Intervention de Hervé Féron

Séance en hémicycle du 20 novembre 2014 à 15h00
Dispositions d'adaptation au droit de l'union européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé Féron, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation :

Monsieur le président, madame la ministre, mesdames et messieurs les députés, chers collègues, en l’an 1777, Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, refusant que Le Barbier de Séville lui échappe et tombe aux mains de la Comédie française, fonde la Société des auteurs dramatiques et, par là même, le droit d’auteur. Le principe est acté : les auteurs conservent la propriété de leur oeuvre, et ils doivent en conséquence percevoir des droits sur l’exploitation de leurs pièces, quel que soit le montant des recettes.

Plus de deux cent cinquante ans plus tard, les droits d’auteur sont toujours une composante majeure de notre paysage culturel. Les droits voisins aux droits d’auteur, notamment les droits des artistes-interprètes, les ont entre-temps rejoints. Plusieurs directives de l’Union européenne, touchant au domaine de la propriété littéraire et artistique et à celui du patrimoine, portent ainsi sur les droits d’auteur et sur les droits voisins.

En ratifiant le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la France, comme les autres États membres, s’est engagée à transposer dans son droit interne les directives de l’Union européenne. Si les projets de loi de transposition peuvent apparaître comme de simples formalités, ils sont pourtant essentiels, car c’est grâce à eux que nous harmoniserons les différentes législations européennes, que nous évoluerons vers un système juridique plus juste et plus cohérent, et que nous rapprocherons les peuples de l’Union les uns des autres.

Chaque État membre dispose en moyenne d’un délai de dix-huit mois pour transposer les directives dans son droit interne. Pour les directives qui sont l’objet du présent projet de loi, le temps presse. Nous sommes déjà en retard pour la transposition de la première directive, qui aurait dû être transposée le 1ernovembre 2013 au plus tard. Notre retard est moindre pour la deuxième directive, qui devait être transposée avant le 29 octobre 2014. Finalement, seule la troisième sera transposée dans le délai imparti, puisque nous avions jusqu’au mois de décembre 2015. En commission, nous avons tous exprimé le regret que le Gouvernement n’ait pas saisi le Parlement plus tôt : cela nous contraint à présent à examiner ces dispositions dans l’urgence.

Néanmoins, même transmis tardivement, ce projet de loi comporte des avancées significatives, et ce à plusieurs niveaux, notamment, dans le domaine des droits voisins au droit d’auteur, des avancées pour les artistes-interprètes. J’éprouve donc un certain sentiment de fierté à l’idée de vous le présenter, en espérant que nous arriverons ensemble à dépasser le côté technique et spécialisé de certaines dispositions, afin que chaque membre de la représentation nationale le vote in fine en pleine connaissance de cause et sans aucun regret.

La transposition des directives doit se faire de la manière la plus fidèle possible, afin de rester au plus près des objectifs fixés par l’Union européenne pour l’ensemble des États membres. Une adaptation inexacte nous exposerait à des sanctions, dont le montant pourrait atteindre jusqu’à plusieurs millions d’euros. C’est la raison pour laquelle j’ai proposé en commission des amendements de nature essentiellement rédactionnelle et, de temps à autre, des amendements plus substantiels. Il s’agissait de corriger le texte afin de rester au plus près des prescriptions des directives.

Le projet de loi aujourd’hui soumis à notre examen porte diverses adaptations au droit de l’Union européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel. Si le droit de la propriété littéraire et artistique est déjà réputé complexe en soi, le droit communautaire n’est pas pour alléger cette complexité, mais les enjeux sont de première importance pour le secteur culturel en France, comme je vais tenter de le démontrer.

Pour le secteur de la musique, tout d’abord, qui est visé par la première directive, celle du 27 septembre 2011, l’Union européenne, en portant de cinquante à soixante-dix ans la durée de protection des droits des artistes-interprètes et des producteurs de disques, prend acte, d’une part, de l’allongement de la durée de vie des personnes et, d’autre part, de la nécessité d’aider les producteurs pour soutenir la création et favoriser la découverte de nouveaux talents. Ainsi apporte-t-elle une réponse à la hauteur pour que le secteur puisse relever les défis qui lui sont lancés, ceux du piratage électronique et de la diffusion en ligne.

Afin que le texte de transposition soit tout à fait fidèle à la directive, la commission a adopté deux amendements de fond portant sur l’article 2. Celui-ci prévoit, pour chaque artiste-interprète, un droit de résiliation du contrat qui le lie à un producteur, dans le cas où ce dernier refuserait d’exploiter son oeuvre et laisserait donc l’artiste sans rémunération. La commission a souhaité retranscrire plus fidèlement que les deux exigences que le producteur doit respecter – à savoir offrir à la vente des exemplaires du disque en quantité suffisante et mettre l’oeuvre à la disposition du public pour un accès à la demande sur internet – sont cumulatives. Par ailleurs, en ce qui concerne la rémunération annuelle supplémentaire de 20 % due par les producteurs aux artistes-interprètes rémunérés forfaitairement, la commission a souhaité préciser, conformément à la directive, que les seules recettes qui ne sont pas prises en compte dans le calcul de cette rémunération sont celles de la radiodiffusion.

