Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi présentée par le groupe UDI pose la question juridique délicate de la prescription de l’action publique.
Cette extinction de l’action publique est normalement acquise au terme d’un an en matière contraventionnelle, de trois ans en matière délictuelle et de dix ans en matière criminelle. Cependant, la loi fixe des délais plus longs ou plus courts pour certains crimes ou délits. Le point de départ du délai de prescription, qui est traditionnellement fixé au lendemain du jour de la commission de l’infraction, est lui aussi parfois retardé par la loi ou la jurisprudence. C’est le cas pour les infractions concernées par cette proposition de loi, à savoir les agressions sexuelles. Pour celles qui sont commises à l’encontre des mineurs, il y a un allongement du délai de prescription, et le point de départ est reporté à la majorité de la victime.
Si la proposition de loi initiale prévoyait de reporter ce point de départ de la prescription de l’action publique au jour où les faits d’agressions sexuelles sont apparus à la victime, le texte qui nous est soumis aujourd’hui prévoit un allongement du délai de prescription de l’action publique pour les crimes et délits sexuels ou violents commis contre des mineurs. Il passe de vingt à trente ans pour les crimes et de dix ou vingt ans à, respectivement, vingt ou trente ans pour les délits, selon la nature du délit.
Aujourd’hui, tout le monde s’accorde pour reconnaître le bien-fondé d’un traitement spécifique de l’action publique pour les infractions à caractère sexuel, de surcroît lorsqu’elles sont commises sur des mineurs. Cette dérogation se justifie par la nature même de l’infraction, tant les médecins et les spécialistes en victimologie insistent sur la spécificité de ces violences, par rapport à d’autres crimes ou délits, qui conduisent dans la plupart des cas, et dans un premier temps, au déni.
Il n’est d’ailleurs pas besoin de se retrancher derrière les avis des experts pour mesurer les conséquences qui peuvent découler de ce type d’agressions sur les victimes : honte, peur, culpabilité, autant de traumatismes qui peuvent venir hypothéquer irrémédiablement l’avenir des victimes. Personne ne peut remettre en cause la dérogation au droit commun dans ces cas d’agressions ; tout comme personne ne peut nier la nécessité de pouvoir faciliter la dénonciation, même tardive, de ces crimes. L’affaire de L’École en bateau a montré, si cela était encore nécessaire, le bien-fondé de ce régime dérogatoire. Mais elle a aussi fait la démonstration de ses limites : plusieurs adultes n’ont pu être poursuivis en raison de la prescription, tout comme plusieurs dizaines de victimes n’ont pu voir leurs plaintes aboutir pour les mêmes raisons.
Tout le monde ici mesure les défauts liés à ces délais chiffrés qui peuvent se révéler totalement injustes, lorsque la date légale se transforme en couperet. Le Gouvernement considère que prolonger ces délais de dix années supplémentaires est bien trop risqué au regard du dépérissement des preuves, de la fragilité des témoignages tardifs et des problèmes liés aux constatations qui peuvent être effectuées sur les corps des victimes. Cette proposition de loi risquerait, selon le Gouvernement, de transformer des procès en confrontations, parole contre parole, et de susciter ainsi de faux espoirs. Mme la garde des sceaux fait également valoir qu’une modification partielle du droit de la prescription produirait plus de difficultés qu’elle n’en résoudrait. Il faudrait donc envisager une modification du droit de la prescription dans son ensemble et non simplement parcellaire.
Toutefois, l’argument des faux espoirs qu’engendrerait un procès transformé en confrontation, parole contre parole, ne saurait nous convaincre.