La séance est ouverte.
La séance est ouverte à seize heures.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre de la défense, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente de la commission de la défense, monsieur le rapporteur pour avis de la commission de la défense, mesdames et messieurs les députés, trois mois après les attaques terroristes de janvier, notre pays a connu, la semaine dernière, une nouvelle agression d’un autre ordre. Elle n’a pas tué, mais elle voulait nous nuire. Je parle bien sûr du piratage et de la prise de contrôle, pendant plusieurs heures, d’une chaîne de télévision : TV5 Monde. C’est un symbole de la France et de la francophonie qui a été touché. Déjà il y a quelques semaines, une tentative avortée avait ciblé un grand quotidien.
Les libertés d’information, d’expression, d’opinion – donc la démocratie – ont été de nouveau visées, comme elles le sont partout dans le monde : au Danemark, en Tunisie, au Kenya, au Proche et Moyen-Orient. C’est une menace globale à laquelle nous devons faire face.
Si l’enquête est toujours en cours concernant TV5 Monde, l’acte a été revendiqué par un mouvement terroriste. C’est un fait : les attaquants étaient présents dans le système d’administration du réseau depuis plusieurs semaines. Cette agression est emblématique d’une nouvelle forme de menaces : les cyber-menaces. Si la société numérique est porteuse de nombreuses promesses, elle présente aussi des vulnérabilités inédites.
C’est aussi à ce titre que votre assemblée va débattre du projet de loi relatif au service public du renseignement. D’emblée, il faut insister sur cette ambition de service public et sur le cadre strict qui l’accompagne. Car, dans une démocratie, le renseignement est une activité exclusivement tournée vers la protection des citoyens et de leurs libertés, et vers la protection des institutions qui assurent le bien-être collectif.
Contrairement à d’autres pays, la France a longtemps été mal à l’aise pour traiter de ces sujets publiquement. La loi de 1991 sur les interceptions découlait ainsi largement d’une injonction de la Cour européenne des droits de l’homme. Mais depuis une dizaine d’années, un dispositif de légitimation, d’encadrement et de contrôle se construit progressivement.
Une nouvelle étape devait être franchie : les services de renseignement doivent avoir les moyens humains, juridiques et techniques pour accomplir les opérations de surveillance qui sont nécessaires et proportionnées.
La loi prévoit qu’ils sont strictement focalisés sur la prévention des menaces graves contre la vie de la nation. La surveillance des citoyens, de la vie politique, du débat public et de la presse ne relève pas des missions de renseignement – chacun le sait – et ce texte l’interdit rigoureusement. Comme cela avait été annoncé, le Gouvernement a déposé un amendement prévoyant une protection renforcée pour les professions dont l’exercice est directement lié au débat public ou à la défense des libertés individuelles : magistrats, avocats et journalistes.
Il est exceptionnel qu’un Premier ministre présente un texte devant la représentation nationale. Je le fais pour insister sur son importance. Ce fut déjà le cas pour la loi de 1991, sur les écoutes, préparée par Michel Rocard et présentée par Édith Cresson. Déjà, à l’époque, les débats étaient vifs, et l’action des services entourée – selon les termes du Premier ministre – d’un « halo de mystère, de soupçon, voire de fantasmes ». Pourtant, cette loi protectrice a atteint son but : qui sait qu’aujourd’hui, dans notre pays de 66 millions d’habitants, le nombre d’écoutes administratives simultanées est limité à 2 700 ? La réalité est donc très loin des caricatures que l’on peut entendre !
Mais cette loi de 1991 est née avant la téléphonie mobile et internet : elle n’est plus adaptée aux enjeux de la société numérique. Elle n’encadre les activités de renseignement que de manière très incomplète. Il est grand temps de doter la France d’un cadre normatif similaire à celui existant dans la plupart des démocraties occidentales, dans le respect de nos spécificités juridiques et de nos valeurs républicaines.
J’avais indiqué ici même, le 13 janvier, les principes qui guideraient notre action : des moyens et des mesures exceptionnelles, pour répondre aux graves enjeux de sécurité de notre époque, mais pas de mesures d’exception. Mon Gouvernement les a scrupuleusement respectés et présente un texte efficace pour nos services et protecteur de nos libertés. Nous n’esquiverons pas le débat, mais les critiques et les postures qui évoquent un Patriot Act à la française ou des relents de police politique sont strictement mensongères et irresponsables, surtout dans le contexte de menace que nous connaissons. « Une loi dangereuse » : comment peut-on affirmer une telle contre-vérité ? Je rappelle qu’un certain nombre d’éditoriaux, lors de la présentation de la seconde loi antiterroriste, évoquait déjà des dispositifs dangereux – Bernard Cazeneuve s’en souvient. Or chacun le sait, il n’en est rien.
Mesdames et messieurs les députés, le premier débat que nous aurons concerne la délimitation des missions des services de renseignement. Ce débat est pleinement légitime. La définition des finalités des opérations de surveillance doit être ajustée aux menaces et à leur gravité. Seules certaines menaces d’une gravité particulière justifient qu’on implique les services de renseignement.
La menace terroriste est aujourd’hui – ai-je besoin de le rappeler ? – le défi le plus redoutable, un défi auquel nous devrons faire face pendant longtemps, très longtemps. Chacun doit en prendre conscience. Il s’agit non pas de faire peur, mais d’être lucide et de le dire clairement à nos compatriotes.
