Intervention de Emmanuel Macron

Séance en hémicycle du 28 janvier 2015 à 15h00
Croissance activité et égalité des chances économiques — Article 5

Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique :

L’article ici présenté, qui assure plus de transparence et une vraie régulation – car il faut reconnaître que celle-ci a jusqu’à présent été défaillante et que nous partageons la responsabilité de cette impéritie –, permet de créer de l’activité dans de meilleures conditions, ce qui est bon pour la croissance et l’activité.

Parfois, en effet, la meilleure volonté du monde tourne court – je pense par exemple aux travaux engagés au titre du « paquet vert » décidé par M. Jean-Louis Borloo lorsqu’il était ministre : l’incapacité à surveiller de près la réalisation, la réalité et le fléchage de ces travaux, ainsi que les effets d’opportunité dont ont pu bénéficier les sociétés concernées, ont valu à celles-ci, dans le cadre des contrats conclus, des avantages octroyés contre des travaux qu’elles auraient de toute façon dû réaliser.

Il me semblait qu’il existait un consensus sur ces bancs et je suis étonné de constater que vous faites entendre une voix dissonante – sans doute était-ce un peu gratuit. En effet, il est bon pour la croissance et pour l’économie d’introduire plus de transparence et une meilleure régulation dans ces concessions de long terme car elles portent, somme toute, sur le domaine public.

Revenons-en à la situation et à ce qui a été négocié au cours des derniers mois, à la lumière d’ailleurs du travail parlementaire que vous avez conduit avec M. Chanteguet et dont je tiens à vous remercier ici.

Le constat, que vous avez du reste documenté, est que la situation n’est pas satisfaisante en raison des surprofits et qu’un débat contradictoire se manifeste entre vos travaux et ceux de l’Autorité de la concurrence, d’une part, et d’autre part les sociétés concessionnaires d’autoroutes qui en contestent parfois la réalité et les chiffrages. Toujours est-il que le Parlement, l’exécutif et les autorités indépendantes constatent qu’il y a eu des surprofits, que ces contrats n’ont pas fait l’objet d’une régulation suffisante sur le long terme et que l’équilibre économique est aujourd’hui anormalement favorable à ces sociétés concessionnaires.

On peut en tirer des conséquences multiples. L’une est la résiliation, qui est en quelque sorte la conclusion à laquelle vous parvenez, avec un mécanisme qui permettrait de renégocier ces contrats dans de meilleures conditions et pourrait même conduire à la renationalisation partielle ou entière de certains services ou à la renégociation de certains contrats après résiliation – il s’agirait, en tout cas, de rebattre les cartes. Ce dispositif est actuellement en discussion et fera l’objet des analyses du groupe de travail. Deux réunions se sont tenues à la fin de l’année dernière avec Ségolène Royal et l’ensemble des sociétés concessionnaires.

La conclusion que nous en avons tirée est que, même sans aller jusqu’à la résiliation, la nouvelle autorité de régulation – à laquelle il conviendrait de donner des compétences accrues – nous permettait de mieux réguler les contrats existants. La résiliation n’est du reste pas sans risques car, si certains contrats sont très profitables, d’autres se traduisent par un équilibre économique moins favorable pour les sociétés concernées. Il faut aussi savoir si, une fois le contrat résilié, on saura en conclure un nouveau avec les mêmes sociétés, ce qui implique un risque de devoir renationaliser ou rechercher de nouveaux investisseurs. Le risque d’exécution même n’est donc pas nul et il faudra l’évaluer. Ce sera toute la tâche de votre groupe de travail, aux côtés de l’exécutif.

À court terme, en tout cas, nous souhaitions souligner que les compétences de l’ARAFER permettraient d’introduire plus de transparence et d’efficacité dans ces contrats. Au terme des négociations dont ce point a fait l’objet au cours des dernières semaines, nous avons été amenés à formuler des propositions ou à soutenir celles du rapporteur et de certains autres de vos collègues visant, d’une part, à disposer d’une plus grande visibilité sur l’évolution des péages et, d’autre part, à inclure les travaux et leur évolution, qui participent de l’équilibre économique des contrats. Il faut en outre pouvoir examiner aussi l’ensemble des variables qui concourent à l’ équilibre des contrats.

