Madame la présidente, messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, Chateaubriand écrivait : « L’Homme n’a qu’un mal réel : la crainte de la mort. Délivrez-le de cette crainte et vous le rendrez libre. » Pourtant, nous savons bien que cette crainte ne disparaîtra jamais, parce qu’elle renvoie à la nature même de l’être humain : sa propre finitude.
Mais au fil des siècles, cette crainte a évolué, tandis que les progrès de la science et de la médecine ont changé la mort. Nous vivons en moyenne plus longtemps et surtout en meilleure santé. C’est une chance, mais aussi un défi puisque les situations de fin de vie deviennent plus longues et plus complexes. À mesure que la médecine progresse, les frontières entre la vie et la mort, entre le soin et l’acharnement thérapeutique, s’effacent, s’estompent, sont plus difficiles à percevoir. Bien souvent aujourd’hui – trop souvent en tout cas – on ne craint plus que la vie s’arrête, mais qu’elle se prolonge à un point tel qu’on ne puisse plus parler de vie.
Nous avons tous été confrontés à la mort d’un proche, difficile, nécessairement douloureuse. Ce moment redouté, parfois attendu autant qu’il est redouté lorsque la souffrance est présente, est aussi celui où s’expriment la solidarité, la proximité, une histoire qui se retrouve, l’amour tout simplement. C’est l’expérience de ces moments qui ont forgé nos convictions, quelles qu’elles soient. Nos convictions de femmes et d’hommes, assurément. Nos convictions de citoyennes et de citoyens, aussi. Nos convictions de représentants du peuple, également. La question de la fin de vie a quitté la sphère intime pour occuper aujourd’hui le débat public. C’est une question éthique, philosophique, une question sociale et donc une question politique au sens le plus noble du terme, qui doit nous permettre de dépasser les enjeux partisans.
Les attentes de nos concitoyens ont évolué, parce que le regard sur la mort s’est transformé, parce que le sens de la liberté se déploie autrement. Aujourd’hui, les Français nous regardent et attendent que nous allions de l’avant. Aller de l’avant, c’est d’abord se donner les moyens d’appliquer la législation existante. Aller de l’avant, c’est permettre à nos concitoyens de connaître leurs droits, et de pouvoir les exercer. Aller de l’avant, c’est faire évoluer le droit pour que la fin de vie se déroule le plus sereinement possible, pour celui ou celle qui s’en va comme pour ceux qui restent.
Deux valeurs fondamentales sont ici en jeu : la dignité et la liberté. Le respect de ces valeurs est dû à chacun tout au long de la vie. Il doit l’être tout autant lorsque la vie s’achève. Chacun entend mourir dans la dignité, dans sa dignité. Et chacun a droit au respect de son autonomie, au respect de ses choix. Le choix de ne pas souffrir, qui paraît une évidence, mais encore faut-il que ce soit possible. Le choix de mettre un terme à ses traitements lorsque le pronostic vital est engagé, ou à l’inverse, de les poursuivre jusqu’au dernier moment. Le choix de pouvoir décider en amont, lorsque l’on est encore capable de le faire, de la manière dont on voudra terminer ses jours.
Répondre à ces exigences ; permettre à chacun de vivre ses derniers instants comme il l’entend ; mieux accompagner la fin de vie dans le contexte d’une maladie incurable, d’une souffrance insoutenable ; c’est l’engagement pris dès 2012 par le Président de la République.
C’est à partir de cet engagement que s’est lancée une réflexion considérable au cours des trois dernières années. Elle était nécessaire. La mission confiée au professeur Sicard, puis les travaux du Comité consultatif national d’éthique, ont permis aux Français de s’emparer de ce sujet – c’est peut-être là l’essentiel – et de faire valoir leur opinion à travers des débats régionaux et une conférence citoyenne originale dans sa démarche. Ces travaux ont aussi permis de recueillir les réflexions de personnalités du monde médical, de patients, de représentants des grandes familles de pensée ou religieuses. Tout cela a permis d’identifier les évolutions possibles de la législation actuelle, celles qui rassemblent, celles qui interrogent, celles qui divisent.
Puis le Premier ministre vous a confié une mission, messieurs les co-rapporteurs. Il s’agissait de tirer les enseignements des travaux menés et de proposer des évolutions de la loi dans un esprit de rassemblement. Le rassemblement, notre société en a besoin sur un tel sujet, sans doute plus que de consensus. Comme cela a été dit, il ne s’agit pas de compromis. Mais sur un sujet aussi difficile, il s’agit de trouver la sérénité – exigence essentielle – et de permettre d’emprunter un chemin partagé.
Que propose donc votre texte ?
D’abord, de renforcer l’accès aux soins palliatifs. Nous le savons, les Français ne sont pas égaux face à la mort, ou aux conditions de leur mort. Deux tiers des Français qui meurent de maladie auraient besoin de soins palliatifs. Les unités de soins palliatifs se sont développées dans notre pays, le nombre de lits a été multiplié par vingt en dix ans. Pourtant, une grande partie de nos concitoyens n’y ont pas accès, ou trop tardivement. Cette réalité doit nous interpeller parce qu’elle met en lumière une injustice territoriale et sociale.
Votre texte propose de consacrer un droit universel, pour toute personne malade, d’accéder aux soins palliatifs sur l’ensemble du territoire. S’il est une proposition qui doit tous nous rassembler, c’est bien celle-ci. Elle figurait d’ailleurs dans la proposition de loi portée par Véronique Massonneau il y a quelques semaines.