Désormais, plus de 1 550 Français ou résidents sont recensés pour leur implication dans les filières terroristes en Syrie et en Irak. C’est un quasi-triplement depuis le 1er janvier 2014. Vous connaissez ces chiffres, nous les rappelons souvent avec Bernard Cazeneuve. La présence de 800 d’entre eux a été attestée sur zone ; 434 y sont actuellement et – ce chiffre doit être rappelé – 96 y ont été tués.
Ce phénomène concerne l’ensemble des pays européens, et au-delà. La commissaire européenne à la justice, Vra Jourová, évalue entre 5 000 et 6 000 le nombre d’Européens présents en Syrie, et craint comme nous que le nombre de combattants étrangers n’atteigne le seuil de 10 000 individus d’ici à la fin de l’année – et il n’est question là que des seuls Européens.
Mais un phénomène nouveau doit retenir particulièrement notre attention pour son risque de réplique en France, et je donne ces éléments sans doute pour la première fois : les services de renseignement ont établi que sept de ces individus – je parle de Français ou de résidents en France – sont morts en action suicide en Syrie ou en Irak. Le plus jeune n’avait pas vingt ans. Parmi eux, six étaient des nouveaux convertis. S’agit-il d’une volonté délibérée de Daech de sacrifier en priorité ces profils ? S’agit-il pour les candidats au suicide de faire preuve de zèle idéologique pour attester leur engagement ? Cela illustre en tout cas les redoutables capacités d’endoctrinement de Daech et la menace à laquelle nous devons faire face. Si ce projet contient des dispositions spécifiques pour la lutte anti-terroriste, et j’y reviendrai, c’est sur la base d’éléments tangibles et non fantasmés, d’une réalité que tout le monde connaît désormais.
Mais l’acuité de la menace terroriste ne doit pas masquer les autres risques. Les services de renseignement doivent protéger la souveraineté nationale contre les tentatives d’ingérence et d’espionnage. De plus en plus, l’espionnage à notre encontre a pour objectif la prédation d’actifs scientifiques, industriels et économiques. Et lorsque nos entreprises les plus innovantes, grandes entreprises comme PME ou start-up, voient leurs efforts de recherche et de développement pillés, ce sont des milliers d’emplois qui disparaissent.
Certaines critiques considèrent que le projet élargirait indûment les finalités et donc le nombre de personnes surveillées. Ce n’est en aucun cas la démarche du Gouvernement qui, au contraire, a veillé à mieux délimiter chacun des domaines constitutifs d’une menace grave.
Dans la doctrine d’application de la loi de 1991, par exemple, la surveillance préventive du hooliganisme violent était tantôt classée dans la rubrique « sécurité nationale », tantôt dans celle « prévention de la criminalité organisée ». Ce n’était à l’évidence pas satisfaisant, d’où la définition d’une rubrique plus précise autour des violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale. Mais la définition retenue, si elle permet de prévenir l’action de groupes subversifs violents, comme cela a toujours été l’interprétation de la loi de 1991, n’empiétera en rien sur les libertés constitutionnelles d’opinion, d’expression et de manifestation. Les services de renseignement ne seront absolument pas autorisés à surveiller les actions licites de défense d’une cause.
Par ailleurs, les responsables d’un pays membre du Conseil de sécurité de l’ONU qui participe régulièrement avec son armée aux opérations internationales de sécurité collective doivent disposer des éclairages de politique étrangère nécessaires à l’exercice de leurs responsabilités. La volonté de promouvoir l’action diplomatique par rapport à l’action militaire justifie de ne pas réduire les capacités de renseignement au seul renseignement militaire ou à la lutte internationale contre la prolifération des armes de destruction massive.
Les moyens de surveillance régaliens que les services ont besoin d’employer pour anticiper, détecter et prévenir les menaces contre la sécurité des Français, les libertés publiques et les institutions démocratiques seront donc strictement délimités.
Je me réjouis que le travail d’amendement réalisé en commission ait permis une convergence de vues avec le Gouvernement sur la question des finalités, dont j’espère qu’elle sera partagée par tous les membres de cette assemblée.
Je souhaite le redire solennellement à l’occasion du débat parlementaire : si cette loi tient compte du contexte le plus récent, elle n’est en rien une réponse préparée dans l’urgence. Elle a été mûrement réfléchie, aussi bien au sein du Gouvernement qu’à l’occasion des travaux de la mission d’information menée au sein de votre assemblée en 2012 et 2013 sous la conduite de MM. Jean-Jacques Urvoas et Patrice Verchère. La décision de légiférer avait été prise en conseil de défense par le Président de la République dès juillet 2014.
Plus largement, la volonté de parachever le contrôle de l’activité des services s’inscrit dans une démarche initiée au cours de la législature précédente avec la création de la délégation parlementaire au renseignement, la définition d’une communauté des services spécialisés de renseignement et la création d’une fonction de coordination et d’une académie.
