Intervention de Sandrine Mazetier

Séance en hémicycle du 23 juillet 2014 à 15h00
Égalité entre les femmes et les hommes — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSandrine Mazetier :

Madame la ministre, nous allons adopter dans quelques instants un projet de loi que vous avez déposé le 3 juillet 2013 sur le bureau du Sénat et qui a connu en un an deux lectures. Symbole de l’enrichissement que les parlementaires peuvent apporter à un texte, ce projet de loi s’intitule désormais, sur proposition de notre rapporteur, et après un beau débat en CMP, projet de loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Mais tout le monde l’appellera la loi Najat Vallaud-Belkacem.

Car c’est bien à la réalité et à l’effectivité des droits, au-delà de la proclamation des principes, que s’intéresse ce texte et que vous consacrez toute votre énergie, madame la ministre. Il faut identifier et surmonter les freins, les obstacles, les résistances explicites ou implicites à l’égalité réelle, résistances d’autant plus vives, parfois, qu’elles sont inconscientes.

Le fait que notre rapporteur soit un homme est en soi un symbole et un succès. Désormais, l’égalité femmes-hommes n’est pas seulement l’affaire des femmes, mais bien un progrès pour l’ensemble de la société.

Depuis votre nomination, madame la ministre, vous avez multiplié les actions structurelles associant approche intégrée et mesures spécifiques. Vous avez défini une méthode globale d’intervention, que ce texte promeut pour toute action publique. Si elle est sobre et pacifique, c’est néanmoins une réelle révolution des pratiques politiques et administratives que vous menez.

En totale cohérence avec la méthode transversale prônée, ce projet de loi-cadre aborde pour la première fois l’égalité dans toutes ses dimensions et fournit des leviers pour chacune d’entre elles, à commencer par l’égalité professionnelle. Permettez-moi un focus sur la création d’entreprises.

Alors que, selon tous les sondages, l’envie d’entreprendre est aussi répandue chez les femmes que chez les hommes, la part des femmes entrepreneures stagne depuis plusieurs années en dessous de 30 %. Les porteuses de projets ont plus souvent que les hommes des difficultés pour accéder au crédit bancaire. C’est pourquoi je me réjouis que la commission mixte paritaire ait approuvé les dispositions que j’avais proposées avec les députés socialistes à propos du rôle et des objectifs prioritaires de la Banque publique d’investissement. Le développement de l’entrepreneuriat féminin en fait désormais partie, précisément parce que l’activité des femmes est facteur de croissance, de compétitivité et d’emploi.

La Banque publique d’investissement est désormais tenue d’orienter son action vers l’entrepreneuriat féminin. Elle devra assurer l’accès des femmes au crédit et, au besoin, instaurer des dispositifs spécifiques pour aider les femmes à créer et développer leurs entreprises. C’est un souhait de notre ex-collègue Axelle Lemaire que je salue et qui est désormais votre collègue, madame la ministre.

Par ailleurs, en retenant la proposition du rapporteur de l’Assemblée de donner la possibilité aux hommes salariés d’assister à trois examens prénataux avec leurs compagnes, sans perte de salaire, le texte issu de la CMP contribue à accorder une vraie place aux pères, avant même la naissance. Cette implication précoce renforce, comme les études nous le montrent, les liens entre père et enfant. Elle est de nature à modifier la répartition traditionnelle des tâches éducatives au sein du couple. Un nouveau droit pour les pères, une répartition plus équilibrée des tâches quotidiennes : voilà une disposition dont chacun sort gagnant. Par un triste paradoxe, nos débats d’aujourd’hui empêchent précisément notre rapporteur de profiter de ce beau droit qu’il a lui-même promu et défendu. Nous lui exprimons notre gratitude et à la future maman notre solidarité et nos meilleurs voeux et nous adressons des bisous au futur grand frère.

Deuxième axe fort de ce texte : pour lutter contre la précarité des femmes, un nouveau service public a été créé, la garantie contre les impayés de pension alimentaire. On sait que 40 % des pensions alimentaires ne sont aujourd’hui payées que partiellement, ou pas du tout, alors qu’elles représentent près d’un cinquième des revenus des familles monoparentales les plus pauvres. C’est inacceptable. Nous serons donc très attentifs aux résultats de l’expérimentation qui sera réalisée sans délai et à sa généralisation sur le territoire. C’est aussi pourquoi les députés ont souhaité rappeler dans ce texte la possibilité de recourir au virement bancaire pour acquitter de façon régulière la pension alimentaire, ce qui permet de ne pas exposer les femmes à d’insupportables négociations, et parfois même à des violences et des humiliations. La CMP a utilement conservé et précisé cette disposition.

