Ne nous leurrons pas. J’ai bien compris que personne n’aura l’obligation de rejoindre ce type de structure. Mais notre collègue l’a parfaitement dit : la contrainte de la concurrence sera telle que les professionnels du droit, confrontés à la perte d’une partie de leur clientèle, ne pourront s’en sortir qu’en rejoignant ce que j’appelle les grandes surfaces du droit et du chiffre.
Il y a donc là un véritable risque, d’autant plus accru que nous sommes dans une logique très liée à internet : nous allons donc délocaliser tout cela. La notion de territorialisation, qui existe encore, peu ou prou, et qui est déjà combattue par la réalité des faits, s’accentuera.
Par ailleurs, monsieur le ministre, il existe aussi une contrainte européenne. Cela veut dire que les avocats qui se trouvent à Londres, Dublin, Berlin ou ailleurs, pourront s’associer avec des notaires exerçant à Paris, à Rennes ou ailleurs, pour constituer ce type de cabinet. Au demeurant, je ne vois pas la moindre règle européenne qui les en empêcherait.
Ne nous leurrons pas, il y a là un véritable risque : certains professionnels prendront naturellement la pente menant à de telles structures, et les autres y seront petit à petit contraints. Cela dit, si une telle pente existe c’est bien parce que certaines entreprises auront intérêt à traiter avec des structures de ce genre – de ce point de vue je peux vous suivre – qui s’occuperont de tout. L’expert-comptable, le commissaire aux comptes, le notaire, l’avocat, tous feront partie de la même boutique ! En regroupant tout dans un seul dossier, les sociétés d’exercice en commun feront des économies d’échelle qui leur permettront de baisser leurs coûts. Et elles travailleront avec les entreprises désireuses de ne traiter qu’avec un seul interlocuteur. Et puis ces structures ne seront pas simplement nationales ; pour les raisons que j’ai évoquées, elles seront européennes. Enfin, elles travailleront sur le net et, pour un certain nombre de nos professions, nous serons en pleine délocalisation. C’est une projection que je fais, mais tel est le propre d’une logique législative.
Si nous évoluons, c’est aussi pour répondre à un besoin. Je comprends ce besoin, et je sais qu’il existe. Je fréquente suffisamment les entreprises pour savoir qu’un certain nombre d’entre elles aspirent à s’adresser à une espèce de guichet unique. Mais le risque est d’autant plus grand de voir disparaître certaines de nos structures d’avocats ou de notaires, et de voir se constituer des grandes surfaces qui seront là pour répondre aux besoins, comme elles l’ont fait dans d’autres domaines dans les années 60 et 70.