Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le ministre de la défense, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, monsieur le président et rapporteur de la commission des lois, madame la présidente de la commission de la défense, monsieur le rapporteur pour avis, chers collègues, nous débutons l’examen d’un texte qui propose de définir un cadre juridique clair et unifié aux activités de renseignement.
Les députés du Front de gauche ont toujours affirmé que le terrorisme, sous toutes ses formes, où qu’il se produise et quels qu’en soient les responsables, devait être fermement combattu. Notre détermination est sans faille. Nous partageons le souci du Gouvernement d’offrir un cadre légal aux activités des services de renseignement. Nous souhaitons aussi souligner le travail sérieux mené par les députés Jean-Jacques Urvoas et Patrice Verchère, qui ont rendu un rapport sur l’évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement.
La complexité de cette question et la nature même des activités de renseignement méritent un débat de fond, un débat à la hauteur de l’enjeu. C’est la raison pour laquelle nous déplorons le recours à la procédure accélérée. Pourquoi y recourir sur ce texte très technique ? Un mois seulement sépare la présentation du projet de loi en Conseil des ministres et son examen aujourd’hui. Un tel projet mérite, par respect pour le peuple, que nous représentons, un examen réellement apaisé et approfondi. D’autant plus qu’une question fondamentale est posée : celle de la protection des libertés publiques de nos concitoyens.
Tout l’enjeu consiste à concilier la nécessité d’assurer la sécurité et le devoir de préserver les droits et libertés. Le Gouvernement considère que ce texte est équilibré, parce qu’il subordonne le recours aux mesures de surveillance à l’autorisation du Premier ministre et au contrôle d’une autorité administrative indépendante et du Conseil d’État.
Dans un État de droit, il convient d’offrir de réelles garanties, solides et proportionnées, aux atteintes aux libertés que peuvent occasionner les missions du renseignement. Que disait Raymond Carré de Malberg, juriste français ? « L’État de police est celui dans lequel l’autorité administrative peut, d’une façon discrétionnaire et avec une liberté de décision plus ou moins complète, appliquer aux citoyens toutes les mesures dont elle juge utile de prendre par elle-même l’initiative, en vue de faire face aux circonstances et d’atteindre à chaque moment les fins qu’elle se propose : ce régime de police est fondé sur l’idée que la fin suffit à justifier les moyens. » À l’État de police s’oppose l’État de droit.
Venons-en au détail du texte. Tout d’abord, celui-ci accroît les pouvoirs des services de renseignement en leur permettant de recourir à certaines techniques qui ne sont permises, aujourd’hui, que dans un cadre judiciaire : balisage de véhicule, sonorisation de lieux privés grâce à des micros, captation d’images dans des lieux privés, captation de données informatiques et accès aux réseaux des opérateurs de télécommunications. Ces techniques pourront être utilisées dans des domaines qui dépassent largement le terrorisme. De nouveaux motifs d’action et une rédaction plus extensive des missions anciennes conduisent à l’élargissement du domaine d’intervention des services de renseignement. À cet égard, permettez-moi de souligner que les modifications apportées par la commission des lois n’ont ni restreint, ni précisé leur sphère d’intervention.
Nos inquiétudes demeurent : c’est la raison pour laquelle nous proposerons des amendements. En effet, en commission, des amendements ont été adoptés à l’initiative du rapporteur pour autoriser les services à utiliser des techniques très intrusives pour défendre et même promouvoir les intérêts économiques, scientifiques et industriels majeurs de la France, ainsi que les intérêts majeurs de sa politique étrangère. Ces termes sont flous et extensifs : qu’est-ce qu’un « intérêt majeur » ?
Un autre point me tient à coeur : le projet de loi évoque la « prévention des violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale ». Par son imprécision, ce motif fait courir le risque d’utilisation de techniques très intrusives envers des militants politiques, associatifs et syndicaux. En définitive, la sphère d’intervention des services de renseignement serait très étendue, de manière injustifiée. Au regard des risques d’abus, nous ne pouvons que nous y opposer.
Le recours à des techniques de surveillance nombreuses et très intrusives dans des domaines élargis sera – nous dit-on – encadré strictement par une nouvelle autorité administrative indépendante, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, la CNCTR, et par une procédure relevant du Conseil d’État. Pourtant, permettez-moi de douter que cela suffise à garantir un juste équilibre entre les moyens mis en oeuvre par les services de renseignement et les atteintes portées aux libertés publiques.
Nous ne sommes pas les seuls à le penser. Voici une liste d’organisations ayant exprimé des réserves sur ce texte : la Ligue des droits de l’homme, Reporters sans frontières, Amnesty International France, le Syndicat de la magistrature, l’Union syndicale des magistrats, le Centre d’études sur la citoyenneté, l’informatisation et les libertés, des opérateurs réseaux – y compris des fournisseurs d’accès à internet –, la CNIL, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, l’Ordre des avocats de Paris, la CGT-Police, le Conseil national du numérique, et le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe ; sans compter les nombreux citoyens inquiets, qui nous ont tous interpellés. Leurs avis n’ont, pour l’instant, pas été entendus.
Il y a pourtant de quoi être inquiet quand, outre-Atlantique, le New York Times titre : « La France, État de surveillance ». Ce quotidien estime lui aussi que ce projet de loi comporte le risque d’une « surveillance gouvernementale indûment expansive et intrusive » des citoyens.
La procédure d’autorisation pour le recours aux techniques de recueil de renseignements n’est pas suffisamment encadrée. Comme le souligne parfaitement le Syndicat de la magistrature : « Alors même qu’il ambitionne de mettre notre droit en conformité avec les exigences démocratiques, le projet maintient le Premier ministre au coeur du système de renseignement, actant une logique de pouvoir d’État au détriment de la soumission à l’État de droit. » En effet, dans la procédure d’autorisation, le pouvoir décisionnel est confié au Premier ministre,…