Depuis 2012, le Gouvernement, qui a déjà fait voter, avec une large majorité, deux lois antiterroristes par cette assemblée, a poursuivi la construction de l’édifice en créant la Direction générale du renseignement intérieur et le Service central du renseignement territorial. Dans le cadre de la loi de programmation militaire de 2013, les prérogatives de la DPR ont été substantiellement augmentées et un statut légal a été conféré à la doctrine de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, la CNCIS, relative à l’accès administratif aux données de connexion. Enfin, le contrôle hiérarchique interne a été renforcé par la création, en 2014, d’une Inspection des services de renseignement, qui mène actuellement sa première mission.
Tout le monde s’accorde sur la nécessité de donner un cadre exhaustif à l’activité de nos services de renseignement. La CNCIS constate ainsi, dans son dernier rapport d’activité, que la modification législative « s’impose ».
S’il fallait résumer ce projet de loi en quelques mots, on pourrait le faire ainsi : désormais, toute opération de surveillance régalienne menée en n’importe quel point du territoire national dans le cadre d’une mission de renseignement fera l’objet d’une autorisation hiérarchique extérieure au service, d’un contrôle approfondi par une autorité indépendante et d’un droit au recours juridictionnel effectif pouvant enjoindre au Gouvernement d’y mettre fin. Il s’agit là d’un progrès juridique et démocratique majeur. On peut même parler de petite révolution dans le mode de fonctionnement quotidien des services. Ceux qui n’ont pas compris cela n’ont pas lu le texte.
D’ailleurs, les services s’en félicitent car ils étaient demandeurs de la légitimité de la loi, jusque dans les limites strictes qu’elle implique. Dès 2012, dans le cadre de l’élaboration du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, les directeurs généraux de la sécurité extérieure et intérieure et leurs équipes ont participé aux réflexions destinées à faire évoluer le cadre juridique de leur action. Ce sont ces mêmes services, ces mêmes directeurs, qui ont demandé une évolution législative.
Il règne d’ailleurs trop souvent une attitude ambivalente à l’égard des services – ce sont les fantasmes que j’évoquais il y a un instant. Les attentes sont élevées et les critiques sévères en cas de défaut d’anticipation. Mais combien de voix critiques acceptent d’aller au bout du raisonnement et de s’interroger sur l’adéquation des moyens dont disposent les services pour répondre précisément à ces attentes ?
L’action des services de renseignement au service de la sécurité des Français et de l’État de droit restera toujours discrète et, pour une part, secrète. Elle n’en est pas moins nécessaire. Au nom du Gouvernement, je tiens aujourd’hui à rendre hommage à ces agents, véritables combattants de l’ombre.
Au-delà des enjeux juridiques, il était indispensable d’accroître leurs moyens matériels. Les budgets alloués aux services de renseignement ont été révisés en proportion des enjeux de modernisation et de diversification des recrutements. Le 21 janvier dernier, j’ai présenté plusieurs mesures visant à renforcer notre dispositif de lutte contre le terrorisme, parmi lesquelles la création de 800 emplois supplémentaires dans ces services d’ici à 2017.
Tout au long de la préparation de ce projet de loi, le Gouvernement a veillé à son efficacité et aux garanties pour les libertés publiques. Il s’est tout particulièrement appuyé sur l’avis éclairé du Conseil d’État – c’est normal. Il a mené une concertation ouverte avec la Commission nationale de l’informatique et des libertés, avec la CNCIS, bien sûr, mais aussi avec l’Autorité de régulation des communications électronique et la Commission du secret de la défense nationale.
Avant même sa présentation en conseil des ministres, j’ai eu l’occasion, avec Jean-Yves Le Drian et Bernard Cazeneuve, de présenter le projet de loi à la délégation parlementaire au renseignement,…
…dont je remercie chaleureusement tous les membres – certains sont ici – et en particulier son président, Jean-Pierre Raffarin, pour le travail constructif qu’il a piloté.
Pour encadrer des mesures opérationnelles de nature différente, ce texte les caractérise et les délimite en fonction du degré d’atteinte potentielle à la vie privée des personnes concernées.
Il est normal qu’un tel projet suscite des interrogations et, je le répète, un débat approfondi est légitime. Mais certains raccourcis confinent, une fois encore, à la caricature. Ce projet de loi n’installe en aucune manière un appareil de surveillance policière de la population, et le principe de ciblage de toute surveillance sur des personnes menaçantes demeurera.
Mais il est incontournable d’adapter les mesures de surveillance aux infrastructures des réseaux, car la société numérique a fondamentalement changé les capacités d’organisation des personnes représentant une menace. Autrefois, pour agir, elles devaient nécessairement se réunir, recourir à des courriers humains ou utiliser un téléphone fixe : autant de circonstances qui impliquaient un passage par l’espace public et qui donnaient prise à des surveillances physiques. Ces déplacements n’ont pas disparu, mais n’importe qui peut désormais, depuis son domicile, communiquer et planifier des actions avec d’autres personnes en tout point du globe ; il dispose d’une multitude de moyens de dissimulation, ainsi que d’outils de cryptologie sophistiqués.
Cela change considérablement la donne. Lorsque les échanges sont dissimulés ou ne sont pas décryptables, il faut pouvoir contourner l’obstacle, soit par le recours à certaines techniques d’intrusion informatique, soit par le recours à la sonorisation de lieux privés, soit par la géolocalisation en temps réel des personnes. Ce n’est pas une spécificité française : ces techniques sont employées par tous les services de renseignement comparables des États démocratiques.
