La séance est ouverte.
La séance est ouverte à vingt et une heures trente.
L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme (nos 2110, 2173).
Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de trois heures trente-trois minutes pour le groupe SRC dont trente amendements sont en discussion, trois heures cinquante-huit minutes pour le groupe UMP dont soixante-quatre amendements sont en discussion, une heure vingt-huit minutes pour le groupe UDI dont deux amendements sont en discussion, cinquante-cinq minutes pour le groupe écologiste, dont trente et un amendements sont en discussion, trente-neuf minutes pour le groupe RRDP dont cinq amendements sont en discussion, trente-six minutes pour le groupe GDR dont aucun amendement n’est en discussion et quatorze minutes pour les députés non-inscrits.
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.
La parole est à Mme Isabelle Attard, première oratrice inscrite à l’article 1er.
Je comprends parfaitement vos préoccupations, monsieur le ministre, j’irai même jusqu’à dire que je les partage. Le terrorisme est une vraie menace pour la France et ses habitants, qu’ils soient sur le territoire ou en voyage à l’étranger. C’est pourquoi ce projet de loi est potentiellement utile. Néanmoins, la lecture du texte fait apparaître qu’il n’est pas à la hauteur des enjeux : il vise large, trop large même, et touche trop souvent des cibles sans rapport avec son ambition initiale. Ainsi, vous voulez, par cet article 1er, retenir des Français qui souhaiteraient quitter le territoire pour combattre avec des groupes djihadistes. M. le rapporteur Sébastien Pietrasanta écrit dans son rapport que « La désinhibition à la violence extrême et les traumatismes induits […] contribuent à l’aggravation de la menace émanant de l’ensemble de ces personnes à leur retour en Europe ».
Je ne discuterai pas de l’efficacité du dispositif d’interdiction de sortie du territoire dans le cas de vrais volontaires au djihad mais sa mise en place repose, si l’on s’en réfère au cinquième alinéa, sur des « raisons sérieuses » de croire à un projet de départ.
Nous parlons donc d’une privation de liberté de déplacement sur la base de soupçons. Je ne mets pas en doute le sérieux des officiers de police qui estimeront une telle mesure nécessaire, mais un principe fondamental prévaut en France, celui de la séparation des pouvoirs. Un policier peut légitimement estimer qu’un citoyen qui a commis un crime doit être mis à l’écart de la société. Il devra cependant passer devant un juge pour qu’une mesure aussi grave soit mise en oeuvre. C’est ce que nous demandons dans notre amendement no 32 : que le juge des libertés et de la détention soit saisi au bout de quinze jours.
Je ne comprends pas que vous puissiez envisager de priver un citoyen français du droit de quitter le territoire sans faire valider cette décision par un juge. D’une part, cela fragilise ce texte au plan constitutionnel et au regard de nos engagements européens. D’autre part, rien ne justifie une telle entorse au principe de séparation des pouvoirs. J’espère que les députés ici présents entendront ce message et que nous pourrons travailler ensemble à corriger les défauts de ce projet de loi.
Lorsque de jeunes gens, qui ont souvent le sentiment d’avoir été abandonnés par la République, ont l’intention de quitter notre pays dans le but d’opprimer d’autres personnes en participant à des activités terroristes ou à des crimes de guerre, il est de notre devoir de les empêcher de commettre cette terrible erreur. Pour cela, il faut, dans un premier temps, les mettre hors d’état de faire du mal, tant à autrui qu’à eux-mêmes. Ce projet prévoit par conséquent qu’un ressortissant français puisse être interdit de sortie du territoire lorsqu’il existe des raisons sérieuses de croire qu’il projette des déplacements à l’étranger ayant pour objet la participation à des activités terroristes, des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité.
Rappelons par ailleurs que cette mesure de police administrative existe déjà, depuis la circulaire interministérielle du 5 mai 2014, et empêche les mineurs de quitter le territoire sans être accompagnés d’un titulaire de l’autorité parentale. Surtout, plutôt que de sévir trop vite, nous devons redoubler d’efforts, de pédagogie et d’accompagnement vis-à-vis des jeunes qui sont avant tout des victimes, victimes d’exclusion, de racisme, de panne de l’ascenseur social.
Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement de sécurité de la Direction générale de la sécurité extérieure, déclarait que ce phénomène touche essentiellement des jeunes en perte de repères sociaux, souvent privés d’autorité ou de modèle parental, qui ont une vision assez dévalorisée d’eux-mêmes et recherchent par leur engagement à se faire valoir à leurs yeux et aux yeux des autres.
Pour éviter que ces jeunes ne tombent dans le piège du fanatisme religieux, nous devons donner davantage de moyens aux services de proximité dans les quartiers confrontés à des difficultés sociales et économiques.
Exclamations sur quelques bancs du groupe UMP.
Les professeurs des écoles, de collèges et de lycées, les travailleurs sociaux, les conseillers à Pôle emploi sont les maillons essentiels de notre lutte contre la radicalisation du infime partie de notre population. Même si l’intransigeance est de mise avec le terrorisme, je reste persuadé qu’il faut d’abord tout mettre en oeuvre pour raisonner les citoyens qui, sans aucun repère, vont s’éteindre par fanatisme en Syrie, en Irak ou ailleurs.
Monsieur le ministre, nous abordons l’examen de votre texte dont je regrette plusieurs grandes faiblesses théoriques. Nous avons employé les uns et les autres le terme de « guerre » mais la guerre moderne nécessite la mobilisation complète de toutes les forces de la nation. Certains autrefois ont parlé, même, de communisme de guerre, mobilisant toutes les forces productives d’un pays contre un objectif.
Or, je ne sais pas quel est l’objectif exact. Je ne suis pas persuadé que le bombardement de gens qui commettent des actes de violence extrême résoudra le problème de fond.
Par ailleurs, lorsque j’entends des analyses fondées uniquement sur des éléments censés être macroéconomiques – lesquels restent encore à discuter, car nous savons que certaines zones rurales concentrent plus de misère que les zones urbaines ainsi décrites –, je pense que nous passons une fois de plus à côté des ressorts psychologiques profonds de ces gens qui s’engagent pour un idéal – qui n’est certes pas le nôtre –, de ces gens qui veulent une métaphysique, aussi dévoyée soit-elle, que nos sociétés sont incapables de leur donner.
Pour en revenir à l’analyse macroéconomique, les attentats du 11 septembre 2001 suffisent à la détruire puisque ceux qui les ont commis n’étaient pas des fils du prolétariat souffrant des banlieues de pays hyper-développés...
Je ne vois pas quels sont les buts et je ne vois pas davantage les moyens. Une nouvelle fois, il y a une incohérence à ne pas prendre en compte l’élément culturel, géostratégique, diplomatique, mais aussi militaire. Nous voyons bien que l’alliance qui devait se nouer pour aller bombarder quelques groupes dans les sables de Mésopotamie a du mal à se constituer et je redoute, en retour, notre isolement, le désengagement de ceux qui devraient être les premiers à s’engager, les détournements d’armes.
Votre texte, monsieur le ministre, quelles qu’en soient les intentions, opère un retournement. J’ai entendu à plusieurs reprises, ce qui m’étonne toujours beaucoup, le mot traumatisme, mais pas pour qualifier les victimes qui seraient les premières concernées, en particulier les chrétiens d’Orient que nous avons si longtemps abandonnés, nous Occidentaux, alors que seule la Russie, suivant en cela la position du Tsar, les a défendus. Que faisaient les chancelleries occidentales ? Rien !
Nous parlons donc de traumatisme non pas pour les victimes mais pour les criminels. Permettez-moi de m’étonner de ce retournement. Comment peut-il y avoir traumatisme chez une personne que vous allez empêcher de sortir du territoire national avant qu’elle n’ait joyeusement étripé ses frères humains ? Ou bien est-ce à supposer que ces criminels auront des cibles sur le territoire national, cibles que certains de nos officiers s’entraînent à protéger dans l’hypothèse d’une révolte dans nos banlieues. J’avais posé cette question au chef d’État-Major de l’armée de terre il y a deux ans en commission de la défense.
Vous supposez que nous aurons des cibles sur le territoire national et vous allez empêcher ces gens de sortir. Très bien, mais tant que vous ne mènerez pas une guerre culturelle, une guerre philosophique, une guerre qui prend en compte les questions de soif de métaphysique chez ces jeunes, vous aurez perdu ladite guerre. Je crains que nous ayons déjà perdu la guerre avec ce texte.
J’attends avec beaucoup d’intérêt la réponse que M. le ministre apportera à la question théorique posée par M. Dhuicq. Connaissant sa culture, je ne doute pas qu’il réponde à cette question fondamentale.
Je commencerai par un point politique. J’ai entendu cet après-midi le Premier ministre inviter l’opposition, et même un ancien président de la République, à dialoguer avec le Gouvernement. Je pense que cette invitation concerne également les députés de l’opposition. Je souhaiterais par conséquent que nous dialoguions ce soir pour améliorer ce texte dont nous vous avons dit hier, monsieur le ministre, que nous allions le soutenir à une très large majorité – peut-être pas M. Marsaud…
Sourires.
…compte tenu de son intervention d’hier.
Je souhaiterais ce soir que, contrairement à ce qui s’est passé en commission, vous puissiez entendre les amendements de l’opposition dont le seul but est, non pas de faire de la politique politicienne sur un sujet d’intérêt vital, mais de tenter d’améliorer ce texte qui va dans la bonne direction, même s’il ne va pas assez loin et sera sans doute corrigé après les attentats qui ne manqueront pas, malheureusement, de survenir dans notre pays, j’en prends, hélas, le pari devant vous ce soir.
Ce premier article, qui est important, vise à essayer d’enrayer le flot de participants français résidents, citoyens ou doubles nationaux, qui représentent aujourd’hui un dixième environ des mercenaires, des combattants étrangers dans les forces de l’État Islamique. Ce sont les chiffres que nous a donné à Erbil le commandant des forces kurdes qui se battent contre ces gens. L’armée islamique compte pas moins de 40 000 combattants, soutenus par 80 000 membres des tribus sunnites d’Irak. Parmi ces 40 000 combattants, 10 000 sont étrangers, dont 1 000 Français. Et ces gens continuent à partir régulièrement, par la Turquie.
J’ai souhaité hier que l’on mette en place des sanctions contre les États qui coopèrent, notamment la Turquie. Si ce pays laisse passer, par familles entières, des citoyens français, nous devrons prendre des dispositions dans ce texte.
À nos collègues de la majorité qui parlaient hier de Malraux, à ceux qui ce soir évoquent les victimes des banlieues françaises, je voudrais dire une chose : que vaut dans une démocratie la liberté d’aller et de venir quand cette liberté peut, à tout moment, se traduire par l’assassinat d’un membre de votre famille, de vos enfants, de vous-même, parce que vous prenez le métro, l’autobus, ou que vous vous rendez dans un grand magasin ? Que représente la liberté d’aller et de venir si nous vivons dans un monde de danger immédiat très difficilement contrôlable par le Gouvernement ? A toutes les belles âmes de cette assemblée qui parlent de la liberté d’aller et de venir, je demande de réaliser que nous avons changé de monde, que nous sommes confrontés à un état de guerre qui nous est imposé, qui n’est pas de notre fait, que la vie de nos concitoyens est en jeu. Il y aura des morts, des blessés. Il y en a déjà eu, d’ailleurs, à Boston, à Madrid, à Londres. Les Anglais parlent de Homegrown terrorism pour désigner ce terrorisme commis par des gens qui sont nés chez nous, qui sont allés à l’école chez nous, qui sont théoriquement intégrés à notre société et ont souvent poursuivi des études supérieures. Car, contrairement à ce que prétendait notre collègue, ce ne sont pas les plus pauvres ni les plus ignorants qui s’engagent dans le djihad : l’on y trouve aussi des gens convertis, qui viennent de familles moyennes françaises mais qui trouvent une nouvelle raison de vivre dans ce combat joyeux où ils n’ont pas peur de perdre leur vie !
Dès lors, en s’efforçant de lutter contre ces départs – en limitant certes quelque peu la liberté d’aller et de venir – pour protéger la sécurité des citoyens, le Gouvernement ne fait que son devoir. Je le dis ici : cette disposition n’a rien de liberticide.
Quant à comparer les djihadistes d’aujourd’hui à André Malraux s’engageant dans la guerre d’Espagne ou aux compagnons de la Libération – je pense notamment à notre ancien collègue Yves Guéna qui, à l’âge de dix-sept ans, a quitté les siens pour gagner Londres en barque après avoir entendu l’appel du général de Gaulle à la radio –, pardonnez-moi mais nous sommes dans un autre monde ! Cela n’a rigoureusement rien à voir. À cet égard, je pense que les services de renseignement français sont capables de faire la différence entre un combat terroriste et une cause noble.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai déposé un amendement – dont j’espérais qu’il pût figurer avant l’article premier – visant à interdire à tout citoyen français de porter les armes dans un combat se déroulant à l’étranger, sauf dans le cadre des lois de la République ou dans l’armée française. Encore une fois, si un jeune Français cherche à défendre une cause noble, deux solutions s’offrent à lui : rejoindre les rangs de l’armée française ou travailler pour une organisation humanitaire.
Sur le principe, cet article premier reçoit notre plein soutien. Il faut certes le renforcer et nous y reviendrons lors de la discussion des amendements. Quoi qu’il en soit, je demande à ceux de nos collègues qui sont tentés de lancer des débats philosophiques sur la liberté d’aller et de venir de comprendre que nous vivons aujourd’hui une période grave : même s’ils sont Français, s’ils sont nés ici et s’ils ont fréquenté l’école de la République, des gens égorgent, et ils n’hésiteront pas à vous tuer ni à tuer vos enfants.
Voilà ce qu’il faut comprendre ! Je sais bien que c’est difficile ; les démocraties accusent toujours un temps de retard pour s’adapter au passage de la paix à la guerre mais, hélas, nous sommes en temps de guerre ! Cessons donc ce genre de débats : ils ne servent pas nos concitoyens. Je dis cela avec tout le respect que je vous dois, mais aussi en tant que juriste familier des principes généraux du droit.
Nous abordons l’examen d’un article qui, sur le principe, n’appelle guère de débat de fond. La disposition qu’il prévoit a été adoptée dans plusieurs pays comparables au nôtre. Elle consiste à interdire de quitter le territoire à toute personne dont on a des raisons sérieuses de penser qu’elle envisage un déplacement de nature terroriste. Il est alors nécessaire de lui retirer tout à la fois son passeport et sa carte d’identité – celle-ci suffisant en effet via l’espace Schengen à gagner la Turquie ou certains pays du Maghreb, à partir desquels sont accessibles des zones où nous voulons précisément empêcher les intéressés de se rendre.
À écouter nos débats, j’ai cru comprendre que la discussion porte moins sur le fond que sur les procédures qui encadrent cette mesure. Je précise d’emblée, madame Attard, que la procédure est d’ores et déjà contradictoire. Il s’agit en effet d’une procédure bien connue devant le juge administratif. M. le ministre a rappelé hier avec plus de brio que moi que le juge administratif est habilité à contrôler les libertés liées aux conséquences d’une mesure de police, qu’il le fait sans faillir et qu’il l’a parfois même fait de manière exemplaire.
C’est sur deux points que notre débat pourrait peut-être se cristalliser : d’une part, l’amélioration éventuelle de la procédure, certes déjà contradictoire, pour laquelle nous pourrions discuter de la durée-plafond ; sur le second point, je remercie M. le ministre d’avoir par avance donné son accord dès hier à l’amendement que je défendrai au nom du groupe majoritaire. Il s’agit de préciser clairement dans la loi elle-même que l’attestation délivrée en lieu et place du passeport ou de la carte d’identité emporte bien l’ensemble des droits ouverts par la justification d’identité – le passeport n’étant pas ici en cause – en-dehors, naturellement, de la sortie du territoire.
En complément de cette mesure qui, madame Attard, me semble davantage porter sur le fond du texte que sur la seule procédure, je souhaiterais que M. le ministre puisse nous donner des assurances concernant la nature de ce document qui constitue la principale articulation entre sécurité et liberté – en d’autres termes, entre une privation d’une part et, de l’autre, la liberté d’aller et de venir et celle de justifier de son identité.
À cet égard, il serait utile, me semble-t-il, de préciser deux points. Tout d’abord, pouvez-vous nous assurer, monsieur le ministre – puisque cela ne relève pas du domaine législatif – que le document d’attestation qui sera délivré en lieu et place de la carte d’identité ne comportera aucune mention dont je dirai hâtivement qu’elle est infamante ?
En d’autres termes, ce document doit être neutre et ne fera que remplacer la carte d’identité.
En effet, il est inutile de stigmatiser davantage une personne n’ayant pas encore fait l’objet d’une quelconque procédure judiciaire.
Que craignez-vous de la neutralité, chers collègues ? La neutralité, c’est l’objectivité.
Deuxièmement, la garantie des droits doit figurer dans le document en question, ou au moins doit-il être établi avec assez de clarté pour que l’ensemble des droits attachés à la justification de l’identité soient effectivement garantis.
Encore une fois, chers collègues, ne craignez rien de la neutralité du droit : elle est favorable tout à la fois aux mesures de protection et au respect des libertés.
Monsieur le ministre, le renforcement de la lutte contre le terrorisme est non seulement indispensable, mais il est aussi urgent. En effet, les Français sont inquiets, comme je le constate quotidiennement dans ma circonscription en Mayenne. Pas un jour ne passe sans que les bulletins d’information ne nous révèlent de nouveaux forfaits commis par les djihadistes. Ces violences inadmissibles gangrènent plusieurs régions du monde. Or, comme beaucoup d’autres, notre pays est touché par le recrutement puis le départ de certains concitoyens vers les régions de combat. Le Premier ministre a aujourd’hui cité le nombre de 930 personnes, mais je présume qu’il est bien difficile à établir.
Nous devons nous interroger sur les raisons du succès de ces recrutements parmi nos ressortissants. Ce texte vise à limiter les effets de ce phénomène, mais non ses causes. Il est donc indispensable de repérer ces candidats potentiels au djihad avant leur éventuel départ, pour mettre fin à leur projet.
C’est ainsi que l’article premier du présent projet de loi prévoit la création d’un dispositif d’interdiction de sortie du territoire pouvant entraîner le retrait du passeport, mais aussi de la carte d’identité. Cette décision est nécessaire si l’on veut éviter que les personnes concernées soient enrôlées dans des troupes fanatiques qui sèment la violence et la terreur. Elle n’est pas arbitraire, puisque le contrôle du juge administratif y est lié.
En revanche, deux objections concrètes en entravent l’efficacité : la question des binationaux d’une part, les difficultés d’application de la mesure dans l’espace Schengen de l’autre. Il est nécessaire de coopérer avec d’autres pays pour éviter que cet article demeure un voeu pieux.
En somme, nous examinons donc un texte indispensable, dont il convient néanmoins de renforcer certaines dispositions pour qu’il soit efficace. Nos concitoyens demandent à votre Gouvernement davantage de sévérité et de rigueur en matière de sécurité.
Je vous remercie, mesdames et messieurs les députés, pour ces interventions liminaires sur l’article premier de notre projet de loi qui, avant d’entamer l’examen des amendements, appellent quelques précisions, de sorte que nous soyons tous certains de nous accorder sur le cadre juridique de notre débat.
Tout d’abord, madame Attard, vous avez insisté sur un point qui mérite d’être largement clarifié : la dimension liberticide de l’interdiction administrative de sortie du territoire prévue à l’article premier. Vous avez formulé un certain nombre d’arguments dont je me permets très humblement de vous dire qu’en droit, ils sont faux. Au moment où nous abordons ces questions très sensibles, il est important de choisir avec précision les termes que nous employons.
