Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la lecture d’un texte issu de la commission mixte paritaire ne laisse guère de suspens quant à son adoption. Cependant, le consensus qui a su se dégager offre une résonance toute particulière en ce début d’année si singulier, qui marque un avant et un après.
Je veux bien entendu parler des événements tragiques des 7 et 9 janvier, et plus précisément de la barbarie qui a frappé Charlie Hebdo, journal satirique, parfois insolent et féroce mais avant tout journal libre, parce que notre Constitution assure la liberté d’expression. Ainsi, l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, intégrée dans le préambule de la Constitution de 1958, ne dispose-t-il pas que tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement ?
Or, en ce début d’année tragique, en tentant de mettre à bas ce que nous avons de plus précieux, la liberté d’expression, c’est à notre culture que des obscurantistes fanatiques se sont attaqués. Il est aujourd’hui difficile de parler de culture sans avoir une pensée émue pour ces journalistes, ces caricaturistes, ces libres penseurs. Car leur liberté, c’est aussi la nôtre : celle qui nous permet de donner un peu de légèreté à une réalité parfois douloureuse, ou celle qui, au contraire, nous permet d’exprimer des critiques, voire de réveiller les consciences.
Le slogan « Je suis Charlie » n’exprimait pas seulement un lien affectif envers un journal et ses auteurs, mais surtout un attachement au droit le plus absolu que chaque citoyen possède en démocratie, à savoir la liberté : la liberté de lire, la liberté de penser, la liberté de dire, la liberté de créer. Aussi, préserver la création artistique et la diffusion des idées est un devoir fondamental qui doit, plus que jamais, commander notre action politique.
Madame la ministre, comme vous l’avez dit le 14 janvier dernier, « la culture est le sacré d’une société laïque et, partout où elle est menacée, c’est par la culture qu’il nous faut répondre ». Justement, le texte qui nous est soumis aujourd’hui vise à assurer une meilleure préservation et un meilleur accès à la culture. Il a en effet pour objet d’adapter des dispositions du droit communautaire au droit français en matière de propriété littéraire et artistique et de patrimoine culturel.
En premier lieu, il aligne sur les droits d’auteur la durée de protection des droits voisins, c’est-à-dire des droits des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes ou de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle. Cette protection sera donc portée à soixante-dix ans contre cinquante auparavant.
Je reprendrai cependant ici une remarque d’Isabelle Attard en première lecture, notamment et surtout parce qu’elle faisait référence à une grande figure du radicalisme, Jean Zay, ancien ministre de l’éducation nationale, assassiné par la milice en 1944 et qui fera son entrée cette année au Panthéon. Isabelle Attard évoquait le fait, qu’en droit français, il existe deux exceptions à la durée de protection des droits d’auteur. Par esprit de concision, je n’évoquerai que la seconde, qui allonge le délai de protection des droits afférents aux auteurs morts pour la France.
Ainsi, les oeuvres de Jean Zay, mort pour la France le 6 août 1944, n’entreront dans le domaine public qu’en 2045. À l’heure où notre société a besoin de disposer de tous les moyens pour retrouver un esprit d’union nationale, de concorde, de cohésion et de fraternité, il serait opportun de remettre en question cette prorogation de trente ans des droits des auteurs morts pour la France. En effet, une oeuvre qui tombe dans le domaine public entre de facto dans le patrimoine commun et dans l’histoire de l’humanité.
En ce qui concerne les droits voisins, dont le projet de loi traite spécifiquement, les dispositions adoptées en commission mixte paritaire font preuve de réalisme puisqu’elles tiennent compte de l’allongement de la durée de vie des personnes. En effet, les droits voisins constituent l’unique ressource financière de nombreux artistes-interprètes. Leur assurer une certaine pérennité de revenus, c’est aussi garantir leur capacité à créer encore.