En commission, nous avons également eu des échanges intéressants à propos de la transposition de la deuxième directive européenne, celle du 25 octobre 2012, qui vise à permettre l’utilisation de certaines oeuvres orphelines, ces oeuvres qui ne sont pas encore tombées dans le domaine public mais dont il n’est pas possible d’identifier ou de trouver les auteurs ou ayants droit. Certains organismes de service public, tels que les bibliothèques, musées et établissements d’enseignement, pourront à présent reproduire des oeuvres orphelines et les mettre à la disposition du public, dans un but exclusivement non-lucratif. Cela n’était pas possible auparavant. Désormais, livres, revues, journaux, disques et vidéos pourront donc être prêtés et numérisés à condition que des recherches dites « diligentes, avérées et sérieuses » aient été préalablement effectuées par l’organisme intéressé. Déclarée orpheline, l’oeuvre sera utilisable dans l’ensemble des États membres de l’Union européenne. Si un ayant droit se déclare a posteriori, les organismes bénéficiaires devront mettre fin à l’utilisation de l’oeuvre et verser une indemnité équitable au regard du préjudice subi.

La numérisation et la diffusion des oeuvres orphelines pouvant représenter un certain coût, les établissements concernés auront la possibilité de faire contribuer financièrement les usagers. Cette dernière disposition a suscité un débat en commission. Comme l’a fait remarquer Mme Isabelle Attard, les frais de numérisation sont aujourd’hui très inférieurs à ce qu’ils ont pu être il y a quelques années. Par ailleurs, il nous faut prévenir toute dérive du système et éviter que les usagers ne paient des sommes trop importantes pour accéder à des oeuvres orphelines. Je me suis donc déclaré favorable à l’amendement de notre collègue écologiste visant à limiter à cinq ans cette possibilité offerte aux établissements de faire contribuer financièrement les usagers. Cet amendement a été adopté par la commission.

La troisième et dernière directive transposée par le projet de loi est bien plus récente, en date du 15 mai 2014, et concerne les biens culturels ayant quitté le territoire d’un État membre illicitement. Il s’agit non pas de n’importe quels biens culturels mais des trésors nationaux d’intérêt artistique, historique ou archéologique, dont le projet de loi donne une définition précise. Par ailleurs, nous parlons des biens sortis illégalement de leur territoire à partir du 1erjanvier 1993 : aucune oeuvre déplacée antérieurement, à l’image de la célèbre frise du Parthénon conservée au British Museum depuis 1840, n’est concernée. Les modifications apportées par le projet de loi de transposition sont essentiellement d’ordre procédural et visent à améliorer le dispositif actuel car celui-ci, mis en place par la directive du 15 mars 1993, témoigne d’une efficacité limitée. En laissant davantage de temps aux États membres pour exercer l’action en restitution auprès des tribunaux, le rapatriement des trésors nationaux sera facilité et l’identité culturelle des États membres préservée.

Par ailleurs, cette dernière directive prévoit qu’il appartient au possesseur d’un trésor national de démontrer qu’il a procédé à toutes les recherches nécessaires – on parle là encore de « diligence requise » – au moment de l’acquisition du bien. En d’autres termes, c’est à lui de prouver le caractère licite de la sortie de ce bien du territoire de l’État membre requérant. Désormais, l’acquéreur n’est plus considéré comme de bonne foi ; il y a donc renversement de la charge de la preuve. Cela représente une petite révolution par rapport à notre conception juridique française qui repose sur la présomption de bonne foi du possesseur d’un bien. Même si la brèche ouverte est très restreinte, car elle ne touche qu’aux trésors nationaux, on peut imaginer qu’elle ait des répercussions sur le marché de l’art.

Les dispositions que je vous ai présentées brièvement, mes chers collègues, vont indéniablement dans le sens d’une plus grande justice et d’une amélioration de notre législation. En assurant une rémunération plus durable des artistes-interprètes et des producteurs de disques, en laissant les organismes à but non-lucratif mettre à la disposition du public des oeuvres orphelines, en facilitant le rapatriement vers son pays d’origine d’un trésor national acquis illégalement, la France progressera dans les domaines de la propriété littéraire et artistique, et du patrimoine culturel.

Je vous invite donc à voter ce projet de loi, pour nous mettre en conformité avec le droit de l’Union européenne, et surtout, pour choisir la voie du progrès. Avec la transposition des directives de l’Union européenne, nous créons petit à petit un cadre commun pour répondre aux enjeux de la protection des droits d’auteur et de la propriété intellectuelle mais aussi pour stimuler de la création artistique. En Europe, l’accent doit être mis sur la culture, oui, mais sans gommer les identités et particularismes nationaux, notamment notre exception culturelle française. Je vous invite, mes chers collègues, à rester vigilants pour la défense de nos droits d’auteur, alors même que l’actuel président de la Commission européenne a récemment fait part de sa volonté de briser les barrières nationales en matière de réglementation du droit d’auteur, lui qui déclarait en 2005 que « la culture ne se prête pas à l’harmonisation, [ni] à la standardisation, [ou] à la réglementation stupide ».

Je souhaite, pour finir, citer l’un de nos plus grands auteurs : « L’écrivain propriétaire, c’est l’écrivain libre. Lui ôter la propriété, c’est lui ôter l’indépendance. » Si Victor Hugo faisait à son époque référence à l’écrivain, nous pouvons aujourd’hui élargir à l’artiste en général. Comme Diderot, Balzac ou encore Beaumarchais, que j’évoquais tout à l’heure, Hugo s’est battu pour faire de la propriété intellectuelle un droit véritable. Il ne s’agit pas d’une simple défense d’intérêts corporatistes : ce que ces intellectuels revendiquaient alors, et ce qu’il nous revient de défendre aujourd’hui, c’est bien la liberté et la qualité de la création artistique.

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