Intervention de Éric Alauzet

Séance en hémicycle du 20 octobre 2014 à 16h00
Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 - projet de loi de finances pour 2015 — Article 30 et débat sur le prélèvement européen

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Alauzet :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mesdames les présidentes de la commission des affaires étrangères et de la commission des affaires européennes, mesdames la rapporteure générale et la rapporteure pour avis, chers collègues, il est utile – et même nécessaire – que nous prenions ici le temps de débattre de la contribution de la France au budget européen. Cette réflexion est d’autant plus importante que la tentation existe de réduire son montant, dans un contexte de forte défiance vis-à-vis de la politique européenne ou, tout au moins, d’une situation économique dégradée. Rappelons tout de même que le budget européen est très faible – environ 1 % du revenu national brut européen – et qu’il ne permet pas de mener des politiques structurelles solides, en particulier dans cette période où menace la récession. Le prélèvement en faveur de l’Europe devrait atteindre 21 milliards d’euros en 2015 ; il est en augmentation constante et devrait s’élever à 23 milliards d’euros en 2016.

Nous oublions trop souvent de mentionner le rôle essentiel de l’Europe dans les projets importants qui sont mis en oeuvre en France, comme le développement des transports collectifs. Nous mesurons pleinement son apport lorsqu’il existe un risque que l’Europe se désengage, comme ce fut le cas pour les aides aux banques alimentaires qui ont in fine été maintenues grâce à la mobilisation du Gouvernement et de la majorité, ce dont nous pouvons nous féliciter.

Si les États doivent poursuivre leur effort, le financement propre de l’Union européenne doit, quant à lui, être considérablement renforcé. Il faut pour ce faire une taxe sur les transactions financières plus ambitieuse.

Il est une évidence, tout au moins peut-on l’espérer : l’Europe est au coeur des solutions à la crise économique, sociale et environnementale que nous traversons. Je ne parle pas là de l’Europe libérale qui, avec la directive sur les travailleurs détachés, fragilise l’emploi à l’ouest et accélère la logique du moins-disant social, mais de l’Europe solidaire et innovante qui met en oeuvre la garantie jeunesse ou favorise le virage de la transition énergétique, par exemple.

Dans ce monde multipolaire et ouvert, la mission de l’Europe doit avant tout consister à réguler les flux de toute nature : flux financiers, flux de matières premières, de produits, de services et de personnes, flux de trafics illicites ou encore flux de pollution. L’Europe est l’échelle politique minimale ; elle doit rester ou devenir leader sur ces questions.

De tous ces flux, les flux financiers sont parmi les plus nocifs ; ils nous occupent et nous préoccupent. Face à la dégradation des comptes publics, les pays de l’Union européenne ont convenu ensemble – et de manière souveraine – que la dette constituait un véritable fléau et un obstacle au développement, et qu’elle devait être réduite. Cependant, la méthode qui a été choisie pour y remédier est trop restrictive. D’une part, la brutalité des mesures adoptées dans les pays du sud de l’Europe a fait plus de mal que de bien ; d’autre part, l’Union a choisi le levier exclusif et libéral de la baisse de la dépense publique. De la recette des États européens, il n’est pas question ! La mission de l’Union consiste pourtant bien à protéger ses membres, y compris face à l’érosion de leurs recettes et de leurs bases fiscales via les prix de transfert des multinationales.

Constatant les limites de sa politique, l’Europe tente aujourd’hui de réagir. À cet égard, il faut saluer sa décision de condamner l’Irlande pour ses pratiques fiscales abusives. De même, nous sommes très impatients de constater quelle traduction le sommet de Berlin des 28 et 29 octobre prochains donnera aux mesures de l’OCDE concernant l’optimisation fiscale agressive.

Dans cette période de crise, nous avons trop souvent assisté à une bagarre d’intérêts nationaux au détriment de l’intérêt commun. Au lieu de bâtir une solidarité forte entre eux, les États européens se sont engagés dans une concurrence néfaste. Ils sont entrés dans une course à la baisse du prix du travail, du taux d’imposition des entreprises et de la dépense publique – sans considérer le rôle décisif que celle-ci tient dans l’activité économique. Que l’Union s’intéresse enfin au poids du remboursement des intérêts de dette dans la dépense publique alors que les créanciers des dettes souveraines prospèrent à travers le monde ! Ce sujet devrait être abordé sans tabou parce qu’à la fin de l’histoire, ce sont les créanciers eux-mêmes qui finiront par scier la branche sur laquelle ils sont assis pour avoir voulu engranger trop de bénéfices.

