Intervention de Harlem Désir

Séance en hémicycle du 20 octobre 2014 à 16h00
Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 - projet de loi de finances pour 2015 — Article 30 et débat sur le prélèvement européen

Harlem Désir, secrétaire d’état chargé des affaires européennes :

Mesdames les présidentes de commission, mesdames les rapporteures, mesdames et messieurs les députés, ce débat montre avant tout combien l’engagement européen de la France est fort par-delà les clivages politiques. Je forme le voeu que l’ensemble des parlements nationaux d’Europe puissent avoir un échange du même ordre que celui auquel nous venons d’assister, où les représentants d’une nation, dans toute la diversité de leurs opinions, demandent que des moyens toujours croissants soient consacrés aux politiques communes de l’Union européenne.

Je rappellerai tout de même, comme l’ont fait les intervenants, que le prélèvement sur recettes qui figure dans le projet de loi de finances pour 2015 est le plus élevé que la France ait jamais accordé à l’Union européenne. Ce prélèvement, comme l’a indiqué M. Caresche, s’ajoute à d’autres contributions que la France a décidées pour instaurer le Mécanisme européen de stabilité, c’est-à-dire le fonds monétaire européen, en quelque sorte, qui nous protège désormais de nouvelles crises du type de celle qui s’est produite en 2008, mais aussi pour adopter des mécanismes d’aide à la Grèce afin que la crise très grave qui a touché ce pays ne déstabilise pas la zone euro. Il faut y ajouter le mécanisme de résolution unique de l’Union bancaire car, s’il n’est pas financé par des contributions budgétaires, il repose tout de même sur la participation d’entreprises françaises.

Pourquoi la contribution de la France atteint-elle 21 milliards d’euros ? Contrairement à ce qu’ont prétendu certains intervenants, c’est parce que le budget de l’Union européenne lui-même est en hausse. Les autres États membres, en particulier les grands contributeurs nets, ont fait de même. En réalité, l’exécution du budget 2014-2020 sera en hausse par rapport à celle du budget 2007-2013.

En euros courants – c’est la valeur que retient la Commission, qui met à jour ses tableaux chaque année en fonction de l’inflation, même si elle est très faible –, cela signifie que 1 083 milliards seront consacrés aux politiques européennes en crédits d’engagement, et 1 024 milliards en crédits de paiement.

Grâce aux mécanismes de flexibilité voulus par le Parlement européen, avec le soutien de la France, ces crédits de paiement pourront effectivement être consommés et l’exécution 2014-2020 sera, c’est absolument certain, supérieure à l’exécution 2007-2013. Nous préparons donc pour la période à venir un budget à la fois réaliste et ambitieux, qui nous permettra de répondre aux priorités de l’Union.

Il est ambitieux car il prévoit des augmentations pour 2015 – 24 % pour la compétitivité et l’emploi, 15 % pour la sécurité et la justice, 12 % pour les actions extérieures – tout en stabilisant la PAC et la politique de cohésion.

Ce budget satisfait en outre nos priorités puisque 6 milliards d’euros sont consacrés à l’initiative pour la jeunesse pour la période 2014-2015, et près de 80 milliards au soutien à la recherche et au développement pour la période 2014-2020. Les fonds dédiés au mécanisme pour l’interconnexion en Europe – transports, réseaux d’énergie, numérique – s’élèvent à 22 milliards d’euros, soit une augmentation de 67 %.

Nous devons défendre ces avancées contre ceux qui voudraient, comme en témoigneront certains amendements, remettre en cause les moyens dont nous avons besoin pour mener ces politiques européennes.

Il n’en demeure pas moins que des questions se posent concernant la crise des paiements, comme l’ont rappelé la présidente de la commission des affaires européennes et la rapporteure de la commission des affaires étrangères. En effet, le reste à liquider pose problème. Il convient toutefois de distinguer le reste à liquider et le reste à payer.

L’écart entre les engagements et les paiements est un phénomène normal, dû à la construction même du budget de l’Union européenne, composé essentiellement de crédits dissociés. Le reste à payer lui, constaté à la fin de chaque année, est un phénomène nouveau qui a pris des proportions importantes. Les reports de charges d’un exercice sur l’autre, qui sont en règle générale de l’ordre de 6 à 7 milliards d’euros, ont atteint l’année dernière 24 milliards. Ces reports résultent d’une accélération de la mise en oeuvre des politiques communes en fin de période de programmation. De ce fait, ce phénomène devrait se résorber entre 2014 et 2016.

Les tensions sur les paiements, qui risquent de se reproduire en 2014, ne sont donc qu’un phénomène temporaire et devraient en outre être limitées, car le retard pris dans le lancement des nouveaux programmes minore le besoin de crédits de paiement en 2014 sur les crédits d’engagement de la nouvelle programmation financière. Je souligne que des programmes très importants, comme la garantie pour la jeunesse, dont la présidente Danielle Auroi craint qu’elle soit remise en cause, ne sont pas menacés par le problème du reste à liquider.

Cette question sur la flexibilité soulève une question plus générale, que la présidente de la commission des affaires étrangères et plusieurs autres orateurs ont soulignée, à savoir la nécessité d’aller vers des ressources propres pour l’Union européenne. Nous y sommes absolument favorables. La France, en juin 2014, a transmis des propositions au groupe de haut niveau sur les ressources propres de l’UE dont nous avons obtenu la constitution, pour lui demander d’étudier à la fois la création de nouvelles ressources propres et la simplification des ressources existantes. Nous avons également, à cette occasion, réaffirmé notre volonté de réformer l’ensemble du système de correction pour nous conformer au principe de recettes lisibles, transparentes et équitables.

