Intervention de Éric Alauzet

Séance en hémicycle du 21 juillet 2014 à 15h00
Règlement du budget et approbation des comptes de l'année 2013 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Alauzet :

Année après année – et 2013 n’échappe à la règle –, l’exécution du budget se révèle décevante, en dépit des ajustements budgétaires difficiles effectués en cours d’exercice. Un tel constat prend malheureusement l’allure d’une chronique annoncée. Certes, il n’y a pas eu de collectif budgétaire en 2013, mais c’est l’objectif de réduction des déficits qui en a pâti.

L’optimisme excessif manifesté constamment lors de la préparation des budgets successifs témoigne en réalité d’un exercice convenu consistant, pour les responsables politiques, à mettre en scène leur volontarisme. Mais il faut bien reconnaître que tout cela ressort plus de la méthode Coué que d’une réelle capacité à agir sur le cours des choses.

Et pour cause : tant qu’un modèle économique fondé sur la seule référence au PIB et à une croissance au contenu discutable restera la référence absolue, nous continuerons à piétiner, écartelés entre l’optimisme des prévisions budgétaires et la désillusion des lois de règlement.

Pourtant, des efforts ont été consentis en 2013. Il faut saluer les résultats obtenus par le Gouvernement, qui a non seulement respecté ses engagements en matière de réduction des dépenses publiques, mais les a même dépassés.

Mais il y a un revers à cette médaille. En effet, ce résultat tient en grande partie à la diminution des intérêts d’emprunt sur la dette, un mouvement qui pourrait se retourner. De plus, le niveau des taux d’intérêt est désormais si bas qu’on ne peut pas espérer qu’il se poursuive. Autrement dit, on ne peut pas compter, ni en 2014, ni pour les exercices suivants, sur une réduction comparable de la charge de la dette.

En outre, le recul de l’action publique – je n’évoquerai que la baisse de dotations aux collectivités locales – a des conséquences négatives sur l’investissement, l’activité des entreprises, le développement et l’emploi local.

Il faut également prendre en compte le fait que les gels et surgels nécessaires pour atteindre les objectifs fixés en loi de finances, qui représentent 8,5 milliards d’euros d’économies supplémentaires, vont compliquer les futures économies car ils réduisent les marges de manoeuvre d’autant pour les exercices futurs, qui s’annonçaient déjà très compliqués ! Dans cette matière comme dans beaucoup d’autres, les derniers milliards sont les plus douloureux. Bref, on ne peut pas se réjouir totalement d’avoir dû mobiliser des économies supplémentaires pour compenser de moindres recettes fiscales et sans atteindre les objectifs de réduction des déficits.

Bien entendu, le déséquilibre budgétaire résulte principalement du défaut de recettes fiscales. C’est l’élément le plus marquant du budget 2013 : deux fois moins de recettes que prévu, soit un manque de 14,7 milliards d’euros réparti de manière à peu près équivalente entre IS, IR et TVA. Cet écart par rapport aux prévisions est inquiétant dans la mesure où il ne correspond que pour un quart à la non-réalisation des hypothèses de croissance. C’est la fameuse élasticité qui a fait le reste ; je ne doute pas que nous en tirerons les enseignements pour les prévisions 2015.

Le problème fiscal reste d’autant plus important que nous ne parvenons pas à réduire la dépense fiscale comme le rappelle justement la Cour des comptes. D’ailleurs, l’objectif de stabilisation en valeur à 70,8 milliards d’euros, prévu pour le budget 2013, n’a pas été dépassé, puisque nous avons atteint le montant de 72 milliards d’euros.

On peut bien entendu se féliciter, parallèlement, d’une collecte fiscale supplémentaire de 15 milliards d’euros, encore que cela se soit fait, en bonne partie, sur les revenus des classes moyennes, voire des classes moyennes basses. C’est une anomalie pour une politique de gauche, et cette situation nous conduit, aujourd’hui, avec le pacte de solidarité, à diminuer les impôts et les cotisations sociales sur les bas salaires. En résultera une moindre recette fiscale pour les exercices suivants et une amputation des 15 milliards d’euros de gains supplémentaires enregistrés en 2013.

Revenons sur les 15 milliards qui manquent. Cette somme très importante explique à la fois le recours à des annulations supplémentaires de crédits et le moindre recul du déficit, à 4,3 % du PIB au lieu des 3,8 % prévus initialement. Cela représente un déficit supplémentaire de 12 milliards d’euros, si bien que nous n’avons accompli que la moitié de la réduction de déficit qui était notre objectif pour l’année 2013.