Pour protéger efficacement les Français – ils nous le demandent –, les libertés publiques et les institutions, on ne peut faire abstraction de ces évolutions et geler les méthodes des services de renseignement à celles des années quatre-vingts.
Le texte détaille bien davantage qu’en 1991 les procédures. C’est d’abord le cas au niveau de l’autorisation : désormais, le principe de l’avis préalable de l’autorité de contrôle sera inscrit dans la loi. Mais cela vaut aussi en aval du recueil des données, dont les conditions d’exploitation, de transcription, d’extraction et de conservation sont particulièrement renforcées.
Ces développements techniques ne doivent pas occulter le principe transversal de la proportionnalité, énoncé dès l’article 1er de ce projet de loi. Certes, la loi doit être suffisamment générale pour traiter de l’ensemble des menaces des années à venir, mais ce principe garantit la vérification, pour chaque opération, du caractère adéquat du recours à une mesure de surveillance déterminée, dans sa nature comme dans ses modalités. Il sera tenu compte de la gravité de la menace, voire du comportement de la personne ciblée.
Le recours aux techniques les plus lourdes telles que l’intrusion informatique ou domiciliaire sera exceptionnel et ne pourra intervenir que si les autres techniques sont inopérantes. Le Gouvernement a d’ailleurs prévu des règles plus strictes pour leur emploi, telles qu’une durée d’autorisation plus courte.
Par ailleurs, il est important de rappeler que le projet de loi prévoit des conditions de traçabilité et de suivi centralisé des mesures de surveillance, qui permettront au contrôle de jouer pleinement, à un triple niveau – avant, pendant et après l’exécution de la mesure –, afin de vérifier le respect des règles d’exploitation et de conservation.
Ce principe, qui entraîne une dissociation entre l’analyste spécialiste du dossier et l’exploitant des surveillances, est doublement coûteux, en ressources humaines et parfois en risque de déperdition d’informations, mais l’existence d’un contrôle strict est à ce prix : ce principe est donc préservé pour les interceptions et l’accès aux données de connexion.
Toutefois, si ces éléments sont centralisables, il n’en va pas de même pour les mesures de surveillance réalisées directement sur le terrain, par des équipes opérationnelles. Poser une balise ou réaliser une géolocalisation à l’occasion d’une filature ne peuvent s’exercer depuis le Groupement interministériel de contrôle : le Gouvernement est donc nécessairement conduit à aménager le principe de centralisation.
Enfin, le contrôleur aura accès à tout moment, sans préavis, à toutes les données collectées. Toutefois, il faut prendre garde à la vulnérabilité très forte que constituerait la centralisation du produit de l’ensemble du renseignement collecté en un point unique, y compris vis-à-vis de services étrangers.
Mesdames, messieurs les députés, l’excellent climat de coopération lors de l’examen du projet de loi dans les deux commissions saisies au fond et pour avis doit être souligné. Ce dialogue a permis d’enrichir le texte de l’approche du Parlement sur de nombreux points. Des éléments importants relatifs au contrôle ont été clarifiés ou renforcés.
Un travail préparatoire à la séance très approfondi a été mené. Je tiens à en remercier publiquement le président Jean-Jacques Urvoas, mais aussi les ministres Bernard Cazeneuve, Jean-Yves Le Drian et Christiane Taubira, dont le sens du dialogue, de l’écoute et du compromis a permis de formuler des amendements pertinents. Ainsi, le Gouvernement se montrera ouvert à de nouveaux amendements sur plusieurs points clés, comme celui des durées de conservation : il se ralliera à la durée maximale de quatre-vingt-dix jours pour les données autres que les interceptions ou les données de connexion.
En matière de renseignement pénitentiaire, le Gouvernement est conscient du fait que la prison est un lieu où la radicalisation et l’enracinement de la délinquance organisée justifient une surveillance renforcée – nous l’avons tous dit, et des rapports l’attestent. Des initiatives novatrices ont été prises ces derniers mois par la garde des sceaux. Comme le Parlement, nous sommes déterminés à aller plus loin, à avancer, ce qui justifie la montée en charge de l’état-major de sécurité pénitentiaire.
Sur proposition de la garde des sceaux, le plan de renforcement annoncé en janvier prévoit un renforcement significatif des moyens humains et matériels. La participation de l’administration pénitentiaire au dispositif de renseignement, à commencer par sa présence au sein de l’Unité de coordination de la lutte anti-terroriste, est actée.
Nous prendrons en compte les avancées proposées, qui doivent cependant être conciliées avec deux impératifs : ne pas priver les services spécialisés – la DGSI ou la police judiciaire – de la capacité de mener directement les surveillances qu’ils estiment nécessaires, et préserver la sécurité des agents pénitentiaires dans l’exercice de leurs missions quotidiennes.
Enfin, je veux saluer l’attitude constructive de l’opposition – si je ne le faisais pas, je manquerais à mes devoirs –, qui a annoncé son soutien au texte dès sa présentation, peut-être même légèrement avant. Plusieurs de ses amendements ont déjà été pris en considération.
Mesdames, messieurs les députés, l’extension du contrôle indépendant suit évidemment l’extension du régime légal. Mais le Gouvernement a décidé d’aller nettement plus loin en créant un droit au recours juridictionnel pour toutes les opérations de surveillance, y compris pour les communications internationales émises ou reçues en France.
