Intervention de Alain Claeys

Séance en hémicycle du 10 mars 2015 à 15h00
Nouveaux droits des personnes en fin de vie — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Claeys, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Madame la présidente, madame la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, monsieur le rapporteur, madame la présidente de la commission des affaires sociales, chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis autour d’un constat et d’une volonté unanimes.

Le constat, nous le connaissons tous : le « mal mourir » concerne un grand nombre de nos concitoyens. La volonté, commune sur tous les bancs, est d’évoluer, de soulager, en un mot, de progresser.

L’accès aux soins palliatifs, s’il est garanti depuis plus de quinze ans, demeure insuffisant. Or, il ne peut y avoir de nouvelles avancées pour nos concitoyens si ce préalable n’est pas rempli.

Nous savons tous dans cet hémicycle combien les inégalités sont criantes dans ce domaine sur tout le territoire, comme de nombreux rapports en attestent.

Certes, je me réjouis de la décision prise par le Président de la République au mois de décembre dernier : dès la prochaine rentrée universitaire, un enseignement spécifique sera consacré à l’accompagnement des malades et intégré à toutes les formations sanitaires, aussi bien pour les diplômes d’État que pour les études de médecine.

Cet enseignement sera obligatoire et commun à tous les étudiants. Il s’agit effectivement d’une impérieuse nécessité tant le chemin à parcourir est long. Cela constitue un préalable, madame la ministre, à toute nouvelle proposition de loi.

Chers collègues, au cours de ces dernières décennies, la médecine a enregistré de tels progrès techniques et technologiques qu’elle a pu sembler s’éloigner de l’humain à mesure qu’elle le connaissait davantage.

Il est certes aisé d’opposer la froideur et la rigueur scientifiques à l’empathie et à la chaleur humaine que le médecin doit à son malade.

Sans tomber dans ce facile travers, contentons-nous tout de même d’admettre tous ici, dans notre diversité, que les conditions de fin de vie n’ont pas suivi la courbe du progrès médical.

Le Comité Consultatif National d’Éthique ne dit pas autre chose dans son rapport rendu au mois d’octobre dernier sur le débat public concernant la fin de vie.

Il y pointe, je le cite, « le scandale que constitue, depuis quinze ans, le non-accès aux droits reconnus par la loi, la situation d’abandon d’une immense majorité des personnes en fin de vie, et la fin de vie insupportable d’une très grande majorité de nos concitoyens. »

De la même façon, il évoque « les situations fréquentes d’isolement social et de dénuement qui précèdent trop souvent la fin de vie et l’organisation inappropriée du système de santé, qui ne permet pas de répondre à ces enjeux essentiels ».

Pire encore, le CCNE ne nous cache pas que « les inégalités devant la mort sont aussi le reflet des inégalités sociales. Entre le parcours de soins de la personne bien entourée, connaissant bien les réseaux, le milieu médical, vivant en centre-ville, et la personne démunie, vivant seule, loin de tout centre de soins, sans connaissance du milieu médical, on conçoit l’écart de l’attention ou de l’inattention qui sera portée à sa fin de vie et à sa mort. »

Et le CCNE d’ajouter : « Plus la situation sociale est celle d’une grande vulnérabilité, moins le choix de sa fin de vie, voire de sa mort, est possible. Mais cette expression même de choix de sa propre mort est réduite au minimum, comme s’il fallait avoir une conscience aiguë et concrète des ressources existantes pour exprimer l’accès au droit ou à une liberté en fin de vie. Ce sont les personnes qui connaissent les situations les plus précaires qui ont le plus besoin, à tout âge de la vie, d’un parcours de soins cohérent et organisé. »

Enfin, nous le savons tous, de fortes inégalités perdurent entre régions, villes et campagnes, établissements d’hébergements pour personnes âgées dépendantes et structures hospitalières et, souvent, au sein même de ceux-ci.

Combien de nos concitoyens meurent aujourd’hui comme ils le souhaiteraient, entourés de l’affection des leurs et pris en charge par des équipes de soins spécialement dédiées à la fin de vie ? Il s’agit malheureusement d’une minorité.

Voilà, mes chers collègues, la situation de laquelle nous partons. Et pourtant, beaucoup a été fait. Je pense au long chemin législatif entrepris depuis plus de quinze ans. Je pense à la loi de 1999 sur l’accès aux soins palliatifs, à celle de 2002 consacrée au droit des patients, et qui a légitimé la possibilité, pour le malade, de refuser un traitement. Je pense aussi à la loi de 2005 qui a consacré la notion d’obstination déraisonnable. Voilà comment, à l’époque, en tant que porte-parole du groupe socialiste sur ce texte, je concluais mon intervention : « Sur de tels sujets, il est impossible de figer les choses dans le marbre. Quelle que soit la qualité de nos délibérations, l’exécutif et le législatif doivent pouvoir évaluer lucidement la situation. »

