Madame la présidente, madame la secrétaire d’État chargée du développement et de la francophonie, mes chers collègues, nous sommes appelés à approuver une convention fiscale signée entre la France et la Principauté d’Andorre.
Si nous connaissons ce micro-État de 76 000 habitants, enclavé au milieu des Pyrénées, pour ses supermarchés discount et ses pistes de ski, nous ignorons souvent que les institutions de l’Andorre, vieilles de plusieurs siècles, reposent sur une souveraineté partagée entre le Président de la République française et l’évêque de la ville d’Urgell, en Catalogne. Nos deux États sont donc étroitement liés.
L’Andorre a longtemps fait figure d’oasis financière. En 2009 encore, – l’OCDE faisait figurer la Principauté sur la liste grise des juridictions non coopératives. De fait, la législation andorrane autorisait un secret bancaire très large et son système fiscal, extrêmement archaïque, ne prévoyait aucune imposition directe des revenus ou des bénéfices.
Dans ce contexte, le secteur financier andorran avait pu prospérer, sans jamais devenir prépondérant. Le tourisme a toujours été, en effet, le principal moteur de l’économie andorrane. Depuis 2010, face à la mobilisation de la communauté internationale contre les paradis fiscaux, l’Andorre a complètement changé son fusil d’épaule. La Principauté s’est lancée résolument et courageusement dans un processus de normalisation fiscale et d’ouverture économique.
Elle a revu sa législation sur le secret bancaire, ce qui a ouvert la voie à la signature d’accords d’échange de renseignements fiscaux. Un tel accord est en vigueur entre nos deux États depuis 2010 et les réponses apportées dans ce cadre par la Principauté aux demandes de l’administration fiscale française sont jugées tout à fait satisfaisantes. Comme vous l’avez dit, madame la secrétaire d’État, ces accords d’échange de renseignements ont permis à l’Andorre de sortir de la liste grise de l’OCDE dès 2010.
La Principauté n’en est pas restée là. Elle a mis sur pied, en l’espace de quelques années, un régime fiscal moderne, avec en 2010, un impôt sur les sociétés, sur les revenus des activités économiques et sur les revenus des non-résidents ; en 2012, un impôt général indirect, équivalent de notre taxe sur la valeur ajoutée ; enfin, en 2014, un impôt sur les revenus des personnes physiques, qui entrera en vigueur le mois prochain.
Par ailleurs, l’Andorre s’est largement engagée sur la voie de l’échange automatique de données fiscales, Elle a signé en novembre 2013 la convention multilatérale de l’OCDE sur l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, qui prévoit l’échange automatique de données. Elle sera donc régie par la dernière norme internationale en matière d’échange de renseignements dès qu’elle aura achevé le processus de ratification de cette convention.
De manière plus concrète encore, l’Andorre s’est engagée, lors du Forum mondial sur la transparence, tenu à Berlin les 28 et 29 octobre derniers, à mettre en oeuvre au plus tard en 2018 la nouvelle norme de l’OCDE relative à l’échange automatique de renseignements fiscaux. À cette date, la Principauté aura donc définitivement mis fin au secret bancaire.
Ainsi, en quelques années, la Principauté d’Andorre a incontestablement fait siennes les règles du jeu de la fiscalité internationale. Dans ces conditions, comme vous l’avez justement rappelé, madame la secrétaire d’État, le Gouvernement a jugé qu’il était envisageable de conclure une convention fiscale avec l’Andorre. Cela répondait à une demande répétée de la Principauté. Il faut savoir que l’économie andorrane a été durement touchée par la crise économique de 2008, en raison notamment de sa dépendance à l’économie espagnole.
Pour relancer sa croissance, l’Andorre mise sur la diversification de son économie, par le développement de secteurs en lien avec le tourisme. Elle compte pour cela sur l’implantation de capitaux et d’entreprises étrangers. Mais les doubles impositions sont un frein puissant à cet effort d’ouverture.
La France a tout intérêt à renforcer sa présence dans la Principauté d’Andorre, où sa part de marché n’a cessé de décroître depuis le début des années 2000.