Tout d’abord, l’actuelle CNCIS se transformera, si vous l’acceptez, en une nouvelle autorité administrative indépendante, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, ou CNCTR. Elle disposera de moyens renforcés et comptera parmi ses membres quatre magistrats issus du Conseil d’État et de la Cour de cassation, sous la responsabilité desquels les avis individuels rendus par la commission seront toujours délivrés. Elle comptera parmi ses personnels des ingénieurs réseaux capables d’assurer sa complète indépendance. Un membre de sa formation plénière sera également spécialiste des réseaux. La concertation avec les milieux numériques, dans laquelle la secrétaire d’État Axelle Lemaire s’est fortement impliquée, a montré qu’il s’agit là d’une garantie essentielle.
Le contrôle juridictionnel, qui sera confié au Conseil d’État, constitue un progrès incontestable : c’est la première fois, dans notre système juridique, que le secret de la défense nationale ne sera pas opposable à un juge. Ce dernier pourra de surcroît enjoindre l’exécutif de cesser une opération de surveillance, voire de détruire les renseignements recueillis ou d’indemniser les victimes éventuelles.
Dans la mesure où les personnes surveillées ne sont pas informées des surveillances dont elles font l’objet, la CNCTR pourra librement saisir la juridiction et produire durant l’instance pour, en quelque sorte, défendre directement les intérêts des citoyens. Par ailleurs, cette procédure pourra être activée par le juge pénal s’il le souhaite.
Je l’affirme ici devant vous : ce projet de loi donnera à nos compatriotes des garanties concrètes qu’ils n’ont jusqu’à présent jamais eues dans le domaine du renseignement. Il prévoit en effet de nombreux garde-fous. Je voudrais insister sur certaines dispositions qui nourrissent un débat particulier, afin de dissiper les inquiétudes, les malentendus disproportionnés et les faux procès.
D’abord, sur l’amélioration de notre capacité à détecter les activités des djihadistes sur les réseaux numériques. J’ai parlé tout à l’heure du niveau de menace. Et il faut savoir que, parmi les 800 personnes détectées en Syrie ou en Irak, seule la moitié était connue avant leur départ. Et, faute d’éléments tangibles, les possibilités de judiciariser ces dossiers restent très insuffisantes.
Une surveillance physique peut mobiliser vingt agents. Les besoins pour surveiller les 3 000 personnes engagées de près ou de loin dans la mouvance terroriste ou sur internet excèdent donc de très loin les capacités de nos services.
Alors, nous devons innover dans les méthodes, sans bien sûr renoncer à l’analyse humaine ou aux missions de terrain, d’où les moyens supplémentaires que j’ai annoncés il y a quelques semaines. Les djihadistes ont parfaitement intégré la révolution numérique. Ils en utilisent toutes les ressources. Les services de renseignement doivent pouvoir faire face.
C’est la raison d’être de l’expérimentation de la détection par algorithme, lorsque, et uniquement lorsque, des comportements numériques spécifiques aux réseaux terroristes sont détectables. Certains acteurs du numérique, notamment des entrepreneurs soucieux de conserver la confiance de leurs clients, expriment leur inquiétude face à cette disposition nouvelle. Je veux les rassurer. D’ailleurs, la discussion – du moins avec ceux qui sont de bonne foi – s’est engagée.
Le travail en commission a d’ores et déjà permis de resserrer fortement l’encadrement de cette mesure. Le Gouvernement entend garantir que la surveillance sera ciblée strictement sur les comportements menaçants. Les données tierces ne seront pas accessibles ou exploitables par les services.
L’autorité indépendante de contrôle interviendra à toutes les étapes de la mise en oeuvre de ce dispositif. Contrairement à de nombreux acteurs privés, le Gouvernement s’interdit absolument toute possibilité de filtrage des contenus. Cela n’a rien à voir avec les pratiques révélées par Edward Snowden.
Afin de renforcer encore les garanties, le Gouvernement déposera un amendement prévoyant que ce dispositif sera temporaire, pour une durée de trois ans. Cela permettra de soumettre son prolongement à la décision expresse du Parlement, sur la base d’une évaluation détaillée des conditions de sa mise en oeuvre.
S’agissant – c’est un autre débat – des capteurs de proximité, il n’y aura pas davantage d’aspiration massive de données. Leur usage est indispensable pour identifier les moyens de communication qu’utilisent des individus menaçants qui cherchent à dissimuler leurs échanges, mais il est techniquement possible de garantir que seules les données ciblées sur les personnes recherchées seront exploitées et conservées, toutes les autres données étant écrasées. Et la centralisation des données extraites doit garantir un contrôle systématique et exhaustif.
Les échanges que vous aurez, lors des débats, notamment avec le ministre de l’intérieur permettront d’encadrer le texte de manière plus précise encore.
Le texte met également en place des procédures d’urgence opérationnelle, ce que chacun peut comprendre : la menace est souvent imprévisible et les services doivent pouvoir réagir très rapidement en certaines circonstances. Ces procédures d’urgence seront bien sûr elles aussi très encadrées.
