement anticipé des emprunts eût lieu, son incidence sur les comptes des établissements de crédit ne concernerait que les pertes de taux d’intérêt. Ce chiffrage de 17 milliards d’euros nous surprend quelque peu.
Ce qui n’est pas douteux, en revanche, c’est le montant de la facture pour les collectivités locales. Pour les collectivités concernées, les pertes liées à la structure des emprunts dits toxiques seraient de l’ordre de 10 milliards d’euros. Notons que le fonds de soutien proposé par le Gouvernement, qui disposerait de 100 millions d’euros par an, n’en compenserait qu’une faible part, de l’ordre de 10 % à 15 %.
Certaines collectivités vont être d’autant plus sûrement étranglées que les dotations de l’État vont sensiblement diminuer : de 3,7 milliards d’euros l’année prochaine, puis de 3,7 milliards d’euros supplémentaires par an en 2016 et en 2017, la réduction devant s’élever in fine à 11 milliards d’euros en application du pacte de stabilité et des mesures déjà annoncées par ce gouvernement. Comme les dotations de l’État aux collectivités territoriales sont déjà réduites de 1,5 milliard d’euros cette année par rapport à 2013, elles auront baissé, au total, de 12,5 milliards d’euros, soit 12 %, d’ici 2017.
Dans un tel contexte, l’impossibilité pour les élus locaux de se libérer du poids des emprunts structurés, nous pose question. Comme le recommandait la commission Bartolone, il serait sans doute beaucoup plus opportun de mettre en place, au plus haut niveau, une structure permanente d’évaluation et de médiation entre collectivités et établissements de crédit pour pallier les désordres constatés.
À notre avis, il serait nécessaire, voire incontournable, d’amener les établissements de crédit à se résoudre à provisionner des abandons de créances pour les conflits nés des emprunts structurés dans la souscription desquels ces établissements ont une lourde part de responsabilité. Nous aurions pu attendre du Gouvernement qu’il exigeât du secteur financier qu’il assume les effets de ses errements, au lieu de quoi vous nous proposez une forme d’amnistie bancaire.
Une solution d’équilibre consisterait à renforcer, d’une part, le fonds de soutien, qui constitue un bon compromis pour les plus petites collectivités territoriales, dans l’incapacité de conduire de lourdes procédures contentieuses. Elle consisterait, d’autre part, à privilégier l’intérêt général, qui réside moins à nos yeux dans la protection des seuls intérêts de l’État et dans l’amnistie des établissements en cause, que dans la protection des collectivités locales et dans l’assainissement de leur situation financière. À l’arrivée, la validation législative que vous nous proposez prive les collectivités territoriales du bénéfice d’une jurisprudence favorable, qui pouvait servir de point d’appui pour renégocier leurs prêts auprès des banques – d’où la logique inique d’un texte qui prend l’exact contre-pied des recommandations pourtant votées à l’unanimité de la commission Bartolone. Privilégier l’escroc plutôt que la victime nous semble constituer aujourd’hui un très mauvais signal politique !