C’est déjà là une bonne façon de remettre progressivement à plat ces contrats et d’avoir une discussion – ici et dans votre groupe de travail – sur une sorte de clause de partage des profits excessifs des compagnies. De fait, en fin de concession, certains profits deviennent très importants et peuvent paraître excessifs – on peut du reste les considérer objectivement comme tels.

Ce débat doit donc se tenir dans les prochaines semaines, dans le cadre de votre groupe de travail. Plusieurs conclusions, auxquelles nous sommes du reste parvenus avec Ségolène Royal, peuvent être tirées dès l’examen de ce projet de loi et nous le ferons dans la discussion des amendements à cet article – l’un n’excluant pas l’autre.

Au 1erfévrier, en vertu des contrats existants, les sociétés concessionnaires étaient en droit de demander une augmentation de 0,57 % du tarif des péages, en application de la formule intégrant notamment l’inflation et les aléas de trafic. Il nous paraissait préférable – et nous avons eu à ce propos des échanges avec lesdites sociétés – qu’elles sursoient à cette augmentation et que la question soit intégrée dans l’ensemble de la discussion. Il s’agit là en effet de l’une des caractéristiques économiques de ces contrats. Afin de nous prémunir de tout changement, un arrêté a été signé hier et les sociétés en avaient été informées.

Pour se protéger elles-mêmes, ces sociétés cotées ont engagé des démarches juridiques, ce qui est d’ailleurs normal et mécanique, car il y va de la protection de l’intérêt social. Cela ne modifie en rien ce qui vous a été dit hier et ce qui sera négocié dans les semaines et les mois prochains : dans la situation juridique actuelle, chacun a protégé juridiquement ses intérêts – le Gouvernement par un arrêté gelant les tarifs et les sociétés concessionnaires en enclenchant des procédures juridiques et judiciaires visant à protéger l’intérêt social et à remplir leurs obligations des mandataires sociaux.

La conclusion des discussions qui se poursuivront au cours des semaines et des mois prochains ne permettra pas seulement de résoudre le problème de très court terme consistant à savoir s’il faut ou non augmenter les tarifs – peut-être conclurez-vous du reste, à l’issue de la négociation avec les sociétés d’autoroutes, à un gel des tarifs pour cette année. Il faudra en tout cas adopter une approche d’ensemble.

C’est la raison pour laquelle – je tiens à le souligner pour répondre aux observations judicieuses de MM. Tardy et Lassalle – la philosophie de cet article et, plus largement, de ce texte consiste à confier à une autorité unique l’examen de tous les éléments d’un contrat, sous peine d’impasse. Il ne s’agit pas de tout déléguer à une super-autorité, mais de reconnaître que nous n’avons pas su regarder d’une manière satisfaisante la réalité de cette situation.

Je partage votre volonté de confiance, monsieur Lassalle, mais lorsque quelques sociétés peuvent bénéficier de contrats de très long terme pour occuper le domaine public, la confiance ne doit pas exclure le contrôle et elle implique en tout cas plus de transparence que cela n’a été le cas jusqu’à présent. Nous voulons en effet réunir toutes les conditions de la transparence et disposer d’une autorité qui examine les logiques tarifaires, les logiques économiques et les travaux. Nous voulons aussi que, dans le cadre du groupe trans-partisan qui a commencé à se réunir hier, puisse être prise la décision relative à l’augmentation des tarifs des péages qui était prévue pour le 1erfévrier et qui n’aura pas lieu – peut-être, je le répète, déciderez-vous in fine, à l’issue de vos négociations et selon des paramètres que vous aurez déterminés dans ce cadre, que cette augmentation doit intervenir. Vous déciderez également ce qu’il adviendra du plan de relance évoqué tout à l’heure par M. Savary, qui fait partie de l’ensemble de cette équation économique, et des différentes dispositions qui constituent l’équilibre économique de ces contrats. À très court terme, en effet, cet article permettra de mieux réguler ceux-ci, indépendamment de toute résiliation ou remise à plat.

J’espère avoir apporté les éclaircissements que vous demandiez.

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