Intervention de Sandrine Doucet

Séance en hémicycle du 20 janvier 2015 à 15h00
Dispositions d'adaptation au droit de l'union européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSandrine Doucet :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous voici face à la procédure institutionnelle de lecture des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel.

Ce projet de loi a pour objectif de transposer en droit français trois directives : la directive du Parlement européen et du Conseil du 27 septembre 2011, relative à la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins, la directive du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012, sur certaines utilisations autorisées des oeuvres orphelines, et la directive du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014, relative à la restitution des biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d’un État membre.

À nouveau, je me permettrai, et plus que de raison, d’appeler votre attention sur le contexte. En première lecture, j’avais évoqué les éléments de ce texte qui, tout en paraissant nous éloigner du sujet, parlaient en fin de compte de notre esprit, du ciment européen. Je revendique cette inspiration : c’est bien de cela dont nous parlons depuis deux mois, et à présent plus encore.

L’anniversaire de la chute du mur de Berlin nous a donné l’occasion de revoir les images très émouvantes de Mstislav Rostropovitch jouant devant le mur, rappelant la culture et les arts européens, ainsi que la vie de son interprète qui avait connu gloire ou disgrâce selon les moments de l’histoire. Nous avions aussi évoqué Stefan Zweig, qui, dans son dernier écrit testamentaire, Le Monde d’hier, disait depuis le Brésil sa tristesse de voir disparaître une richesse commune, une richesse à laquelle il a contribué.

Mais ce qui nous tient à coeur aujourd’hui, et ce qui nous conduira à adopter ce projet de loi, c’est ce qui a trait à la liberté d’expression. Ces adaptations sont là pour prolonger, dans le cadre des oeuvres orphelines, un patrimoine d’expressions. Nous nous inscrivons dans l’esprit de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi ».

Il s’agit bien ici de protéger et de perpétuer les différentes expressions artistiques et culturelles dans le secteur musical, en allongeant de cinquante à soixante-dix ans la durée de protection des droits voisins, en prenant en compte l’intérêt d’amortissement des autres titulaires de droits voisins que sont les producteurs de disques et en permettant aux bibliothèques accessibles au public de numériser et de mettre à la disposition du public, sur Internet, des oeuvres appartenant à leurs collections, considérées comme orphelines, dont les titulaires de droits d’auteur ou de droits voisins n’ont pas été retrouvés malgré des recherches diligentes. Cette possibilité est également ouverte aux musées, aux services d’archives, aux institutions dépositaires du patrimoine cinématographique ou sonore, aux établissements d’enseignement et aux organismes publics de radio. Il s’agit aussi d’améliorer la restitution de biens culturels considérés comme « trésors nationaux » par les États membres et ayant quitté leur territoire illicitement.

L’accord trouvé avec le Sénat, grâce au travail du rapporteur et du président de notre commission, a permis de mettre en conformité l’article 2 du projet de loi avec la directive européenne. Des discussions tout aussi constructives ont eu lieu sur l’article 4. Ce fut salutaire, car il s’agissait des conditions de mise à disposition au public des oeuvres orphelines après leur numérisation. C’est bien une culture accessible à tous que nous évoquons ici.

Après un exercice de rédaction permettant de lever toute ambiguïté sur le sens du texte issu de l’Assemblée, un compromis a été trouvé en CMP sur le délai laissé aux bibliothèques et à tout détenteur d’oeuvres orphelines pour amortir le coût de la numérisation. Le délai de sept ans qui a été acté permet largement l’amortissement, l’évolution continue des technologies permettant un gain de temps et d’argent. Comme vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur, ce délai est aussi celui de la sagesse, de la raison et de la réflexion. Nous ne pouvons donc que saluer le résultat de la commission mixte paritaire.

Même si la CMP n’a pas eu à traiter des derniers articles du projet de loi, je me permets de revenir sur la notion de trésor national, en ces temps où, à juste titre, nous en avons appelé à nos valeurs et à notre culture pour nous rassurer quand les hommes font tant de mal. La dernière partie du texte nous conduit à modifier notre définition de trésor national pour prendre en compte tous les biens culturels relevant du domaine public mentionnés dans le code général de la propriété des personnes publiques, mais aussi les archives publiques.

En termes opérationnels, l’application de la notion de trésor national à l’ensemble des archives publiques est un facteur d’efficacité de la procédure de protection instituée à leur bénéfice, en application de la directive. Une meilleure protection de ces biens précieux en assure, à juste titre, une meilleure connaissance, une meilleure diffusion. Les archives publiques ont encore des ressources éclairant les fondements de notre démocratie. Si la loi vient ici les protéger, leur souffle, leur sens, doivent traverser les frontières et parcourir l’Europe, parcourir le monde. C’est bien cette harmonisation européenne que nous construisons ici.

Quelques années avant de réaliser, en 1830, La Liberté guidant le peuple, tableau maintes fois cité ces jours derniers, Eugène Delacroix a peint La Grèce sur les ruines de Missolonghi, une oeuvre que les Bordelais connaissent bien puisqu’elle est accrochée au musée des beaux-arts de Bordeaux. Nous tenons à conserver ces toiles dans nos musées, mais nous voulons aussi que leur message intemporel d’émancipation et de liberté soit diffusé au-delà de nos frontières, dans ces moments particulièrement difficiles.

L’adoption de ce texte lève tout obstacle à la transposition de ces directives. Il est plus que temps de se mettre en harmonie avec l’Europe, à travers les directives, et d’être force de proposition et de mémoire pour toutes nos valeurs.

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