Je reviens cependant sur une critique déjà émise par le groupe RRDP en première lecture : il faut veiller à ne pas faire du système de la rente et des ayants droit un système qui ne bénéficie qu’aux grands acteurs du secteur, ceux qui ont moins de difficultés à produire et à se produire. Légiférer en faveur de dispositions culturelles égalitaires, ce n’est pas forcément légiférer en faveur de dispositions culturelles identiques pour tous ; c’est aussi s’armer de dispositions qui aident les créateurs qui en ont le plus besoin. Le groupe RRDP souhaite donc, madame la ministre, que des mesures soient prises dans un texte ultérieur afin d’assurer la diversité que toute politique culturelle se doit de mettre en oeuvre dans un pays démocratique tel que le nôtre.
Je souhaite ici ouvrir une parenthèse sur les suites que le Gouvernement entend donner à l’évolution de la situation des intermittents. Qu’ils soient artistes ou techniciens, les intermittents sont un maillon essentiel de la création et de la diffusion de la culture et l’État doit intervenir pour leur assurer un régime viable et pérenne.
Mais j’en reviens au texte qui nous occupe, et qui constitue une avancée indéniable en matière d’accès à la culture. En effet, il vise à permettre à un certain nombre d’organismes de numériser et de mettre à la disposition du public des oeuvres orphelines, dont les titulaires des droits d’auteur ou des droits voisins n’ont pas été retrouvés en dépit de recherches poussées.
Ces oeuvres pourront être mises à la disposition du public dans les musées, les services d’archives, les institutions dépositaires du patrimoine cinématographique ou sonore, les établissements d’enseignement et les organismes publics de radiodiffusion. Le texte, qui modifie ainsi dans son article 4, alinéa 10, l’article L. 135-2 du code la propriété intellectuelle, permet l’accès quasi gratuit aux oeuvres orphelines. En effet, les institutions qui les diffuseront, dans le cadre de leurs missions culturelles, éducatives et de recherche, et à condition de ne poursuivre aucun but lucratif, ne pourront percevoir, le cas échéant et pour une durée ne pouvant excéder sept ans, que les recettes couvrant les frais découlant directement de la numérisation et de leur mise à disposition.
La numérisation des oeuvres permet une diffusion à la fois simple et rapide. Il était important de pouvoir assurer au public leur libre consultation, et ce gratuitement. Le groupe RRDP accueille donc très favorablement les dispositions adoptées dans le projet de loi. Un point d’équilibre a su être trouvé, car si l’organisme public chargé de l’exploitation des oeuvres orphelines ne pourra pas en tirer profit, il pourra néanmoins amortir les coûts engagés pour leur diffusion.
Dernier progrès, le texte améliore la restitution des biens culturels d’un État membre de l’Union européenne considérés comme trésors nationaux et ayant quitté le territoire national de façon illicite. Désormais, l’action en restitution se prescrira après un délai de trois ans au lieu d’un, le délai courant à partir de la date à laquelle l’autorité centrale de l’État requérant aura eu connaissance du lieu où se trouvait le bien culturel et de l’identité de son possesseur ou détenteur.
En outre, la directive européenne transposée dans le projet de loi prévoit désormais qu’il appartient au possesseur de l’oeuvre supposée dérobée d’apporter la preuve que celle-ci a été acquise de façon légale. S’il prouve le caractère licite de la sortie du bien culturel du territoire de l’État membre requérant, il aura droit à une indemnité. Cette solution est des plus équilibrées.
Alignement de la durée de protection des droits voisins sur celle des droits d’auteur, facilitation de la mise à disposition du public des oeuvres orphelines, amélioration des dispositions légales permettant, au sein de l’Union européenne, la restitution de biens culturels considérés comme trésors nationaux : à en juger par ce texte ambitieux, une politique culturelle est en train d’émerger en Europe.
Répétons-le : la culture est le meilleur rempart contre la barbarie et contre le fanatisme. C’est donc la meilleure arme pacifique et non violente contre ces temps troubles qui bousculent nos vies et nos consciences. Ainsi que l’écrivait Voltaire en 1794 dans son Dictionnaire philosophique portatif, il n’est d’autre remède à cette maladie épidémique qu’est le fanatisme que l’esprit philosophique, qui, répandu de proche en proche, adoucit enfin les moeurs des hommes, et qui prévient les accès du mal ».