Le troisième volet de ce texte est d’ailleurs destiné à protéger les femmes contre toutes les violences. Cette loi renforce le dispositif d’ordonnance de protection, qui sera désormais délivrée plus vite, pour une durée plus longue, assurant ainsi une meilleure protection des victimes.

La commission mixte paritaire s’est accordée pour permettre aux personnes protégées par une ordonnance de se domicilier, pour tous les actes de la vie courante, auprès d’une association. Cette mesure renforce la sécurité de ces trop nombreuses femmes victimes de violences – une femme sur dix en France –, qui risquent parfois leur vie au moment de la séparation.

Quant à la mise en oeuvre de l’objectif constitutionnel de parité, je salue l’aggravation des sanctions financières pour les formations politiques ne respectant pas la parité, comme je salue l’accord intervenu en CMP sur le seuil de 20 000 habitants à partir duquel communes et EPCI devront désormais présenter chaque année un rapport sur la situation de l’égalité femmes-hommes au sein de ladite collectivité.

Concernant la représentation des femmes dans les instances décisionnelles des entreprises, je suis particulièrement satisfaite de la décision des membres de la CMP de respecter le calendrier de mise en oeuvre prévu initialement par le législateur pour les entreprises de plus de 500 salariés, et plus satisfaite encore de l’extension de ce dispositif aux entreprises de taille intermédiaire, comptant de 250 à 500 salariés, que nous avions proposée. Tous les lieux de pouvoir doivent être investis par les femmes, y compris la haute fonction publique. Et malgré le regret qui est le nôtre de ne pas avoir pu inscrire dans le texte un dispositif plus exigeant et de ne pas avoir pu éprouver et prouver la valeur de l’article 1er de notre Constitution, qui, je le rappelle, proclame que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes […] aux responsabilités professionnelles et sociales », nous avons néanmoins accéléré le calendrier du dispositif prévu pour les emplois d’encadrement supérieur, et nous l’avons étendu aux directeurs des agences régionales de santé.

Je connais par ailleurs votre engagement, madame la ministre, et celui de votre administration, à développer les viviers de cadres intermédiaires et à promouvoir les femmes aux postes clés de la fonction publique. Je compte plus que jamais sur votre détermination pour briser le plafond de verre qui limite encore à 6 % la part des femmes parmi les trésoriers payeurs généraux ou à 10 % leur représentation au sein du corps préfectoral.

Pour conclure, je veux saluer ici votre travail, madame la ministre, votre investissement sur tous les fronts en faveur de l’égalité et les nombreux résultats d’ores et déjà obtenus. Je souhaite que cette loi-cadre donne toute légitimité, sur la durée, à la méthode transversale et intégrée que vous déployez avec succès.

Je tiens à remercier tous les députés membres de la CMP, quel que soit le groupe auquel ils appartiennent. Nous avons développé au Sénat, lundi soir, une approche et une vision communes transcendant les clivages. C’est suffisamment rare pour en apprécier la valeur. Mais la cause de l’égalité nous élève. Je veux remercier les sénateurs qui ont fait preuve d’une grande écoute à notre égard.

Je veux naturellement rendre hommage à notre rapporteur, Sébastien Denaja, pour l’excellent travail fourni tout au long de l’examen du texte, mais aussi pour sa bonne humeur et son humour, pour l’écoute dont il a fait preuve à l’égard de ses collègues. Je l’en remercie sincèrement, comme je veux remercier à travers lui les administratrices et administrateurs qui nous ont accompagnés dans ce travail patient et précis. Je remercie également le président de la commission des lois qui aura été jusqu’au bout à nos côtés dans cette belle mission.

« Il n’y aura de bonheur pour l’humanité que dans l’égalité des droits pour tous, et l’équitable répartition des fonctions entre tous, hommes et femmes indifféremment ». Ainsi s’exprimait Hubertine Auclert, décédée il y aura un siècle le 4 août prochain. En ce 23 juillet 2014, pour le dernier texte voté dans cette session extraordinaire, je veux croire, mes chers collègues, que, modestement mais avec détermination, nous jetons les bases d’un peu plus de bonheur pour l’humanité.

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