La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes examine le rapport d'information de Mme Ségolène Neuville sur le projet de loi, adopté par le Sénat, relatif au harcèlement sexuel (n° 82).
Présidence de Mme Catherine Coutelle, présidente.
La séance est ouverte à 18 heures 15.
Notre Délégation doit examiner aujourd'hui le projet de loi relatif au harcèlement sexuel déposé par le Gouvernement au Sénat le 13 juin dernier. Je suis désolée que nous ayons dû quitter l'audition par la commission des Lois de Mme Christiane Taubira, ministre de la Justice et de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, pour nous réunir, mais il convient d'examiner et d'adopter notre rapport aujourd'hui pour que nos travaux aient la portée la plus large possible. J'excuse bien volontiers ceux de nos collègues qui sont restés à l'audition des ministres, auxquelles ils avaient des questions à poser.
Il convient de rappeler le contexte de l'examen de ce projet de loi : le Conseil constitutionnel a été saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article 222-33 du code pénal et a décidé, le 4 mai dernier, d'invalider cet article sur lequel étaient fondées les poursuites pour harcèlement sexuel. Il en résulte un vide juridique dans le code pénal et une instabilité juridique très préjudiciable pour les victimes qui ont engagé une procédure.
Nous avons appris qu'une quinzaine de plaintes dont l'instruction était très avancée étaient devenues caduques et n'avaient pu être reprises sous une autre qualification. La loi pénale ne pouvant en aucun cas être rétroactive, ce sont jusqu'à deux années d'instruction qui sont perdues, alors que les victimes ont dû s'acquitter de frais de justice élevés. La seule démarche possible consisterait à ouvrir à ces victimes le droit à l'aide juridictionnelle, quels que soient leurs revenus, pour le procès civil qu'elles peuvent encore engager. La ministre de la Justice a indiqué que ses services allaient étudier cette idée.
Le Gouvernement, aussitôt son installation le 16 mai, a jugé nécessaire de légiférer très rapidement pour combler ce vide et élaborer un texte plus précis. C'est ainsi que le projet de loi a été déposé sur le Bureau du Sénat, l'Assemblée nationale n'étant pas encore constituée.
Le Gouvernement a décidé d'engager la procédure accélérée de l'article 45 de la Constitution : il n'y aura donc qu'une lecture par chaque assemblée, suivies de la réunion d'une commission mixte paritaire si l'Assemblée nationale ne vote pas le projet de loi adopté par le Sénat dans les mêmes termes. L'examen du projet en séance publique par l'Assemblée nationale aura lieu le 24 juillet.
C'est un projet de loi enrichi qui a été adopté à l'unanimité par le Sénat le 12 juillet. La Délégation a disposé de très peu de temps pour analyser ce projet et proposer des améliorations : elle a dû travailler dans l'extrême urgence, méthode peu satisfaisante à laquelle on ne doit pas recourir trop souvent, mais ses membres tenaient à apporter leur contribution au nouveau texte de loi. Je tiens à les remercier pour le travail accompli et à féliciter notre rapporteure, nouvelle députée, élue en 2012. La lutte contre les violences faites aux femmes a été le sujet de nombreux travaux antérieurs de la Délégation ; elle possède donc une expertise sur ces questions et bien évidemment leur porte une attention particulière. Elle a par exemple déjà mené une réflexion sur la nécessité de créer un observatoire des violences faites aux femmes et a conclu à l'urgence de réaliser une nouvelle enquête sur ce thème, la dernière réalisée au plan national datant de 2000.
Je donne à présent la parole à Mme Neuville, notre rapporteure, qui va nous présenter son rapport et ses propositions d'améliorations du texte. Nous pourrons les adopter sous la forme de recommandations, qui seront intégrées dans le rapport.
Des amendements pourront aussi être déposés, co-signés par les membres de la Délégation qui le souhaiteront.
Je ne vais pas rappeler le contexte de la discussion de ce projet de loi, qui a été présenté par Mme la Présidente. La Délégation a mené un travail conjoint avec la commission des Lois, saisie au fond, et la commission des Affaires sociales, saisie pour avis.
