Notre analyse est différente de la vôtre, j'en conviens. Elle amène à conclure que la modification apportée peut enterrer purement et simplement la procédure de réquisition.
Cette réécriture retire de fait au préfet la faculté qu'il avait d'arbitrer et de juger des arguments des bailleurs, donc de la validité des délais demandés.
En effet, graver dans le marbre le délai de vingt-quatre mois, quand bien même c'est un maximum, n'est-ce pas ouvrir la voie à de multiples recours de la part des propriétaires ?
Certes, madame la ministre, vous justifiez ce recul par la décision du Conseil constitutionnel de 1998, dont vos services ont bien voulu me faire parvenir les éléments.
D'abord, je rappelle que cette décision valide la procédure de réquisition. Les réserves des Sages ne portent aucunement sur la question de délai, mais seulement sur celle de l'indemnisation des propriétaires. Je tiens de mon côté à votre disposition la citation intégrale du Conseil.
Vous avez appelé mon attention sur le considérant n° 32, invoqué en commission pour justifier la nouvelle rédaction. À sa lecture, il apparaît clairement qu'aucun délai supplémentaire n'est nécessaire à la constitutionnalité de la procédure : ni vingt-quatre mois, ni même douze. Au contraire, ce considérant établit que le délai de deux mois laissé au propriétaire pour faire connaître son opposition, à l'issue duquel le préfet lui notifie l'arrêté de réquisition, « ne porte pas au droit de propriété une atteinte contraire à la Constitution ».
Vous m'avez fait savoir que ces vingt-quatre mois correspondaient à une suggestion du Conseil d'État. Vous comprendrez que, si le Conseil d'État nous conduisait ainsi à renoncer à la procédure de réquisition, il s'agirait d'un véritable problème démocratique.
Dans l'état actuel du texte, non seulement l'une des deux avancées portées par le Front de Gauche a été gommée, mais en plus les effets pervers de la situation antérieure se trouvent, selon nous, amplifiés.
Contrairement aux arguments que vous avez formulés à cette tribune, si nous adaptons le texte en l'état, il ne vous sera pas possible, madame la ministre, de réquisitionner des logements vides. Votre volonté politique, que je ne mets pas en doute, sera entravée.
C'est la raison pour laquelle, désireux de soutenir votre intention de réquisitionner, que vous avez exprimée avec force le 27 octobre et que vous avez rappelée aujourd'hui avec non moins d'énergie, je vous apporterai, à travers un nouvel amendement, la possibilité juridique de le faire. Nous en discuterons ultérieurement, lors de l'examen de l'article 8.
Par ailleurs, votre initiative avait bénéficié de l'appui du Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, qui avait déclaré, le jeudi 1er novembre : « Si les besoins le nécessitent, nous le ferons ; [...] les lois existent et nous entendons les appliquer », ce que vous avez d'ailleurs très bien rappelé tout à l'heure dans votre intervention liminaire.
Nous pensons donc sincèrement que notre amendement constitue l'unique façon de permettre au Gouvernement de concrétiser son intention.
Les associations sont en état d'alerte ; elles sont exaspérées. Jeudi dernier, cinquante sans-abri, dont de nombreuses femmes accompagnées d'enfants, se sont installés dans le hall d'entrée d'un hôtel particulier situé dans le VIIe arrondissement.
En ce moment même, une mobilisation à l'appel de l'association Droit au logement, le DAL, a lieu à l'abord de l'Assemblée. La clameur monte : vivre dans la rue, c'est perdre son emploi, sa famille, sa santé et sa dignité ! Lorsque l'on vit dans la rue, on meurt en moyenne à 48 ans…
La crise du logement s'aggrave à toute vitesse, laissant dehors une masse croissante de personnes vulnérables, soumises à des conditions de vie dangereuses et à une situation sanitaire d'une autre époque. Des milliers d'autres sont hébergées dans des conditions coûteuses, inadaptées, précaires.
Les effets délétères de cette crise se conjuguent à ceux de la situation économique actuelle pour fragiliser le droit au logement des familles.
Dans le même temps, certaines multinationales paient des frais, rubis sur l'ongle, plutôt que de louer leurs biens. Des fonds d'investissement spéculent en maintenant inoccupées d'immenses surfaces. Des immeubles entiers restent portes closes depuis des années. Ce n'est plus acceptable !
Nous en sommes tous d'accord, ce texte est un texte d'urgence. Prenons donc des mesures d'urgence : l'urgence, c'est la réquisition !
Je le répète, les spéculateurs malveillants disposent de suffisamment d'outils de blocage pour ne pas leur en offrir de nouveaux. C'est même un véritable business : des cabinets juridiques sont spécialisés dans l'obstruction juridique, à coups de devis, de documents de succession ou de litiges de copropriété.
Au nom des députés du Front de Gauche, je sollicite du Gouvernement et de la majorité le rétablissement du texte antérieur. Il n'a rien d'inconstitutionnel. Il garantit la faisabilité d'une procédure respectueuse du droit de propriété.
J'affirme solennellement que, quoi qu'il en soit, nous voterons le texte. Mais j'aimerais crier : ne renonçons pas ! Il s'agit d'éviter la mort des hommes et des femmes qui dorment dehors !
Peut-on courir le risque de bloquer toute procédure de réquisition au nom de la simple obsession du vote conforme ?