Mes chers collègues, ce moment est arrivé. Le Président de la République, en 2012, alors qu’il était candidat, l’avait promis aux Françaises et aux Français. Et le Premier ministre a fixé un cadre dans sa lettre du 20 juin dernier nous missionnant, Jean Leonetti et moi-même : « Nos concitoyens aspirent à ce que leurs volontés soient pleinement respectées dans les derniers moments de leur vie. Cela suppose de rendre possible pour toute personne majeure, atteinte d’une maladie grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme, d’être accompagnée, afin de terminer sa vie dignement et conformément à la volonté qu’elle a exprimée. »

C’est de là qu’est parti le texte que nous vous proposons aujourd’hui : de la demande des Françaises et des Français. Il n’est parti ni d’un sentiment, ni d’une vérité personnelle, ni d’une conviction religieuse ou philosophique, ni même de mots ou de concepts derrière lesquels, trop souvent, se glissent des opinions différentes, et même divergentes. Tout au long de la rédaction de cette proposition de loi, nous avons simplement cherché à mettre des mots sur des gestes, à qualifier des actes. Oui, notre proposition de loi, mes chers collègues, part du plus près de la demande de nos concitoyens : celle d’avoir une fin de vie sans souffrance et de pouvoir la maîtriser jusqu’au bout.

Le Comité consultatif national d’éthique le dit : il existe une « expression forte, et unanimement partagée par les personnes, d’une volonté d’être entendues, respectées, et de voir leur autonomie reconnue ». C’est pourquoi nous avons souhaité que les directives anticipées s’imposent désormais au médecin et que la personne de confiance bénéficie d’un véritable statut. Pour que le patient puisse bénéficier d’une fin de vie apaisée, nous avons ouvert un nouveau droit à la sédation pour des malades atteints d’une affection grave et incurable dont le pronostic vital est engagé à court terme. Celle-ci sera accompagnée d’un arrêt de tout traitement, y compris l’hydratation et la nutrition artificielles, lesquelles, comme l’a rappelé le Conseil d’État, constituent des traitements. Dans le cadre des auditions que nous avons menées avec Jean Leonetti pour préparer la présente proposition de loi, cet avis a d’ailleurs été partagé par Axel Kahn, président du Comité éthique et cancer. Selon lui, la nutrition par sonde gastrique et l’hydratation par perfusion de personnes plongées dans un sommeil profond correspondent à une forme de réanimation assimilable à de l’acharnement thérapeutique.

Voilà les réponses que cette proposition de loi contient, et que nos concitoyens attendent. Le président de l’Assemblée nationale a d’ailleurs ouvert, à juste titre, une consultation citoyenne. Au-delà d’une mobilisation légitime des adversaires de ce texte, elle a permis de recueillir le précieux témoignage de Françaises et de Français qui, loin des postures, voulaient simplement participer à un débat qui concerne chacun d’entre nous dans son ultime vérité.

Je respecte infiniment ceux qui, sur ces bancs, ne partagent pas mon opinion dans ce domaine. Je sais que ce nouveau texte choque certains d’entre vous, qui le trouvent trop hardi. Je leur demande de regarder la situation dans laquelle beaucoup de nos concitoyens finissent leur vie. Nous ne pouvons en rester à la loi de 2005. Je sais que d’autres collègues, à l’inverse, auraient souhaité introduire l’euthanasie. Mais, à mon sens, la demande des Françaises et des Français n’est pas majoritairement – j’en suis profondément convaincu – de succomber à une injection létale. Je pense avec eux qu’il arrive effectivement un moment où le patient souhaite renoncer. Pour cela, il a la possibilité, depuis 2002, d’arrêter ses traitements, et il aura désormais celle de se faire accompagner jusqu’au décès par une sédation profonde et continue.

Voilà ce que je pense être une fin de vie apaisée, qui respecte l’idée de dignité que chacun peut s’en faire, et qui garantit l’autonomie de la personne. Mais, au-delà de nos différences, je sais qu’une immense majorité d’entre vous mesure combien cette proposition de loi constitue une avancée. Certains jugeront qu’elle ne va pas assez loin, et je respecte leur sentiment. Il n’en demeure pas moins que nos concitoyens méritent cette avancée, comme ils méritent celle que le Président de la République a annoncée en décembre dernier concernant le développement de la culture palliative dans le monde médical.

Nos débats vont être longs et riches. Aucun d’entre nous, dans cet hémicycle, ne détient à lui seul la vérité. Je sais combien, sur un sujet aussi important, nos échanges seront féconds, dignes et mesurés. D’autant que – chacun en a ici conscience – ce texte n’a pas vocation à épuiser le débat sur la fin de vie. Dans quelques années, d’autres se pencheront à nouveau sur ce sujet, et il leur appartiendra, s’ils le souhaitent, de faire ou non un nouveau pas. Il n’est pas de choses humaines qui soient figées.

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le co-rapporteur, mes chers collègues, la situation du mal mourir en France est trop grave, l’attente de nos concitoyens trop importante, pour que, tous ensemble, dans l’esprit de responsabilité qui honore notre Assemblée, nous ne fassions pas ensemble ce pas.

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