Je vous remercie, monsieur le ministre, de vos explications. Nous sommes évidemment ici au coeur du sujet. Je dois dire que je m’en veux de ne pas avoir investi suffisamment de temps en amont, en commission ou ailleurs, pour proposer à temps une approche alternative – parce que je crains que ce ne soit un peu tard. Voyez que je suis très franc.
Ce texte nous place devant un vrai paradoxe. En effet, les premiers alinéas de l’article supposent que les services de renseignement, avant que de lancer leurs rets, soient convaincus de la dangerosité de la personne concernée : ils l’ont identifiée et ont toutes les raisons de croire qu’elle va partir commettre un acte terroriste d’une grande gravité, tels que crime contre l’humanité, crime de guerre, dans des zones où se trouvent des groupements terroristes. Par conséquent, au moment où votre ministère va prendre la mesure d’interdiction de sortie, il n’y a pas de doute sur la dangerosité. Or voici qu’alors qu’on lui retire son passeport, ce qui s’ensuit est d’une totale et insoutenable légèreté : on va l’inscrire sur le fichier FPR mais, inscrite ou non, elle va partir ; l’on s’en remet à un système d’information Schengen qui n’existe pas encore et à un fichier à destination des transporteurs qui n’existe pas plus puisque la commission compétente du Parlement européen ne l’a pas encore validé. D’un côté, on a une personne très dangereuse, de l’autre, pas de dispositif. La seule chose que vous proposez, c’est de l’inscrire sur un fichier en espérant que quelqu’un d’autre va l’arrêter. Vous repoussez le problème à plus tard ou vers un autre service de police.
D’après ce que je sais des gens qui sont en ce moment en Syrie ou en Irak et des vidéos qu’ils postent eux-mêmes sur Facebook et que j’ai vues, à qui a-t-on affaire ? Il peut s’agir de personnes totalement fanatisées et donc très dangereuses, qui partent dans le but de faire le djihad et, si vous les inscrivez dans un fichier en les laissant en liberté, vous pouvez être sûr qu’elles partiront tout de même. Il y a aussi une seconde catégorie de personnes, et ce sont elles qu’on arrête le plus : des petites gamines de quinze ans qui sont là par hasard, totalement paumées, que vous allez également laisser en liberté, mais qu’il y a une chance de récupérer si vous signalez leur inscription aux parents.
Je suis vraiment très préoccupé par ce qui manque au dispositif : il n’est prévu ni processus de réinsertion pour un gamin un peu perdu de quinze ou seize ans, ni traitement très sérieux pour quelqu’un d’absolument déterminé à faire le djihad, y compris en donnant sa vie – ce qu’on voit sur les vidéos. Ces gars-là sont tout à fait dangereux.
Monsieur le ministre, encore une fois mea culpa parce que je pense que le texte tel qu’il est rédigé crée un filet, mais à supposer même que celui-ci fonctionne – je trouve que ses mailles sont très larges –, vous allez prendre le poisson avec, puis le remettre à l’eau. Ce n’est pas un travail sérieux en matière de lutte antiterroriste.
Je voudrais dire à Malek Boutih, pour lequel j’ai beaucoup d’estime, que j’ai moi aussi en tête, parce que je connais bien le Patriot Act et que j’ai vu les États-Unis évoluer depuis le 11 septembre 2001, la nécessité d’un équilibre permanent entre la défense de notre pays, un droit et un devoir pour nous, et le maintien de nos principes de droit. Bien sûr, monsieur le ministre, qu’il ne faut pas tomber dans l’excès inverse, mais je souligne, avec toute l’estime que je porte au travail accompli dans ce texte que je soutiens, que vous avez tissé des mailles très larges et, surtout, que vous n’avez prévu de réceptacle ni pour les gamins victimes de cette propagande sur internet, ni pour les gens absolument déterminés à tuer et que vous allez laisser en liberté. Ce n’est pas très sérieux, pardonnez-moi de vous le dire ainsi.