J'ai été frappée par le décalage qui existe entre, d'une part, la réalité du harcèlement et, d'autre part, la rareté des plaintes enregistrées pour ce motif dans notre pays, un millier par an, et l'extrême rareté de celles qui aboutissent à une condamnation, environ quatre-vingts par an. Les chiffres disponibles sur le nombre de victimes du harcèlement sexuel varient considérablement selon la définition qui en est donnée, et se situent entre 1,9 % des femmes interrogées et 45 % – ce dernier chiffre correspondant à la part des femmes qui ont entendu une plaisanterie sexiste dans leur cadre professionnel. Mais, même en retenant le taux le plus faible, on est évidemment très au-dessus des mille plaintes annuelles. Ce décalage met en évidence la nécessité de sensibiliser le public en général et les victimes en particulier, et de faciliter le parcours de celles qui portent plainte, lequel s'apparente trop souvent à un parcours du combattant.
Parmi les recommandations que je propose de formuler figure la création d'un observatoire national des violences faites aux femmes : il ne s'agit pas de créer une nouvelle « usine à gaz », mais de mutualiser les bonnes pratiques des collectivités territoriales, à l'exemple de ce qui existe par exemple en Seine-Saint-Denis, et de constituer un réseau dans le cadre de cet observatoire national.
Je soutiens aussi l'initiative, annoncée par la ministre des Droits des femmes, d'une campagne de sensibilisation sur les violences au travail dès que la nouvelle loi sera en vigueur ; cette campagne devra être conçue de manière à cibler aussi bien les victimes que les auteurs potentiels, les employeurs et les témoins.
J'en viens au projet de loi stricto sensu. Son objet principal est de poser une définition du harcèlement qui soit plus précise que celle figurant dans la loi de 1992 modifiée en 2002 où le harcèlement était défini comme « le fait de harceler », ce qui était fort vague et explique la décision du Conseil constitutionnel. Il faut parvenir à une définition qui soit plus précise, sans être trop restrictive, et qui facilite le dépôt des plaintes et leur instruction dans de bonnes conditions. La nouvelle définition qui est proposée comporte deux parties, que je vais aborder successivement.
La première partie repose sur le critère classique de réitération : « Le harcèlement sexuel est le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou agissements à connotation sexuelle qui, soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son égard une situation intimidante, hostile ou offensante. » Cette définition me semble très bien convenir. Je souhaiterais néanmoins y adjoindre la mention des conséquences du harcèlement sur la santé physique ou psychique de la victime en ajoutant : « soit entraînent une altération de sa santé physique ou mentale ». Mentionner ces conséquences permettrait aux magistrats de retenir comme preuve des certificats médicaux ou des arrêts de travail, à l'appui de la plainte. La rapporteure de la commission des Lois a, pour sa part, considéré que deux arguments pouvaient s'y opposer : d'une part, un risque d'affaiblir la plainte d'une victime qui ne pourrait pas fournir la preuve de conséquences des faits de harcèlement sur sa santé ; d'autre part, l'avocat de la partie adverse pourrait demander une contre-expertise psychiatrique et appuyer sa défense sur de prétendus dérèglements psychiatriques de la victime. Ces arguments sont recevables, mais j'estime que ce débat doit avoir lieu en séance publique, afin que s'y déroule une discussion susceptible d'éclairer les magistrats.
La deuxième partie de la définition, telle qu'elle a été adoptée par le Sénat, est rédigée ainsi : est assimilé au harcèlement sexuel « le fait, même non répété, d'user d'ordres, de menaces, de contraintes ou de toute autre forme de pression grave, dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers ». Nous sommes ici dans le cas de ce que l'on appelle le « chantage sexuel » ou le « droit de cuissage », qui intervient dans le cadre d'une demande d'embauche, d'un logement social ou dans un cadre universitaire, par exemple, sans répétition. La référence aux « ordres », « menaces » et « contraintes », conduit à penser qu'il y a en réalité acte préparatoire ou commencement d'exécution d'une tentative de viol ou d'agression sexuelle. De nombreuses associations de lutte contre les violences envers les femmes craignent que, grâce à cette disposition, des viols ou agressions sexuelles soient poursuivis sur le fondement de cette nouvelle définition du harcèlement, ce qui constituerait une déqualification des faits. C'est pourquoi il me paraît souhaitable de supprimer les mots « d'ordres, de menaces, de contraintes » pour se concentrer sur la notion de « pression grave » : j'ai déposé un amendement en ce sens. Cette notion étant déjà présente dans le code pénal, elle ne devrait pas poser de problème de constitutionnalité.