Vous avez d’abord expliqué que notre action est de nature à remettre en cause la séparation des pouvoirs et qu’elle échappe au contrôle du juge. C’est faux. Bien au contraire, notre action respecte scrupuleusement la séparation des pouvoirs, car le droit administratif et les mesures de police administrative permettent précisément de prévenir des faits avant qu’ils ne se produisent. C’est l’objet même de la police administrative que de prendre des mesures préventives afin que certains actes ne puissent pas se produire. Par conséquent, au regard de nos principes constitutionnels et des principes généraux du droit, il est parfaitement logique que ce soit au moyen de mesures de police administrative que l’État se mobilise pour empêcher les départs.
Ensuite, vous prétendez que tout cela se fait sans contrôle du juge : là encore, c’est faux. Comme l’indique le projet de loi, la personne qui fera l’objet d’une interdiction administrative de sortie du territoire pourra saisir en référé – c’est-à-dire dans les minutes qui suivent sa notification de ladite interdiction – le juge administratif, lequel statuera à son tour dans les plus brefs délais. En outre, j’ai lu – même si vous ne l’avez pas dit – que lorsque le juge devra statuer sur les conditions dans lesquelles l’interdiction administrative de sortie du territoire aura été appliquée, il ne pourra pas disposer des éléments sur lesquels l’administration s’est appuyée pour interdire la sortie du territoire. C’est également faux : en réalité, l’administration transmettra au juge l’ensemble des éléments dont elle dispose et qui ont présidé à cette interdiction, c’est-à-dire les éléments des services qui peuvent parfaitement être transmis sous forme de note blanche sans être déclassifiés. L’État aura d’ailleurs intérêt à transmettre l’ensemble des éléments dont il dispose car, dans le cas contraire, il affaiblirait son dossier et s’exposerait à ce que le juge casse sa décision d’interdiction administrative de sortie du territoire.
Enfin, madame la députée, vous prétendez que le juge judiciaire, qui est le juge des libertés, ne pourra pas se prononcer. Encore une fois, c’est faux, et ce à deux titres.
Premièrement, comme vient de le rappeler Mme Bechtel, le juge administratif est un juge des libertés. Tous les arrêts importants du droit administratif témoignent du fait que le juge administratif a été capable, au fil de l’histoire – et parfois au cours de périodes marquées par une tension extraordinaire – de défendre les libertés publiques de façon remarquable. D’autre part, le fait que le juge administratif se prononce après avoir été saisi en référé n’interdit en rien le juge judiciaire de judiciariser l’affaire sur la base des éléments qui pourraient lui avoir été transmis par l’administration. La loi n’en fait évidemment pas état puisqu’il n’y a aucune automaticité entre la saisine du juge administratif et celle du juge judiciaire, mais celui-ci n’en demeure pas moins libre d’enclencher l’action publique.
Je comprends que, sur de tels sujets, par positionnement politique ou pour faire écho à tel ou tel article de presse qui prend une posture plutôt traditionnelle, il puisse être intéressant de défendre ce type d’arguments. Je crois néanmoins qu’il faut les défendre sur le terrain du droit, et non pas en se fondant sur des impressions, des appréciations, voire des articles de presse plus ou moins exacts. Il faut raisonner à partir de ce que dit le droit. Je tiens à le rappeler, car le débat que nous abordons touche à des questions fondamentales – la sécurité, nos libertés publiques – et qu’à ce titre, il faut être extrêmement rigoureux lorsque l’on convoque telle ou telle notion de droit.
En réponse aux interventions de MM. Féron, Dhuicq et Chevrollier, qui appelait le Gouvernement à davantage de prévention, je rappellerai plusieurs points. Tout d’abord, nous « mettons le paquet » sur la prévention, à ceci près que cette action ne relève pas du domaine législatif et ne figure donc pas dans la loi ; elle n’en existe pas moins. À cet égard, il est bon que l’État mobilise l’ensemble de ses services pour que la prévention soit efficace. J’en citerai deux exemples.
Lorsque la plateforme de signalement que nous avons créée a permis de signaler près de trois cents cas de familles désespérées de constater que l’un de leurs enfants était en situation de rupture, qu’avons-nous fait ? J’ai pris deux circulaires visant à ce que les préfets du ressort territorial des jeunes en question ou de leurs familles se mobilisent en lien avec les procureurs de la République et l’ensemble des services de l’État afin d’aboutir pour chaque cas particulier à une solution spécifique tenant compte des motivations constatées chez l’intéressé lors de son départ ou lorsqu’il a formulé son intention de partir. Ce dispositif s’applique dans tous les départements. Il a empêché un très grand nombre de départs et a permis à de très nombreux jeunes de s’engager dans un processus essentiel de réinsertion et de reprise du dialogue. Nous allons amplifier ce dispositif préventif qui mobilise toutes les administrations de l’État.
Ceci étant, quelle que soit la rupture qui conduit à ce basculement, rien ne saurait l’excuser car rien ne peut le légitimer. Aucune rupture familiale, de quelque nature qu’elle soit – familiale, sociale – ne justifie qu’une personne puisse à un moment donné, au nom de ce que qu’elle a vécu, torturer, exécuter, crucifier. Ce n’est ni envisageable ni acceptable.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe SRC.
Si nous acceptons ces considérations, nous nous privons de la possibilité de prévenir et d’empêcher ces jeunes de commettre de tels actes, mais surtout d’engager avec eux un dialogue afin de les protéger et de les préserver de ce risque.
Il faut à un moment donné dire les choses clairement : rien ne peut légitimer de tels basculements. Et puisque nous sommes tous attachés, dans cet hémicycle, aux principes fondamentaux que sont les droits de l’homme, la tolérance, le respect de l’autre, nous devons absolument faire en sorte que ces valeurs soient placées au-dessus de tout, non pour refuser d’écouter, de comprendre, d’aider et d’accompagner, mais pour dire simplement que rien, jamais, ne pourra justifier les pires atrocités.
Le troisième point que je souhaite aborder concerne la sécurité, la prévention et nos actions en ce sens. Je ne veux pas alimenter la polémique sur de tels sujets et je pense que nous serions mal inspirés d’expliquer que les uns ont bien agi mais que les autres ne l’ont pas fait. Je veux juste rappeler que, dans le ministère dont j’ai la charge, on a supprimé 13 000 postes entre 2007 et 2012, en grande partie dans les services de renseignement qui ont la charge d’assurer la prévention dans ces domaines. Mais nous avons pris la décision, notamment grâce à l’installation de la DGSI, de créer 406 postes afin de donner aux services de renseignement les moyens de procéder aux investigations et aux enquêtes qui relèvent de leur compétence. Ces services réalisent un travail remarquable : aujourd’hui même, ils ont procédé à un certain nombre d’arrestations utiles au regard des objectifs que nous poursuivons.
Sur de telles questions, évitons de nous faire des procès au motif qu’il y aurait d’un côté les partisans de la fermeté, désireux de protéger les Français, et de l’autre les laxistes. Le projet de loi que nous vous présentons, les mesures que nous prenons et les moyens dont nous dotons l’administration témoignent de ce que, sur cette question, l’unité nationale vaut mieux que les vaines polémiques.
« Très bien ! » sur les bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe UMP.
Nous en venons aux amendements.
La parole est à M. Pierre Lellouche, pour soutenir l’amendement no 19 .
Cet amendement vise à élargir la portée de l’interdiction de sortie du territoire en prévenant le départ de tout ressortissant français qui envisage un déplacement à l’étranger ayant pour objet la participation à des activités de guerre et d’actes terroristes et non pas seulement des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité. En effet, sur le plan juridique, ces dernières activités se situent au sommet de la hiérarchie des crimes, y compris en droit de la guerre. Or, ce qui nous intéresse, c’est de cibler les personnes qui se rendent dans des zones de conflits où peuvent opérer des terroristes, sans avoir nécessairement a priori connaissance de crimes de guerres ou de crimes contre l’humanité car ces qualifications sont beaucoup trop restrictives.
J’espère, monsieur le ministre, qu’au cours de la discussion vous voudrez bien nous éclairer sur la façon dont ce dispositif fonctionnera, tant au niveau du signalement que du timing. En effet, la personne pourra-t-elle être arrêtée à la dernière minute ? Car si certaines seront identifiées en amont par les services de renseignement, d’autres seront arrêtées à la dernière minute, juste avant de monter dans le train ou dans l’avion, par exemple lorsque le policier de la PAF aura établi sa dangerosité en fonction de sa destination. Nous priver de ce moyen d’identification, au motif que cette disposition serait trop générale, risque de nous faire perdre beaucoup d’efficacité. Pouvez-vous nous expliquer avec précision le fonctionnement de cette disposition ? Qui identifiera la personne ? Jusqu’à quel moment pourra-t-elle être arrêtée ?
Par ailleurs, dès lors qu’on lui aura délivré le document qui remplace la carte d’identité ou le passeport, que ferons-nous de la personne ? Si elle est binationale, conservera-t-elle ses autres papiers ? Si elle est uniquement française, lui permettrons-nous de retourner chez elle ou bien considérerons-nous qu’elle est suffisamment dangereuse pour mériter d’être conduite dans un centre de rétention pendant le temps de l’enquête ? Voilà les questions que pose cet article.
Mais, dans un premier temps, cet amendement vise à en élargir la portée : ce que nous voulons, c’est pouvoir intercepter des personnes, jeunes ou moins jeunes, nationaux ou binationaux, résidant sur notre sol, qui pourraient se rendre dans des zones de guerre, et pas uniquement des zones où se produisent des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité.
La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration de la République, pour donner l’avis de la commission.
Cet amendement a déjà été présenté en commission des lois au mois de juillet et la commission l’a repoussé car il soulève un certain nombre de difficultés.
La première tient au fait que les notions de pays en guerre ou de zones de guerre n’existent pas dans notre diplomatie. Nous ne détenons pas de liste de pays en guerre. Votre amendement mettrait d’ailleurs en difficulté la diplomatie française car il l’obligerait à se positionner par rapport à tous les pays en conflit qui pourraient correspondre aux situations nécessitant un retrait de passeport.
Votre amendement pose également le problème des binationaux. Que faire de celles et ceux qui partent effectuer leur service militaire dans des pays en guerre, sachant que cette situation est prévue par un accord bilatéral ?
Je comprends l’esprit de votre amendement, monsieur le député. Notre objectif est de faire en sorte, dans le respect des notions juridiques, de répondre à la préoccupation du projet de loi.
Cet article premier a pour objet d’empêcher des individus dont nous sommes convaincus qu’ils s’apprêtent à participer à des actes terroristes, c’est-à-dire à s’engager dans des groupes djihadistes sur le théâtre des opérations que l’on sait, de le faire, et cela pour deux raisons.
La première c’est que s’ils partent, ils s’exposent à un risque pour eux-mêmes – je rappelle que 40 ressortissants français sont morts sur le théâtre des opérations djihadistes – et la seconde, c’est que s’ils échappent à la mort sur ce théâtre d’opérations, ils représentent un danger tout aussi grand – et plus grand encore compte tenu de leur nombre potentiel – sur le théâtre national en raison des actes qu’ils sont susceptibles de commettre à l’encontre des ressortissants de notre pays.
Le texte de l’article permet de couvrir parfaitement la situation de ceux qui s’engagent dans des groupes terroristes à l’étranger et pour lesquels nous inaugurons l’interdiction administrative de sortie du territoire, et il correspond très exactement au périmètre des cas que nous voulons traiter. Vous proposez de l’élargir afin de couvrir les personnes qui veulent s’engager dans des opérations de guerre. Or cette situation est en partie encadrée par des dispositions législatives existantes, notamment par l’article 436-1 du code pénal qui traite des personnes qui sont engagées dans des opérations de guerre, notamment au titre du mercenariat.
Dès lors que l’article premier cible précisément les personnes que nous voulons empêcher de partir en raison des activités qui motivent leur départ, et que l’article 436-1 du code pénal traite la question de ceux qui partent pour faire la guerre dans le cadre d’opérations de mercenariat, je considère que la loi répond en grande partie à vos préoccupations.
Avec toute l’estime que j’ai pour vous, monsieur le ministre, je ne peux accepter votre réponse. En France, où il existe différentes sortes de mercenaires, le mercenariat est encadré par la loi. L’activité de mercenaire ou de garde de sécurité dans un certain nombre de navires n’a rigoureusement rien à voir avec ce que vous tentez de faire à travers ce texte qui vise à dresser un filet afin d’empêcher des citoyens français et des binationaux résidant en France d’aller commettre des actes terroristes dans des zones où peuvent se produire des actes terroristes, des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité.
En qualifiant à l’avance – et je m’adresse au juriste que vous êtes, monsieur le ministre – les actes de terrorisme, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, vous réduisez l’entonnoir de façon très significative. Une personne pourra invoquer qu’elle n’est pas terroriste, qu’elle va simplement participer à un combat de libération. Ne pouvant pas savoir à l’avance si elle se livrera à des actes terroristes, vous ne pourrez pas la bloquer et le juge confirmera qu’elle est de bonne foi !
Nous y reviendrons à l’occasion de l’examen de mon amendement suivant, mais supposez qu’une personne se rende au Niger. Au Niger, il n’y a ni crimes contre l’humanité ni actes de guerre, mais de là on peut rejoindre Boko Haram ou le nord du Mali, en vue de participer à des opérations terroristes avec tel ou tel groupe comme le Mujao, ou gagner la Mauritanie.
Soyons sérieux ! Si nous voulons vraiment poser un filet pour empêcher que des citoyens français rejoignent le djihad, il faut que l’interdiction du territoire couvre les zones de guerre, et pas uniquement celles où se déroulent des activités terroristes, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. À défaut, nous nous ferons plaisir sur le plan du droit mais nous restreindrons la portée de ce texte jusqu’à le rendre inopérant.
Ce qui m’intéresse, et qui vous intéresse également, monsieur le ministre, c’est de réaffirmer qu’il n’y a aucune excuse et aucune justification au terrorisme. Ou bien nous combattons les terroristes, ou bien nous faisons semblant. Si vous voulez stopper les personnes qui rejoignent le djihad, il faut interdire de se rendre dans les zones où il y a a priori la guerre, sans savoir si se produiront des crimes de guerre ou si la personne se livrera à des activités terroristes.
Une personne peut fort bien partir pour jouer un rôle de soutien. En Irak et en Syrie, les jeunes femmes, qui sont parfois cloîtrées, sont employées à des activités subalternes : cuisine, traductions, interrogatoires. S’agit-il d’activités terroristes ? Expliquerez-vous au juge administratif, et peut-être au juge judiciaire, qu’il s’agit de crimes contre l’humanité ?
Soyons sérieux ! Ne comparez pas les mercenaires et les terroristes, et si vous voulez vraiment intercepter ces derniers, traitez-les comme des terroristes, c’est-à-dire comme des ennemis, et donnez à la loi une assise suffisamment large, tant sur le plan géographique que sur le plan des intentions.
Quant à ce qu’invoque le rapporteur, à savoir que l’ajout que je propose gênerait notre diplomatie, je lui rappelle que j’ai eu l’honneur de servir notre pays au Quai d’Orsay et, à ce titre, je sais quelles notifications le ministère adresse à nos ressortissants en cas de guerre ou de danger dans telle ou telle zone. Oui, il existe des zones de guerre, qui sont actées par le Quai d’Orsay, et ce sont elles que nous visons. Je ne vois pas en quoi cela gênerait notre diplomatie que nous informions nos concitoyens qu’ils ne doivent pas se rendre dans tel ou tel pays qui présente un danger. Et si une personne entend s’y rendre et que nous avons toutes les raisons de penser que c’est pour participer à des opérations de guerre, il faut l’arrêter.
Cessons de nous cacher derrière de faux arguments. Si vous êtes sérieux, nous voterons ce texte, mais si nous continuons à tourner autour du pot toute la soirée, alors la position du groupe UMP évoluera.
Je ne suis nullement en désaccord avec vous sur le but, monsieur le député, mais bien sur l’analyse juridique et l’efficacité comparée des procédés que vous et moi proposons. Une réflexion sur la zone ne rend pas le procédé plus efficace ni le filet plus hermétique. C’est plutôt une réflexion sur le terroriste lui-même qui l’empêche efficacement de partir quelle que soit la zone dans laquelle il entend se rendre. Le dispositif que nous proposons prévoit d’arrêter le terroriste quelle que soit la zone dans laquelle il se rend, en raison précisément de la préoccupation que vous évoquez.
En effet, une interdiction de sortie du territoire ne saurait être décidée arbitrairement ni s’appliquer à n’importe qui dans n’importe quelles circonstances sur la base d’une présomption ou d’une suspicion mais suppose des éléments matériels témoignant d’une intention de rejoindre une zone quelle qu’elle soit. Dès lors que nous disposons d’éléments portant témoignage de l’intention d’un terroriste de rejoindre une zone quelle qu’elle soit et que ces éléments sont susceptibles d’être produits devant le juge administratif au cas où l’interdiction administrative de sortie du territoire serait attaquée en référé, nous avons la possibilité de faire usage du filet que vous appelez de vos voeux et qui est ma préoccupation contre tous les terroristes quelle que soit la zone dans laquelle ils ont l’intention de se rendre.
C’est précisément la raison pour laquelle nous prenons une mesure de police administrative, dont tout l’intérêt est de prévenir.
Telle est bien la philosophie du texte, monsieur le député Lellouche. Les terroristes ne relèvent pas d’une interdiction de police administrative mais de la judiciarisation de leur cas sur la base de l’incrimination d’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste. Il ne s’agit pas d’une procédure administrative mais d’une procédure judiciaire et donc d’une configuration différente de celle dont nous traitons là, puisqu’il s’agit de la situation de ceux qui n’ont pas encore commis un acte terroriste puisqu’ils veulent se rendre sur le théâtre d’opérations.
Disposant en nombre suffisant d’éléments témoignant du fait qu’ils vont en commettre un, nous interdisons administrativement la sortie du territoire au titre d’une mesure de police administrative, et ce quel que soit l’endroit où ils se rendent. En effet, ce n’est pas la zone vers laquelle ils se rendent mais l’intention matérialisée par des éléments concrets dont disposent nos services qui est susceptible d’être produite devant le juge. Ce que nous proposons est franchement de nature à répondre très exactement à notre préoccupation commune de mettre en place un véritable filet face aux terroristes projetant de s’engager dans des opérations quel qu’en soit le lieu.
L’amendement no 19 n’est pas adopté.
La parole est à M. Pierre Lellouche, pour soutenir l’amendement no 20 .
Il traite de géographie. Dès lors que le lieu vous importe peu, monsieur le ministre, j’imagine que vous allez recommander que nous le votions ! L’amendement propose d’insérer après le mot « théâtre » les mots « ou à proximité ». Je cherche à faire en sorte que le filet touche des zones, car les gens, sur des théâtres d’opérations, sont mobiles. Je connais la situation au Sahel car j’ai l’honneur d’être chargé du sujet à la commission des affaires étrangères avec notre collègue François Loncle et je puis vous dire que tous les États de la région jusqu’au Cameroun sont concernés, d’où la formulation « ou à proximité ». Si on veut lutter sérieusement contre le terrorisme, on est obligé de prendre en considération des zones beaucoup plus larges que l’endroit directement concerné. Par exemple, dans le cas de la Syrie et du nord de l’Irak, des gens qui se rendent au Liban, en Jordanie ou en Turquie, qui en sont des pays limitrophes, sont susceptibles de rejoindre les théâtres d’opérations.
Je reviens à présent au fond du débat. Imaginez, monsieur le ministre, que vous êtes l’avocat, profession avec laquelle vous avez quelque lien et qui est également la mienne, d’une personne qui vient d’être privée de la liberté de voyager sur la base du texte tel qu’il est écrit. Il incombe à l’État de fournir la preuve que ladite personne s’apprête à participer à des activités terroristes constitutives de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité. C’est extrêmement restrictif ! Si vous voulez avoir une chance de la bloquer, vous ne pouvez pas qualifier trop étroitement la zone géographique ni la gravité d’un crime qui n’a pas encore été commis.
