Intervention de Élisabeth Guigou

Séance en hémicycle du 20 octobre 2014 à 16h00
Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 - projet de loi de finances pour 2015 — Article 30 et débat sur le prélèvement européen

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉlisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure générale, madame la présidente de la commission des affaires européennes, madame la rapporteure, chère Estelle Grelier, mes chers collègues, l’Union européenne est à nouveau à un tournant de sa jeune histoire. Un tournant d’une importance équivalente, même s’il est de nature différente, à celui que nous avons vécu après la chute du mur de Berlin. Elle a en effet à répondre à la même question qu’il y a un quart de siècle : face au bouleversement de son environnement extérieur, face aussi à des bouleversements internes, l’issue ne se trouve pas dans un repli des nations, et encore moins des régions, sur elles-mêmes, mais toujours – et davantage encore – dans la solidarité.

C’est le choix qui a été fait en 1989 par l’Europe, emmenée par le couple franco-allemand. Et c’est le même choix qu’il nous faut faire aujourd’hui pour notre avenir.

Aujourd’hui cependant, le mal à l’intérieur est insidieux : il porte les noms de récession, de déflation, ou à tout le moins de menace de déflation, de manque d’investissements, de projets communs et de promesses d’avenir.

Depuis 2012, sous l’impulsion de la France, a été amorcé le rééquilibrage des politiques économiques sur notre continent. La réduction des déficits et de la dette est évidemment indispensable. Si l’Union européenne n’existait pas, nous aurions de toute façon à faire cet effort pour nous-mêmes, car nous ne pouvons continuer à vivre au-dessus de nos moyens.

Cela ne suffit naturellement pas, d’abord parce que nous ne pouvons avoir ce seul horizon, mais aussi parce qu’il est nécessaire de stimuler la croissance.

C’est pourquoi a été engagé dans notre pays un triple pari : remuscler notre appareil productif, avec le Pacte de responsabilité, stimuler la consommation des ménages aux revenus modestes et moyens – les mesures ne manquent pas, et ce projet de loi de finances en comporte un certain nombre – ; stimuler la croissance enfin, de manière à aider au redressement de nos comptes publics.

Il est également indispensable, si nous voulons assurer le sauvetage durable de la zone euro, de faire en sorte, puisque nous appartenons à une même zone monétaire, d’avoir une certaine convergence budgétaire. C’est le sens de l’union budgétaire qui a été approuvée ici même, à l’automne 2012, par le traité que nous avons ratifié.

Dans cette perspective, la France tient son rôle. Elle assume ses responsabilités nationales, mais prend aussi sa part de l’effort européen. Elle assume ses responsabilités, mais nous disons aujourd’hui, et je rejoins les propos d’Estelle Grelier, qu’il est urgent que l’Europe prenne aussi les siennes. Il nous faut donner du contenu, de la substance, au pacte de croissance impulsé par la France depuis le Conseil européen de juin 2012. Notre position est constante ; elle a été rappelée par l’Agenda pour la croissance et le changement en Europe que le Président de la République François Hollande a adressé au président du Conseil européen.

Les priorités sont connues et clairement établies. D’abord l’emploi, et particulièrement l’emploi des jeunes. La France propose de renforcer l’initiative pour l’emploi des jeunes, de faire en sorte qu’elle soit appliquée plus rapidement – et j’aimerais, monsieur le secrétaire d’État, que vous nous disiez ce que nous faisons en ce sens –, de développer les qualifications et les formations et de mettre en place, avec les partenaires sociaux, un véritable agenda social de nouveaux droits.

Deuxième priorité, l’investissement au service de la croissance, dans les grandes infrastructures, la recherche, l’énergie ou encore la santé. La Commission européenne a annoncé un plan d’investissement de 300 milliards d’euros. D’où viendront ces 300 milliards ? Quel montant sera financé par le budget européen ? Faudra-t-il à nouveau augmenter le capital de la BEI, et si oui, comment ?

Nous devons hâter la réalisation de ce plan de toutes nos forces et préparer, à l’échelle nationale, nos entreprises, voire nos acteurs nationaux et locaux, à y jouer tout leur rôle. Ce que vous pourrez nous dire à ce sujet nous intéresse au plus haut point.

La priorité, c’est aussi l’énergie, comme le rappellent la crise ukrainienne et la menace que fait peser notre voisin russe sur l’approvisionnement en gaz du continent. Mais tant que chaque pays ira négocier seul son approvisionnement énergétique, nous serons tous vulnérables. Les investissements dans les énergies de demain sont bien sûr essentiels, de même que les économies d’énergie et la maîtrise du coût de la transition énergétique pour les ménages et les entreprises. Où en sommes-nous sur tous ces projets ?

