Je vous propose de l’aborder sous l’angle sans doute le plus critique, celui de l’examen de conduite. Il y a certainement des améliorations à faire en amont et en aval, mais nous savons que c’est l’examen de conduite qui pose un véritable problème, car il souffre de la longueur des délais et d’un manque cruel d’inspecteurs, ce qui crée une tension sur l’ensemble des maillons de la chaîne.
Je rappelle simplement que 35 000 personnes conduisant sans permis sont verbalisées par an ; imaginez le nombre total de conducteurs conduisant sans permis ! Je rappelle aussi que 85 000 Français conduisent avec des permis obtenus à l’étranger, sans véritables garanties sur la qualité de la formation et de l’examen.
Dans ce contexte, que faut-il faire ? Faut-il ajuster, rafistoler, prendre quelques mesures permettant de régler provisoirement le problème, ou faut-il s’attaquer aux vrais problèmes posés par l’examen de conduite et par la saturation du dispositif général ? Monsieur le ministre, vous avez lancé quelques mesures qui sont probablement de nature à assouplir – mais, malheureusement, de façon provisoire – le dispositif, en permettant le recours à des réservistes et à des agents du service public pour donner un coup de main aux inspecteurs. Vous avez également voulu réduire les délais en portant de douze à treize le nombre d’examens par inspecteur, ce qui permettra de fluidifier le système. Certes, ces mesures vont dans le bon sens et régleront quelques problèmes, mais elles ne les résoudront pas de manière réelle, durable et efficace.
Cette proposition de loi vise donc à s’attaquer au coeur du problème, celui de l’examen. En définitive, il s’agit de repenser les missions de chacun dans ce dispositif : il est incontestable que garantir la qualité du permis de conduire et organiser l’enseignement, la prévention et le contrôle relèvent du pouvoir régalien de l’État. Il faut sacraliser la mission forte, indispensable et régalienne de l’État qui est celle du contrôle de l’ensemble du dispositif.
Les auto-écoles, souvent prises entre le marteau et l’enclume, dans la mesure où elles sont responsables des inscriptions et des passages d’examen pour le compte de l’État, ont pourtant la mission essentielle de l’enseignement. Elles l’accomplissent bien entendu, mais sont souvent très mobilisées pour ce qui relève davantage de l’État, à savoir la gestion des places d’examen et des inscriptions. Il faut que l’État assume à nouveau son rôle, pour que les auto-écoles puissent se focaliser sur l’enseignement.
L’originalité de cette proposition de loi est sans doute d’introduire un troisième acteur, qui est un organisme certificateur. Vous le savez, en France, la profusion des normes et des règlements a conduit à confier une délégation de service public à de nombreux organismes certificateurs pour contrôler un certain nombre de choses, de la fiabilité des centrales nucléaires jusqu’au contrôle technique automobile en passant par certains examens. Ces organismes agissent pour le compte de l’État en respectant une déontologie extrêmement structurée. Ainsi, l’État se décharge de ses missions de contrôle et d’observation pour se focaliser sur ce qui devrait être sa priorité.
Cette proposition de loi a pour objet de mettre l’examen de conduite entre les mains d’organismes certificateurs, qui, à l’instar de ce qui se fait dans d’autres domaines, auront la possibilité de faire passer un permis probatoire pour le prix d’une heure de conduite. Une fois le candidat présenté par l’auto-école, l’organisme certificateur fera passer ce permis probatoire, qui répondra aux normes européennes que nous connaissons. S’il réussit cet examen, le candidat disposera donc d’un permis probatoire valable deux ans, au cours desquels il pourra conduire.
À l’issue de cette période, si aucune infraction n’est commise, ce permis probatoire deviendra définitif. Ce dispositif permettra donc à la fois de maintenir la qualité du permis et de décharger l’ensemble du système public du poids de l’examen, puisque, à l’instar du contrôle technique automobile, le nombre de centres d’examen créés correspondra aux besoins du « marché » et à l’évolution de la demande dans chaque territoire. Cela permettra de fluidifier, d’accélérer, et de simplifier le passage du permis de conduire.