Ce qu’un service de renseignement est susceptible de savoir, je le sais pour avoir travaillé avec de tels services, c’est qu’il existe des liens avec une organisation, pas qu’un crime terroriste va être commis, un crime contre l’humanité moins encore, ni où il va l’être. Voilà pourquoi je propose l’élargissement de la qualification et de la zone géographique. Je vous demande, monsieur le ministre, de ne pas écarter d’un revers de main ce genre d’argument car c’est l’efficacité même de l’article qui est cause.
La notion de théâtre d’opérations de groupements terroristes est suffisamment large pour prendre en compte la situation des Français projetant de se rendre sur des théâtres d’opérations en zone de jihad. La définition que vous proposez, monsieur Lellouche, est floue et risque de poser problème. En effet, se rendre en Turquie rend-il suspect ? Et au Cameroun, que vous évoquiez, aussi ? Est-ce à dire que l’on interdit de sortie du territoire celles et ceux qui veulent se rendre en Turquie ou au Cameroun ?
Ce n’est pas sérieux. La notion de théâtre d’opérations de groupements terroristes est suffisamment vaste pour satisfaire votre préoccupation, monsieur Lellouche.
Par ailleurs, vous qui en effet avez eu des responsabilités au Quai d’Orsay, vous savez très bien que les zones rouges dont on parle souvent ne sont pas nécessairement des zones de guerre mais des zones déconseillées aux voyageurs pour certaines raisons. Par exemple, le Liberia, la Sierra Leone et la Guinée le sont aujourd’hui en raison de l’épidémie d’Ebola qui y sévit. Il n’existe donc pas de liste des conflits.
Le Quai d’Orsay tient évidemment une liste des conflits, monsieur le rapporteur !
Je disais cela en réponse au précédent amendement, mais ne rouvrons pas le débat. Quant à l’amendement dont nous débattons, la proposition du texte est suffisamment large pour répondre à votre préoccupation, monsieur Lellouche.
Mme Sandrine Mazetier remplace M. Denis Baupin au fauteuil de la présidence.
Je suis toujours très soucieux d’écouter les propos d’où qu’ils viennent, car le sujet suppose en effet de prendre mille précautions plutôt qu’une. J’entends votre préoccupation de couvrir toutes les zones géographiques, monsieur le député, mais je vous renvoie derechef à la rédaction du texte. En effet, le texte tel qu’il est rédigé me semble couvrir la totalité de la préoccupation qui vous occupe et qui n’a d’égal que l’ensemble des précautions qui sont les miennes. On y lit que « tout ressortissant français peut faire l’objet d’une interdiction de sortie du territoire lorsqu’il existe des raisons sérieuses de croire qu’il projette des déplacements à l’étranger » – notion dont vous remarquez qu’elle est très large – « ayant pour objet la participation à des activités terroristes, des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité ou sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes et dans des conditions susceptibles de le conduire à porter atteinte à la sécurité publique lors de son retour sur le territoire français ».
Une telle formulation, que j’ai préconisée lors de la rédaction du texte, est suffisamment large pour couvrir la totalité du champ de préoccupations qui est le vôtre, monsieur Lellouche. Elle constitue en outre une garantie constitutionnelle en assurant la proportionnalité de la mesure au regard du risque pesant sur le pays et couvre comme vous le souhaitez toutes les zones géographiques de destination dès lors que nous avons suffisamment d’éléments susceptibles d’empêcher le départ d’une personne. La rédaction du texte satisfait votre préoccupation, le dénaturer en affaiblirait la portée.
C’est précisément en raison de la rédaction du texte que je soutiens l’amendement de Pierre Lellouche, d’autant plus que vous avez rejeté l’amendement précédent, monsieur le ministre. Tel quel, en effet, le texte prévoit deux séries de raisons susceptibles d’interdire la sortie du territoire. Ou bien l’individu projette des déplacements à l’étranger « ayant pour objet la participation à des activités terroristes, des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité », c’est la première branche qui est très restrictive pour les raisons évoquées précédemment, en particulier le rejet de l’amendement no 19 . Ou bien, c’est la seconde branche, il projette des déplacements à l’étranger « sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes et dans des conditions susceptibles de le conduire à porter atteinte à la sécurité publique lors de son retour sur le territoire français ».
C’est cette deuxième condition que nous souhaitons modifier, et naturellement nous faisons cela sans aucun esprit politique ni polémique mais pour travailler avec vous, monsieur le ministre, afin d’aboutir à un texte le plus diligent et le plus expédient possible. Il nous semble vraiment nécessaire de viser, dans la seconde branche des motifs d’interdiction de sortie du territoire, non seulement les personnes se rendant sur des théâtres d’opérations mais aussi celles qui se rendent dans des zones ou pays qui en sont immédiatement limitrophes ou à proximité. Voilà ce que nous vous demandons et qui ne porte en rien atteinte à la nécessité de définir précisément le motif de l’interdiction. Au contraire, cela va dans la bonne direction, nous en sommes convaincus.
Pour tenter d’achever de vous convaincre, monsieur le ministre, mais connaissant un peu votre caractère je sais que c’est très difficile, je vous donnerai deux exemples. Si une personne se rend au Mali directement, de Paris à Bamako, il s’agit bien d’un théâtre d’opérations de groupements terroristes. Certes, cette personne n’ira pas de Paris à Kidal mais de Paris à Bamako et de là à Kidal, mais l’autorité administrative peut néanmoins considérer qu’il s’agit d’un théâtre d’opérations où ont lieu des activités terroristes. Mais si cette personne se rend à Nouakchott, en Mauritanie, ou bien au Niger, comment fait-on ? On considère qu’elle n’est pas dans la zone d’activité terroriste ? Nous savons pourtant tous, du moins ceux qui ont un tout petit peu étudié le sujet, que les mouvements terroristes circulent dans tous les États de la bande sahélienne.
J’en veux pour preuve, monsieur le ministre, l’opération Barkhane montée par votre excellent collègue de la défense. En quoi consiste-t-elle ? Quel est à présent notre dispositif militaire dans la bande sahélo-saharienne, monsieur le ministre, je vous le donne en mille ? Il couvre une zone de plusieurs milliers de kilomètres de large sur plusieurs centaines du nord au sud qui s’étend de la Mauritanie au Soudan ! Comme vous le voyez, moi qui propose la formule « à proximité », je suis plus modeste que le ministre de la défense ! Vous entendez sérieusement bloquer quelqu’un projetant de se rendre dans une zone de guerre, monsieur le ministre, mais vous avez vous-même qualifié très haut le degré de terrorisme nécessaire, le restreignant à un crime de guerre ou un crime contre l’humanité sans même savoir ce que fera l’intéressé, qui n’est peut-être qu’un assistant, et réduit en outre la zone concernée à l’endroit où à l’instant « t » se déroulent des combats terroristes, par exemple le nord de l’Irak ou la plaine de Raqqa en Syrie.
Votre texte se limite donc à rien du tout ! Avec un tel texte, vous n’arrêterez personne, car devant un juge, ça ne tient pas ! Si vous entendez sérieusement arrêter ces gens avant qu’ils ne commettent des crimes, monsieur le ministre, faites en sorte que votre filet soit fonctionnel. Quant à la Turquie qu’évoquait M. le rapporteur, elle est bien aujourd’hui le noeud du terrorisme. Les gens arrivent à Istanbul, prétendument pour faire du tourisme, puis prennent un bus et passent la frontière.
Dès lors, toute personne se rendant à Istanbul dans un avion de Turkish Airlines ou d’Air France devrait faire l’objet d’une surveillance et nous devrions disposer d’une liste des passagers afin de savoir qui prend l’avion non seulement depuis Paris mais aussi depuis nos villes de province ou depuis Berlin. Voilà ce qui est nécessaire, le reste n’est que littérature ! Je demande à ce gouvernement d’être un tout petit peu sérieux ! Avec tout le respect que je vous dois, monsieur le ministre, s’il s’agit vraiment de voter un texte relatif à la lutte contre le terrorisme, arrêtons de tourner autour du pot ! Veut-on oui ou non arrêter ces gens ? Si oui, prenez en considération la zone de guerre telle que la définit votre collègue ministre de la défense qui me semble-t-il connaît un tout petit peu son affaire !
Il est inutile, monsieur Lellouche, de devenir subitement désagréable pour me convaincre.
Je suis désagréable parce que vous dites non à tout, monsieur le ministre !
Mais pas du tout, je ne dis pas non à tout, j’essaie simplement de vous expliquer les considérants de droit…
Je comprends ce que vous m’expliquez, monsieur Lellouche, mais je ne veux pas que vous votiez ce texte à tout prix !
Je veux que cette assemblée adopte un texte équilibré respectant les principes de droit auxquels notre pays est attaché tout en étant efficace.
Si pour obtenir le vote du plus grand nombre il faut déséquilibrer le texte au point de contrevenir à des principes de droit auxquels nous tenons, je préfère renoncer à vous le voir voter, je vous le dis très franchement !
Car ce texte repose sur un équilibre auquel nous tenons, qui permet de le rendre efficace tout en garantissant le respect d’un certain nombre de principes de droit. Il est donc rédigé de manière à pouvoir répondre au problème que vous soulevez. Si les services de renseignement ont en leur possession suffisamment d’éléments témoignant de l’intention d’un individu de se rendre sur le théâtre d’une opération, quelle qu’elle soit, pour y commettre des actes de terrorisme ou contribuer à de tels actes, nous serons en mesure, grâce au texte tel qu’il est rédigé, et quelle que soit la zone géographique vers laquelle il a l’intention de se rendre, de prononcer l’interdiction de sortie administrative du territoire.
Encore une fois, notre préoccupation est exactement celle que vous exprimez vous-même. Nous avons rédigé ce texte avec sérieux, précisément parce que pour tenir devant le juge, il doit commencer par tenir devant le Conseil constitutionnel. Nous devons donc faire en sorte que les dispositions que nous présentons soient rigoureusement conformes aux principes constitutionnels et aux principes généraux du droit.
L’amendement no 20 n’est pas adopté.
La parole est à M. Pierre Lellouche, pour soutenir l’amendement no 21 .
Cet amendement tout simple découle de l’idée que la menace djihadiste n’est pas simplement une menace pour la sécurité publique, mais bel et bien un danger pour la nation tout entière et pour nos concitoyens. Il a aussi une vertu pédagogique. En effet, le terme de sécurité publique, qui est utilisé en droit interne, renvoie plutôt au droit commun.
Avis défavorable. La notion de sécurité de la nation et des Français paraît peu précise par rapport à celle de sécurité publique, beaucoup plus générale, qui figure dans le texte. Nous préférons donc conserver cette dernière.
Je ne suis pas favorable à cet amendement. La notion d’atteinte à la sécurité publique est plus large que celle d’atteinte à la sécurité de la nation et des Français proposée par Pierre Lellouche. En effet, elle couvre toutes les atteintes à l’ordre public sur le territoire national, quelles qu’en soient les victimes. Je préfère conserver cette notion plus large et plus forte, qui couvre mieux le champ de nos préoccupations.
Je peine à comprendre vos arguments. Je ne suis pas en train de « pinailler » : si nous votons un texte sur la lutte contre le terrorisme, c’est précisément pour défendre la nation et la sécurité des Français. La notion de sécurité publique est généralement utilisée en droit administratif, pour des mesures de simple police, des troubles à l’ordre public ou des troubles nocturnes – et croyez bien que l’élu parisien que je suis sait ce qu’est la sécurité publique. Nous ne parlons pas ici de sécurité publique, mais d’actes de guerre, que vous avez vous-même qualifiés d’extrêmement graves, puisque vous parlez de crimes contre l’Humanité et de crimes de guerre. Je ne comprends donc pas pourquoi vous préférez en rester à la sécurité publique. S’il s’agit d’user de pédagogie et que ceci est une guerre, comme nous l’avons tous dit hier, comme M. Fabius, M. Le Drian et le Président de la République lui-même le disent, pourquoi faire une loi au rabais, avec une terminologie qui relève de la simple police d’un commissariat de quartier, et non d’une loi antiterroriste ? Je suis très surpris de la position du ministre.
L’amendement no 21 n’est pas adopté.
Monsieur le ministre, vous venez de dire que le texte devait être équilibré et respectueux des principes du droit. L’amendement que nous proposons s’inscrit tout à fait dans cet esprit. À la première phrase, après le mot « intérieur », il vise en effet à rédiger ainsi la fin de l’alinéa 8 : « par une décision écrite et motivée. Quand un délai de quinze jours s’est écoulé depuis la décision d’interdiction de sortie du territoire, le juge des libertés et de la détention est saisi aux fins de prolongation de cette interdiction. Le juge statue dans les vingt-quatre heures de sa saisine par ordonnance au siège du tribunal de grande instance dans le ressort duquel réside la personne, après audition du représentant de l’administration, si celui-ci, dûment convoqué, est présent, et de l’intéressé ou de son conseil, s’il en a un. La prolongation est prononcée pour une durée maximale de six mois. »
Cet amendement vise donc à instaurer un contrôle automatique de l’interdiction de sortie du territoire par le juge judiciaire. Certes, celle-ci est une mesure d’urgence, on peut donc comprendre qu’elle soit prise par l’administration. Toutefois, c’est une mesure attentatoire aux libertés, renforcée par le retrait de la carte d’identité voté par la commission des lois. L’absence de contrôle systématique fragilise donc la mesure au regard de la jurisprudence européenne et constitutionnelle. C’est pourquoi il importe qu’elle soit systématiquement contrôlée par le juge. Le référé liberté ne permettra pas une décision sur le fond de la décision initiale, mais seulement sur son caractère manifestement illégal ; la décision sur le fond du tribunal administratif peut prendre plusieurs mois. Aussi cet amendement propose-t-il un contrôle du juge au bout de quinze jours, seul celui-ci pouvant autoriser la prolongation de la mesure pour six mois.
L’amendement précise également que la décision initiale est écrite et motivée. Vous le voyez, il apporte véritablement de la clarté au texte.
Le ministre l’a rappelé et l’histoire en témoigne, le juge administratif est en soi un défenseur des libertés, et il le restera.
L’interdiction de sortie du territoire est une mesure administrative, que la personne concernée peut contester devant le juge administratif, y compris à travers un référé liberté – le juge se prononce alors dans un délai de quarante-huit heures. Cette interdiction est une mesure grave, j’en conviens, mais nous l’avons entourée d’un certain nombre de précautions, qu’il s’agisse de la présence d’un avocat, que nous avons votée en commission des lois, ou du récépissé, que nous vous proposerons d’améliorer par un amendement ultérieur. En outre, le recours juridictionnel pourra être intenté à tout moment par la personne concernée, notamment si des éléments nouveaux permettent de démontrer que les conditions ayant conduit à la décision du ministre ne sont plus remplies. Toutes les garanties ont donc été prises pour garantir la liberté de chacun.
Je suis défavorable à cet amendement, car il est anticonstitutionnel.
En effet, adopter une telle mesure serait méconnaître totalement la répartition des compétences entre les ordres de juridiction arrêtée par la Constitution. Cet amendement est contraire à la Constitution, et je tiens à être très précis sur ce point, afin que cela figure au compte-rendu des débats. Les décisions prises par le pouvoir exécutif dans le cadre des prérogatives de puissance publique – ce qui est le cas de la décision administrative d’interdiction de sortie du territoire – relèvent du juge administratif. La jurisprudence du Conseil constitutionnel est très claire à cet égard. Je vous renvoie à sa décision « Conseil de la concurrence » du 23 janvier 1987, que je cite : il existe « un " principe fondamental reconnu par les lois de la République " selon lequel, à l’exception des matières réservées par nature à l’autorité judiciaire, relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l’annulation ou la réformation des décisions prises, dans l’exercice des prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités territoriales de la République ou les organismes publics placés sous leur autorité ou leur contrôle. »
Si parmi les matières réservées par nature à l’autorité judiciaire figure la protection des libertés individuelles, conformément à l’article 66 alinéa 2 de la Constitution, l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. Cette notion est entendue de manière stricte par le juge constitutionnel, et vise uniquement les mesures restrictives de la liberté qui coïncident avec le droit à la sûreté, c’est-à-dire le droit à ne pas être arbitrairement détenu. Relèvent donc de l’autorité judiciaire les mesures de placement en zone d’attente, de placement en garde à vue, de retenue pour vérification d’identité. Lorsqu’en revanche l’atteinte à la liberté d’aller et venir ne s’accompagne pas d’une mesure privative de liberté, ce qui est le cas de la mesure que nous proposons, elle ne relève pas du champ de la liberté individuelle mais de celui de la liberté personnelle, rattaché non plus à l’article 66 de la Constitution, mais aux articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. C’est le cas, notamment, des mesures d’assignation à résidence des étrangers, des mesures d’interdiction de déplacement de supporters ou des mesures instituant une obligation de pointage pour les interdits de stade.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel est donc très claire ; la Constitution l’est tout autant. Adopter cet amendement conduirait à introduire dans le texte des dispositions anticonstitutionnelles, et cela dans des matières dans lesquelles le Conseil constitutionnel fait montre d’une grande vigilance.
C’est sur le fondement de cette argumentation imparable en droit que je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement.
Il me semble que tout cela est une question d’interprétation, et que la Cour européenne de justice pourrait se prononcer autrement. Nous maintenons donc notre amendement.
Je ne voudrais pas compromettre M. le ministre en volant trop bruyamment à son secours, mais –pardon de le dire aussi directement – d’un point de vue juridique, l’amendement du groupe écologiste est proprement délirant. Depuis une loi de 1790, qui a certes été quelque peu modifiée depuis deux siècles, il existe un principe fondamental : le juge judiciaire ne doit pas se mêler au quotidien de l’action de la puissance publique. C’est sur ce principe que notre État de droit s’est construit. Si nous instituons le juge judiciaire contrôleur de chacune des interventions du ministre de l’intérieur et des préfets, nous n’aurons plus d’État, ni d’action préventive, ni de sauvegarde de l’ordre public. Tout cela a été défini depuis 1790, réaffirmé par le juge constitutionnel, et est parfaitement compatible avec les stipulations de la Convention européenne des droits de l’Homme.
Cela ne signifie pas qu’aucun juge n’intervient. Bien entendu, le juge administratif pourra statuer, en référé et au fond. Mais prenez garde, chers collègues, de ne pas entacher nos débats du soupçon selon lequel l’action du ministère de l’intérieur serait toujours illégitime si elle n’est pas bénie par l’autorité judiciaire. Ce n’est pas la République française ; ce n’est pas l’État de droit.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe SRC
Sur la foi de cette Union sacrée entre l’opposition et la majorité sur les principes généraux de notre droit, je m’autorise à soulever de nouveau auprès du ministre la question, à mille roubles, de l’efficacité de ce texte. Si elle a fait une erreur de droit, Mme Auroi n’en a pas moins soulevé un problème : que faire des gens dont on estime qu’ils ne peuvent pas voyager ? Si nous les relâchons dans la nature, nous restons sur une décision administrative : il n’y a pas de privation de liberté, donc pas d’intervention du juge judiciaire.
Mais est-ce vraiment cela que vous voulez, monsieur le ministre ? Cette mesure se contente-t-elle de poser un filet pour attraper les poissons avant de les remettre dans la rivière, en attendant qu’ils trouvent une autre porte de sortie pour quitter le territoire ? Ou est-ce que, parce que l’on dispose d’éléments suffisamment lourds pour les arrêter à la frontière, on pense qu’ils sont dangereux et qu’il faudrait prévoir une rétention ? Je ne vois cela nulle part dans votre texte. Je voudrais donc revenir à la question que je vous ai précédemment posée : quand arrête-t-on cet homme ou cette femme ? En toute dernière minute, sur la base de la présomption d’un agent de police des frontières, par exemple ? Et, lorsque les services de renseignement se sont saisis du cas de cette personne et que l’enquête est lancée, que fait-on d’elle ? La remet-on dans la nature ou bien la place-t-on dans un centre de rétention ? C’est seulement dans ce cas que se poserait la question de l’intervention éventuelle d’un juge. S’il n’y a pas de procédure de rétention qui vienne compléter le dispositif, nous sommes dans le voeu pieux. Je ne vois pas très bien à quoi cette mesure sert s’il n’y a pas de rétention.
