Intervention de Philippe Baumel

Séance en hémicycle du 15 novembre 2012 à 21h30
Abrogation du conseiller territorial — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Baumel :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si j'ai bien entendu les propos tenus à droite de cet hémicycle, l'avenir de la décentralisation serait dans le rabotage, l'élagage, l'amoindrissement des collectivités locales et de leurs élus. Je rappellerai à cet égard une phrase de François Mitterrand : « La France a eu besoin de la centralisation pour se faire ; elle a besoin de la décentralisation pour ne pas se défaire. » J'ajouterai simplement que la France a besoin d'une décentralisation juste, claire, équilibrée, sereine, à l'écoute de ses territoires et de ses habitants et respectueuse des élus de la République. Ce sont là les préalables indispensables à une poursuite sérieuse de la décentralisation et aux avancées de la démocratie locale dont notre pays a plus que jamais besoin.

Remettons-nous un instant dans le climat de 2010 qui avait présidé au vote de ce texte. C'était un climat de défiance vis-à-vis des collectivités locales jugées trop dépensières, trop frondeuses vis-à-vis du pouvoir central et sans doute trop à gauche. Dès lors, sans réelle concertation mais surtout dans la précipitation et l'impréparation, la loi du 16 décembre 2010 créa cette toute nouvelle espèce d'élu inconnu, baptisée par ses créateurs « conseiller territorial ».

Conseiller régional un jour, conseiller général le lendemain, l'élu hybride allait vite devenir schizophrène, sans boussole démocratique ni assise territoriale, sorte de girouette institutionnelle sans axe – juste un élu sautillant à la légitimité incertaine et aux compétences improbables.

Cette réforme à contre-courant des avancées de la démocratie locale engagées depuis 1982 institutionnalisait en fait le cumul des mandats, remettait en cause la parité hommes-femmes, éloignait les citoyens des élus et rendait définitivement illisible la répartition des missions et des compétences entre les échelons locaux.

Rarement un projet de réforme institutionnelle avait porté autant de mépris pour les représentants du peuple. C'est à croire que l'objectif caché était de discréditer définitivement ceux qui partout, de tous bords, depuis le début des années 1980 notamment, ont accompagné sans relâche et avec efficacité la modernisation de notre pays.

Et, pour forcer le trait de ce discrédit orchestré, il y avait aussi l'argument, que je voudrais dénoncer, du coût financier de ce nouvel élu. Tous ici se souviennent avec quelle insistance le conseiller territorial était présenté comme le moyen de réduire le nombre des élus et de faire en conséquence des économies substantielles – au passage, les élus de la République étaient considérés du seul point de vue de leur coût financier, voire comme une ligne budgétaire… À la démagogie du mille-feuille succédait l'opprobre sur les indemnités des élus locaux, dont nous savons tout ici pourtant la modicité – il est vrai qu'eux ne les avaient pas augmentées de 70 % en arrivant aux responsabilités !

Les chiffres ont été rappelés par mes prédécesseurs : pour mémoire, en 2009, le coût des élus représentait 0,19 % du budget des départements, 0,20 % pour les régions. Ce paravent, cet argument cyniquement utilisé par les promoteurs du conseiller territorial masquait une réalité tout autre. En effet, quelle ne fut ma surprise de constater qu'en vérité, en dépit de la diminution du nombre d'élus, les charges liées à l'exercice du mandat de conseiller territorial auraient tellement augmenté qu'elles auraient dépassé le coût total des conseillers généraux et régionaux actuels ! Les études et projections réalisées par les associations d'élus, l'ARF et l'ADF, ont clairement levé le voile sur ce tour de passe-passe. Moins d'élus, mais un coût plus élevé : on a connu meilleure efficacité budgétaire !

En vérité, cette supercherie entendait masquer l'objectif réel du précédent gouvernement : déstabiliser les collectivités locales plutôt qu'approfondir la décentralisation. Pourtant, qui aujourd'hui peut sincèrement contester l'efficacité des conseils généraux et des conseils régionaux ?

À rebours des attentes des citoyens, la loi du 16 décembre 2010 avait pour objectif une recentralisation, une re-concentration des pouvoirs. Le conseiller territorial en était le masque ou l'alibi. Aujourd'hui, nous allons tenir la promesse prise par le Président de la République, une de plus, en abrogeant le conseiller territorial.

La République des territoires a besoin de respiration démocratique, de confiance et d'une ambition nouvelle. Elle mérite assurément mieux que le conseiller territorial. Ce soir, disons-lui adieu. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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