Intervention de Françoise Descamps-Crosnier

Séance en hémicycle du 22 juillet 2014 à 15h00
Simplification de la vie des entreprises — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançoise Descamps-Crosnier, présidente de la commission spéciale :

… à la loi du 12 novembre 2013 habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens, à la loi du 2 janvier 2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et à sécuriser la vie des entreprises et, cela va de soi, au projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises qui nous est aujourd’hui soumis.

Au-delà de ces textes, il y a un changement de méthode : la création, au début de l’année, du Conseil de la simplification pour les entreprises est une initiative dont il faut se réjouir, tout comme la création par la loi du 17 octobre 2013 du Conseil national d’évaluation des normes, installé le 3 juillet dernier, qui est notamment chargé de contrôler le flux de normes nouvelles et de proposer des simplifications au sein du stock de normes actuellement applicables aux collectivités locales.

C’est là qu’est tout l’enjeu : inscrire la démarche de simplification de manière transversale et pérenne dans le temps long, au-delà des majorités. C’est un véritable changement de culture qu’il nous faut effectuer.

Il s’agit d’abord de penser la simplification : doit-elle se borner à une démarche pratique et technique d’allégement des procédures, de clarification et d’amélioration de la qualité rédactionnelle de la norme – en clair, à une démarche à droit constant ? Ou bien doit-elle aller au-delà, c’est-à-dire modifier le droit de manière à simplifier non seulement les pratiques ? mais bien la substance même de nos règles ? Cette réflexion est apparue en filigrane des débats de la commission spéciale. Est-il possible de mener ces deux actions de front dans une démarche de simplification ?

Avec le Conseil de la simplification, monsieur le ministre, vous avez opté pour une méthode pragmatique et modeste. Comme vous l’affirmez, vous préférez « isoler les difficultés pour les réduire comme par des frappes chirurgicales ». Guillaume Poitrinal, qui copréside le Conseil de la simplification avec notre collègue Laurent Grandguillaume, explique ceci : « notre simplification évite les postures et les idéologies, elle s’attaque au détail, pas au principe », et il s’agit d’un « travail qui se fait à équilibre social et juridique constant ». Il y a donc là la volonté de ne pas refonder le droit existant, ni même d’y toucher sur le fond. Cela n’interdit ni l’adaptation, ni l’ajustement, ni la transposition, ni les évolutions qui permettent l’harmonisation, mais dans le cadre d’une démarche de simplification, toute possibilité de refaire le droit ou d’en modifier profondément le sens est condamnée.

Il conviendrait aussi de modifier nos méthodes de travail : le Parlement n’est pas suffisamment armé. Jusqu’à présent, nous nous concentrons sur l’action législative, la production de la loi. Si le Parlement a progressé ces dernières années à l’aval de la production législative, c’est-à-dire dans ses fonctions de contrôle et d’évaluation, il n’a cependant presque pas avancé en ce qui concerne l’amont de la loi. Certes, la réforme constitutionnelle de 2008 nous a permis de bénéficier d’études d’impact ; un premier pas a ainsi été franchi pour permettre au Parlement de travailler plus efficacement en amont de l’examen législatif des dispositions qui nous sont proposées. Toutefois, chacun reconnaît que le dispositif reste largement perfectible. Nous avons besoin d’outils et de capacités renforcées pour jauger l’intérêt d’un projet ou d’une proposition de loi, de leur pertinence et de la valeur ajoutée de telle ou telle disposition qu’ils contiennent. En clair, nous avons besoin de la capacité de contre-expertise dont nous sommes largement dépourvus – en dehors de l’expertise juridique précieuse que nous apportent naturellement les services de l’Assemblée nationale, que je salue et dont je tiens ici à souligner le travail précis et rigoureux.

À cet égard, il est assez symptomatique que les propositions de loi ne donnent pas encore lieu à une étude d’impact. Non seulement nous ne sommes pas en mesure d’examiner les données et analyses contenues dans les études d’impact des projets de loi, mais nous ne pouvons disposer d’analyses fiables dans le cours de l’examen parlementaire lorsque des amendements, qu’ils soient d’origine parlementaire ou gouvernementale, viennent modifier – parfois de manière substantielle – un texte en examen. Le Parlement s’en trouve affaibli, car il laisse à l’exécutif ce qu’en sociologie des organisations on nomme le « monopole de l’expertise ».

Pour contrebalancer ce déséquilibre institutionnel, le Parlement s’appuie sur des sources d’expertise qu’il trouve en dehors du champ institutionnel, de la société civile aux experts en passant par les lobbies. Si ce processus est transparent dans le cadre des auditions, par exemple, à l’instar de celles que nous avons conduites avec Mme la rapporteure, dont je salue le travail de qualité, il peut parfois prendre des chemins moins publics, ce qui ne va pas sans poser un problème démocratique.

Pour remédier à cette carence parlementaire qui a souvent pour effet de laisser le débat entre les mains de ceux d’entre nous qui ont développé une expertise dans tel ou tel domaine, il conviendrait que le Parlement puisse se doter d’une expertise autonome vis-à-vis du pouvoir exécutif. Ce n’est que par ce biais que notre institution pourra bâtir sa capacité à agir en amont du processus législatif : c’est la culture législative de prévention. Nous pourrions ainsi conduire une réflexion globale plus dense au sujet des textes dont nous débattons, ce qui ne manquera pas de renforcer la qualité de la loi.

Lors de son audition, M. le ministre nous a invités à participer à l’élaboration et au suivi des futures ordonnances qui découleront du présent texte, ce à quoi la commission spéciale est tout à fait ouverte. Pour mieux participer à ce travail collaboratif et enrichir de notre réflexion les mesures d’ordre législatif à venir, une capacité d’expertise autonome serait la bienvenue.

Pour ce faire, il faut développer les approches pluridisciplinaires. Nous avons tous perçu la plus-value produite par nos échanges en commission spéciale : chacun y est arrivé avec ses savoirs et son champ d’expertise particulier, acquis notamment lors des travaux accomplis en commission permanente. Par cette confrontation, le débat a gagné en densité et en exigence. Je remercie tout particulièrement le président Le Roux d’avoir demandé, à l’occasion du dépôt de ce projet de loi, la création d’une commission spéciale. La multiplicité des champs thématiques couverts par ce texte le justifiait. En outre, la méthode de travail adoptée par cette commission a permis à chacun de ses membres de confronter ses expériences pour enrichir le débat, puis le texte. C’est une formule de travail riche qu’il conviendrait, monsieur le ministre, de développer dans la perspective des prochains textes de simplification.

Sur tous ces sujets, nous sommes nombreux à attendre les conclusions de la mission d’information sur la simplification législative, créée à la fin de l’année dernière sous l’impulsion du président de l’Assemblée nationale, dont chacun connaît l’attachement à ce sujet. Je suis convaincue que les propositions de cette mission seront particulièrement suivies par les membres de la commission spéciale, d’autant plus que certains députés siègent dans les deux instances, à commencer par Mme de La Raudière qui préside la mission d’information et dont je salue la qualité du travail au sein de la commission spéciale, ainsi que celle du travail accompli par son rapporteur, M. Juanico.

Nous sommes de plus en plus nombreux à plaider pour un véritable changement d’état d’esprit et de culture dans notre travail législatif. De là à parler de l’esprit des lois…

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