Je voudrais réagir aux propos de M. Larrivé avant de répondre au ministre. Monsieur Larrivé, cela ne m’étonne pas que vous considériez qu’un ordre juridique remontant à très loin soit immuable.
Vous auriez d’ailleurs pu remonter encore plus loin dans votre démonstration. C’est votre choix, mais nous, nous ne sommes pas de ce côté-là. Nous pourrions débattre longtemps, même si ce n’est pas le débat de ce soir, sur le rôle des juridictions administratives et sur le fait de savoir si l’État doit être jugé par une juridiction procédant, en quelque sorte, de lui-même. C’est un vieux débat. Pendant la dernière législature, quand vous n’étiez pas encore député, lors de la réforme constitutionnelle de 2008, nous avions d’ailleurs été un certain nombre de députés, de votre groupe également, à proposer des principes de réforme très importants. Je ne défends pas l’idée, que vous venez encore de promouvoir, selon laquelle l’action de l’État ne doit en aucun cas être jugée par des décisions judiciaires.
Cela étant, je n’apprécie pas beaucoup ce que vous avez laissé entendre : à savoir qu’il y aurait derrière cet amendement la volonté de remettre en cause perpétuellement l’action de l’État en général et de la police en particulier. Cela est totalement faux. Si vous aviez écouté mon intervention en discussion générale, vous sauriez que j’ai dit très clairement et très fermement notre totale détermination à lutter contre le terrorisme et à faire confiance d’abord et avant tout aux services de police et de renseignement plutôt qu’à des dispositions législatives hasardeuses ou d’affichage. Ne lançons donc pas de faux débats.
Monsieur le ministre, je comprends votre raisonnement, mais nous créons une disposition nouvelle. Ce n’est en effet pas tant un délit à proprement parler que quelque chose de très nouveau : parce que l’on présume qu’il peut y avoir des raisons de croire que quelqu’un pourrait commettre des actions terroristes, y compris à l’étranger, on va lui interdire de sortir du territoire. Il est difficile de faire des analogies avec des situations existantes. Vous avez parlé, monsieur le ministre, des interdictions de stade. Vous serez d’accord avec moi pour considérer que la restriction de liberté dans le cas d’une interdiction de sortie du territoire n’est pas tout à fait de la même portée qu’une interdiction de stade. L’assignation à résidence est encore une autre forme de restriction de liberté, et cela n’est pas de même nature que ce que propose l’article 1er.
Je veux bien entendre qu’il y ait parfois, en matière constitutionnelle, des interrogations et des interprétations. Il arrive d’ailleurs à tout gouvernement, y compris à celui-ci, et à tout parlementaire d’émettre des propositions d’amendement ou des propositions législatives qui, même lorsqu’elles sont votées, peuvent faire l’objet de décisions du Conseil constitutionnel. Il ne serait d’ailleurs pas inintéressant que ce dernier se prononce sur cette disposition très particulière et totalement nouvelle consistant à interdire à un ressortissant français de sortir du territoire. Notre groupe a dit qu’il ne s’opposait pas à cela par principe, ni au fait que la décision soit prise de façon administrative – ce n’est en effet pas une peine qui est prononcée par un tribunal –, parce qu’il existe des caractères d’urgence. Pour autant, l’idée que, par la suite, ce n’est pas à la personne qui fait l’objet de la mesure d’introduire un recours, mais à un juge indépendant de se prononcer, ne peut pas être balayée d’un revers de la main. C’est pourquoi nous maintenons cet amendement.
Monsieur le député, il ne s’agit pas d’un sujet sur lequel il y aurait des zones d’incertitude, des espaces d’exploration juridique et des questionnements possibles. Depuis 1999, le Conseil constitutionnel s’est régulièrement prononcé sur ce sujet. Il y a donc une certitude juridique. Il suffit de lire les décisions du Conseil constitutionnel que je suis tout à fait prêt, par souci de transparence, à vous transmettre. Vous verrez que, sur le sujet en question qui concerne la répartition des compétences entre les juridictions administratives et judiciaires selon la nature des questions traitées, le juge constitutionnel s’est en permanence prononcé de façon extrêmement claire. Dès lors, il serait d’une grande malhonnêteté intellectuelle de ma part de venir vous dire le contraire de ce que je vous ai dit, alors que je dispose de tous ces éléments qui, compte tenu de la qualité de la bibliothèque de l’Assemblée nationale, sont également à la disposition de tous les parlementaires.
Cet amendement est anticonstitutionnel. Mme Auroi avançait que la Cour européenne des droits de l’homme pourrait se prononcer, mais celle-ci n’a aucune chance de jamais se prononcer sur ce sujet.
Elle n’a en effet aucune compétence pour le faire. Cela n’est pas possible en droit, parce que la Cour européenne des droits de l’homme n’est pas compétente sur la question de la répartition des compétences entre les juridictions administratives et judiciaires. Il est donc totalement improbable, pour ne pas dire techniquement impossible, que la Cour européenne des droits de l’homme se prononce sur ce sujet. Nous ne sommes pas une assemblée de juristes, mais une assemblée au sein de laquelle sont également traitées des questions politiques. Je comprends très bien le questionnement politique qui est le vôtre et je me permets simplement de vous dire très sincèrement qu’il n’y a aucune issue juridique à la question politique que vous posez, sauf à décider de modifier la Constitution pour rendre votre amendement compatible avec celle-ci.
L’amendement no 32 n’est pas adopté.
Cet amendement, monsieur le ministre, va peut-être me permettre d’obtenir la réponse à la question que je vous ai posée. Nous proposons d’étendre à un an la durée pendant laquelle les titres de voyage et la carte d’identité sont saisis. Nous voulons donner le temps aux services d’examiner en détail le cas de la personne concernée et de son entourage, et peut-être également lui donner le temps de se réinsérer. Notre amendement a aussi le mérite de nous conduire à préciser la position du Gouvernement sur ce qu’il se passe une fois les papiers d’identité retirés à une personne qui veut se rendre à un endroit où il existe un risque qu’elle participe à des actions terroristes. Que se passe-t-il pour cette personne ? Est-elle assignée à résidence ? Conduite dans un centre de rétention ? Est-ce que rien n’est fait ? Que se passe-t-il également pendant cette période ? Examine-t-on son cas ? Pense-t-on alors que six mois sont nécessaires pour son éventuelle réinsertion, qu’elle va être à l’abri pendant un an ou qu’il faut un an de plus pour être sûrs de sa non-dangerosité ? Telle est la question que je pose dans mon amendement et j’aurais besoin, monsieur le ministre, d’être éclairé sur la position du Gouvernement.
La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour soutenir l’amendement no 42 .
C’est un amendement très similaire qui propose de donner au ministère de l’intérieur la faculté de prononcer une mesure d’interdiction administrative de sortie pour une durée non pas de six mois, comme le prévoit le projet de loi, mais d’un an. Nous pensons que cela sera plus expédient, étant entendu qu’à tout moment la personne faisant l’objet de cette mesure peut en demander la suspension par référé. Les questions très pratiques que posait Pierre Lellouche appellent vraiment, monsieur le ministre, une réponse. Nous vous les posons pour que l’Assemblée nationale soit éclairée. Que fait-on concrètement de la personne frappée d’interdiction ? Est-elle seulement soumise à une surveillance policière, ce qui serait le minimum minimorum ? Peut-elle faire l’objet d’une contrainte de corps, même si, en l’état, la rédaction de la loi ne le laisse pas penser ? N’est-il pas nécessaire d’envisager un mécanisme de rétention physique de la personne ? Cette question n’est pas réellement traitée par l’article 1er et nous vous la posons.
L’amendement propose de faire passer la durée d’interdiction de sortie du territoire de six mois à quatre mois. Pour autant, je ne vois pas d’opposition avec les deux amendements précédents. En effet, nous ne devons pas nous demander, dans le débat de ce soir, s’il faut durcir ou adoucir le texte. Les propos du ministre, hier comme aujourd’hui, montrent qu’il a pleinement conscience de l’enjeu que représente l’équilibre important entre la protection de la sécurité et celle de la liberté. Il ne doit y avoir entre nous ni procès d’intention, ni suspicions : nous devons nous tourner vers nos adversaires. Les islamistes radicaux considèrent que les démocraties sont des régimes faibles, non pas parce qu’ils ne seraient pas capables de réagir d’un point de vue militaire ou policier – nous l’avons fait et le faisons en ce moment même –, mais parce qu’ils pensent que la liberté précisément est leur plus grande faiblesse, et que cette liberté confrontée à la logique de mort va, à un moment ou à un autre, nous désarmer.
Cela explique leur scénarisation de la mort. Ils pourraient très bien exécuter une grande quantité de gens et nombreux sont ceux qui tuent beaucoup plus qu’eux sans faire aussi peur. Cette mise en valeur de la mort face à la liberté, c’est précisément ce qu’ils recherchent au sein de nos démocraties. Ils veulent voir quelle est notre limite et jusqu’à quel point nous sommes capables de nous sacrifier.
Pour eux, à un moment ou à un autre, les régimes démocratiques seront trop faibles face au déferlement de violence. Or, ils ne seront pas faibles sur le terrain, parce qu’ils ne pourront pas réagir, mais parce qu’ils devront sacrifier leurs propres principes pour affronter ces islamistes radicaux. À ce moment-là, une partie de la victoire leur est acquise. Le jour où nous aurons sacrifié trop de nos libertés face à nos adversaires, nous aurons perdu une partie du combat, parce que nous aurons dénaturé nos propres sociétés. Nous devons en permanence trouver un équilibre, en particulier vis-à-vis de la notion de temps.
Depuis les attentats du World Trade Center, nous vivons ce mouvement comme une sorte de mouvement éphémère et ponctuel. Selon des analyses, ce serait même une forme d’anarchisme née dans l’espace transitoire d’un ordre mondial vers un autre. Mais c’est un combat de longue haleine qui nous attend ! Et ce n’est peut-être pas la dernière fois que nous devrons, dans cet hémicycle, trouver des outils législatifs et des réponses politiques à ces défis.
C’est pourquoi nous devons faire preuve d’une chose extraordinairement importante : ne pas montrer de fébrilité, ne pas montrer de divisions, mais montrer une certitude et une capacité à mesurer au temps T où nous en sommes et comment nous répondons. C’est là notre force, parce que nous considérons ici que les combattants de la liberté sont beaucoup plus forts que leurs adversaires. La notion de sacrifice pour la liberté est éminemment plus forte que le djihadisme ou le sacrifice pour des causes mortifères. En conservant notre liberté, nous conservons notre capacité de combattre.
Un collègue a évoqué le besoin d’une nation entière rassemblée, et je partage totalement son analyse parce que nous avons besoin, face à leurs convictions, de créer un idéal pour les combattre. Personne n’ira combattre ces fanatiques pour une grande société pétrolière ou pour quoi que ce soit d’autre, sinon pour la liberté.
Dès lors je pense que la situation actuelle peut justifier cette mesure assez grave, mais que celle-ci doit être clairement limitée par le législateur, non pas par procès d’intention à l’égard du ministère de l’intérieur ou des forces de police, mais pour montrer qu’au moment T, une mesure de quatre mois renouvelable, éventuellement plusieurs fois s’il le faut, est nécessaire et suffisante. À chaque étape de notre débat, nous devrons réagir avec le même comportement. Il ne s’agit pas d’un débat entre la droite et la gauche…
… mais entre nos démocraties et ceux qui nous affrontent. Il a son sens pour notre pays comme pour les autres. Plusieurs États ont pris des mesures extrêmement draconiennes suscitant le doute au sein de leur propre société et ont été obligés de revenir en arrière. Cela a donc été contre-productif. Ayons la lucidité de voir, dans le Patriot Act, ce qui était intelligent et ce qui était source d’erreurs, en quoi Guantanamo a peut-être enfermé des gens dangereux mais a aussi été un poison au coeur de la société américaine ; ayons l’intelligence de démontrer que les démocraties sont des régimes forts parce qu’elles savent répondre en se fondant sur des principes de droit, de liberté et de conviction.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupe SRC et UMP.
Il ne peut pas y avoir dans un tel débat d’un côté ceux qui voudraient durcir le texte, les messieurs plus, et, de l’autre, ceux qui voudraient l’alléger, les messieurs moins. On essaye tous de trouver le meilleur équilibre possible permettant à la fois de donner des moyens supplémentaires en matière de sécurité et évidemment de garantir les libertés fondamentales. Je crois que le délai de six mois est raisonnable, et ce pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, le retrait du passeport et de la carte nationale d’identité est une mesure grave et il faut bien sûr garantir certains droits qui s’y rattachent – ce qui fera l’objet d’un amendement sur le récépissé.
De plus, le délai de six mois permet aux services de renseignement d’étayer leur dossier et d’avoir des arguments valables, et le réduire à quatre mois risquerait de surcharger le travail des services concernés.
Et puis cette mesure est grave, disais-je, et la faire passer à un minimum d’un an, comme le propose M. Lellouche, ou à une année pour M. Larrivé, ne permettrait pas à la personne incriminée de faire valoir l’évolution de sa situation entre-temps.
Par ailleurs, pour répondre à la question de M. Lellouche, je précise que les personnes faisant l’objet d’un retrait de passeport et de carte nationale d’identité seront évidemment surveillées par les services de renseignement…
… puisqu’elles pourront faire un recours en référé liberté à n’importe quel moment de leur interdiction et que les services devront bien alors se justifier et fournir des dossiers étayés. À cet égard, le délai de six mois me paraît, là aussi, satisfaisant et d’une durée raisonnable.
Les amendements de M. Lellouche et de M. Larrivé vont dans le même sens. La question de M. Lellouche, posée de façon réitérée,…
… appelle de ma part une réponse, pour ne pas prendre le risque de le voir s’agacer à nouveau.
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.
En ce qui concerne ces deux amendements, je rappelle que notre texte repose sur la volonté de garantir à chaque article la proportionnalité entre les moyens que nous mobilisons et l’objectif que nous souhaitons atteindre. Cette proportionnalité est hautement souhaitable en raison de la jurisprudence de notre pays, systématique et imparable sur ces sujets. En rompant l’équilibre jurisprudentiel, nous prendrions le risque de voir, du fait de la grande importance de cet article, l’ensemble du texte frappé d’inconstitutionnalité. C’est la raison pour laquelle, afin d’assurer la sécurité juridique du projet de loi, le Gouvernement ne souhaite pas sortir de l’équilibre existant, même si je comprends l’objectif que vous poursuivez, messieurs les députés.
Et puis vous me demandez, monsieur Lellouche, ce qui va se passer après l’exécution de la mesure. Le texte pose plusieurs principes et nous devons en effet vérifier l’efficacité de ce que nous mettons en place.
Tout d’abord, je rappelle que l’objet de l’interdiction de sortie du territoire n’est pas d’assigner des personnes à résidence ou de les placer dans des centres de rétention, mais de les empêcher de partir dès lors que le ministère de l’intérieur est convaincu qu’elles s’engageraient sinon dans des opérations terroristes qui représenteraient un risque pour elles-mêmes et, à leur retour, pour nos concitoyens. L’efficacité du dispositif doit donc être mesurée à l’aune de l’objectif que nous poursuivons : empêcher ces concitoyens de partir. La mesure prévoit, immédiatement après qu’est prononcée l’interdiction administrative de sortie du territoire, le retrait du passeport et de la carte d’identité, et, en contrepartie, la remise au ressortissant d’un récépissé qui lui permettra d’avoir, pour ses cheminements à l’intérieur du pays, les mêmes droits que ceux dont il disposerait avec la carte d’identité.
Il est indispensable pour empêcher effectivement ces départs d’appliquer des dispositifs qui existent déjà au niveau réglementaire – et qu’il n’est donc nul besoin d’inscrire dans la loi – : l’inscription au fichier des personnes recherchées – le FPR – et le signalement au système d’information Schengen – selon une procédure qui serait donc identique dans l’ensemble des pays de l’Union européenne – pour assurer le repérage, dans tous les aéroports ou autres point d’arrivée, par d’autres services que les nôtres. Je travaille actuellement avec les autres pays de l’Union européenne à la mise en place d’un tel signalement au sein du système d’information Schengen pour garantir l’efficacité de la mesure.
Mais cette modification et l’inscription au FPR ne suffiront pas : il faudra également que nous mobilisions les transporteurs pour que, l’identité des personnes leur ayant été signalées, celles-ci puissent être empêchées de sortir du territoire lors d’un contrôle dans les moyens de transport. Tel est l’objet du fichier SETRADER – le système européen de traitement des données d’enregistrement et de réservation – et du fichier PNR – passenger name record – européen. Vous savez que dans ce dernier cas, nous avons un problème : la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures, dite commission LIBE, du Parlement européen, s’oppose à la mise en place d’un tel fichier à l’échelle européenne. J’ai donc décider, en accord avec mes collègues des autres pays de l’Union, d’aller devant la nouvelle commission LIBE de manière à bien lui expliquer que l’efficacité de notre action dépend de ce dispositif.
Enfin, monsieur Lellouche, si la personne en question venait à quitter le territoire et à être récupérée soit par des polices européennes, soit par la nôtre, elle se trouverait alors en infraction pénale puisque nous prévoyons une telle incrimination en ce cas, et on entrerait dans un autre processus : celui de la judiciarisation de sa situation. Vous m’avez demandé si on pourrait la mettre en centre de rétention : non, nous ne pourrions le faire au titre d’une mesure de police administrative, ce qui est d’ailleurs hautement souhaitable puisque aucune mesure de ce type ne vise à la privation de liberté. Par conséquent, nous devons veiller à ce que ce principe soit ici aussi respecté.
J’émets donc un avis défavorable aux trois amendements.
Je vous remercie, monsieur le ministre, de vos explications. Nous sommes évidemment ici au coeur du sujet. Je dois dire que je m’en veux de ne pas avoir investi suffisamment de temps en amont, en commission ou ailleurs, pour proposer à temps une approche alternative – parce que je crains que ce ne soit un peu tard. Voyez que je suis très franc.
Ce texte nous place devant un vrai paradoxe. En effet, les premiers alinéas de l’article supposent que les services de renseignement, avant que de lancer leurs rets, soient convaincus de la dangerosité de la personne concernée : ils l’ont identifiée et ont toutes les raisons de croire qu’elle va partir commettre un acte terroriste d’une grande gravité, tels que crime contre l’humanité, crime de guerre, dans des zones où se trouvent des groupements terroristes. Par conséquent, au moment où votre ministère va prendre la mesure d’interdiction de sortie, il n’y a pas de doute sur la dangerosité. Or voici qu’alors qu’on lui retire son passeport, ce qui s’ensuit est d’une totale et insoutenable légèreté : on va l’inscrire sur le fichier FPR mais, inscrite ou non, elle va partir ; l’on s’en remet à un système d’information Schengen qui n’existe pas encore et à un fichier à destination des transporteurs qui n’existe pas plus puisque la commission compétente du Parlement européen ne l’a pas encore validé. D’un côté, on a une personne très dangereuse, de l’autre, pas de dispositif. La seule chose que vous proposez, c’est de l’inscrire sur un fichier en espérant que quelqu’un d’autre va l’arrêter. Vous repoussez le problème à plus tard ou vers un autre service de police.
D’après ce que je sais des gens qui sont en ce moment en Syrie ou en Irak et des vidéos qu’ils postent eux-mêmes sur Facebook et que j’ai vues, à qui a-t-on affaire ? Il peut s’agir de personnes totalement fanatisées et donc très dangereuses, qui partent dans le but de faire le djihad et, si vous les inscrivez dans un fichier en les laissant en liberté, vous pouvez être sûr qu’elles partiront tout de même. Il y a aussi une seconde catégorie de personnes, et ce sont elles qu’on arrête le plus : des petites gamines de quinze ans qui sont là par hasard, totalement paumées, que vous allez également laisser en liberté, mais qu’il y a une chance de récupérer si vous signalez leur inscription aux parents.