Quant aux circonstances aggravantes, le Gouvernement en a retenu quatre : premièrement, lorsque les faits sont commis par une personne qui abuse de l'autorité conférée par ses fonctions ; deuxièmement, lorsque les faits sont commis sur un mineur de quinze ans – l'âge de quinze ans a été retenu car il correspond à la majorité sexuelle mais il est clair que, pour les mineurs entre quinze et dix-huit ans, l'abus d'autorité pourra être retenu – ; troisièmement, lorsque les faits sont commis sur une personne particulièrement vulnérable de par son âge, la maladie ou une infirmité physique ou psychique ou encore par un état de grossesse ; quatrièmement, lorsque les faits sont commis par plusieurs personnes agissant en qualité d'auteur ou de complice. Le Sénat a ajouté à cette liste la vulnérabilité particulière ou la dépendance de la victime résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale. Je propose d'ajouter le cas des personnes harcelées en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, lesquelles sont très concernées par ce phénomène.
Je sais que cette proposition fera débat : d'abord, faut-il considérer que l'homophobie est plus grave que le sexisme ? Ensuite, la notion d'identité de genre, qui me semble préférable, doit-elle être utilisée, plutôt que celle d'identité sexuelle, que le Sénat a introduite par ailleurs dans le code pénal en relation avec les discriminations ? Il me semble utile de débattre de ces deux points en séance publique. Au-delà, je suggère que nous entamions un travail sur l'introduction de la notion de genre dans le droit français.
Enfin, j'approuve le travail de coordination effectué entre les différents codes, dans le but de disposer d'une même définition dans le code pénal, dans le code du travail et, à l'initiative du Sénat, dans le statut général de la fonction publique. Cela apporte une clarification des règles et une simplification.
Les autres recommandations que je vous propose concernent la création d'un observatoire national des violences faites aux femmes, le lancement d'une nouvelle enquête sur ce sujet et la conduite d'une campagne de sensibilisation, points que j'ai déjà mentionnés.
La recommandation qui porte le n°10 dans le projet de rapport qui vous a été remis m'a été inspirée par l'audition d'un magistrat du parquet de la région parisienne. Il a évoqué le travail, effectué par certaines juridictions, d'élaboration d'une trame de questions à mettre à la disposition des enquêteurs et des magistrats instructeurs de permanence pour l'accueil d'une personne déposant plainte pour harcèlement sexuel : un tel document contribue à former les professionnels à l'approche à retenir vis-à-vis de la victime. Il s'agit de bonnes pratiques qui mériteraient d'être diffusées, car elles relèvent de l'initiative d'un procureur et d'une juridiction. Je me propose d'attirer l'attention de la ministre de la Justice sur ce point.
Ma recommandation suivante consiste à ouvrir la voie à la possibilité de mettre en cause une personne morale pour faits de harcèlement sexuel comme c'est le cas pour les agressions sexuelles. Il me semble en effet qu'une responsabilisation de l'employeur contribuerait à un changement des mentalités à l'égard des comportements de harcèlement sexuel, alors que l'ambiance sexiste de certains lieux de travail est de nature à les favoriser.
Enfin, j'estime que la définition du harcèlement moral dans la sphère familiale ou entre ex-époux, qui figure à l'article 222-33-2-1 du code pénal, devrait être améliorée afin d'écarter tout risque d'inconstitutionnalité et de faciliter le dépôt de plainte et le traitement des procédures relatives à cette infraction. Ce travail pourrait être mené dans le cadre de l'évaluation de la mise en oeuvre de la loi de 2010 sur les violences conjugales.
Merci à notre rapporteure, Madame Ségolène Neuville, pour la qualité de son travail et la clarté de ses propositions.
Je voudrais pour ma part, proposer une modification de la recommandation n°6 qui vient d'être présentée. J'y reviendrai à son tour.