Le Gouvernement va solliciter le rétablissement d’une procédure d’urgence absolue, c’est-à-dire sans avis préalable de la CNCTR. Le recours à ce dispositif sera strictement exceptionnel, je m’y engage solennellement. Il sera utilisé uniquement dans l’hypothèse d’une urgence vitale et dans une situation où la commission ne pourrait délivrer son avis préalable ; en cas de crise majeure affectant la sécurité des citoyens, l’action de l’État doit pouvoir être immédiate.
Mesdames, messieurs les députés, au sujet des activités de renseignement de la Direction générale de la sécurité extérieure, DGSE, je veux faire une mise au point très claire devant la représentation nationale. Les services de renseignement français ne procèdent strictement à aucune interception de communications échangées sur le sol français, en dehors du régime ciblé prévu pour les interceptions de sécurité. Ni la DGSE ni aucun autre service n’ont accès au centre de stockage des opérateurs. Il n’y a donc – et affirmer le contraire est un mensonge – aucune surveillance de masse des Français.
La DGSE peut procéder à des opérations de surveillance des communications internationales, comme c’est son rôle. Mais cela s’effectue sur la base d’instructions précises, selon un filtrage rigoureux et dans la limite des finalités prévues par le projet. Dès lors qu’une communication internationale a son origine ou sa destination en France, le droit commun s’applique en matière d’exploitation et de contrôle.
Par ailleurs, ces données ne font pas l’objet d’une transmission à des partenaires étrangers. Le projet de loi qui vous est soumis encadrera ces opérations de manière encore plus précise, et il renvoie à deux décrets d’application. Là encore, le projet comporte de très notables avancées par rapport à la loi de 1991.
Enfin, conformément à l’annonce faite devant vous en janvier, le Gouvernement a déposé un amendement pour créer un fichier de suivi des terroristes permettant de leur imposer la déclaration de leur domicile et de leurs déplacements à l’étranger. Si ces dispositions n’ont pu figurer dans le projet initial, c’est parce que nous avons voulu soumettre le projet à l’avis de la CNIL et du Conseil d’État.
Mesdames, messieurs les députés, ce projet de loi dont vous allez débattre en présence des ministres plus particulièrement concernés par le texte – Christiane Taubira, Jean-Yves Le Drian et bien sûr Bernard Cazeneuve, en tant que chef de file –, constituera un progrès important pour nos services de renseignement et pour notre démocratie.
Alors que nous nous dotons d’un texte de loi qui encadre les services de renseignement, à leur demande, alors que nous ne disposions pas de ce type de cadre juridique pour notre action, il est pour le moins étonnant que des critiques, au demeurant tardives, viennent contester, non la légitimité du texte, mais son caractère éventuellement liberticide. Tout cela relève de fantasmes. La discussion mettra à mal ces critiques excessives et absurdes.
Ce texte de loi est le fruit d’une longue concertation, menée notamment ici, à l’Assemblée. À ceux qui veulent revitaliser le rôle du Parlement, je les invite à lire les extraits des débats, des discussions qui ont lieu depuis des mois, sinon depuis des années au Parlement. La concertation a été menée ici à l’Assemblée, avec la Délégation parlementaire au renseignement, avec le président Jean-Jacques Urvoas et la présidente Patricia Adam. Cette concertation a été à la hauteur des enjeux de ce texte.
Je souhaite, vous pouvez le comprendre, qu’il recueille au Parlement le soutien le plus large possible et qu’il soit adopté le plus rapidement possible. Je remercie tous les groupes politiques pour le caractère constructif des débats. Car sur les questions de souveraineté, nous devons nous rassembler au-delà des clivages partisans : il y va de la sécurité de la nation et de la souveraineté économique, diplomatique et géopolitique de la France. Et c’est d’abord, vous le savez, l’exigence des Français.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas, président et rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
Monsieur le Premier ministre, vous venez de présenter avec une très grande précision ce texte, tant sa philosophie que ses dispositions. Comme je partage votre analyse et que vous avez aimablement décrit les modifications nombreuses apportées par la commission des lois, je ne crois pas utile d’y revenir. Je vais donc me borner à répondre à quelques interrogations.
Première question : pouvons-nous nous passer, notre pays peut-il se passer de ces fameux services de renseignement ? Après tout, la réponse ne va pas de soi. Notre mémoire est en effet peuplée de souvenirs où le renseignement est souvent associé à l’idée de trahison, de surveillance policière ou d’opérations peu avouables – de la police secrète de Fouché au Rainbow Warrior, en passant par les micros du Canard enchaîné.
C’est d’ailleurs ce qui explique, pour l’essentiel, le fait que notre pays n’ait pas cette culture du renseignement que connaissent par exemple les pays anglo-saxons. Chez eux, ces activités qu’ils baptisent d’ailleurs d’intelligence sont considérées comme légitimes et utiles. Chez nous, en dehors des conflits armés, ces services que l’on appelle « secrets » furent longtemps perçus comme se livrant à des activités perfides et exerçant des missions infamantes.