Je suis vraiment très préoccupé par ce qui manque au dispositif : il n’est prévu ni processus de réinsertion pour un gamin un peu perdu de quinze ou seize ans, ni traitement très sérieux pour quelqu’un d’absolument déterminé à faire le djihad, y compris en donnant sa vie – ce qu’on voit sur les vidéos. Ces gars-là sont tout à fait dangereux.
Monsieur le ministre, encore une fois mea culpa parce que je pense que le texte tel qu’il est rédigé crée un filet, mais à supposer même que celui-ci fonctionne – je trouve que ses mailles sont très larges –, vous allez prendre le poisson avec, puis le remettre à l’eau. Ce n’est pas un travail sérieux en matière de lutte antiterroriste.
Je voudrais dire à Malek Boutih, pour lequel j’ai beaucoup d’estime, que j’ai moi aussi en tête, parce que je connais bien le Patriot Act et que j’ai vu les États-Unis évoluer depuis le 11 septembre 2001, la nécessité d’un équilibre permanent entre la défense de notre pays, un droit et un devoir pour nous, et le maintien de nos principes de droit. Bien sûr, monsieur le ministre, qu’il ne faut pas tomber dans l’excès inverse, mais je souligne, avec toute l’estime que je porte au travail accompli dans ce texte que je soutiens, que vous avez tissé des mailles très larges et, surtout, que vous n’avez prévu de réceptacle ni pour les gamins victimes de cette propagande sur internet, ni pour les gens absolument déterminés à tuer et que vous allez laisser en liberté. Ce n’est pas très sérieux, pardonnez-moi de vous le dire ainsi.
Pardonnez-moi, monsieur Lellouche, mais ce sont vos propos qui n’apparaissent pas très sérieux. Je vais tenter de vous en apporter la démonstration.
Vous affirmez tout d’abord que nous n’avons prévu aucune disposition à caractère préventif destinée à empêcher ces jeunes de basculer. C’est faux ! Laissez-moi rappeler ce que nous avons réalisé dans ce domaine.
Nous avons ainsi mis en place une plateforme qui a permis aux familles inquiètes à l’idée de voir leurs proches rejoindre des groupes djihadistes de les signaler. Sur les 1 000 ressortissants Français qui sont partis, 300 personnes, dont de nombreux jeunes, ont ainsi été identifiées.
Nous avons également prévu deux dispositifs dont j’ai précisé les contours par voie de circulaire. J’ai en effet demandé aux procureurs de la République et aux préfets, dans le département de résidence des jeunes concernés – ou de leurs parents – d’élaborer, pour chacun d’entre eux, un mécanisme d’accompagnement pratiquement « cousu main », mobilisant l’ensemble des administrations de l’État. Il est par exemple possible de recourir à des compétences psychiatriques, en cas de rupture psychologique pouvant conduire à l’émergence de pathologies, de mobiliser le secteur éducatif lorsque le jeune est en rupture scolaire, ou de saisir les collectivités locales elles-mêmes, et notamment les conseils généraux, pour ce qui relève de la protection de l’enfance.
Ces dispositifs, dont je tiens à présenter les résultats devant la représentation nationale, font l’objet de rapports qui me sont adressés chaque mois. Nous savons ainsi, département par département, quelles actions ont été conduites, quels sont les jeunes qui ont été empêchés de partir, et dans quelles conditions on les a accompagnés. Ce que vous avez dit n’est donc pas exact.
Je ne parlais pas de la plateforme de signalement, mais bien du dispositif permettant, dans chaque département, de mobiliser à des fins préventives, autour de ces jeunes et de leur famille, toutes les administrations de l’État. Il s’agit d’un accompagnement global, coordonné à ma demande par les préfets et les procureurs de la République, et qui donne lieu chaque mois à un rapport remis au ministre de l’intérieur. Toutes les administrations de l’État et des collectivités territoriales sont concernées, y compris l’éducation nationale, dans la mesure où le décrochage scolaire peut être un élément annonciateur du basculement.
Ce que vous dites concernant l’Union européenne n’est pas davantage exact. Le système d’information Schengen existe, de même que le signalement à ce fichier. Ce qui n’existe pas encore – mais grâce au travail effectué par les pays membres, nous n’avons plus que quelques semaines à attendre –, c’est un signalement identique, permettant à tous les pays de l’Union de travailler ensemble.
Par ailleurs, je vous invite à examiner les législations en vigueur dans d’autres pays de l’Union européenne, et qui sont assez semblables à celle que nous adoptons. En effet, au sein du G9 comme du G6, les ministres de l’intérieur ont décidé de faire converger les législations de leurs pays afin de favoriser une action européenne efficace.
Enfin, vous demandez ce que nous faisons des individus les plus dangereux. Lorsque nous disposons de suffisamment d’éléments témoignant de cette dangerosité, nous les faisons surveiller par les services dont c’est le rôle. Et tous les jours, nous arrêtons des gens, parce que nous considérons que leur cas est suffisamment sérieux pour être confié à l’ordre judiciaire. Je vous ai d’ailleurs indiqué, hier, le nombre de personnes interpellées et mises en examen. Quant aux autres, ceux que nous ne surveillons pas, ils sont directement mis entre les mains de la justice. En effet, si nous ne les surveillons pas, s’ils relèvent d’un autre dispositif – l’incarcération, en l’occurrence –, c’est qu’ils ont déjà commis des infractions pénales justifiant leur passage devant le juge judiciaire.
En réalité, nous disposons d’un système à la fois complet et efficace. Il suffit d’observer, monsieur Lellouche, le nombre de personnes que nous arrêtons chaque semaine dans toutes les villes de France, contribuant ainsi au démantèlement de réseaux de djihadistes. C’est la preuve de l’efficacité des services, même si je dois reconnaître devant la représentation nationale que si zéro précaution entraîne 100 % de risques, 100 % de précautions, en matière de lutte contre le terrorisme, ne permettront jamais d’atteindre le risque zéro.
Je suis arrivé trop tard pour pouvoir m’exprimer sur l’article, mais il est une question que je tenais à poser à M. le ministre.
Nous examinons un article fondamental, dans la mesure où il tend à restreindre, sur une présomption de dangerosité, et pour une durée allant de plusieurs mois à un an, une liberté aussi importante que la liberté de circuler. Or il existe, y compris au niveau de l’Union européenne, une liste d’États et de mouvements dits « terroristes ». Est-ce que demain, quand cet article sera inscrit dans notre droit, nous serons amenés à empêcher quelqu’un de soutenir, voire de rejoindre si tel est son souhait, des mouvements aujourd’hui classés par l’UE comme terroristes, tels que le PKK, le Hezbollah au Liban ou le Hamas à Gaza, pour ne citer que les plus emblématiques ? On nous parle de djihadistes de Syrie et d’Irak, mais les personnes en lien avec les organisations que je viens de citer sont-elles également concernées par la restriction de la liberté de circulation prévue par l’article 1er ? Cette question m’inquiète, et je souhaite obtenir une réponse.
Dès lors que la personne en question représente un risque pour la sécurité nationale, la réponse est oui. Le Hamas est une organisation terroriste, personne ne le conteste. Et si des ressortissants français s’engagent dans une organisation terroriste et représentent un risque pour la sécurité nationale, ils sont en effet concernés.
J’ose espérer que personne, dans cet hémicycle, ne conteste le fait que le Hamas est une organisation terroriste.
Dès lors, et à partir du moment où quelqu’un s’y engage et représente un risque pour la sécurité nationale, je ne vois aucune raison pour que nous ne puissions pas protéger notre propre pays contre ce risque.
En décrivant le dispositif de mobilisation des services de l’État dans chaque département, vous avez évoqué, monsieur le ministre, le recours à des psychiatres. Mais on oublie trop souvent qu’il n’existe pas, en matière de psychiatrie, de recouvrement entre les couples « bonne santé et maladie » et « normalité et pathologie ». Au risque de vous inquiéter, nous pouvons avoir des comportements pouvant être considérés comme pathologiques – consistant par exemple à décapiter en public ses frères humains, ou à les crucifier –, sans que ces comportements relèvent nécessairement de la discipline psychiatrique ni d’une pathologie au sens médical du terme. La majorité des patients des psychiatres sont d’ailleurs des gens infiniment pacifiques. Quant aux personnes visées par le projet de loi, elles peuvent être parfaitement organisées d’un point de vue psychique, voire hyperadaptées – mais peut-être en « faux self », pour employer un terme technique.
Je me permets donc de douter de l’efficacité de ce type de mesure, sachant qu’au-delà du problème qui nous concerne aujourd’hui, perdurent les vieux débats sur l’irresponsabilité pénale, la prise en charge des patients dangereux et le caractère inadapté à ce type de patient des structures de soins. C’est en partie la faute de mes aînés – en particulier post-soixante-huitards –, qui pensaient que tout le monde avait accès à la rédemption, ce dont personnellement je doute, notamment s’agissant des grands pervers. Or je crois déceler la même idée dans vos propos. Je pense pourtant qu’il faut accepter le fait que certaines structures psychiques, certaines organisations peuvent conduire aux actes dont nous parlons sans pour autant relever de la thérapie ni de la prise en charge psychiatrique. Cela méritait d’être précisé, même si cela n’est guère rassurant.
Je souhaite revenir sur les propos de M. Lellouche, car il y a quelque chose que je ne parviens pas à comprendre. Supposons qu’en application de la nouvelle loi, un jeune soit arrêté à la frontière. On lui confisque donc ses papiers d’identité. Va-t-il pour autant s’en tenir là ? Certes, on peut imaginer que certains se diront qu’ils ont fait une bêtise et rentreront à la maison. Mais ce n’est pas le plus probable, dans la mesure où nous parlons de candidats au djihad. La personne concernée va donc soit tenter d’atteindre son but par un autre moyen, en traversant une autre frontière, soit passer à l’acte directement sur le territoire national. Que dirons-nous à nos électeurs si un individu dont on a simplement pris les papiers avant de le laisser partir dans la nature commet, deux semaines après son arrestation, un acte terroriste ?
C’est une question de logique. Il ne s’agit pas seulement de jeunes égarés, mais aussi d’adultes. Qu’allons-nous en faire ? Que deviendront-ils une fois relâchés dans la nature ? Il me semble qu’il y a là un trou, un flou, et en tout cas un point sur lequel j’aimerais être rassuré.
Compte tenu de l’importance de la décision prise par l’autorité administrative d’interdire la sortie du territoire, nous souhaitons que cette décision soit écrite et motivée.
Une telle précision serait utile à plus d’un titre. Tout d’abord, et on l’a dit, cette décision est loin d’être anodine. Or elle devra parfois être prise en urgence. C’est même pour cette raison que la procédure relève du ministère de l’intérieur. Elle pourra également faire l’objet d’un recours, d’où l’intérêt de la justifier le plus précisément possible.
Je ne veux pas revenir, monsieur le ministre, sur le débat que nous avons eu tout à l’heure, même si j’estime qu’il n’est pas nécessaire de s’envoyer nos lectures respectives à la figure. Le fait de fréquenter suffisamment ou non telle bibliothèque, tel texte, telle jurisprudence est hors de propos. Une telle remarque n’est pas à la hauteur du débat. En outre, les parlementaires ne méritent pas une telle attitude.
Sur le fond, et parmi les différents commentaires que ce projet de loi a suscités, on peut se référer aux observations de l’Union syndicale des magistrats, l’organisation majoritaire chez les juges – elle recueille plus de 65 % des suffrages –, considérée comme modérée. Il est toutefois inutile de se rendre à la bibliothèque de l’Assemblée nationale pour consulter ce texte, publié sur le site internet du syndicat. On y lit que la décision d’interdiction du territoire, même si elle n’a rien d’anodin, peut sans doute être rapprochée d’autres mesures de police prises par l’autorité administrative, et donc susceptibles d’être contrôlées par le juge administratif. Le Conseil constitutionnel pourrait donc valider cette disposition, mais sur ce point, sa jurisprudence diffère de celle de la Cour européenne des droits de l’homme, et lui est même contradictoire. Une telle information est tout de même de nature à éclairer nos débats !
S’agissant de l’amendement, l’Union syndicale des magistrats rappelle que, dans ce même article 1er, à un autre alinéa, il est prévu qu’une personne qui ne respecterait pas l’interdiction de sortie du territoire serait passible d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à trois ans. Voilà qui rendra possible des procédures judiciaires – car personne ne contestera, je le pense, que ce sera au juge judiciaire de se prononcer sur l’infraction à l’interdiction de sortie du territoire. Or l’Union syndicale des magistrats appelle notre attention – à juste titre, je le pense, car il faut que nous soyons très pragmatiques si nous voulons assurer l’efficacité du dispositif – sur le fait que, n’en déplaise au ministre, le juge judiciaire devra se prononcer aussi en partie sur le fond, c’est-à-dire, sans vouloir revenir sur ce qu’a dit notre collègue Sebaoun – dont je ne partage pas totalement la position, dans la mesure où il cite des mouvements –, sur des questions qui sont loin d’être négligeables.
Je voudrais en outre dire à nos collègues de l’UMP que je comprends leur préoccupation d’être aussi efficace que possible, mais que si tout le monde parle du djihad, c’est parce que c’est d’actualité. Or, si les lois sont faites pour faire face à une situation donnée, elles sont souvent utilisées ultérieurement dans des situations que le législateur n’avait pas forcément imaginées. Restons modestes et humbles, mes chers collègues : nous ne faisons que passer !
Là encore, je vous invite à lire l’avis de l’Union syndicale des magistrats, qui souligne qu’il faudra se prononcer à un moment ou un autre sur ce qui est de l’ordre du terrorisme. Et ce n’est pas simple ! Certaines choses nous paraissent aujourd’hui évidentes, avec la menace de l’État islamique en Irak et au Levant – qui est pour nous réelle, comme je l’ai indiqué dans la discussion générale – et avec la situation du Mali, qui a justifié l’intervention militaire française ; toutefois, nous pourrions être confrontés à des situations moins nettes dans d’autres pays. Ainsi, il y a quelques mois, nous n’aurions peut-être pas envisagé les choses de la même façon en Syrie, vu la position officielle de la France à l’époque. Dans un autre contexte, avec un autre gouvernement, d’autres décisions pourraient être prises, qui apparaîtraient moins justifiées. Une fois encore, soyons humbles, monsieur le ministre : les ministres finissent toujours, un jour ou l’autre, par être remplacés. Notre rôle, en tant que législateurs, est d’anticiper les choses, de manière à sécuriser le dispositif. C’est pourquoi je me suis permis ce développement, certes un peu long.
Le présent amendement a, tout comme le précédent et comme le suivant, pour seul but de clarifier les choses au maximum, afin de laisser le moins de place possible au doute et d’éviter de fragiliser la décision qui sera prise.
Je me concentrerai sur l’amendement lui-même, sans revenir sur tout ce qu’a dit M. de Rugy.
L’amendement propose que la décision d’interdiction de sortie du territoire soit écrite et motivée. Écrite, elle le sera nécessairement, puisqu’elle sera notifiée à la personne concernée. Motivée, elle devrait pouvoir l’être sans difficulté, puisque les éléments qui auront permis au ministre de prendre sa décision seront communiqués à la personne concernée. Le présent amendement vise à ce que cela soit explicitement précisé, et la commission l’a accepté avec plaisir.
Le Gouvernement est lui aussi favorable à l’amendement.
Je voudrais revenir brièvement sur l’argumentation que vous avez développée, monsieur de Rugy. Je le répète : mes propos, tout à l’heure, n’étaient dictés que par la vérité que je dois au Parlement lorsque je suis saisi d’un amendement qui m’apparaît comme anticonstitutionnel. J’ai développé les arguments qui venaient en appui de ma démonstration, de la manière la plus précise possible, et sans vouloir déplaire à personne.
Quant au Syndicat de la magistrature,…
...il a dit deux choses : qu’il est contre l’interdiction administrative de sortie du territoire, parce qu’il préférerait un dispositif judiciaire ; et ce que vous avez indiqué, à savoir que le juge administratif peut être appelé à se prononcer sur la légalité de l’interdiction administrative de territoire, mais dans un cas très particulier : le non-respect de l’interdiction par celui qui en a fait l’objet. Dans ce cas, le juge judiciaire se trouve confronté à une infraction pénale et est compétent pour en juger. Il peut donc se prononcer, exceptionnellement, sur la légalité de l’interdiction.
Le Syndicat de la magistrature a donc raison de dire qu’il s’agit de l’état du droit, mais cela n’a rien à voir avec le contenu de l’amendement.
Les décisions individuelles de police restreignant les libertés publiques ne sont-elle pas depuis toujours soumises à une obligation de motivation ? Mais adoptons cet amendement : cela ne mange pas de pain et fera plaisir à M. de Rugy !
En revanche, il ne devrait pas s’agir de faire plaisir à un syndicat de la magistrature.
Exclamations sur les bancs du groupe écologiste.
Sans vouloir polémiquer, l’invocation à une douzaine de reprises de l’avis, par ailleurs fort respectable, d’une organisation de défense d’intérêts corporatistes ne me paraît pas fondée dans le cadre d’un débat parlementaire ! Les syndicats de magistrats reprochent souvent aux hommes politiques de commenter telle ou telle décision de justice ; j’aimerais que, de leur côté, ils nous laissent faire la loi.
Je me félicite que le rapporteur, le ministre et même notre collègue Larrivé aient émis un avis favorable à cet amendement, mais ce qui est tout de même étrange, c’est que je parlais de l’Union syndicale des magistrats, et non du Syndicat de la magistrature !
Il est vrai, monsieur Larrivé, que le Syndicat de la magistrature vous obsède… Pour plus de clarté, je vous invite à consulter les « Observations de l’Union syndicale des magistrats », en date du 15 juillet 2014, publiées sur le site union-syndicale-magistrats.org ; cela s’adresse aussi au ministre, qui a, je crois, fait la même méprise que vous.
Contrairement à vous, monsieur Larrivé, je trouve fort intéressant que les syndicats de magistrats – et, en l’espèce, le syndicat très largement majoritaire – fassent des « observations » sur le projet de loi que nous avons à discuter, et je ne vois pas pourquoi ces dernières ne pourraient pas éclairer notre débat – de même, d’ailleurs, que les observations des syndicats de policiers. De surcroît, rien ne nous oblige à les suivre !
Permettez-moi de vous signaler, chers collègues, que nous n’avons examiné jusqu’à présent qu’un très petit nombre d’amendements.
La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel.
Sans vouloir prolonger le débat, et en m’en tenant à l’amendement, madame la présidente, je veux faire observer à M. Larrivé – dont j’ai beaucoup apprécié les interventions jusqu’à présent – que si une décision de restriction des libertés individuelles doit, en l’état actuel du droit, être motivée, l’amendement demande qu’elle soit, par surcroît, écrite : on peut fort bien notifier une décision de manière orale.
L’amendement no 2 est adopté.
Ce sera bref, car je l’ai déjà indirectement défendu lors de ma précédente intervention.
Si, compte tenu du caractère d’urgence attaché à la procédure, nous comprenons fort bien que la décision d’interdiction de sortie du territoire ne puisse être prise à l’issue d’une procédure contradictoire, nous jugeons nécessaire, compte tenu de la lourdeur de la mesure, de réduire de quinze à sept jours le délai prévu pour que le ministère de l’intérieur entende la personne concernée. Tel est l’objet de cet amendement.
En l’état, le texte souligne que la personne concernée doit être auditionnée « sans délai », c’est-à-dire le plus rapidement possible. Le délai de quinze jours est une limite maximale, retenue pour le cas où il serait compliqué d’établir un contact avec la personne concernée – ce qui me semble raisonnable.
Avis défavorable, donc.
L’amendement no 6 n’est pas adopté.
L’objectif de cet amendement est d’associer la famille à la procédure – ou, tout au moins, au début de la procédure.