Je m'associe aux remerciements de notre présidente pour le travail de haut niveau qui a été accompli par notre rapporteure. Toutefois, je ne partage pas la position de la rapporteure en ce qui concerne la rédaction de la recommandation n°3, visant à compléter la définition du harcèlement sexuel figurant dans le paragraphe I du texte d l'article 222-33 du code pénal tel qu'il résulte de l'article 1er du projet de loi, en mentionnant la possible altération de la santé physique ou mentale de la victime comme élément objectif permettant de faciliter la recherche de preuves, à savoir, une altération que l'on peut prouver par des certificats médicaux. Il m'apparaît qu'en fait, en préconisant cela, la recommandation ne se situe plus dans la définition du harcèlement ; elle se situe déjà dans l'analyse des effets du harcèlement. Elle n'a donc pas sa place à l'article 1er du projet de loi. Il me semble qu'il faudrait évoquer ce point dans une autre recommandation, par exemple portant sur la question de la preuve. La question de la protection des témoins et de l'établissement des preuves est en effet capitale dans les dossiers de harcèlement.
Le second point que je voudrais souligner, compte tenu des réactions dont j'ai pu avoir connaissance au cours de réunions dans ma circonscription, c'est la difficulté d'application de ce dispositif, comme d'ailleurs de tout dispositif en matière de harcèlement. Une procédure équivaut à au moins vingt-quatre mois de longues et douloureuses tracasseries juridictionnelles, qui s'ajoutent aux agissements contre lesquels la victime porte plainte. Au harcèlement sexuel s'ajoute le harcèlement de la procédure. Tout cela est très pénible pour les victimes. Je souhaiterais donc que l'on ajoute une recommandation, en préambule, indiquant que la prévention doit être mise en avant ; en effet, c'est là ce qu'attendent bon nombre des personnes qui s'impliquent dans la lutte contre les violences. D'ailleurs, la ministre des Droits des femmes, Madame Najat Vallaud-Belkacem, s'est engagée à conduire des actions de sensibilisation.
Le troisième point de mon propos consiste à rappeler la difficulté de la preuve en matière de harcèlement ; j'en ai parlé à l'occasion de la recommandation n°3, je n'y reviens pas.
Enfin, il y a l'importante question de la formation. Il me paraît indispensable de travailler à améliorer la formation de tous les acteurs amenés à intervenir dans le cadre d'une affaire de harcèlement : policiers, gendarmes, magistrats, par exemple.
Vous l'avez bien compris, Madame Untermaier, la rédaction préconisée dans la recommandation n°3, qui définit le harcèlement sexuel comme le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou agissements qui, soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son égard une situation intimidante, hostile ou offensante, soit entraînent une altération de sa santé physique ou mentale, a fondamentalement pour objet de faciliter, pour les victimes, la charge de la preuve. On retrouve dans cette recommandation la définition européenne du harcèlement sexuel et on y ajoute des circonstances de fait de nature à éclairer, me semble-t-il, tout particulièrement le juge. Je suis favorable, comme la rapporteure, au dépôt d'un amendement portant cet ajout, afin que la question soit examinée en séance publique. Cela permettra de susciter le débat et pourrait constituer un élément de nature à éclairer sur l'intention du législateur. Lorsqu'il y a des arrêts maladie répétés dans un dossier, lorsque la personne manque, qu'elle peine à venir à son travail, il peut y avoir là le signe tangible d'un harcèlement sexuel.
Je ne voudrais pas avoir à me prononcer défavorablement à l'égard de cet amendement, alors que je suis membre de la Délégation.
Je sais qu'on peut craindre qu'une personne faisant état, dans une affaire de harcèlement, d'une altération de sa santé physique ou mentale encourre le risque, à la demande de la partie adverse, de se voir soumise à une expertise psychiatrique ; je comprends vos réticences et je ne vois aucun obstacle à ce que vous vous prononciez, en séance publique, contre cet amendement. Il est surtout question ici de susciter le débat. Il est tout à fait nécessaire, comme vous le soulignez, de mettre en place une formation pour toutes les personnes impliquées dans le traitement d'une plainte pour harcèlement.
Je suggère que l'on rédige comme suit une proposition ayant trait à la formation et qui, tout en complétant le texte de la recommandation n° 2, pourra devenir la recommandation n°1 :
« La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes recommande la mise en place d'un programme national de formation destiné :
– aux acteurs de la procédure judiciaire – policiers, gendarmes, magistrats ;
– aux délégués du personnel dans les entreprises ainsi qu'aux médecins du travail.