Une taxe sur les transactions financières va enfin voir le jour, sur la base d’une coopération renforcée que nous avons initiée avec nos partenaires allemands et qui concernera un peu plus de dix pays. Cette taxe produira des recettes qui, dans un premier temps, seront affectées par chacun des États membres à la réduction des déficits, à des investissements d’avenir et à la solidarité internationale. Si une telle taxe peut être étendue, ce qui est notre objectif, à l’ensemble des pays de l’Union européenne, elle pourrait devenir l’une des ressources propres permettant de financer le budget de l’Union sans avoir besoin de recourir à des contributions nationales.

Ce débat sur la contribution de la France au budget de l’Union européenne nous a amenés, tous autant que nous sommes, à élargir notre réflexion sur la stratégie de croissance et de création d’emplois en Europe. Comme l’a souligné la rapporteure générale Valérie Rabault, c’est le grand débat du moment, en particulier avec la Banque centrale européenne – même si celle-ci est indépendante. Dans son discours, Mario Draghi, comme l’a rappelé Christophe Caresche, a défini ce que devait être la construction d’une stratégie globale.

Celle-ci doit reposer sur une politique monétaire dynamique. La Banque centrale a pris des mesures tout à fait audacieuses en ce sens, qui font parfois l’objet de critiques, et nous la soutenons. Ces mesures ont contribué à faire baisser le niveau de l’euro et à injecter des liquidités. Cela continuera, notamment en vue de financer l’accès au crédit des acteurs économiques, en particulier les petites et moyennes entreprises.

La politique budgétaire doit être coordonnée dans le respect du pacte de stabilité et de croissance et des engagements pris pour réduire l’endettement et les déficits, et doit tenir compte d’une situation qui se caractérise par une inflation basse, par une stagnation qui pourrait être très longue, à la japonaise, comme l’a souligné la rapporteure générale. Les Américains parlent même de risque de secular stagnation, de stagnation infinie.

Il convient de ne pas ajouter de l’austérité à cette situation si nous ne voulons pas faire plonger l’Europe dans la récession. Peut-être devons-nous envisager que les États qui peuvent se targuer d’excédents de commerce extérieur, voire qui se trouvent en équilibre budgétaire, contribuent davantage que d’autres au soutien à l’investissement, public et privé, et au soutien de la demande. Car, selon le diagnostic établi par le FMI, la Banque centrale européenne et l’OCDE, l’Europe souffre d’un retard d’investissement, en particulier par rapport aux États-Unis, et n’a toujours pas rattrapé son niveau d’avant la crise de 2008.

Nous souscrivons à la nécessité d’un plan spécifique de soutien aux investissements, en plus de ce que permettent les capacités budgétaires des États membres. C’est ce que préconise Jean-Claude Juncker, qui annonce un plan de 300 milliards d’euros. Vous vous demandez tous comment nous allons parvenir à cette somme. Cela sera au coeur des discussions qui auront lieu entre le nouveau président de la Commission européenne, qui sera investi cette semaine, et le Conseil européen qui tiendra le prochain sommet de la zone euro à la fin de cette semaine.

Nous soutenons l’idée d’un mix d’investissements publics et privés. La couverture publique est nécessaire, pour pouvoir lever des investissements dans des domaines essentiels pour l’avenir. Mais aujourd’hui, les investissements font défaut. C’est le constat que font aujourd’hui même les ministres français de l’économie et des finances et leurs homologues allemands, qui se rencontrent en Allemagne : les instituts économiques allemands évaluent le manque d’investissements dans les infrastructures à 80 milliards d’euros par an dans leur pays.

Comme nos amis allemands, nous considérons qu’il y a lieu d’investir beaucoup plus dans les infrastructures et les réseaux de transport d’énergie, le numérique, la recherche, l’innovation et la formation. C’est ce que prévoit le plan de Jean-Claude Juncker.

Nous considérons que tous les moyens doivent être utilisés, en particulier ceux de la Banque européenne d’investissement. Grâce à l’impulsion de François Hollande, une augmentation de capital a été décidée en juin 2012 pour permettre la mise en place du pacte de croissance, ce qui a permis à la BEI d’engager 60 milliards d’investissements supplémentaires.

Nous pensons qu’une réflexion devrait être menée sur la possibilité de mobiliser l’épargne privée, très abondante en Europe, et qui pourrait servir davantage à financer des projets européens.

Enfin, l’Europe doit s’engager fortement dans la transition énergétique et écologique. Ce sera à l’ordre du jour du Conseil européen qui se tiendra jeudi, qui aura vocation à adopter des décisions sur le paquet énergie-climat, dans le cadre de la préparation de la Conférence sur le climat qui aura lieu à Paris en 2015, pour que l’Europe s’engage dans la réduction des gaz à effets de serre, la promotion des énergies renouvelables et la construction d’une véritable union énergétique.

Mesdames et messieurs les députés, je vous remercie pour votre engagement en faveur de la contribution de la France à ce budget européen ambitieux et tourné vers l’avenir. La France doit être fière de la contribution qu’elle apporte à la relance en Europe.

Oui, il faut faire des réformes structurelles, et nous les faisons. Oui, monsieur Lequiller, ces réformes sont une part de ce consensus européen qu’il nous faut bâtir, sans opposer l’investissement aux réformes mais en engageant les réformes et en soutenant l’investissement car c’est la voie de la relance et de la croissance.

J’ajoute que si nous devons faire aujourd’hui des réformes qui ont déjà été faites dans d’autres pays, c’est qu’elles n’ont pas été faites au moment où elles auraient dû l’être, à savoir dans les années 2000 !

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