Les longs débats qui ont eu lieu sur l’article 1er montrent bien qu’il s’agit d’un volet essentiel du texte fort intéressant que vous nous proposez, monsieur le ministre. Les familles sont les premières à pâtir de la situation dans laquelle se trouve un de leurs membres. Sans qu’il s’agisse en aucune façon de retirer quoi que ce soit à l’autorité administrative, qui dispose d’une sorte de pouvoir discrétionnaire sous le contrôle du juge, il me semble que si l’on prévoyait que la famille puisse être à l’origine de la procédure en faisant un signalement, c’est-à-dire en étant lanceur d’alerte, on se donnerait plus de chances d’identifier certains cas.
J’ajoute qu’en cas de recours, il faudra que l’administration présente des éléments probants au juge. Si, en plus de ses propres données, elle transmettait l’avis de la famille qui aurait lancé l’alerte, on sécuriserait encore davantage la procédure mise en place par l’article 1er.
Monsieur le député, le numéro vert instauré par le Gouvernement permet précisément aux familles de faire des signalements.
Comme l’a rappelé le ministre, cela a une vraie utilité.
Votre amendement n’a pas de portée normative : on ne va pas rentrer dans le détail des éléments matériels ! Le signalement des familles sera bien évidemment utilisé pour prendre la décision, mais l’écrire dans la loi n’apporterait rien de plus.
L’amendement no 82 est retiré.
Le présent amendement limite la durée totale de l’interdiction de sortie du territoire à deux années.
En effet, l’interdiction de sortie du territoire vise à prévenir le départ de personnes dont les déplacements projetés ont pour objet de participer à des activités terroristes. Cette mesure préventive doit se fonder sur des motifs solides et actualisés, et sa durée être strictement proportionnée.
L’objet du réexamen obligatoire de la mesure tous les six mois est de garantir cette proportionnalité. Par ailleurs, l’intervention de cette mesure administrative est sans préjudice de l’obligation, pour l’administration, de saisir l’autorité judiciaire des faits délictueux dont elle a connaissance, en application de l’article 40 du code de procédure pénale.
Dans ce cadre, le fait de limiter à deux ans la durée totale de l’interdiction de sortie constitue une garantie supplémentaire.
Cet amendement n’a pas été examiné par la commission mais, à titre personnel, j’y suis favorable.
Monsieur le ministre, je comprends le sens de votre amendement, mais j’aimerais savoir ce qui se passera si la dangerosité d’une personne persiste au-delà de la période fixée arbitrairement à deux ans. Qui vous dit qu’elle ne concevra pas un projet du même type plusieurs années après ? Dans ce cas, comment fera-t-on ? Pourra-t-on recommencer une procédure ? Tel que l’amendement est rédigé, on a l’impression qu’une fois que la procédure initiale sera close, au bout de deux ans, il ne pourra plus rien se passer.
Votre question mérite bien entendu une réponse, monsieur Lellouche. Dans le cas où un risque se présente de nouveau au-delà de la période, nous entrons dans le cadre très précis d’une judiciarisation de la situation de celui qui fait l’objet de cette interdiction. Par conséquent, le risque est couvert.
La judiciarisation, aux termes de l’article 1er, intervient en cas de violation de l’interdiction de sortie du territoire. Ce n’est pas le sujet que nous évoquons. En l’occurrence, pour qu’il y ait judiciarisation, il faudrait que la personne, à l’issue du délai de deux ans, sorte du territoire. Supposez que l’on dispose d’informations selon laquelle elle envisage de sortir du territoire. Il n’y a pas de judiciarisation. Que se passe-t-il alors ?
L’amendement no 148 est adopté.
La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement no 33 .
Quand il s’agit de prolonger l’interdiction de sortie du territoire, il n’y a plus d’urgence. Nous demandons donc que ce soit bien un juge des libertés et de la détention qui intervienne à cette occasion.
Tout à l’heure, vous nous disiez qu’il revenait effectivement au suspect de former un recours contre la décision. Nous demandons, pour notre part, qu’un juge s’en mêle systématiquement. Si la police décide de priver quelqu’un de liberté, il est normal qu’un juge s’en occupe systématiquement, nous l’avons dit, et qu’un débat contradictoire ait lieu. Or, en l’état, le projet de loi ne le prévoit pas. Et, en cas de prolongation, il n’y a plus de caractère d’urgence. On peut donc remplacer le juge administratif par le juge des libertés et de la détention.
Les arguments ont déjà été échangés. Nous émettons donc un avis défavorable.
L’amendement no 33 n’est pas adopté.
La parole est à M. Pierre Lellouche, pour soutenir l’amendement no 18 rectifié .
Cet amendement a pour objet d’introduire le mot « immédiat » s’agissant du retrait des documents de voyage de la personne considérée dangereuse.
Cela me donne l’occasion de vous demander comment s’appliquera, concrètement, l’interdiction de sortie du territoire. À quel moment procède-t-on au retrait de la carte d’identité et du passeport ?
La commission a émis un avis défavorable, parce que cela paraissait évident. Cela dit, dans un souci d’écoute et de partenariat, cette position peut évaluer et nous pouvons émettre un avis favorable. On ajouterait le mot « immédiat », même s’il était déjà prévu que le retrait serait immédiat.
La volonté du Gouvernement est de faire en sorte que le retrait des documents d’identité ait lieu immédiatement après l’interdiction de sortie du territoire. C’est la raison pour laquelle votre amendement, qui est un amendement de précision, de nature à clarifier le sens du texte, convient au Gouvernement. Nous émettons donc un avis favorable.
L’amendement no 18 rectifié est adopté.
Défavorable.
En commission des lois, nous avions introduit la possibilité de retirer la carte nationale d’identité, puisque celle-ci est un moyen de sortir du territoire, notamment – nous l’avions vu – pour aller en Turquie. Il faut donc pouvoir retirer la carte nationale d’identité au même titre que le passeport.
L’amendement no 7 n’est pas adopté.
Cet amendement vise à renforcer la sécurité juridique du dispositif de retrait des titres d’identité et de voyage. En commission des lois, nous avions eu des débats sur la nécessaire garantie des droits attachés à la carte d’identité, que le récépissé remis lors du retrait de celle-ci devait assurer ; nous avons eu des débats ici même également.
L’amendement du rapporteur qui rend automatique le retrait de la carte d’identité va plus loin que l’amendement que nous avions proposé avec Guillaume Larrivé, qui ne tendait à instaurer qu’une simple faculté de retrait. Cela requiert que des garanties juridiques renforcées soient prévues. Bien que la constitutionnalité du retrait du titre d’identité et de voyage contre récépissé ne fasse aucun doute, puisqu’elle figure déjà dans notre droit à l’article 138 du code de procédure pénale, et bien que la CEDH ait également validé de telles mesures, nous pensons qu’il n’est pas superflu de consolider l’équilibre juridique du dispositif en une telle matière. Tel est le sens de nombreuses interventions depuis le début du débat. C’est aussi l’objet du présent amendement, qui vise à préciser que le récépissé permettra de faire valoir les droits afférents au titre d’identité à l’exception de celui de voyager.
Cet amendement va dans le même sens que celui que le groupe SRC présentera dans quelques instants, qui, du point de vue de la commission, est plus complet.
L’amendement no 135 est plus précis, mais Mme Bechtel l’expliquera en le présentant.
Auriez-vous, monsieur le rapporteur, l’amabilité de nous expliquer en quoi l’amendement déposé par le groupe socialiste, que défendra Mme Bechtel, est plus précis que l’amendement déposé par le groupe UMP ? Leur objet est absolument identique.
Le mieux sera que Mme Bechtel présente cet amendement no 135 . Disons déjà que la mention du « seul territoire national » apporte une précision que je crois importante.
Notre amendement aussi apporte des précisions utiles, monsieur le rapporteur. Ainsi exclut-il expressément le droit de voyager, ce qui est quand même très important. Peut-être est-ce implicite dans l’amendement de Mme Bechtel, mais je considère que le nôtre est plus précis sur ce plan.
L’amendement no 65 n’est pas adopté.
La parole est à M. Sébastien Pietrasanta, pour soutenir l’amendement no 106 .
L’amendement no 106 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel, pour soutenir l’amendement no 135 .
Tout d’abord, je remercie mes collègues de l’opposition d’avoir entendu l’observation que j’avais faite en commission des lois le 28 juillet dernier. J’avais souligné qu’il serait souhaitable qu’un amendement puisse garantir effectivement des droits équivalents à ceux de la carte d’identité. Nous avons travaillé dans un délai court, et je me félicite beaucoup de cette convergence de fond.
Bien entendu, l’amendement que je présente – qui a pour objet de préciser que le « récépissé ouvre, sur le seul territoire national, » précision que je crois assez forte, « l’ensemble des droits garantis par la détention d’une carte nationale d’identité » – est assez clair, compte tenu de cette précision, quant à l’interdiction de voyager. En outre, pardonnez-moi, mes chers collègues, mais le terme « afférents » manque vraiment de précision. Il appelle un complément. Les « droits afférents » à quoi ? Il faut le deviner.
C’est la raison pour laquelle je me permets de penser que ma rédaction qui converge largement avec la vôtre, et dans son intention et sur le fond, est peut-être plus précise, et donc préférable, même si je vous remercie d’avoir repris l’idée.
L’amendement no 135 , accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.
Je suis saisie de deux amendements, nos 24 rectifié et 43 , pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à M. Pierre Lellouche, pour soutenir l’amendement no 24 rectifié .
Cet amendement a une portée symbolique, en même temps qu’il adresse un message à nos concitoyens et à tous les candidats au djihad. Nous proposons que, pendant la période d’interdiction de sortie de territoire, qui peut donc, aux termes de l’amendement du Gouvernement, durer jusqu’à deux ans, les droits sociaux de ces personnes dont la dangerosité et l’intention de rejoindre des mouvements terroristes auront été constatées puisqu’elles auront fait l’objet de cette mesure administrative soient supprimés. Disons-le clairement : nous proposons que le contribuable ne finance pas les candidats au djihad. Cela paraît pour le moins normal, étant entendu qu’il s’agit de personnes dont la dangerosité et les intentions auront été démontrées par les services de l’État concernés.
La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour soutenir l’amendement no 43 .
Cet amendement a le même objet que le précédent. Il nous semble que les individus qui, parce qu’ils sont identifiés par la police nationale comme susceptibles de participer à des projets de nature terroriste font l’objet d’une interdiction de sortie de territoire ne doivent pas bénéficier de mesures de solidarité nationale. Il nous paraîtrait tout à fait illogique que des aides sociales non contributives continuent à être versées à ces personnes. On n’imagine pas qu’un individu soit à la fois dans une situation telle qu’il porte atteinte à la sécurité nationale en projetant d’aller commettre des actes terroristes sur un théâtre de djihad et bénéficie, par exemple, du RSA, ou de toute autre allocation non contributive. La solidarité nationale ne peut pas s’appliquer à des personnes qui choisissent au fond elles-mêmes d’en être exclues.
La commission émet évidemment un avis défavorable.
À partir du moment où ces individus sont sur le territoire national, il faut être prudent et veiller à ne pas stigmatiser, à ne pas jeter l’opprobre. L’objectif n’est pas de faire que la République les rejette, il est bel et bien de faire en sorte que la République puisse les accueillir en son sein. Ce que vous proposez maintenant va un peu à l’encontre de ce que vous proposiez il y a un instant, à savoir de délivrer un récépissé qui permette de garantir l’ensemble des autres droits, sauf celui de sortir du territoire. Et voici que vous défendez un amendement de nature à permettre de supprimer des aides sociales et, je reprends votre expression, des « droits sociaux » ! D’ailleurs, je ne sais pas ce que ça veut dire. Sont-ce des prestations sociales, des aides sociales ? Ou cela couvre-t-il un champ plus large, qui inclurait d’autres dispositifs ?
Par ailleurs, on reparlera un peu plus tard de la suppression des allocations familiales et des aides sociales pour ceux qui sont sortis du territoire.
D’ailleurs, je ne sais pas vraiment ce que signifie l’expression « droits sociaux ». S’agit-il des prestations sociales, des aides sociales, ou d’autres dispositifs plus larges ? Par ailleurs, nous reparlerons plus tard de la suppression des allocations familiales que vous proposez, ainsi que de la suppression des aides sociales pour celles et ceux qui sont sortis du territoire.
Monsieur le rapporteur, j’avoue que j’ai du mal à comprendre votre raisonnement, si tant est qu’il est compréhensible. D’abord, cet amendement ne vise pas à stigmatiser l’islam : je ne sais pas où vous êtes allé chercher cette idée.
Vous avez bien employé le verbe stigmatiser ? Qui nous accusez-vous de stigmatiser ?
Vous estimez donc qu’il faut éviter de stigmatiser des personnes qui ont été identifiées par les services de police comme des candidats au djihad, des gens qui sont prêts à commettre des actes terroristes – car c’est bien ce que signifie l’article premier. Il s’agit de personnes d’une particulière dangerosité, de gens qui sont prêts à faire la guerre à la France. Il ne s’agit donc pas de stigmatiser qui que ce soit. Si je lis bien l’article dont nous débattons depuis maintenant deux heures, il s’agit quand même de personnes volontaires pour commettre des actes terroristes, des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité, dans des zones où des groupes terroristes agissent. Excusez du peu !
Nous ne stigmatisons personne : nous disons simplement que ces gens-là s’excluent eux-mêmes de la communauté nationale. Il s’agit d’individus sur le point de tuer des gens ou de commettre des attentats, et que l’on décide de bloquer pour éviter cela.
Vous faites une autre confusion : si on donne un récépissé à ces personnes, ce n’est pas pour faire valoir leurs droits au RSA ou aux allocations familiales, mais pour reconnaître leur identité tout en les empêchant de voyager. Cela n’a rien à voir, donc !
Troisièmement, je crois que vous allez avoir du mal à expliquer à nos concitoyens que des gens prêts à faire la guerre à la France doivent être subventionnés par les contribuables via des allocations diverses – qui, par ailleurs, sont assises sur les cotisations des gens qui travaillent.
Que voulez-vous dire par « allocations diverses » ? De quels droits sociaux parlez-vous ?
Je ne comprends donc pas très bien la légèreté avec laquelle vous répondez à cet amendement, en évoquant une stigmatisation. Nous ne stigmatisons personne ; nous voulons simplement défendre la France contre des gens prêts à tuer. Ce sont des criminels en puissance que l’on veut empêcher de sortir du territoire.
Le Gouvernement est défavorable à ces deux amendements pour des raisons de droit. Si nous décidons de suspendre des prestations sociales pour des motifs qui n’ont rien à voir avec les conditions d’attribution de ces prestations, nous nous mettons dans une situation extrêmement difficile d’un point de vue juridique. Nous irions en effet à l’encontre d’un principe général du droit : le principe d’égalité. Il ne peut être dérogé à ce principe que pour des motifs tenant aux raisons pour lesquelles l’allocation ou la prestation sociale est attribuée.
Je pense donc qu’il n’est pas possible, juridiquement, d’accepter cet amendement. Il est, aux yeux du Gouvernement, anticonstitutionnel.
Il me semble, tout d’abord, qu’il n’y a pas de définition exacte de la notion de droits sociaux – à moins que les juristes me prouvent le contraire. Puisque l’individu concerné par la mesure prévue à l’article 1er de ce projet sera simplement privé de la liberté de circuler, quels que soient les motifs retenus contre lui, il conservera ses droits liés à un éventuel contrat de travail, à une éventuelle qualité d’assuré social ou de bénéficiaire d’allocation logement. Ce que vous dites, monsieur Lellouche, n’a pas de sens : on ne peut priver ces individus de droits sociaux – d’autant que, comme M. le ministre vient de le dire, cette notion n’est pas précisément définie. Cela pose un risque majeur d’inconstitutionnalité.
Je trouve aussi que c’est aller trop loin sur la base d’une simple suspicion. Vraiment, vous refusez de soigner les individus qui tomberaient sous le coup de cette disposition ?
M. Larrivé qualifiait tout à l’heure nos amendements de délirants. Je lui renvoie le compliment !
Il s’agit bien de suspicion, d’individus dont la police estime qu’elles quittent le territoire dans le but de rejoindre une zone de conflit pour je ne sais quelle raison.
Nous discutons d’un texte rédigé avec des termes précis, qui vise des cas où il y a des raisons de croire – ce mot « croire » a sa place dans ce texte : il est au coeur du problème – qu’une personne part à l’étranger pour participer à des activités terroristes, ou risque d’en commettre à son retour. Dans ce cas, on pourra lui retirer son passeport et sa carte d’identité pour l’empêcher de quitter le territoire. C’est déjà – excusez l’expression – quelque chose d’énorme !
Peut-être pas pour vous, après tout ! Nous voyons sans doute les choses de façon différente, mais il s’agit déjà d’une privation de liberté considérable.
La punition envisagée pour ces personnes est déjà importante – quelques éléments du texte pourraient d’ailleurs être améliorés, en permettant au juge d’intervenir un peu dans le processus. Il s’agit de prévention, d’empêcher un délit qui, s’il est probable, n’a pourtant pas été commis. Et vous comptez enlever tous les moyens de vivre à des personnes qui n’ont pas encore commis de délit et peut-être n’en commettront jamais ! C’est le délire le plus total !
Nous évoquions tout à l’heure – Hervé Féron peut en témoigner – le caractère préventif de ce dispositif, et l’objectif de réinsérer ces personnes dans la société. Il s’agit tout de même de faire en sorte que les jeunes concernés – puisqu’il s’agit en majorité d’individus très jeunes – puissent se réinsérer dans la société ! Si vraiment vous ne voulez pas qu’ils se réinsèrent, si vous voulez au contraire qu’ils tombent encore plus dans la précarité et commettent réellement des actes terroristes, alors continuez comme cela, avec des amendements aussi délirants !
J’imagine que si l’autorité administrative prend les mesures prévues par ce texte – confiscation du passeport et de la carte nationale d’identité –, c’est après avoir bien examiné la situation de l’individu en cause. Sinon, elle courrait le risque de voir ces mesures annulées par le juge administratif – voire par le juge judiciaire. La décision est donc prise sur un fondement précis. Comme le dit notre collègue Pierre Lellouche, comment expliquer à l’opinion publique que l’on dispose d’assez d’éléments pour retirer le passeport et la carte nationale d’identité d’une personne, mais que ces éléments – aussi fondés en droit soient-ils – ne suffisent pas à suspendre le bénéfice de prestations sociales ? Il faut aller au bout de la logique ! Or en refusant cet amendement, vous refusez d’aller au bout de la logique de ce texte.
Monsieur le ministre, certaines des dernières interventions montrent bien l’absence de réflexion profonde de certains de nos collègues. Ceux-là de nos honorables collègues – pour faire un anglicisme – font preuve de pensée magique.
Premièrement, deux systèmes d’explication du monde s’affrontent très violemment. D’une part, le système défendu par ceux que nous appelons terroristes : il est totalement antinomique avec le nôtre ; il vise à le détruire et à le remplacer. Les terroristes nourrissent le fantasme profondément réactionnaire du retour à une collectivité originelle rêvée dans sa pureté et son unicité. C’est bien là l’idéologie que défendent les terroristes. Ce n’est pas pour autant que l’on doit parler de maladie !
Je le répète : cela nous paraît peut-être pathologique, mais cela ne relève pas d’une maladie au sens strict. Cela ne peut donc faire l’objet d’un soin ! Quelle est la maladie, au sens médical du terme, que vous voulez soigner ? Encore une fois, nous ne sommes pas dans le domaine de la thérapeutique : le terrorisme n’est pas une maladie identifiée que l’on pourrait soigner ! Tant que l’on ne rejette pas ces présupposés, on ne pourra pas avancer sur le plan intellectuel.
Deuxième dérive : j’ai entendu le terme « précarité ». C’est la deuxième fois, ce soir, que nous l’entendons. Mais c’est bien mal connaître l’être humain, qui n’est pas forcément rationnel, que d’imaginer – comme toujours, par pensée magique – que les terroristes naîtraient toujours dans les milieux défavorisés, opprimés. Mais il est certainement des jeunes gens et des jeunes filles nés dans les beaux quartiers de Paris qui – par rejet de leur famille, par crise d’adolescence, ou que sais-je encore – sont prêts à se révolter, sans être issus du Lumpenproletariat, sans correspondre aux défavorisés que vous décrivez.
