Intervention de Philippe Meunier

Séance en hémicycle du 2 avril 2015 à 9h30
Perte de la nationalité française et crime d'indignité nationale — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Meunier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

D’autres États, tels que le Canada ou la Belgique, envisagent de réformer ou ont réformé leur droit de la nationalité pour lutter contre le terrorisme.

Lors de l’examen de la précédente proposition de loi que nous avions déposée et du projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme, le Gouvernement a affirmé que le droit de la nationalité française en vigueur serait suffisant sur ce point. C’est malheureusement inexact. En effet, en application des articles 25 et 25-1 du code civil, seuls les Français d’acquisition – par exemple par la voie de la naturalisation ou du mariage – possédant une autre nationalité peuvent être déchus de leur nationalité française pour actes de terrorisme, dans des délais encadrés par la loi. Deux catégories de Français échappent donc totalement, aujourd’hui, à ce dispositif : les Français de naissance, d’une part, et les Français d’acquisition ne possédant pas une autre nationalité, d’autre part. Aucun d’entre eux ne peut se voir retirer sa nationalité pour acte de terrorisme.

Ce sont deux graves lacunes de notre droit. Il suffit, pour s’en convaincre, de se pencher sur le profil de certains terroristes français ayant frappé notre pays et la Belgique au cours de la période récente : Mohamed Merah, Mehdi Nemmouche, les frères Kouachi et Amedy Coulibaly étaient ou sont tous Français de naissance.

Certains d’entre eux n’étaient en outre pas binationaux. Aucun d’entre eux n’aurait donc pu faire l’objet d’une procédure de déchéance de la nationalité française, les conditions légales n’étant pas remplies.

Le second argument qui nous a été opposé, tout aussi inexact, est que notre proposition serait inconstitutionnelle. Dans une décision récente rendue le 23 janvier 2015, le Conseil constitutionnel, confirmant une décision du 16 juillet 1996, a validé le recours à la déchéance de nationalité à l’encontre des terroristes « eu égard à la gravité toute particulière que revêtent par nature les actes de terrorisme ». Si la privation de nationalité est constitutionnelle, parce que proportionnée, lorsqu’elle est prononcée à l’encontre d’un Français par acquisition pour les actes de terrorisme, elle l’est donc nécessairement lorsqu’elle est prononcée à l’encontre des Français de naissance. Si le Conseil constitutionnel en jugeait autrement, cela reviendrait à contraindre le législateur à traiter les Français différemment selon qu’ils le sont de naissance ou par acquisition, alors qu’il a lui-même jugé que tous les Français étaient égaux au regard du droit de la nationalité. Prétendre que notre proposition, dans sa nouvelle rédaction, soulèverait une difficulté constitutionnelle, c’est considérer qu’il y a deux catégories de Français au regard de la privation de nationalité : les Français de fraîche date et les Français de naissance.

C’est la raison pour laquelle, au lieu de recourir à la déchéance de nationalité, qui est réservée aux Français d’acquisition, nous avons retenu la perte de nationalité, qui vise tous les Français, sans distinction. Ce qui importe, c’est la particulière gravité des faits ; peu importe que l’intéressé soit Français depuis quinze générations ou depuis trois ans. Notre proposition de loi met fin à une inégalité de traitement, ce qui devrait tous nous réunir. J’observe d’ailleurs, mais nous aurons l’occasion d’y revenir lors de l’examen des amendements, que la distinction entre déchéance et perte de nationalité est, de toute évidence, ignorée par les auteurs de l’amendement de suppression de l’article premier, alors qu’elle est essentielle.

Dans le détail, notre proposition de loi comporte deux articles.

Le premier crée un nouveau cas de perte de la nationalité française, qui s’appliquera au Français ayant participé à des opérations armées contre les forces armées françaises ou contre un civil français, ou s’étant rendu complice de telles opérations, à l’étranger ou en France. Un nouvel article 23-8-1 serait ainsi créé dans le code civil. Tout Français, d’acquisition ou de naissance, pourra être privé de sa nationalité, à condition qu’il possède une autre nationalité. Ce nouveau cas de perte de nationalité sera prononcé par décret pris après avis conforme du Conseil d’État – l’un de mes amendements vise à prévoir un avis non plus simple mais conforme – après avoir été entendu ou invité à présenter ses observations, comme le prévoit l’article 23-8 du code civil. L’intéressé fera alors l’objet d’une mesure d’expulsion du territoire national s’il s’y trouve, ou d’une mesure d’interdiction administrative du territoire s’il est à l’étranger.

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