Le renforcement des soins palliatifs est pour moi une priorité, dans le cadre de l’engagement du Président de la République, qui a annoncé un nouveau plan triennal de développement des soins palliatifs. Ce plan sera lancé dans les prochaines semaines, en lien avec les acteurs concernés.
Concrètement, il prévoit plusieurs axes. D’abord, améliorer l’accès aux soins palliatifs dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Les inégalités entre les territoires, et parfois même entre les établissements d’un même territoire sont réelles et inacceptables. Ensuite, il est prévu de renforcer l’accès aux soins palliatifs à domicile, où la majorité de nos concitoyens voudrait pouvoir finir ses jours. Il est également prévu la formation des personnels soignants. Un enseignement spécifique consacré à l’accompagnement des malades sera intégré à toutes les formations sanitaires.
Enfin, nous devons travailler à des repères communs pour les professionnels de santé qui doivent pouvoir assurer cette prise en charge dans des conditions optimales tout au long du parcours de soins. J’ai demandé à la Haute Autorité de santé d’élaborer ces référentiels qui permettront aux professionnels d’accompagner la sortie de l’hôpital vers leur domicile ou vers un EPHAD des patients nécessitant des soins palliatifs.
La seconde grande orientation de ce texte, après les soins palliatifs, est de donner à nos concitoyens les moyens de faire valoir leurs droits. Seuls 2,5 % des Français ont rédigé des directives anticipées, et près de la moitié d’entre eux ignorent que la loi autorise le patient à demander l’arrêt des traitements qui le maintiennent en vie. La loi est mal connue, alors même que l’existence de directives anticipées permettrait de résoudre, peut-être pas toutes les situations difficiles, mais sans doute la plupart d’entre elles.
Vous proposez de renforcer le poids de ces directives, en les rendant contraignantes pour les médecins et en supprimant leur durée de validité. C’est une avancée considérable. Désormais, la volonté du patient sera déterminante pour l’issue de sa vie, alors que ces directives ne constituent aujourd’hui que l’un des éléments à prendre en compte dans la décision médicale.
Nous le savons, l’autre grand enjeu est d’améliorer l’information sur ces directives. L’information des patients, qui doivent savoir qu’ils disposent d’un droit à déterminer les conditions dans lesquelles ils entendent terminer leur vie ; mais aussi l’information de l’équipe médicale, qui doit avoir connaissance rapidement et complètement des volontés du malade. Votre proposition de loi entend également répondre à cette exigence, et le Gouvernement accompagnera le travail nécessaire pour garantir son effectivité. Un formulaire type de directive anticipée sera prochainement élaboré sous l’égide de la Haute Autorité de santé.
Pour améliorer la visibilité des directives anticipées, vous proposez qu’une mention signale leur existence sur la carte vitale. Cette idée était également portée par d’autres parlementaires, et elle paraît naturelle. Néanmoins, le développement des technologies permet aujourd’hui d’envisager un dispositif plus performant. Je vous proposerai donc un amendement tendant à créer un registre national automatisé. Il permettra à chaque Français de rédiger une directive anticipée de la manière la plus simple qui soit, et donnera la possibilité aux médecins de les consulter rapidement. Nous apporterons évidemment toutes les garanties nécessaires au strict respect de la confidentialité, par un décret en Conseil d’État.
Enfin, la troisième orientation de votre texte est de mieux consacrer dans la loi une plus grande autonomie des personnes. La loi d’avril 2005, qui porte votre nom, monsieur le co-rapporteur Jean Leonetti, a permis d’encadrer l’arrêt des traitements. Ce progrès pour la dignité des malades, personne ne le conteste. La loi avait d’ailleurs été adoptée à l’unanimité de cette assemblée.
Mais vous estimez aujourd’hui, et je crois cette position partagée très largement sur ces bancs, qu’il faut aller plus loin parce qu’aujourd’hui, c’est le médecin seul qui décide. Il est celui qui, dans l’état de notre droit, décide seul d’interrompre ou de ne pas initier les traitements, souvent avec les équipes soignantes avec lesquelles le dialogue existe.
Mais beaucoup de professionnels disent être parfois désemparés face à des situations qui les laissent dans l’immense solitude de leur seule conscience.
Dans le même temps, il y a aujourd’hui trop de patients et trop de familles qui ont le sentiment de ne pas être entendus ou de ne pouvoir l’être. Oui, il faut renforcer les droits des malades en fin de vie.
Ce texte apporte donc des précisions sur les modalités d’interruption des traitements. Il clarifie la définition de l’obstination déraisonnable, qui a fait l’objet d’une décision du Conseil d’État dans l’affaire Vincent Lambert. Trois éléments alternatifs la caractérisent : l’inutilité des traitements, leur disproportion ou leur seule finalité de maintien artificiel de la vie.
Ce texte propose – c’est sans doute le point le plus important – d’instaurer un droit à bénéficier d’une sédation continue en phase terminale et jusqu’au décès, lorsque le pronostic vital est engagé. Si cette pratique existe aujourd’hui, elle est considérée comme un traitement relevant de la seule appréciation médicale : des inégalités très grandes existent donc entre les services, les hôpitaux et les territoires. Cette évolution, couplée au renforcement et à l’opposabilité des directives anticipées, constituera une avancée importante.
L’ensemble de ces propositions contribuent à faire du patient le maître de la fin de sa vie.
Mesdames, messieurs les députés, sur un sujet comme celui-ci, il n’y a pas de vérité absolue. Personne n’a raison et personne n’a tort : chacun a ses propres convictions. Toutes sont éminemment respectables, et personne ne doit se permettre de les juger.