Si vous partez dans ce type de raisonnement, vous ne pourrez pas aider M. le ministre de l’intérieur dans ses efforts, car vous n’aurez rien compris à l’essence même du terrorisme, qui relève de sentiments, de sensations, d’une vision du monde profondément enracinée, d’un idéal perverti. Je l’ai déjà dit hier : le terrorisme prend aussi racine dans une conception de la vie brève, d’une vie qui prend son sens dans un combat, dans la violence. Il témoigne du rejet de nos sociétés modernes, desquelles la violence est tellement exclue qu’elle nous revient en boomerang, en fin de compte, par les images télévisées – images que nous laissons d’ailleurs trop facilement voir à nos enfants : là est le véritable traumatisme.
De grâce, abandonnez donc cette idée de la rédemption universelle, y compris pour les personnes qu’on appelle terroristes. Abandonnez vos idées pseudo-psychologisantes à court terme, et vos idées sous-marxistes d’un Lumpenproletariat qui serait destiné à se révolter au moyen de la terreur ! Encore une fois, l’exemple de l’attentat des tours jumelles démontre que votre vision du monde est fausse, et n’est pas opérante.
Je remercie notre collègue Attard de m’avoir fait ce beau compliment d’estimer qu’il est délirant de vouloir éviter que notre société subventionne ceux qui entendent la détruire. Je pensais simplement qu’il n’est pas normal que les citoyens français subventionnent des gens qui envisagent de tuer leurs enfants, leurs familles, ici ou ailleurs, raison pour laquelle on les empêche de quitter le territoire national – mais peut-être ce raisonnement n’est-il pas assez sophistiqué pour vous ?
Il s’agit pourtant de personnes dont nos services de sécurité pensent qu’ils sont d’une dangerosité établie : c’est d’ailleurs pour cela qu’il est prévu de leur enlever leurs papiers d’identité, pour une durée pouvant aller jusqu’à deux ans. Pendant ces deux années, en effet, j’estime qu’il n’est pas totalement absurde…
Ce n’est pas de cela qu’il est question ! Nous vous interrogions sur la notion de « droits sociaux ». Que faites-vous si l’individu est asthmatique ?
Monsieur Sebaoun, vous avez eu la parole, laissez donc M. Lellouche s’exprimer.
Merci, madame la présidente. Je n’ai pas interrompu, pour ma part, les orateurs de la majorité !
C’est pour moi un très beau compliment d’être accusé de délirer tout simplement parce que je dis des choses qui relèvent du bon sens ! Vous poussez très loin la victimisation et la philosophie de l’excuse qui vous caractérisent ; votre aveuglement vous empêche de comprendre que ces gens font la guerre. Quand ils partent en Syrie ou en Irak, ils font la guerre, ils égorgent, ils tuent, ils massacrent. Et s’ils reviennent, ils le feront ici aussi !
Les gens que ce texte permettra d’arrêter à la frontière sont dangereux – s’ils ne l’étaient pas, les dispositions de ce texte ne s’appliqueraient pas, car elles sont rédigées de façon très précise, très restrictive. Les gens dont il s’agit sont donc des gens dangereux ! Cet amendement vise simplement à dire que la collectivité nationale a d’autres choses à faire de son argent – c’est-à-dire de l’argent du contribuable, de notre argent à tous – que de subventionner ces gens-là, ceux qui font l’objet d’une interdiction de sortie du territoire. Et vous considérez que c’est délirant ?
Savez-vous ce que nous allons faire ? Nous allons laisser les électeurs, et le bon sens populaire, juger.
Vous invoquez le bon sens populaire, à présent ! Quelle mauvaise défense de cet amendement !
C’est votre attitude, madame, qui est tout simplement incompréhensible pour moi.
Je voudrais revenir sur plusieurs points. Nous ne cherchons pas à tenir un discours victimisant, ou pseudo-psychologisant, ou tout ce que vous voudrez. Il faut rétablir un certain nombre de faits.
Premièrement, il faut respecter le caractère gradué des mesures de rétorsion.
Une interdiction de sortie du territoire, ce n’est pas une accusation d’association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme ni d’entreprise individuelle terroriste. La volonté de commettre un attentat relève du délit d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ou bientôt du délit d’entreprise individuelle terroriste.
Les personnes à qui l’on confisque un passeport ou une carte nationale d’identité n’ont pas commis d’acte terroriste ; on les en empêche. D’une certaine manière, c’est pour beaucoup d’entre eux une mesure de protection contre eux-mêmes car cela les empêche de passer au stade supérieur. Cela ne veut pas dire que certains d’entre eux ne sont pas dangereux. Aussi, les services de renseignement ont pour mission de les surveiller et de renouveler l’interdiction de sortie de territoire.
Par ailleurs, s’agissant des jeunes filles interdites de sortie du territoire, dont le ministre a parlé tout à l’heure, elles font l’objet – pour certaines – d’une mise en examen, donc d’une procédure judiciaire, mais également de mesures éducatives mises en oeuvre notamment par la protection judiciaire de la jeunesse. Il faut bien comprendre qu’une interdiction de sortie du territoire n’est pas une incrimination pour association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme.
S’agissant du sujet qui nous occupe, va-t-on supprimer les allocations familiales de ces mères de famille qui ont elles-mêmes appelé le numéro vert mis en place il y a quelques mois pour signaler leur propre enfant ? Est-là le signal que l’on veut envoyer à ces mères de famille courageuses ? Il faut raison garder.
Enfin, je voudrais souligner une contradiction. Vous voulez faire de la surenchère et marginaliser la gauche en l’accusant de rester dans un discours victimaire. Vous avez du mal à vous en tenir au présent projet de loi, travaillé en commission des lois, et essayez de jouer au « M. Plus » sur des sujets comme les allocations familiales ou la déchéance de la nationalité.
Il y a à peine un quart d’heure, M. Goujon présentait un amendement précis « permettant de faire valoir les droits afférents à l’exception de celui de voyager ». Et maintenant, vous nous proposez de supprimer des droits sociaux ! Je répète qu’on ne sait pas vraiment ce que recouvrent ces droits sociaux : Est-ce que cela supprime le droit de se soigner ? Veillons à rester mesurés dans nos propositions.
Sans vouloir anticiper le débat de tout à l’heure, j’indique que la suppression des allocations familiales est une chose grave. Vous avez raison, monsieur Lellouche : la République française n’a pas à financer les djihadistes et il est évidemment insupportable que certains puissent bénéficier d’allocations familiales.
Mais, là encore, le droit s’applique ! Lorsqu’on n’est pas sur le territoire français, on ne peut pas toucher les allocations familiales et les prestations sociales. D’ailleurs, nous n’avons pas attendu vos amendements pour que la règle s’applique : plus d’une centaine de familles ont été concernées par le retrait de prestations sociales à ce titre. Ne mélangeons donc pas tout !
J’ai le sentiment que nous tournons en rond et je remercie le rapporteur de nous avoir ramené au sujet dans le début de son propos. Chers collègues, nous sommes ici pour faire la loi. Le droit est une matière précise : ce n’est ni de la psychanalyse, ni du pseudo-bon sens façon « café du commerce ». En droit, les choses sont simples : tous les mots ont un sens et le concept de « droits sociaux », monsieur Lellouche, n’existe pas !
Je n’ai insulté personne, donc évitez de le faire, d’autant que j’ai des connaissances juridiques que d’autres n’ont peut-être pas. Commencez par obtenir les diplômes que je détiens !
Vous vous glorifiez il y a quelques instants de ne pas interrompre les orateurs et vous en donnez un bel exemple !
Je me permets simplement de vous dire que le concept de « droits sociaux » n’existe pas en droit. Sur la forme, cet amendement est juridiquement irrecevable. Si vous nous aviez donné la liste des droits sociaux que vous proposiez de supprimer, nous aurions pu en discuter sur le fond.
L’amendement no 24 rectifié n’est pas adopté.
L’amendement no 43 n’est pas adopté.
La parole est à M. Pierre Lellouche, pour soutenir l’amendement no 23 .
Cet amendement a trait à la procédure conduisant à la décision d’interdiction de sortie et de retrait du passeport. Si j’ai bien compris le dispositif du projet de loi, les services de renseignement font une enquête sur un certain nombre de gens, à l’issue de laquelle les pièces d’identité peuvent être retirées et une interdiction de sortie peut être signifiée.
Dans le cas où on repérerait au dernier moment, celui de l’embarquement, une personne passée au travers de ce filtre, peut-on encore l’arrêter avant qu’il ne parte ? Je crois que la rédaction actuelle de l’article premier rend cet amendement sans objet car on ne peut plus arrêter quelqu’un au moment où il s’apprête à partir. Pourtant, il peut malheureusement arriver qu’un policier de la police de l’air et des frontières ait des soupçons sur le comportement de personnes s’apprêtant à prendre un avion. Dans ce cas, peut-on lui signifier une interdiction de sortie à la dernière minute, au moment de l’embarquement dans l’avion ou dans un train ? Cette question me taraude. Peut-être pourriez-vous, monsieur le ministre, préciser à nouveau cette procédure.
J’ai du mal à comprendre votre amendement, monsieur Lellouche, notamment la signification des mots : « au départ ». L’article prévoit une décision du ministre ou de son représentant, étayée par un dossier des services de renseignement. Un agent de la PAF, pour reprendre votre exemple, ne peut pas décider seul dans son coin, sans éléments matériels ou factuels, d’une interdiction de sortie du territoire. L’absence de contrôle porterait fortement atteinte aux libertés publiques. Je ne vois pas où vous voulez en venir. Votre amendement est imprécis et va à l’encontre de l’esprit de l’article premier.
Cet amendement pose deux problèmes. Premièrement, il ne faut pas qu’une autre autorité que celle prévue pour se prononcer sur l’interdiction, c’est-à-dire le ministre de l’intérieur ou son représentant, puisse le faire. Il est important que ce soit le ministre de l’intérieur ou son représentant qui puisse le faire, et personne d’autre. Si cet amendement est inspiré par la volonté d’ouvrir cette possibilité à d’autres que ceux qui ont vocation à le faire, je n’y suis pas favorable.
Deuxièmement, dans le dispositif envisagé, cette décision du ministre de l’intérieur ou de son représentant peut intervenir à tout moment, notamment au départ, si nous avons suffisamment d’éléments qui le permettent. Votre préoccupation me semble donc satisfaite par le texte lui-même.
L’amendement no 23 est retiré.
L’article 1er, amendé, est adopté.
La séance, suspendue le mercredi 17 septembre 2014 à zéro heure vingt-cinq, est reprise à zéro heure trente.
Je vous remercie, madame la présidente.
Monsieur le ministre, je souhaite, avec cet amendement, aborder la question de la proportionnalité des réponses que notre société peut apporter afin de dissuader, prévenir, mais également sanctionner ceux qui vont combattre à l’étranger dans des groupes qui incarnent la barbarie contemporaine.
Je veux donc soulever, à ce stade de nos débats, la question de la déchéance de la nationalité. Nous l’avons abordée hier, au cours de la discussion générale. Le Premier ministre lui-même, dans un entretien accordé il y a quelques mois, au quotidien Libération je crois, indiquait qu’elle ne devait pas être taboue.
J’approuve et soutiens, naturellement, cette position. Mais force est de constater qu’elle est restée lettre morte, et n’a jamais été traduite en actes, contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres États membres de l’Union européenne, en particulier la Grande-Bretagne, où, au cours des dix derniers mois, je crois, il a été procédé à la déchéance de la nationalité britannique d’une vingtaine de binationaux.
Monsieur le ministre, en répondant à mon intervention au nom de mon groupe lors de la discussion générale, vous avez affirmé qu’il existait des exemples similaires dans notre pays. J’aimerais donc que vous puissiez nous donner les chiffres, ainsi que la position du gouvernement.
Je crois en effet que, face à l’ampleur de la menace, face à un risque qui n’a jamais été aussi élevé, nous devons utiliser des armes suffisamment explicites et dissuasives contre ceux qui ont l’intention de partir combattre à l’étranger, au sein de forces ayant des visées terroristes. Il faut que nous puissions, à leur retour, leur infliger cette sanction.
Elle existe déjà dans notre droit : L’article 25 du code civil dresse la liste des crimes et délits en raison desquels la déchéance de nationalité peut être prononcée à l’égard d’un individu. Je l’utilise donc comme support juridique de mon amendement.
En créant, par un article L. 421-2-6 du code pénal, une nouvelle incrimination pour un acte terroriste commis à titre individuel, vous élargissez opportunément le cadre défini par la loi antiterroriste de 1986, qui reposait sur l’incrimination d’association de malfaiteurs.
Je souhaite donc compléter l’article 25 du code civil par un alinéa ajoutant cette nouvelle incrimination : telle est l’économie générale de cet amendement.
Vous allez sans doute me répondre qu’il est satisfait, puisque les actes de terrorisme figurent déjà dans la rédaction actuelle de l’article 25. Mais je crois qu’il serait préférable, utile, opportun et légitime de préciser très clairement que cette nouvelle incrimination doit faire partie des cas dans lesquels peut être prononcée la déchéance de la nationalité française.
Je crois, monsieur le ministre, que la question a valeur de symbole : une telle évolution est réclamée par beaucoup de nos concitoyens, qui ne peuvent comprendre que nous restions passifs et inertes quand des centaines – demain peut-être des milliers – de binationaux partent à l’étranger commettre des actes terroristes, et peuvent revenir en France tout en conservant leur nationalité.
J’ajoute, et cela a déjà été évoqué, que l’application de l’article premier pourrait se trouver entravée par l’existence de binationaux : grâce à leur autre nationalité, ils peuvent contourner l’interdiction provisoire de voyager.
Ce débat, je crois, doit être engagé. Nous attendons du gouvernement, surtout des actes. Le droit, par l’article 25 du code civil, permet la déchéance de la nationalité française, sauf bien sûr, et c’est légitime, si celle-ci a pour effet de rendre apatride l’individu à l’égard duquel elle est prononcée.
Il faut que notre pays ait enfin recours à ces procédures de déchéance ; l’opinion les attend, et de tels exemples seront très dissuasifs pour ceux qui ont l’intention de commettre des actes terroristes en France ou à l’étranger.
Monsieur Ciotti m’a lui-même fourni la réponse : son amendement est de fait satisfait par l’article 25 du code civil. Comme il le précise dans le 1° de son exposé sommaire, cet article prévoit que la déchéance de nationalité peut être prononcée à l’égard d’un individu « s’il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme ».
Je ne vois donc pas très bien en quoi son amendement pourrait compléter utilement cet article 25 du code civil.
Je n’ai jamais compris pourquoi, monsieur le député Ciotti, ce débat sur la déchéance de nationalité revient en permanence, comme si ce dispositif n’existait pas déjà dans la loi. Or, vous l’avez reconnu vous-même en présentant votre amendement, il y figure déjà.
Sous prétexte que la loi ne serait pas appliquée systématiquement par l’État, vous prétendez qu’il faudrait légiférer de nouveau, en pensant que le fait d’ajouter des dispositions législatives à celles déjà existantes conduirait à appliquer davantage une législation qui, pour l’instant, ne l’est pas.
On ne fera pas appliquer ce type de dispositions en pratiquant l’inflation législative. Dès lors qu’elles existent, si nous voulons les voir appliquer, il faut définir des procédures administratives et juridiques qui permettent de le faire, sous réserve que les conditions requises soient réunies.
Vous vouliez que je vous donne des chiffres : au cours des dix dernières années, très peu de déchéances de la nationalité ont été prononcées. Lorsque vous étiez en situation de responsabilité, entre 2007 et 2011, il n’y en a pas eu du tout.
Depuis 2012, une seule a été prononcée, mais pas pour des actes de terrorisme, puisque c’est de cela dont il s’agit aujourd’hui.
Vous nous invitez à forcer l’allure : j’ai pris, en mai dernier, des mesures pour qu’une procédure de déchéance soit engagée pour actes de terrorisme.
Et il est évident que, dès lors que des actes de terrorisme justifiant une telle procédure auront été commis, nous l’engagerons dans le cadre du droit existant.
Mais il n’est pas nécessaire d’ajouter des dispositions législatives à celles qui existent pour rendre le dispositif opérant. ma position est très claire : le droit le permet ; laisser à penser dans l’opinion que ce n’est pas le cas, en proposant de nouvelles dispositions législatives, n’est pas nécessaire, sauf à vouloir instrumentaliser ce sujet à des fins politiques. Mais il trop sérieux pour cela.
Dès lors que les dispositions législatives existent, il faut les appliquer. Et je peux vous assurer que je le fais : depuis que je suis ministre de l’intérieur, cela a été le cas, je l’ai dit, au mois de mai dernier.
M. Ciotti, peux-t-on considérer que vous avez également soutenu l’amendement no 80 simultanément ?
Oui, madame la présidente.
Monsieur le ministre, j’entends votre argumentation, simplement il y a deux aspects à évoquer.
Le premier est l’aspect juridique. Selon vous, mon amendement est satisfait. Je ne veux pas contribuer à une inflation législative, ni créer de nouvelles dispositions, contrairement à ce que vous dites. Je veux simplement que l’on conforte juridiquement des dispositions qui autorisent déjà, dans l’article 25, la déchéance de la nationalité.
Je souhaite, dans ce même article, que nous puissions ajouter aux quatre cas dans lesquels la déchéance de la nationalité peut être prononcée un cinquième, issu de la nouvelle incrimination relative à l’entreprise terroriste individuelle que crée ce projet de loi. Je pense que cela conforterait cet article 25, notamment au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Donc, contrairement à vous, je pense qu’il n’est pas inutile mais opportun que nous précisions dans la loi, et donc dans l’article 25 du code civil, cette nouvelle incrimination.
Le second aspect a trait au fond. Je prends acte positivement, monsieur le ministre, que vous exprimez le souhait de recourir désormais plus fréquemment à la déchéance de la nationalité.
Vous arguez que sous la législature précédente, aucune procédure de déchéance n’a été engagée. Mais le phénomène qui nous conduit à légiférer aujourd’hui – le départ de citoyens français ou binationaux vers des territoires extérieurs pour y combattre et y mener des actions terroristes – est nouveau et récent.
Il est apparu depuis l’émergence du conflit syrien. Il est extrêmement dangereux, aggrave la menace terroriste et appelle, de notre part, des réponses nouvelles et d’une plus grande fermeté.
Vous avez dit, monsieur le ministre, et je m’en réjouis, que vous iriez dans ce sens. Je vous y invite avec force. La déchéance de la nationalité ne doit plus être taboue, comme l’avait dit le Premier ministre. L’heure est venue de l’appliquer dans tous les cas prévus par le droit.
L’entreprise individuelle est couverte de fait par l’article 25 puisque l’on y mentionne le terrorisme. Qu’il s’agisse d’une association de malfaiteurs ou d’une entreprise individuelle, c’est bien un acte de terrorisme et ces amendements sont satisfaits, monsieur Ciotti.
Cet amendement, monsieur le ministre, vise à réinstaurer l’autorisation de sortie du territoire pour les mineurs.
Une circulaire prise par votre prédécesseur le 1er janvier 2013 a supprimé l’obligation de disposer d’une autorisation préalable des parents pour sortir du territoire. Face au risque auquel nous sommes confrontés, maximal, nous l’avons tous constaté, des mesures fortes s’imposent, et l’obligation pour les mineurs de disposer d’une autorisation préalable de sortie du territoire par les parents constituerait un bon moyen de contrôler les sorties.
Nous avons vu dans l’actualité récente, par des exemples malheureusement tragiques, que des mineurs vulnérables sensibles à une forme de prosélytisme, déployé notamment sur internet, étaient des proies faciles pour des réseaux de recrutement et que l’absence d’autorisation préalable de sortie du territoire par les parents facilitait leur départ.
