Je ne vais pas rappeler le contexte de la discussion de ce projet de loi, qui a été présenté par Mme la Présidente. La Délégation a mené un travail conjoint avec la commission des Lois, saisie au fond, et la commission des Affaires sociales, saisie pour avis.
J'ai été frappée par le décalage qui existe entre, d'une part, la réalité du harcèlement et, d'autre part, la rareté des plaintes enregistrées pour ce motif dans notre pays, un millier par an, et l'extrême rareté de celles qui aboutissent à une condamnation, environ quatre-vingts par an. Les chiffres disponibles sur le nombre de victimes du harcèlement sexuel varient considérablement selon la définition qui en est donnée, et se situent entre 1,9 % des femmes interrogées et 45 % – ce dernier chiffre correspondant à la part des femmes qui ont entendu une plaisanterie sexiste dans leur cadre professionnel. Mais, même en retenant le taux le plus faible, on est évidemment très au-dessus des mille plaintes annuelles. Ce décalage met en évidence la nécessité de sensibiliser le public en général et les victimes en particulier, et de faciliter le parcours de celles qui portent plainte, lequel s'apparente trop souvent à un parcours du combattant.
Parmi les recommandations que je propose de formuler figure la création d'un observatoire national des violences faites aux femmes : il ne s'agit pas de créer une nouvelle « usine à gaz », mais de mutualiser les bonnes pratiques des collectivités territoriales, à l'exemple de ce qui existe par exemple en Seine-Saint-Denis, et de constituer un réseau dans le cadre de cet observatoire national.
Je soutiens aussi l'initiative, annoncée par la ministre des Droits des femmes, d'une campagne de sensibilisation sur les violences au travail dès que la nouvelle loi sera en vigueur ; cette campagne devra être conçue de manière à cibler aussi bien les victimes que les auteurs potentiels, les employeurs et les témoins.
J'en viens au projet de loi stricto sensu. Son objet principal est de poser une définition du harcèlement qui soit plus précise que celle figurant dans la loi de 1992 modifiée en 2002 où le harcèlement était défini comme « le fait de harceler », ce qui était fort vague et explique la décision du Conseil constitutionnel. Il faut parvenir à une définition qui soit plus précise, sans être trop restrictive, et qui facilite le dépôt des plaintes et leur instruction dans de bonnes conditions. La nouvelle définition qui est proposée comporte deux parties, que je vais aborder successivement.
La première partie repose sur le critère classique de réitération : « Le harcèlement sexuel est le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou agissements à connotation sexuelle qui, soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son égard une situation intimidante, hostile ou offensante. » Cette définition me semble très bien convenir. Je souhaiterais néanmoins y adjoindre la mention des conséquences du harcèlement sur la santé physique ou psychique de la victime en ajoutant : « soit entraînent une altération de sa santé physique ou mentale ». Mentionner ces conséquences permettrait aux magistrats de retenir comme preuve des certificats médicaux ou des arrêts de travail, à l'appui de la plainte. La rapporteure de la commission des Lois a, pour sa part, considéré que deux arguments pouvaient s'y opposer : d'une part, un risque d'affaiblir la plainte d'une victime qui ne pourrait pas fournir la preuve de conséquences des faits de harcèlement sur sa santé ; d'autre part, l'avocat de la partie adverse pourrait demander une contre-expertise psychiatrique et appuyer sa défense sur de prétendus dérèglements psychiatriques de la victime. Ces arguments sont recevables, mais j'estime que ce débat doit avoir lieu en séance publique, afin que s'y déroule une discussion susceptible d'éclairer les magistrats.