C’est une caractéristique de notre tradition nationale : pour nous, dans une bataille, on doit prendre des risques qui valoriseront la victoire et en feront un exploit. Pour nous, pour que le succès soit noble, le combat doit être épique ; pour que l’exploit soit sublime, le héros doit prendre tous les risques. Corneille le résume à merveille quand il écrit dans Le Cid : « À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. » Nous sommes ainsi pétris d’une forme d’esprit chevaleresque qui laisse peu de place au stratagème et à la ruse. Nous privilégions le combat frontal et l’appel à la force à la stratégie indirecte qui permet une victoire au moindre coût en utilisant la duperie.
Rien ne nous prédispose donc à nous intéresser aux techniques du renseignement, encore moins à en devenir des orfèvres. Pourtant, je crois que cela change : face à l’évolution des menaces, que vous avez décrites, monsieur le Premier ministre, les citoyens découvrent l’utilité du renseignement comme outil de protection des populations. Peu à peu, les services gagnent une légitimité.
Hier, la menace était extérieure et identifiée ; aujourd’hui, elle est – hélas ! – intérieure et diffuse. Hier, les services apparaissaient comme des outils au seul profit de l’État ; aujourd’hui, ils deviennent des moyens pour garantir les libertés individuelles et collectives. Voilà pourquoi il est évidemment impossible de se passer de services de renseignement, outils indispensables d’une politique publique.
Deuxième question : fallait-il vraiment une loi sur le renseignement ? Là encore, la question mérite d’être posée. Après, tout si l’espion est de tous les temps – qu’on se souvienne des dix espions qu’envoie Moïse pour le renseigner sur le pays de Canaan –, les services, c’est-à-dire une organisation dédiée, sont plus récents, et jamais, avant aujourd’hui, notre pays n’a jugé bon de leur donner un cadre légal.
Mais si nous en sommes encore à nous interroger sur la nécessité de ce cadre, tous nos partenaires ont répondu positivement depuis des années. D’abord, les précurseurs, à la fin de la Seconde Guerre mondiale : les États-Unis en 1947, l’Allemagne dès 1950. Ensuite, la plupart des nations, dans les années 1990 : le Royaume-Uni en 1994, la Hongrie en 1995, l’Italie en 1997, la Belgique et la Roumanie en 1998, la Slovénie en 1999. On constate d’ailleurs une accélération depuis le début du XXIe siècle : le Danemark et l’Autriche en 2001, les Pays-Bas, l’Espagne, la Pologne et Suède en 2002, le Portugal et la République tchèque en 2004, la Grèce et la Suisse ensuite. Il ne manque plus que nous !
Il est donc logique, dès lors, que ce constat – à savoir la nécessité de donner un cadre à l’activité des services – fasse maintenant consensus. Pas une seule fois, lors des trente-huit auditions que j’ai conduites, je n’ai entendu l’un de mes interlocuteurs remettre en cause cette décision que le Président de la République a prise en juillet 2014 lors du Conseil national du renseignement.
Tous ont admis l’urgence à le faire, au nom du renforcement de l’État de droit, ainsi que vous l’avez rappelé ; au nom de la protection des libertés individuelles, comme Patrice Verchère et moi-même l’écrivions en 2013 dans notre rapport ; au nom de l’efficacité des services, comme l’ont souligné les chefs de la DGSE, de la Direction de la protection et de la sécurité de la défense, la DPSD, et de la Direction du renseignement militaire, la DRM, lors des auditions conduites par la commission de la défense.
S’il y a donc consensus sur l’objet – à savoir le cadre –, il y a désaccord sur le contenu. C’est ma troisième question : les moyens que cette loi souhaite octroyer aux services ne sont-ils pas excessifs ? Des inquiétudes se sont exprimées sur cet aspect. Je crois qu’il y a deux manières d’y répondre.
La première serait simplement de reprendre une citation du maréchal Foch, puisée dans son ouvrage intitulé Des principes de la guerre, qui reprend, en 1903, la plupart des conférences qu’il donna à l’École supérieure de guerre : « À la guerre, on fait ce qu’on peut avec ce que l’on sait, et pour faire beaucoup, il faut savoir beaucoup. » Dans notre monde, devenu complexe, incertain, mouvant et imprévisible, ce qui modifie profondément nos perspectives stratégiques, nous devons faire beaucoup pour combattre nos adversaires – et surtout nos ennemis. De surcroît, comme l’affirma en 2013 Robert Badinter, « l’État de droit n’est pas l’état de faiblesse ».
La seconde, moins belliqueuse ou moins martiale, serait de rappeler ce que sont nos services de renseignement, ce qui viendra relativiser les moyens dont nous allons les doter. Nos services ne sont pas des organisations « occultes » dont la mission serait de « surveiller dans l’opacité complète », comme je l’ai lu sous la plume de la secrétaire générale d’un syndicat de magistrats. Ce sont des administrations reposant sur des fonctionnaires civils et militaires, ce qui, conformément aux principes démocratiques, doit les soumettre à toutes les formes de contrôle nécessaires pour préserver les libertés individuelles et collectives.
Nos services ne sont pas plus « secrets » que « spéciaux », comme il arrive qu’ils soient qualifiés – sans doute parce que ces termes perdent en précision ce qu’ils gagnent en capacité à susciter immédiatement le mystère. Plus modestement, ce sont des outils de réduction de l’incertitude auprès des autorités de notre pays. Ce sont des « institutions de clarification de la réalité », selon la définition que donne un ancien chef du renseignement israélien. Ils doivent donc répondre à une exigence clairement posée : se conformer aux normes de la société qu’ils ont pour mission de protéger.