Une campagne de sensibilisation aux violences au travail, parmi lesquelles le harcèlement sexuel, devra être organisée lors de l'entrée en vigueur de la loi sur le harcèlement sexuel, afin de toucher le public le plus large. »
J'ajoute que, s'agissant des actions de sensibilisation et de formation à mener, il conviendra aussi de lutter contre les effets désastreux des stéréotypes sexués.
Je voudrais, de manière complémentaire à ce qui vient d'être dit, souligner le rôle essentiel de l'éducation et de la prévention, lorsque ces deux disciplines sont enseignées dès le plus jeune âge. Dès la maternelle, en fait, on constate des comportements agressifs. C'est dès la prime enfance qu'il y a une éducation à faire pour détourner les enfants de la violence sexuelle.
Je tiens à faire connaître mon accord sur l'ensemble des recommandations, qui me paraissent toutes extrêmement pertinentes.
Les observations de la rapporteure sur la question de l'identité sexuelle ou du genre me conduisent à penser qu'une étude juridique sur le genre, et sur l'intégration de ce concept dans le code pénal, reste à effectuer.
Enfin, en matière de harcèlement sexuel, il convient de ne pas oublier la prise en compte des territoires. Les femmes victimes de harcèlement, lorsqu'elles vivent dans les zones urbaines, peuvent être prises en charge par des centres adaptés. Toutefois, en milieu rural, de tels centres n'existent pas. Un enjeu important pour l'avenir réside dans le développement de réseaux présents jusque dans les espaces géographiques défavorisés.
Cette dernière remarque me semble vraiment très importante et doit être mise en exergue. On constate effectivement une fracture territoriale dans la prise en charge des femmes victimes de harcèlement. Il existe, en ville, des structures qui peuvent apporter leur aide aux femmes qui ont connu la maltraitance, mais ces structures n'existent pas partout à l'échelon départemental.
Il s'agit là d'une question non moins essentielle qui devra être posée demain, lors de l'audition de la ministre des Droits des femmes par la Délégation. Il est vrai que les budgets des structures très étroitement liées à la vie quotidienne des femmes doivent être améliorés, et notamment ceux des délégations départementales et des organismes relevant du planning familial.
Toutes ces questions, et notamment la question de la prévention à l'école, avaient déjà été posées par la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes. Aujourd'hui, cependant, les chantiers qui avaient été ouverts à l'époque ne sont toujours pas clos et ils doivent être réexaminés avec attention. De même, on doit observer que les subventions accordées aux délégations départementales, au planning familial ou aux centres d'information des droits des femmes (CIDF) ne vont pas de soi. Il faut une action sans cesse renouvelée pour maintenir ces financements. En fait, à l'heure actuelle, ce sont plutôt les collectivités territoriales qui, là comme dans d'autres domaines, sont les principaux financeurs.
Je vous renvoie aux développements qui figurent dans le projet de rapport ; l'école y est en effet mentionnée comme le lieu privilégié d'apprentissage de l'égalité, également comme le lieu où toutes les formes de violence doivent être combattues par l'éducation. De même, la rapporteure a évoqué les stéréotypes de genre véhiculés par les médias ou par différents objets familiers, tels que les jouets attribués aux garçons ou aux filles, qui doivent être fermement dénoncés ; ces stéréotypes engendrent de nombreux comportements à bannir et à sanctionner, y compris le harcèlement sexuel.
Je voudrais par ailleurs ajouter la recommandation suivante, qui fait suite aux observations de la rapporteure et à celles de Mme Edith Gueugneau sur la question du genre :
« La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes propose de conduire une réflexion législative pour introduire la notion de genre dans la terminologie juridique française. »
Je voudrais poser une dernière question sur ce que l'on pourrait appeler « l'applicabilité » de la loi. Serait-il possible de prévoir, à un moment donné de la législature, un rendez-vous, un moment d'évaluation, pour faire le point sur l'application de la loi ?
Je proposerais volontiers, à terme fixe, par exemple chaque année, de faire le point sur la mise en oeuvre de cette loi avec le Gouvernement, notamment par le biais d'une question d'actualité.
Je pense que nous touchons là au coeur même des missions de la Délégation. Il appartient en effet à la Délégation d'être attentive à l'application d'un certain nombre de textes très importants, tels que les textes sur les retraites, sur l'égalité salariale femmeshommes, par exemple. Je suis donc tout à fait d'accord pour la procédure d'une évaluation par le biais des questions d'actualité ; nous pouvons convenir aussi de nous réunir passé un certain délai, par exemple deux ans, pour voir comment ce texte aura été appliqué.
