Intervention de Marie-Hélène Fabre

Séance en hémicycle du 5 février 2015 à 15h00
Gaspillage alimentaire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Hélène Fabre :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, chacun ici approuve l’idée très généreuse selon laquelle le gaspillage doit cesser d’être une variable d’ajustement regrettable mais inévitable de notre mode de consommation. Les uns évaluent à 600 000 tonnes la quantité de denrées alimentaires périssables jetée chaque année par les grandes surfaces, les autres à 200 000 tonnes. Des fluctuations aussi considérables rappellent d’ailleurs combien le gaspillage alimentaire échappe à toute évaluation publique sérieuse. Il nous est devenu collectivement si odieux qu’il suscite une prise de conscience et une mobilisation de plus en plus fortes sur le terrain et des initiatives d’associations, d’entreprises, de grandes surfaces et de producteurs. Le débat est largement ouvert dans la société française, ce dont on ne peut que se féliciter. À l’heure actuelle, le législateur ne s’est pas encore saisi de la question. De ce point de vue, l’initiative de notre collègue Decool est bienvenue.

J’irai droit au but. Sur ce sujet grave, la seule question à poser est la suivante : la présente proposition de loi est-elle à la mesure de l’enjeu et de nature à fonder une politique publique efficace de lutte contre le gaspillage ? Je ne le crois pas. Naturellement, on ne peut que souscrire à l’ambition qu’a M. Decool de venir combler le silence de la loi sur le sujet. Néanmoins, il ne me semble pas pertinent d’aborder cette question très large par le seul prisme du gaspillage alimentaire des grandes surfaces. Une telle restriction du champ interdit d’embrasser le sujet dans toute sa complexité et peut amener à négliger d’autres aspects non moins essentiels de la lutte contre le gaspillage. On peut travailler en aval du gaspillage comme vous le proposez, cher collègue, mais aussi en amont. À ce propos, la proposition de loi ne favorise en rien la mise en place de circuits courts qui s’inscrivent avec pertinence dans un développement plus durable en évitant la multiplication des intermédiaires et en favorisant l’ajustement des volumes à la consommation. Ce système de distribution a également une vertu pédagogique, car il met consommateurs et producteurs en contact direct et sensibilise mieux les consommateurs au calibrage excessif des produits, évitant le rejet de certains produits au motif qu’ils ne sont pas commercialisables.

De fait, on peut lutter contre le gaspillage par d’autres moyens. La proposition de loi ne traite pas non plus le sujet du renforcement du bénévolat pourtant essentiel aux yeux des acteurs associatifs. Les nombreuses auditions menées par la mission d’information sur les difficultés du monde associatif ont montré que tous les acteurs de l’aide alimentaire ont de plus en plus de mal à recruter des bénévoles alors même que le volume de l’aide alimentaire augmente chaque année de 5 % à 8 %. Les associations affrontent des défis plus nombreux que la seule collecte de denrées. Les banques alimentaires doivent remplacer chaque année entre 500 et 700 bénévoles et leurs besoins sont multiples : chauffeurs, préposés au tri, mais aussi postes administratifs exigeant une grande maîtrise des règles comptables et d’hygiène. En outre, de nouveaux métiers apparaissent régulièrement en matière d’hygiène et de recherche de mécénat. Sur ce sujet aussi, nous devons mieux que de la bonne volonté à tous ces gens qui s’impliquent. Nous devons leur offrir des solutions durables satisfaisant leurs besoins intégralement et pas seulement en partie.

Enfin, de nombreuses associations considèrent qu’il est franchement naïf, voire dangereux, de fonder une politique de lutte contre le gaspillage alimentaire uniquement sur l’action des grandes surfaces dont le modèle économique intègre déjà le coût des pertes et des invendus dans le prix des produits. Vous pouvez me faire confiance, mes chers collègues, j’ai été cadre dans ce secteur pendant dix ans. Il serait malvenu que la proposition de loi très généreuse dont nous discutons ne vire au chantage à la générosité grâce auquel certaines grandes surfaces feraient payer deux fois leurs invendus tout en s’offrant à très bon compte une virginité sur ce sujet sensible.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, il me semble préférable, pour la future législation sur le sujet, de s’écarter du chemin, certes vertueux sur la forme mais sans doute plus contestable sur le fond, proposé par notre collègue Decool. Je vous invite donc à attendre la remise du rapport de Guillaume Garot, prévue pour le mois d’avril, dont les propositions ne manqueront pas d’élargir notre ambition commune et de lui donner une assise plus stable et plus efficace.

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