Certes, le solde du déficit structurel s’est amélioré de manière significative, mais je ne voudrais pas que l’on se rassure à bon compte en minorant l’importance du déficit conjoncturel. D’une part, quelle que soit sa nature, le déficit contribue à l’augmentation de la dette, exactement de la même manière. D’autre part, si la conjoncture tardait à s’améliorer on pourrait rester avec un déficit important ; du coup, qu’il soit conjoncturel ou structurel aurait peu d’importance. Enfin, il n’est pas dit que la conjoncture puisse réellement s’améliorer sur la base des indicateurs classiques tels le PIB ou l’indice de croissance. Et, si elle ne s’améliore pas, le conjoncturel deviendra structurel ; d’ailleurs, si vous voulez le fond de ma pensée, on y est déjà.

Cette question est importante car elle gêne pour avancer. D’abord, elle conduit à systématiquement sous-estimer les déficits en surestimant la croissance Ensuite, en sous-entendant que tout cela n’est que passager, cela n’encourage pas à s’interroger sur le modèle économique et sur les indicateurs habituels. J’ai le souvenir d’un débat au conseil général du Doubs à l’automne 2008, sur les orientations budgétaires. Alors que j’indiquais que nous entrions dans une crise profonde, grave et durable qui n’était en réalité qu’une accélération ou la révélation d’une crise larvée beaucoup plus ancienne, nombreux étaient ceux qui estimaient que la relance allait bien entendu balayer tout cela ; je me souviens de la réponse du préfet de l’époque, qui m’avait renvoyé à mon supposé pessimisme. Qui croit aujourd’hui que la seule patience et la succession des cycles permettront de voir le bout du tunnel ?

C’est la même logique qui conduit à considérer que la dette liée aux investissements pourrait être soustraite, au motif qu’elle va générer des richesses et des recettes qui viendront naturellement améliorer les comptes publics. Rien n’est moins sûr ! En tout cas, ce sujet mérite un approfondissement.

Prenons le dernier épisode de relance par les investissements en 2009. Cet effort colossal a creusé les déficits et augmenté la dette comme jamais auparavant. On peut naturellement estimer que les délais sont trop courts pour en mesurer les effets bénéfiques, mais qui peut croire, aujourd’hui, que ces investissements vont générer des recettes importantes ? D’ailleurs, depuis trente-cinq ans, tous les épisodes de relance par la demande – investissements y compris – se sont soldés par un déséquilibre entre dépenses et recettes et ont conduit, avec un léger décalage, quelques années plus tard, à une augmentation à la fois des impôts et de la dette. En fait, les investissements publics ne procèdent pas de la même logique que les investissements privés, lesquels ne sont engagés qu’avec un temps de retour connu et calculé. Il n’en est rien pour les investissements publics qui, au contraire, entraînent systématiquement des dépenses importantes, pendant des décennies, au-delà de l’investissement initial, du berceau à la tombe, dépenses d’entretien et de fonctionnement.

L’approfondissement doit consister à anticiper le bilan comptable de tels investissements pour les classer ou non dans la catégorie de ceux qui pourront bénéficier d’un régime particulier au regard de la dette. De ce point de vue, il est un investissement dont on peut calculer et assurer le temps de retour ; c’est l’investissement dans les économies d’énergie et la substitution des énergies renouvelables aux énergies fossiles. Confrontée à la question de la maîtrise de la dette, la ville de Besançon a ainsi décidé de se donner une possibilité supplémentaire d’emprunt de 1 million d’euros par an, dont les annuités seraient couvertes pas les économies faites sur la facture énergétique, et ça a marché ! On a pu ainsi recourir à l’emprunt sans déséquilibrer les comptes et en maintenant le niveau d’épargne brute. Voilà un investissement que l’on peut classer avec certitude dans la rubrique structurelle.

Ce grand chantier des économies d’énergie va structurer la loi sur la transition énergétique à venir. Il n’est pas un chantier parmi d’autres ; il doit se situer au coeur des investissements d’avenir. Sa dimension européenne ne fait aucun doute. Il s’agit d’un grand chantier français et européen, qui consiste en réalité en une multitude de petits chantiers, dont les avantages sont évidents : amélioration d’une balance commerciale plombée par la facture énergétique ; développement des entreprises et des emplois locaux, dans les territoires, avec les collectivités locales, en mobilisant le réseau des très petites entreprises, des PME et, éventuellement, des entreprises de taille intermédiaire. Quand le bâtiment va, tout va ! Le troisième intérêt de ce chantier est la mobilisation de l’ensemble des agents économiques : État, collectivités locales, organismes de Sécurité sociale, entreprises, ménages. Enfin, je le répète, il contribuera dans une mesure importante à l’équilibre des comptes publics, sujet qui nous réunit aujourd’hui.

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