La Délégation adopte le rapport à l'unanimité et les recommandations suivantes :
1) La Délégation demande la mise en place d'un programme national de formation destiné :
– aux acteurs de la procédure judiciaire – policiers, gendarmes, magistrats ;
– aux délégués du personnel dans les entreprises ainsi qu'aux médecins du travail.
Une campagne de sensibilisation aux violences au travail, parmi lesquelles le harcèlement sexuel, devra être organisée lors de l'entrée en vigueur de la présente loi, afin de toucher le public le plus large.
2) La Délégation demande qu'une enquête statistique complète sur les violences faites aux femmes soit conduite au plan national pour mieux cerner cette réalité tant dans le monde du travail que de manière plus générale. Un volet consacré spécifiquement au harcèlement sexuel devra être prévu. Cette enquête devra permettre de guider l'action des pouvoirs publics, en termes de prévention comme d'évaluation des politiques publiques.
L'enquête devra comporter un volet particulier sur la réalité des atteintes sexuelles et du harcèlement sexuel dans l'enseignement supérieur.
3) La Délégation propose de compléter la définition du harcèlement sexuel figurant dans le paragraphe I la rédaction de l'article 222-33 du code pénal introduite par l'article 1 du projet de loi en incluant un élément objectif permettant de faciliter la recherche des preuves.
Cette définition modifiée serait la suivante : « Le harcèlement sexuel est le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou agissements qui, soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son égard une situation intimidante, hostile ou offensante, soit entraînent une altération de sa santé physique ou mentale ».
4) La Délégation propose de définir le délit consistant en un acte unique assimilé au harcèlement de la manière suivante : « Est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété, d'user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers. »
5) La Délégation considère que les cas d'aggravation de la sanction prévue par le III de l'article 222-33 du code pénal par l'article1er du projet de loi, devraient être complétés par un 6ème cas prenant en considération l'orientation sexuelle ou l'identité sexuelle de la victime des actes de harcèlement décrits par le I comme par le II de l'article 222-33.
6) La Délégation propose de conduire une réflexion législative pour introduire la notion de genre dans la terminologie juridique française.
7) La Délégation approuve la coordination réalisée entre les nouvelles dispositions du code pénal introduites par le présent projet de loi et la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Elle formule les mêmes propositions de modification de la définition des deux types de comportements sanctionnés que pour les dispositions du code pénal.
8) La Délégation approuve la proposition de Mme la Ministre des Droits des femmes de créer un Observatoire national des violences envers les femmes, chargé de recueillir les informations et de réaliser des études régulièrement, afin d'aider les pouvoirs publics à faire évoluer les politiques de lutte contre ces violences.
Plutôt que de créer ex nihilo une nouvelle structure, il serait souhaitable de réunir en réseau les observatoires existants ou à créer au plan local, comme l'Observatoire des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis. Il conviendrait de disposer au niveau de chaque département d'un lieu d'analyse et d'action spécifiquement chargé des violences envers les femmes.
9) La Délégation demande que soit établi un bilan de la rédaction des protocoles départementaux de lutte contre les violences faites aux femmes.
10) La Délégation demande à Mme la Garde des Sceaux d'étudier la manière dont les pratiques innovantes, mises au point par certaines juridictions pour l'instruction des faits de harcèlement sexuel, pourraient être mises à la disposition des autres juridictions afin d'améliorer le traitement des enquêtes.
11) Lutter avec volontarisme contre le harcèlement sexuel suppose d'ouvrir la voie à la mise en cause d'une personne morale pour harcèlement sexuel : une telle extension de responsabilité pénale de l'employeur constituerait un signal fort pour un réel changement des mentalités et des pratiques. Le lieu de travail, plus que tout autre, ne doit plus admettre le harcèlement sexuel comme une pratique tolérée ou faisant l'objet d'un déni général.
12) La Délégation considère que la définition du harcèlement moral dans la sphère familiale ou entre ex-époux, figurant à l'article 222-33-2-1 du code pénal doit être améliorée afin de faciliter le dépôt de plainte et le traitement des procédures relatives à cette infraction.
La séance est levée à 19 heures 15.