La deuxième partie de la définition, telle qu'elle a été adoptée par le Sénat, est rédigée ainsi : est assimilé au harcèlement sexuel « le fait, même non répété, d'user d'ordres, de menaces, de contraintes ou de toute autre forme de pression grave, dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers ». Nous sommes ici dans le cas de ce que l'on appelle le « chantage sexuel » ou le « droit de cuissage », qui intervient dans le cadre d'une demande d'embauche, d'un logement social ou dans un cadre universitaire, par exemple, sans répétition. La référence aux « ordres », « menaces » et « contraintes », conduit à penser qu'il y a en réalité acte préparatoire ou commencement d'exécution d'une tentative de viol ou d'agression sexuelle. De nombreuses associations de lutte contre les violences envers les femmes craignent que, grâce à cette disposition, des viols ou agressions sexuelles soient poursuivis sur le fondement de cette nouvelle définition du harcèlement, ce qui constituerait une déqualification des faits. C'est pourquoi il me paraît souhaitable de supprimer les mots « d'ordres, de menaces, de contraintes » pour se concentrer sur la notion de « pression grave » : j'ai déposé un amendement en ce sens. Cette notion étant déjà présente dans le code pénal, elle ne devrait pas poser de problème de constitutionnalité.
Quant aux circonstances aggravantes, le Gouvernement en a retenu quatre : premièrement, lorsque les faits sont commis par une personne qui abuse de l'autorité conférée par ses fonctions ; deuxièmement, lorsque les faits sont commis sur un mineur de quinze ans – l'âge de quinze ans a été retenu car il correspond à la majorité sexuelle mais il est clair que, pour les mineurs entre quinze et dix-huit ans, l'abus d'autorité pourra être retenu – ; troisièmement, lorsque les faits sont commis sur une personne particulièrement vulnérable de par son âge, la maladie ou une infirmité physique ou psychique ou encore par un état de grossesse ; quatrièmement, lorsque les faits sont commis par plusieurs personnes agissant en qualité d'auteur ou de complice. Le Sénat a ajouté à cette liste la vulnérabilité particulière ou la dépendance de la victime résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale. Je propose d'ajouter le cas des personnes harcelées en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, lesquelles sont très concernées par ce phénomène.
Je sais que cette proposition fera débat : d'abord, faut-il considérer que l'homophobie est plus grave que le sexisme ? Ensuite, la notion d'identité de genre, qui me semble préférable, doit-elle être utilisée, plutôt que celle d'identité sexuelle, que le Sénat a introduite par ailleurs dans le code pénal en relation avec les discriminations ? Il me semble utile de débattre de ces deux points en séance publique. Au-delà, je suggère que nous entamions un travail sur l'introduction de la notion de genre dans le droit français.
Enfin, j'approuve le travail de coordination effectué entre les différents codes, dans le but de disposer d'une même définition dans le code pénal, dans le code du travail et, à l'initiative du Sénat, dans le statut général de la fonction publique. Cela apporte une clarification des règles et une simplification.
Les autres recommandations que je vous propose concernent la création d'un observatoire national des violences faites aux femmes, le lancement d'une nouvelle enquête sur ce sujet et la conduite d'une campagne de sensibilisation, points que j'ai déjà mentionnés.
La recommandation qui porte le n°10 dans le projet de rapport qui vous a été remis m'a été inspirée par l'audition d'un magistrat du parquet de la région parisienne. Il a évoqué le travail, effectué par certaines juridictions, d'élaboration d'une trame de questions à mettre à la disposition des enquêteurs et des magistrats instructeurs de permanence pour l'accueil d'une personne déposant plainte pour harcèlement sexuel : un tel document contribue à former les professionnels à l'approche à retenir vis-à-vis de la victime. Il s'agit de bonnes pratiques qui mériteraient d'être diffusées, car elles relèvent de l'initiative d'un procureur et d'une juridiction. Je me propose d'attirer l'attention de la ministre de la Justice sur ce point.
Ma recommandation suivante consiste à ouvrir la voie à la possibilité de mettre en cause une personne morale pour faits de harcèlement sexuel comme c'est le cas pour les agressions sexuelles. Il me semble en effet qu'une responsabilisation de l'employeur contribuerait à un changement des mentalités à l'égard des comportements de harcèlement sexuel, alors que l'ambiance sexiste de certains lieux de travail est de nature à les favoriser.
Enfin, j'estime que la définition du harcèlement moral dans la sphère familiale ou entre ex-époux, qui figure à l'article 222-33-2-1 du code pénal, devrait être améliorée afin d'écarter tout risque d'inconstitutionnalité et de faciliter le dépôt de plainte et le traitement des procédures relatives à cette infraction. Ce travail pourrait être mené dans le cadre de l'évaluation de la mise en oeuvre de la loi de 2010 sur les violences conjugales.