La course excessive et sans fin au moins-disant social et salarial, que j’évoquais à l’instant, et la perspective drastique de réduction de la dépense publique risquent d’entraîner l’Europe dans la spirale de la déflation, même s’il faut bien reconnaître que le soutien à la demande n’a fait que creuser la dette depuis trente-cinq ans. La spirale de la déflation n’est pas loin. Au mois d’août dernier, le taux d’augmentation des prix dans la zone euro s’élevait à 0,3 % en rythme annuel, bien loin des 2 % d’inflation que la Banque centrale européenne a pour obligation de maintenir.

Il faut toutefois saluer le travail de la BCE qui, à plusieurs reprises, a abaissé son taux principal de refinancement, qui proposera bientôt des prêts à long terme aux banques et qui mettra en oeuvre un programme de rachat de titres privés. Elle mobilisera ainsi plus de 1 000 milliards d’euros. Cela étant, cet effort de la BCE ne pourra être couronné de succès que si l’Europe soutient l’investissement. Seule une Europe redynamisée pourra proposer une perspective aux 25 millions de chômeurs de l’Union – j’y reviendrai.

De même, c’est en étant unis que nous pourrons enfin mettre un terme aux fléaux que sont la fraude et l’optimisation fiscales. Chaque année, 1 000 milliards d’euros s’évaporent ainsi en Europe. Aujourd’hui, pourtant, la donne change. Réjouissons-nous des avancées au niveau européen concernant la transparence des banques – avancées dont le groupe écologiste est fier d’avoir été l’un des principaux acteurs – et des industries extractives. De ce point de vue, il faut reconnaître la forte mobilisation des États-Unis et de leur président, qui sont aujourd’hui l’acteur incontournable de politiques intransigeantes face à l’optimisation fiscale agressive.

Enfin, l’OCDE a formulé des recommandations et élaboré un programme de lutte contre l’érosion de la base fiscale : sept actions devraient mises en oeuvre dès la fin 2015 pour lutter contre les montages hybrides, les prix de transferts indus et l’opacité des grands groupes.

Oui, la donne a changé. Dans cette période de crise où les États et les ménages se serrent la ceinture, il n’est plus admissible que des entreprises se détournent de leurs obligations. Si l’Union veut être crédible et faire admettre une trajectoire de réduction des déficits, elle doit assurer les recettes des États en mettant fin à l’évasion fiscale et en programmant l’extinction de l’optimisation fiscale agressive.

C’est pourquoi nous attendons beaucoup du plan européen d’investissement de 300 milliards d’euros. Toutefois, le changement d’orthodoxie n’est pas une garantie de succès. Aussi, il faut rester prudents et vigilants, et se garder de croire que l’investissement sera le nouveau talisman qui réglera tous les problèmes. Trop souvent, l’investissement sert en effet à financer des projets coûteux dans le temps – de trois à cinq fois le prix initial – et dommageables pour l’environnement. Nous ne pouvons plus nous payer le luxe de lancer des investissements trop coûteux dont les calculs de rentabilité sont bien approximatifs. Ce fut le cas de la politique du tout- TGV qui se solde aujourd’hui par des déficits structurels colossaux et a donné lieu à un rapport accablant de la Cour des comptes, qui dénonce une rentabilité au moins deux fois inférieure aux prévisions. Il faut désormais tenir compte du coût des externalités pour hiérarchiser les projets d’investissements, notamment les coûts environnementaux, sanitaires et sociaux.

Entendons-nous bien sur la notion de grands travaux. Nous devons délaisser l’approche étroite qui érige les grands projets d’infrastructures en référence absolue. Au contraire, il faut investir dans les programmes de recherche européens, dans l’équipement numérique et dans la transition écologique, en rénovant notamment le patrimoine immobilier public et en construisant des millions de logements pour les Européens.

La transition énergétique ne doit pas être une cible parmi d’autres, mais bien le coeur de ce plan d’investissements : en effet, les investissements réalisés dans ce domaine sont parmi les rares dont la rentabilité est connue et assurée. En cela, les emprunts destinés à la transition énergétique pourraient faire l’objet d’un traitement particulier dans le calcul des déficits et bénéficier de prêts à durée plus longue en fonction de la durée de l’amortissement. C’est un projet qu’il faut porter haut et fort devant la Commission et le Conseil.

Pour les écologistes, l’Union européenne est une chance – mieux, une nécessité absolue. Elle est un espace de paix. Elle doit également devenir un espace de progrès social. En effet, si nous voulons maintenir l’adhésion des peuples à l’Union, prenons garde à ce que l’action et la dépense publiques ne s’effondrent pas et créons enfin l’Europe solidaire et l’Europe de la transition écologique.

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