Ce permis probatoire, dévolu à des organismes certificateurs agissant bien entendu sous le contrôle de l’État, aura un autre grand intérêt, notamment en termes de sécurité. En effet, les inspecteurs pourront se concentrer sur d’autres sujets, tout aussi importants, voire aujourd’hui stratégiques, même s’ils sont peu abordés : la prévention, l’information et l’accompagnement sur les sujets de sécurité routière.
Ainsi, les inspecteurs exerceront à nouveau leur mission, qui consiste, non pas simplement à faire passer un examen de conduite ou de code, mais également à gérer, pour le compte de l’État dans l’ensemble de nos territoires, tout ce qui concourt au contrôle, à l’information, à la médiation, à la formation, qu’il s’agisse du permis B, des permis à risques – comme le permis moto –, ou des permis professionnels – comme le permis poids lourds. L’avantage de cette proposition de loi est de donner aux inspecteurs un rôle beaucoup plus large, moderne, et en phase avec les obligations et les missions de l’État.
Enfin, cette proposition de loi permettrait également d’introduire un post-contrôle. Vous le savez, 90 % des accidents de la route, notamment ceux provoqués par des jeunes, ne sont pas tant dus à un défaut de technicité qu’à un défaut de comportement. Aussi, il n’est pas nécessaire que l’inspecteur évalue à nouveau les qualités du candidat. Dans cette proposition de loi, nous proposons que le candidat ayant réussi l’examen contrôlé par l’organisme certificateur repasse devant un inspecteur s’il commet une infraction dans les deux ans suivant l’obtention de son permis. L’inspecteur qui aura à évaluer la conduite de ce candidat, ne devra pas tant juger ses compétences techniques, déjà évaluées par un organisme certificateur, que son comportement.
Il lui reviendra de lui dire que, s’il a obtenu un permis de conduire conforme aux normes européennes et sous le contrôle d’un organisme certificateur, il a roulé à 80 kilomètres heure en ville ou a doublé sur une ligne blanche – en tout cas, il a adopté un comportement à risques. Il lui dira également que cette nouvelle évaluation n’est pas tant destinée à vérifier sa technicité qu’à évaluer son comportement sur la route.
L’intérêt de cette proposition de loi est également de satisfaire une demande récurrente des organisations de sécurité routière, des consommateurs et de tous les opérateurs de la sécurité routière en général : celle d’un contrôle post-permis pour s’attaquer à ces comportements à risques, que les jeunes en particuliers adoptent et qui provoquent des drames sur la route.
Les principes sont donc les suivants : rendre à chacun son rôle – l’État, les auto-écoles – ; créer des organismes certificateurs qui permettront de fluidifier l’examen du permis de conduire en s’adaptant à la demande ; permettre aux inspecteurs de se concentrer sur l’ensemble des missions qu’ils doivent accomplir pour le compte de l’État ; réduire le coût et améliorer l’efficacité de l’ensemble du dispositif.
Au-delà du sujet du permis de conduire, cette proposition de loi va dans le sens des objectifs gouvernementaux de simplification, de rationalisation et de modernisation. En résumé, nous avons trois objectifs : baisser le coût pour l’usager en diminuant les délais d’attente ; baisser le coût pour l’État en confiant aux inspecteurs des missions fondamentales relatives à la sécurité routière ; améliorer l’articulation entre le secteur public et le secteur privé, en confiant ces missions aux organismes certificateurs qui, dans d’autres domaines, ont déjà montré leur capacité à travailler avec les services de l’État.
Enfin, à l’heure où le ministre de l’économie travaille sur le sujet des professions réglementées et souhaite moderniser le secteur des auto-écoles, tout effort de fluidification dans ce domaine mériterait d’être également mené dans celui de l’examen de conduite. Si les deux bouts du tuyau ne sont pas de même taille, la saturation du dispositif continuera à être de plus en plus critique.