Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames les présidentes des commissions des affaires étrangères et des affaires européennes, madame la rapporteure pour avis, mes chers collègues, l’examen du projet de loi de finances donne lieu cette année à un utile débat sur la contribution de la France au budget de l’Union européenne qui n’a pas eu lieu l’an dernier. Afin d’en préciser le cadre, rappelons quelques chiffres du PLF. La France contribue chaque année à hauteur d’une vingtaine de milliards d’euros au budget européen, 21 milliards en 2015. Elle contribue également à différents mécanismes dont le Mécanisme européen de stabilité financière, le MESF. Une soixantaine de milliards d’euros de notre dette découle directement de notre contribution au budget de l’Union européenne, dont notre pays est le deuxième contributeur.
Mais l’important n’est pas tant la contribution budgétaire de 20 milliards d’euros, soit 1 % de notre PIB, que l’adéquation entre le cap de notre politique économique et celui de la politique économique européenne, question d’autant plus cruciale que le risque de déflation, poison à mort lente, est réel. On ne ressent pas tout de suite les effets insidieux de la déflation. Face à la baisse de la valeur des actifs dans les bilans des entreprises, bancaires en particulier, et à la diminution de l’activité économique, on attend et au fond on ne fait rien. Le meilleur moyen de lutter contre la déflation est de ne jamais y entrer car il est très difficile d’en sortir. Le cas japonais montre bien que la déflation, en tout cas quelques-unes de ses conséquences, n’a pas disparu en vingt ans.
J’ai l’intuition que nous en sommes à un point où l’économie française, mais aussi européenne, court le risque d’entrer en déflation. Cette intuition ne repose pas sur des prévisions mais sur au moins trois éléments : le très faible niveau d’inflation et surtout les anticipations d’inflation à dix ans par les marchés financiers, la faiblesse des taux d’investissement dans toute l’Europe, lesquels ont vraiment décroché depuis 2011, et, bien entendu, le niveau de chômage très élevé de nos économies européennes qui pèse sur les salaires et crée une spirale déflationniste. Face à cette crainte croissante, qu’avons-nous fait ? Tout dépend de qui est « nous ». Si c’est la Banque centrale européenne, elle a pris les devants pour agir. En baissant les taux d’intérêt au plus bas et en accordant des liquidités aux banques européennes, elle a donné le signal très fort de son engagement à faire tout ce qui est en son pouvoir pour faire repartir la machine européenne. Néanmoins, elle a également rappelé que la politique monétaire ne peut être efficace que soutenue par une politique budgétaire ambitieuse.
Si c’est la France, elle a agi dès novembre 2012 en se mobilisant pour que les entreprises relancent l’investissement avec des capacités renforcées, en particulier grâce au crédit d’impôt compétitivité emploi, le CICE, lequel représente 20 milliards d’euros, et veille à l’équilibre entre réduction des déficits et préservation de la croissance. Sacrifier le soutien à la croissance pour assainir rapidement les finances publiques se révèle contre-productif car les recettes publiques diminuent en l’absence de croissance, ce qui contraint à de nouvelles augmentations d’impôts visant à compenser la baisse des recettes et entraîne un cercle vicieux. Abandonner l’objectif de réduction du déficit public est tout aussi contre-productif car cela place à terme le pays en situation de dépendance vis-à-vis des investisseurs étrangers pour le financement de sa dette et finit par nuire à la croissance économique.
Enfin, si c’est l’Europe, le temps est venu de mettre franchement le cap sur l’investissement. Les parlementaires des vingt-huit pays de l’Union européenne, lors de la conférence interparlementaire qui s’est tenue à Rome les 29 et 30 septembre derniers, sont quasiment tous tombés d’accord que le risque économique auquel notre continent est exposé est la déflation. Nous nous sommes collectivement retrouvés face à un problème d’accroissement de la dette publique. En vue de le résoudre, nous avons collectivement mené des politiques de contraction. Si un pays le fait seul, cela n’a pas de conséquence sur la croissance économique globale mais si tous les pays le font en même temps, cela accélère la chute de la demande européenne, restreint les débouchés de nos entreprises et crée du chômage qui lui-même entraîne une baisse de la demande. C’est un cercle vicieux !
Le débat est le suivant : ou bien on persévère à faire de l’assainissement des finances publiques l’objectif numéro un en oubliant tout le reste, auquel cas il y a peu de chances que l’économie européenne redémarre et échappe à la déflation, ou bien c’est la croissance économique dont on fait l’objectif numéro un et on aura alors une chance d’échapper à la déflation. Mais il importe d’écouter tous les pays, en particulier ceux qui ont consenti de gros efforts budgétaires au cours des dernières années comme l’Espagne, le Portugal, l’Italie et la Grèce. Miser sur la croissance économique n’oblige pas à abandonner l’objectif d’assainissement des finances publiques. Les deux peuvent et doivent être menés de pair.