Je propose donc de réintroduire l’autorisation préalable, supprimée, imprudemment, je crois, par votre prédécesseur. C’est une mesure de protection, une mesure de sécurité pour les mineurs.
Défavorable.
C’est une mesure d’ordre réglementaire. Le numéro vert mis en place dans un cadre réglementaire permet aux familles de signaler à l’autorité administrative les mineurs susceptibles de quitter le territoire.
Je ne suis pas favorable à cet amendement.
On pourrait éventuellement mettre en place une telle mesure si elle était efficace. Elle s’appliquerait à tous les mineurs, alors qu’un très grand nombre d’entre eux, vous le savez bien, ne sont pas concernés par ces activités. La contrainte serait donc maximale. Ce ne serait pas gênant si l’efficacité était elle aussi maximale, mais ce n’est pas le cas.
Signaler au système d’information Schengen et au fichier des personnes recherchées des mineurs s’apprêtant à quitter le territoire permet de les neutraliser de façon beaucoup plus efficace, avec une contrainte moindre.
Le dispositif que nous avons mis en place donne d’ailleurs des résultats. Hier encore, grâce à l’inscription au système d’information Schengen et au FPR, on a récupéré une mineure au terme d’une collaboration très étroite avec les services belges.
Notre dispositif est donc plus efficace que celui que vous proposez dans votre amendement et il est moins contraignant. Moins de contrainte et plus d’efficacité, c’est beaucoup mieux que plus de contrainte et moins d’efficacité.
L’amendement no 51 n’est pas adopté.
Lors de la discussion générale, nous avons souligné une importante lacune de votre projet de loi, monsieur le ministre, la question du retour.
Votre projet de loi traite, nous l’avons longuement évoquée dans l’article 1er, la question des départs, avec les obstacles que vous avez souhaité introduire. Nous avons soutenu cette démarche même si elle nous paraît imparfaite, mais la grande lacune du texte, je le répète, concerne les retours pour lesquels rien de particulier n’est prévu à ce stade.
Je souhaite là encore que nous nous inspirions du dispositif que la Grande-Bretagne est en train de mettre en place dans la lutte antiterroriste, qui, il faut bien le reconnaître, est beaucoup plus efficace, beaucoup plus radical, beaucoup plus volontaire que le nôtre.
Le Premier ministre britannique a proposé que l’on retire leur passeport aux ressortissants britanniques partis faire le djihad, qui sont donc privés de retour. Je propose le même dispositif. Vous avez parlé de 930 Français ou ressortissants vivant sur le territoire français engagés dans ces conflits, dans ces actes terroristes. Ils représentent des dangers potentiels majeurs pour notre pays, de véritables bombes humaines, si l’on ne sait pas traiter leurs cas, les suivre, les condamner.
Plusieurs dispositions pourraient entraver leurs visées néfastes, mais, si on les privait de retour, ce serait une forte protection qu’érigerait notre société. Je crois donc qu’il convient de traiter également la question des retours, de façon beaucoup plus volontariste que ne le prévoit votre projet.
Je pense, monsieur Ciotti, que vous avez soutenu en même temps l’amendement no 81 .
Sur la forme, monsieur Ciotti, vous avez présenté à l’article 1er des amendements instaurant une interdiction de sortie du territoire et vous proposez maintenant des amendements prévoyant une interdiction de rentrer sur le territoire.
Sur le fond, il y a plusieurs obstacles à votre projet d’interdire le retour de Français en France. Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 13 août 1993, a rappelé que les Français avaient des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national. Par ailleurs, le protocole no 4 à la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales stipule dans son article 3 que nul ne peut être privé du droit d’entrer sur le territoire de l’État dont il est le ressortissant. Il y a donc quelques obstacles constitutionnels à votre amendement.
S’agissant d’abord du droit, on ne peut pas accepter cet amendement pour des raisons constitutionnelles : La décision du Conseil constitutionnel que vient de mentionner le rapporteur est très claire dans ses considérants et ses conclusions. Il est totalement impossible, également pour des raisons tenant au droit international et à nos engagements internationaux, d’interdire le retour sur le territoire français d’une personne ayant la nationalité française. C’est contraire au droit international, c’est contraire aux principes constitutionnels, cela ferait l’objet immédiatement d’une saisine de la Cour européenne des droits de l’Homme, qui statuerait en défaveur de la France.
D’ailleurs, la Grande-Bretagne n’a pas pris la mesure que vous évoquiez. Elle a pris des dispositions législatives annoncées par le Premier ministre Cameron postérieurement à la présentation de nos propositions. Je me suis entretenu à plusieurs reprises de leur contenu avec la ministre britannique de l’intérieur, Theresa May, car nous essayons au sein de l’Union européenne de prendre des dispositions semblables. Elles consistent à interdire le retour sur le territoire britannique de résidents britanniques non britanniques, c’est-à-dire de personnes ayant résidé sur le territoire britannique avant de partir faire le djihad mais n’ayant pas la nationalité britannique.
Si vous présentiez une disposition de ce type, cela ne poserait pas de problème de droit mais il n’est tout simplement pas possible d’accepter celle que vous proposez. Ce serait anticonstitutionnel.
Par ailleurs, il est faux de dire que nous ne prévoyons rien pour le retour. Il existe déjà tout un arsenal de dispositions, que nous complétons d’ailleurs par l’infraction de terrorisme individuel. Le délit d’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste conduit d’ores et déjà la justice et la police à récupérer tous ceux qui reviennent et qui relèvent de cette infraction pénale pour engager des procédures judiciaires, les mettre en examen lorsque les faits sont établis et les emprisonner. Il y a aussi la prévention, et nous travaillons avec la garde des sceaux sur la radicalisation en milieu carcéral.
Pour toutes ces raisons, il n’est pas possible d’accepter vos amendements et j’y suis donc défavorable.
J’ai bien noté les arguments du ministre et du rapporteur, et je voudrais poser deux questions.
Pour revenir sur la déchéance de nationalité au terme de l’article 25 du code civil, vous avez bien dit, monsieur le ministre, que vous aviez prononcé une déchéance.
S’agissant de la position britannique, seriez-vous prêt à accepter un amendement concernant non pas les citoyens français mais les résidents de nationalité étrangère résidant en France et leur interdisant le retour dans des conditions parallèles à l’interdiction britannique, auquel cas nous déposerions cet amendement dès demain ?
C’est ce que j’allais proposer, monsieur le ministre, sous-amender mon amendement pour répondre à votre proposition faisant référence à ce qui est appliqué en Grande-Bretagne.
Je souligne néanmoins, sur le risque constitutionnel que vous évoquez et qui ne m’a pas échappé, que mon amendement concernait les personnes bénéficiant d’une double nationalité. Celui que l’on empêcherait de revenir sur le territoire français pourrait retourner dans le pays dont il a également la nationalité. On ne peut pas préjuger la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Pour les binationaux, elle n’est pas aussi claire que ce que vous prétendez, elle concerne uniquement les nationaux. On peut faire abstraction de ce point mais je voulais tout de même le noter dans le débat.
Vous avez indiqué à l’instant et je vous en remercie, que, pour tout étranger résidant en France, l’autorité administrative pourrait prendre des mesures empêchant le retour de nature identique à celles que vous avez souhaité introduire dans l’article 1er pour éviter le départ.
Je propose donc, dans un esprit de consensus qui a toujours animé les parlementaires de l’opposition dans ce débat, et que, je crois, vous pouvez reconnaître, que nous approuvions à ce stade un sous-amendement nous permettant de converger sur ce dispositif.
D’abord, le fait qu’ils aient la double nationalité ne signifie pas qu’ils perdent la nationalité française parce que nous en aurions décidé ainsi et qu’à ce titre, on pourrait les empêcher de revenir sur le territoire national. S’ils étaient déchus de la nationalité française au terme d’une procédure longue, lourde, on pourrait éventuellement l’imaginer mais, dès lors qu’ils ont la nationalité française, les règles du droit international et constitutionnel nous obligent à accepter leur retour.
C’est la raison pour laquelle nous disposons d’un arsenal, complété par ce texte, qui permet de judiciariser leur situation, dès lors qu’ils reviennent, pour les neutraliser.
Ensuite, vous posez la question de savoir si je serais prêt à accepter un sous-amendement. Ma réponse est « non », et je vais vous en expliquer la raison, qui va vous satisfaire : je prépare un amendement gouvernemental que je présenterai au Sénat et qui sera par conséquent soumis ultérieurement au vote de l’Assemblée. Pourquoi ? Parce que c’est un sujet juridiquement compliqué, qui a fait l’objet de discussions avec le Conseil d’État. Cet amendement doit donc être rédigé avec un niveau de précision et présenter des garanties constitutionnelles incompatibles avec une rédaction à la va-vite à une heure du matin à l’Assemblée, pour peu, d’ailleurs, que le règlement intérieur de l’Assemblée permette de le faire, ce dont je ne suis pas sûr.
Je veux donc vous rassurer : c’est un sujet que j’ai à l’esprit, sur lequel je vais proposer un amendement gouvernemental dans le cadre de la discussion sénatoriale et qui répondra tout à fait à la préoccupation que vous exprimez.
Je voulais revenir sur la question de la double nationalité. J’ai bien entendu les objections qui ont été formulées sur le plan constitutionnel concernant la déchéance de la nationalité. Cela étant dit, pourrait-on faire en sorte que tous les Français ayant une double nationalité qui partent faire le djihad puis reviennent en France puissent faire l’objet d’une demande automatique de déchéance de leur nationalité française ? Même si c’était long, cela pourrait se révéler un tant soit peu dissuasif.
On a la chance de vivre dans une république bicamérale ; le ministre nous annonce qu’un amendement sera présenté au Sénat : tant mieux, mais, si le règlement nous y autorise, nous sommes tout prêts à présenter un sous-amendement qui pourrait être adopté, à charge ensuite pour le Sénat d’améliorer la rédaction de notre texte. Le sous-amendement aurait pour objet de remplacer, à l’alinéa 7, les mots « français ayant une double nationalité » par les mots « étrangers résidant en France ».
Cela va au-delà d’une rectification et ne peut donc être accepté, j’en suis désolée.
La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel.
Le débat sur les binationaux risque de revenir : j’ai cru comprendre que d’autres amendements portaient sur ce sujet. À cet égard, je voudrais rappeler de manière très ferme que le droit français ne connaît pas les binationaux, à l’exception des accords internationaux. En droit interne, on est national ou on ne l’est pas.
On a tous les droits et les devoirs attachés à la nationalité. C’est simple et clair : peu importe que d’autres pays permettent d’avoir une deuxième nationalité. Vous ne trouverez la mention de « binational » ni dans le code civil, ni dans aucune loi française.
À moins que la séance ne me dise le contraire, n’étant pas signataire de l’amendement de M. Ciotti, je crois qu’il est dans mes prérogatives de député de présenter un sous-amendement.
Aussi ai-je l’honneur de vous présenter un sous-amendement à l’amendement no 50 rédigé de la sorte : « à l’alinéa 7, remplacer les mots " français ayant une double nationalité " par les mots " étrangers résidant en France ". L’alinéa 12 est supprimé. » Quant à l’exposé des motifs, le sous-amendement se justifie par son texte même.
En effet, vous avez le droit de déposer un sous-amendement. Je vous demande de l’écrire et de le communiquer à la séance, afin que l’on puisse éventuellement le soumettre au vote de nos collègues, bien qu’il arrive très tardivement dans la discussion.
La parole est à M. le ministre.
Ce qui compte, monsieur le député Lellouche, monsieur le député Ciotti, c’est que cette disposition figure dans le texte. Le travail que nous avons mené avec le Conseil d’État nous conduit à une rédaction précise, avec un dispositif beaucoup plus sûr juridiquement, qui peut d’ailleurs faire l’objet d’une association en vue de sa présentation ultérieure par tous les groupes politiques mobilisés sur ce texte. Aussi je vous demande de ne pas présenter ce sous-amendement, tel qu’il est rédigé, et de bien vouloir accepter le principe que l’ensemble des groupes puissent se réunir sur ce texte présenté par le Gouvernement, afin de sécuriser sa rédaction. Si vous acceptiez de nous faire confiance – ce qui est, je l’admets, beaucoup vous demander – nous pourrions réaliser ce travail ensemble, ce qui offrirait un niveau de sécurité juridique de nature à garantir que ce texte ne serait pas malmené ultérieurement.
La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
Chacun comprend bien que l’objectif n’est pas ici d’écrire la loi de manière hâtive. Il appartient naturellement à la séance de décider de la recevabilité de ce sous-amendement, mais, de mon point de vue, un sous-amendement vise à apporter une nuance à l’amendement initial. Or, en l’occurrence, la modification proposée dépasse de beaucoup la nuance puisqu’elle apporte un nouvel élément au débat et change la nature juridique d’un certain nombre de mesures. Aussi, sans empiéter sur les prérogatives de la présidence, j’estime que la proposition du ministre est la plus pertinente au regard de notre objectif, à savoir la recherche d’un texte efficace.
Monsieur le ministre, nous sommes exactement dans le même état d’esprit depuis le début de la discussion : nous manifestons une pleine volonté de coopération ; j’ai d’ailleurs parlé hier d’« union sacrée ». Ayant entendu vos arguments sur la déchéance, telle que définie à l’article 25 du code civil, et sur les doubles nationaux, je constate que le problème demeure – qui, vous le savez bien, est un problème réel – des résidents étrangers en France qui se livrent au djihad. C’est un sujet extrêmement sérieux, qui n’avait pas été envisagé dans le texte initial du Gouvernement et qui est apparu dans la discussion, ce qui est tout à notre honneur car il témoigne d’un débat approfondi. Il ne s’agit pas de nous demander de vous faire confiance : ce que l’on voudrait, c’est que ce sous-amendement soit adopté. Si vos services jugent qu’il n’est pas suffisamment bien rédigé, vous aurez tout à fait le temps, lors de la discussion au Sénat, de l’améliorer. Il me semble que ce serait un signe politique d’unité nationale de votre part que de laisser l’opposition contribuer à la rédaction de ce texte par l’introduction de ce sous-amendement. Ce disant, je pèse mes mots : la signification politique de cette disposition sera notée ; elle n’est pas neutre.
La proposition de sous-amendement m’est parvenue par écrit. Je constate qu’il ne s’agit pas d’une rectification, qu’il ne s’agit pas non plus d’un simple sous-amendement. C’est en fait un nouvel amendement. Je ne peux donc le recevoir en tant que sous-amendement.
Je crois comprendre de vos propos, monsieur Lellouche, que vous étiez satisfaits par ce qu’ont proposé le ministre et le président de la commission des lois.
Monsieur le député Lellouche, nous allons nous réunir sur ce texte. Nous avons travaillé sur ce projet d’amendement, qui nécessite une grande précision rédactionnelle pour de multiples raisons. Aujourd’hui, il est déjà possible de s’opposer, par exemple par la mobilisation des fiches T.E., à l’entrée d’un étranger sur le territoire, après qu’il s’est engagé, entre autres cas de figure, dans des opérations djihadistes. Aussi ce texte est-il techniquement plus compliqué qu’il n’y paraît. Cela implique un travail non encore achevé, auquel je propose de vous associer, eu égard à notre communauté de vues. Par conséquent, je m’engage à recevoir les parlementaires qui se sont exprimés sur ce sujet, afin de s’assurer que l’on est bien en phase sur l’amendement gouvernemental et de faire en sorte que cette disposition soit bien incluse dans le texte.
Cet amendement vise à demander chaque année au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport…
…concernant les procédures de déchéance de nationalité, ce qui permettrait de percevoir plus clairement la mise en oeuvre des procédures que nous réclamons et que vous avez évoquées. Vous avez communiqué les chiffres, mais il me semble que la publication annuelle de ce rapport nous permettrait de disposer d’un outil clair, transparent, qui manifesterait la volonté du Gouvernement dans ce domaine.
Cela étant dit, monsieur le ministre, permettez-moi de regretter, à ce stade du débat, le manque d’ouverture du Gouvernement aux propositions de l’opposition. Ce texte nécessiterait en effet – nous l’avons dit et répété – une unité nationale, un consensus. Nous l’avons exprimé et le réaffirmons. Vous refusez un peu obstinément, ce que je regrette et je déplore, cette volonté que nous exprimons : toutes les propositions de l’opposition, du groupe UMP en particulier, font l’objet d’une fin de non-recevoir de votre part. Je crois que ce n’est pas faire oeuvre utile dans la lutte contre le terrorisme que d’adopter cette position qui renvoie à des clivages plus traditionnels sur des sujets qui, naturellement, le méritent. De fait, ce sujet, qui est d’une extrême gravité, et le moment que nous vivons, qui ne l’est pas moins, imposeraient que nous abordions ces questions de façon plus unanime. Vous avez dit il y a quelques instants que vous étiez favorable à ce dispositif. Vous utilisez maintenant des arguments pour vous y opposer, simplement pour ne pas donner l’opportunité à l’opposition de marquer sa volonté de fortifier, de consolider notre dispositif de protection. Je le regrette profondément.
Notre collègue Éric Ciotti ne sera pas surpris de la réponse de la commission, qu’il ne doit pas mal interpréter. J’ai souhaité que, depuis le début de la législature, nous ayons une position constante sur ce type d’amendements. Le Parlement a tous les pouvoirs : si un sujet l’intéresse, il n’a pas besoin de demander un rapport au Gouvernement, il le fait. Au cours de la législature 2007-2012, le Parlement a voté 126 demandes de rapport au Gouvernement et, à ma connaissance, peu d’entre eux ont été remis au Parlement.
Aussi je crois préférable de ne pas demander des rapports qui ne sont pas remis ou dont le Parlement ne fait rien. En l’espèce, vous nous demandez un rapport qui se limiterait à un chiffre. Je pense que nous pourrions, là aussi, faire une économie. Cette position, je le répète, est une position constante de la commission des lois et vaut sur ce sujet comme sur les autres ; nous refuserons donc de la même façon, par principe, des amendements ultérieurs ayant le même objet.
Même avis.
Permettez-moi une remarque, monsieur Ciotti : vous ne pouvez pas dire, en toute honnêteté, compte tenu de la nature de nos débats depuis le début de l’examen de ce texte, que le Gouvernement est fermé à toutes les propositions de l’opposition ; ce n’est pas vrai. Nous acceptons les propositions qui ne posent pas de problème juridique ou constitutionnel et qui enrichissent le texte. D’ailleurs, la proposition que vous avez présentée voilà quelques instants n’a pas du tout été rejetée par le Gouvernement.
Je propose que nous travaillions ensemble à la rédaction d’un texte qui soit sécurisé sur le plan juridique. L’objectif est non pas de se faire plaisir, de se congratuler mutuellement et de se dire qu’on s’aime les uns les autres, mais d’élaborer un bon texte. Nous ne sommes pas là pour accorder des gratifications et distribuer des sucres d’orge. Nous voulons aboutir à un texte de qualité.
Or, vous faites une proposition qui n’est pas conforme à la Constitution. Je vous indique ce qui se passe en Grande-Bretagne, précise que nous travaillons avec les Anglais sur le sujet en question, et annonce enfin que nous proposons d’introduire des dispositions identiques. Vous réagissez immédiatement en proposant un sous-amendement, ce qui ne me choque pas. À un sous-amendement de l’opposition ou à un amendement de la majorité, je préfère simplement un amendement gouvernemental coproduit par l’ensemble des groupes du Parlement, ce qui, vous en conviendrez, est une manière de donner toute sa place à l’opposition et constitue le contraire d’une approche politicienne.
L’amendement no 52 n’est pas adopté.
L’amendement no 55 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.
Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :
Questions au Gouvernement ;
Vote solennel sur le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement ;
Proposition de résolution tendant à modifier le Règlement de l’Assemblée nationale ;
Suite du projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme ;
Projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière.
La séance est levée.
La séance est levée, le mercredi 17 septembre, à une heure quinze.
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Catherine Joly