La priorité, c’est enfin l’Europe dans le monde. La France est aujourd’hui trop seule – pas tout à fait seule, mais trop seule – pour assumer la sécurité extérieure de tous, que ce soit au Mali, en Centrafrique ou en Irak, où nos soldats se battent pour défendre nos intérêts et préserver la sécurité des Européens. Or je suis convaincue que l’Europe doit exister comme puissance dans le monde, car si elle-même ne se voit pas comme une entité mondiale, les autres la perçoivent ainsi. Elle n’a d’autre choix que d’assumer la responsabilité qui accompagne son statut de géant économique. N’oublions pas que si l’on consolide les PIB de ses membres, l’Union européenne est la première puissance économique mondiale, devant les États-Unis et la Chine.

Il nous faut préparer l’avenir et répondre à ces défis essentiels que sont l’énergie, l’emploi et la sécurité. Mais avec quels moyens financiers ? La directrice générale du Fonds monétaire international a récemment exhorté les pays en équilibre budgétaire à accroître leur effort d’investissement.

Je crois aussi que l’équilibre entre rigueur et croissance mérite d’être réajusté : les efforts réalisés par les pays sous programmes, le sérieux budgétaire auquel s’efforcent les pays de la zone euro et la menace d’une spirale déflationniste qui serait fatale à l’Europe doivent nous y pousser. Pour cela, il faut un dialogue franco-allemand fructueux, qui existe. À cet égard, monsieur le secrétaire d’État, qu’attendez-vous de la mission qui vient d’être confiée à Jean Pisani-Ferry pour la France et à Henrik Enderlein ?

Des progrès sont en cours. En Allemagne, la nouvelle coalition a décidé de mettre en place un salaire minimum, ce qui est encourageant. Des investissements sont prévus dans les infrastructures, que nous estimons, nous, Français, insuffisants. Pensez-vous que l’on peut obtenir davantage de la part de nos partenaires ?

Nous devons surtout mettre en place le programme décidé conjointement par Angela Merkel et François Hollande le 30 mai 2013, visant à la réalisation d’une union bancaire complète, véritable « saut » fédéral ; il nous faut également assurer la coordination, qui n’a que trop tardé, des politiques économiques et fiscales – j’insiste sur ce dernier mot – pour réduire les disparités entre les économies des États membres ; enfin, nous devons améliorer la gouvernance de la zone euro, qui doit reposer sur des organes spécifiques et faire l’objet d’un contrôle démocratique, dont nous savons tous ici – et nous le déplorons souvent – qu’il laisse à désirer, aussi bien au niveau du Parlement européen que de notre Parlement national, ainsi qu’à la conjonction des deux.

La question essentielle, qui a été soulignée par notre rapporteure, est celle du volume du budget européen. Augmenter le volume du budget communautaire, l’orienter vers l’investissement à long terme, lui permettrait d’assumer un rôle de régulateur conjoncturel que ne peuvent plus prendre en charge les budgets nationaux. À cet égard, je voudrais revenir sur le sujet des ressources propres, pour sortir du débat sans fin entre contributeurs nets et bénéficiaires nets. Il est en effet tentant d’essayer de réduire sa contribution, surtout en période de crise économique et de crise des finances publiques, car il est vrai qu’aujourd’hui le prélèvement s’élève à près de 21 milliards d’euros. C’est une dépense publique sous norme que la Commission européenne nous demande, par ailleurs, de maîtriser. La solution me semble résider dans le découplage de la question du budget communautaire de celle des budgets nationaux, pour plus de solidarité, de la même façon que nous avons su découpler, dans l’Union bancaire, le risque bancaire et le risque souverain : demain, la faillite d’une banque à Chypre n’entraînera plus la faillite de l’État chypriote. De même faudrait-il que demain, l’augmentation du volume du budget européen n’entraîne plus davantage de déficits, et donc de dettes, pour les budgets nationaux.

Plusieurs pistes ont été lancées. La Commission a fait des propositions claires dans ce domaine, notamment sur la création et l’affectation de la taxe sur les transactions financières, auxquelles le Conseil, me semble-t-il, n’a pas accordé toute l’attention nécessaire : monsieur le secrétaire d’État, j’espère que vous nous donnerez votre avis à ce sujet. Il pourrait aussi y avoir demain des prélèvements – on parle parfois d’« écluses » – sociales et environnementales aux frontières de l’Europe.

Nous sommes face à des choix qui détermineront l’évolution de notre continent pour les décennies à venir : nous devons nous mobiliser collectivement, comme d’autres, dans l’histoire européenne, ont su le faire avant nous, pour ouvrir un nouveau cycle, de paix, de solidarité, de prospérité partagée, et peut-être aussi pour redonner de l’espoir et de la confiance dans l’Europe. De fait, même si la France est un grand pays, qui compte, nous avons de plus en plus besoin de la solidarité européenne pour pouvoir peser davantage.

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