Les importations en provenance de France représentent 16 % du total, bien loin derrière l’Espagne, qui en assure 63 %. La convention permettra d’accroître le potentiel d’investissements croisés entre les deux États.
Par ailleurs, elle resserrera les liens entre nos administrations fiscales, ce qui renforcera notre dispositif de lutte contre l’évasion et la fraude fiscales.
Je ne rentrerai pas dans les détails du texte qui vous a déjà été présenté par la secrétaire d’État. Je me bornerai à préciser que la convention est, dans ses grandes lignes, conforme au modèle de l’OCDE.
Certains articles dérogent au modèle pour prendre en compte les spécificités de la législation fiscale française, relatives aux sociétés de personnes, aux sociétés à prépondérance immobilière, aux revenus réputés distribués ou encore aux plus-values de cession d’une participation substantielle dans le capital d’une société.
Par ailleurs, la convention tient compte de l’absence de fiscalité dans certains domaines en Andorre. Des dispositifs anti-abus renforcés permettent de garantir que ses clauses ne seront pas pas utilisées aux seules fins de rendre non-imposables des revenus qui l’auraient été en vertu de la législation fiscale française.
Enfin, l’article portant sur l’échange de renseignements fiscaux déroge au modèle de l’OCDE, pour renvoyer à notre convention bilatérale de 2009. Cette dérogation, mes chers collègues, a pour seul effet de ne pas prévoir la possibilité de l’échange automatique de données. Cela tient au fait que l’Andorre ne s’était pas encore engagée dans cette voie au moment de la négociation de la convention. Mais, comme j’ai eu l’occasion de vous le rappeler, la Principauté a, depuis, totalement souscrit à l’échange automatique de données, qu’elle mettra en oeuvre en 2018 : Mme la secrétaire d’État vous l’a dit tout à l’heure. Cette dérogation n’a donc, en pratique, aucun effet.
Enfin, la convention comporte une autre clause dérogatoire, introduite à la demande de la France. C’est, je crois, la raison de notre débat de ce jour.
À l’article 25, il est précisé que la France se réserve le droit d’imposer « les personnes physiques de nationalité française résidentes d’Andorre comme si la présente convention n’existait pas ».
Concrètement, le Gouvernement se ménage par cette clause une marge de manoeuvre qui lui permettra de ne pas avoir à renégocier la convention s’il décide de faire évoluer notre législation fiscale vers une forme d’imposition fondée sur le critère de la nationalité.
À ce sujet, je me contenterai de quelques observations. En premier lieu, cette clause n’a, en soi, aucune conséquence pratique. Si le Gouvernement venait à proposer une réforme fiscale de ce type, elle serait, bien évidemment, vous l’avez rappelé madame la secrétaire d’État, débattue au Parlement : chacun pourrait alors faire valoir son point de vue en connaissance de cause. C’est pourquoi il me semble que la ratification de la convention fiscale avec Andorre n’est ni le moment, ni le lieu de ce débat, mes chers collègues.
Par ailleurs, je remarque que cette clause est insérée dans un article relatif à la lutte contre les abus et la fraude fiscale. Cela laisse penser que, si une réforme venait à être proposée, elle aurait avant tout pour objectif de renforcer la lutte contre l’optimisation et la fraude fiscales, et non de mettre en place une imposition sur la nationalité à grande échelle, comme c’est le cas aux États-Unis.
En conclusion, je comprends l’anxiété de certains de mes collègues devant une clause inhabituelle, dont la formulation énigmatique a de quoi surprendre, mais cette clause est, je me suis employé à vous le montrer, inoffensive : j’espère, mes chers collègues, vous en avoir convaincus. Elle ne justifie en aucun cas qu’on veuille rouvrir les négociations sur cette convention, dont la ratification est attendue avec impatience par notre partenaire andorran : il souhaitait d’ailleurs que le Parlement français puisse y parvenir avant le 1er janvier, ce qui sera quelque peu difficile, il faut bien le reconnaître. Et je le regrette pour ma part.
Je vous invite donc, mes chers collègues, à approuver la ratification de cette convention sans réserve et sans inquiétude.