C’est la raison pour laquelle la commission des lois a adopté 172 amendements, dont la plupart visaient justement à renforcer toute l’architecture de contrôle déjà contenue dans le texte gouvernemental.
Nous avons par exemple garanti l’accès du contrôleur aux données recueillies, car nous sommes convaincus que l’effectivité du contrôle en dépend. C’est l’une des nombreuses leçons que nous avons retenues de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, notamment dans sa décision Popescu du 26 juillet 2007, selon laquelle « la légalité ne suffit pas si elle n’est pas accompagnée d’un dispositif de contrôle effectif ».
De même avons-nous veillé ce que la CNCTR soit cette « institution civile indépendante des services et de l’exécutif » dont le Conseil des droits de l’homme de l’Assemblée générale des Nations unies fait un élément indispensable et déterminant d’un « système efficace de supervision du renseignement », selon les mots de son rapporteur spécial, Martin Scheinin, dans une résolution de 2010.
Je veux saisir ici l’occasion de saluer les parlementaires qui, par leurs amendements, ont amplement contribué à ce travail : MM. Philippe Nauche, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées, Pascal Popelin, du groupe SRC, Christophe Cavard et Sergio Coronado, du groupe écologiste, Guillaume Larrivé, du groupe UMP, et Hervé Morin, du groupe UDI.
Ainsi, avec la reconnaissance d’une capacité de contrôle de la politique du renseignement pour la délégation parlementaire au renseignement, qui figurait dans la loi de programmation militaire voulue par Jean-Marc Ayrault, et l’Inspection du renseignement créée le 24 juillet 2014 à votre instigation, monsieur le Premier ministre, la France dispose enfin d’un système complet de contrôle, qui lui faisait défaut.
Ma dernière question pose une évidence : cette loi règle-t-elle toutes les questions ? Le nom de l’autorité administrative indépendante que nous allons créer apporte la réponse.
Dans notre rapport de 2013, nous appelions de nos voeux la naissance d’une « Commission de contrôle des activités du renseignement ». Vous nous proposez de la limiter aux « techniques du renseignement ». Cela explique qu’en commission comme en séance, je n’ai pas déposé d’amendements qui ne concernaient pas explicitement ce sujet.
J’aurais pourtant aimé évoquer le rôle tout aussi utile, et que je crois de plus en plus important, de l’Académie du renseignement…
…et le positionnement, que je crois perfectible, du coordonnateur national du renseignement.
C’est pourquoi j’émettrai, durant l’examen du projet de loi en séance, des avis défavorables sur tous les amendements qui n’entrent pas dans le périmètre de ce texte – mais il en restera bien d’autres qui nous permettront de faire oeuvre utile, afin que nous puissions, tous ensemble, adopter enfin un cadre juridique pour nos services.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.
La parole est à M. Philippe Nauche, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame et messieurs les ministres, madame la présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées, monsieur le président de la commission des lois, ce projet de loi sur le renseignement vient parachever les importantes réformes entreprises depuis 2008 pour doter la France de capacités techniques, humaines et financières en matière de renseignement en adéquation avec les enjeux stratégiques contemporains.
Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 a réaffirmé, dans la continuité de la programmation militaire précédente, que la fonction « connaissance et anticipation » était un élément fondamental de notre stratégie de sécurité nationale et la condition de notre autonomie stratégique. Les six services qui composent la communauté du renseignement ont vu leur coordination renforcée depuis 2009 autour d’un Conseil national du renseignement, qui arrête désormais une stratégie nationale du renseignement.
Ce projet de loi n’est donc pas, contrairement à ce que certains avancent, un texte de circonstance dicté par l’émotion suscitée par les attentats meurtriers de janvier dernier. Il vient au contraire consolider les évolutions entreprises ces dernières années, qui ont fait progressivement sortir de l’ombre notre politique publique en matière de renseignement. Il est également le fruit d’un travail engagé depuis plusieurs mois par le Gouvernement et le Parlement, appuyé par les travaux de la commission des lois et de la délégation parlementaire au renseignement, dont il reprend l’essentiel des propositions.
Le texte va d’ailleurs bien au-delà de la seule prévention du terrorisme, pour s’intéresser à l’ensemble des intérêts fondamentaux de la nation – sécurité nationale, patrimoine industriel et scientifique, lutte contre la délinquance organisée, ou encore action diplomatique.
Ce projet de loi vise à combler les lacunes d’une législation éparse, dont certaines dispositions étaient entrées en vigueur voilà plus de vingt-cinq ans, bien avant l’explosion des communications téléphoniques et des réseaux électroniques de télécommunications. Il permet de doter les services de renseignement d’outils techniques adaptés à ces évolutions technologiques et aux mutations de la menace.
En effet, si la loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019 a permis d’étendre l’accès des services de renseignement à certains fichiers et rénové le cadre juridique de la géolocalisation en temps réel, les services ne disposent pas de moyens d’investigation comparables à ceux qui ont été accordés aux services de la police judiciaire ces dernières années. Le projet de loi comble ce retard et étend aux services de renseignement la possibilité de poser des balises, de capter des images, des sons ou des données informatiques. Il crée également deux nouveaux modes d’exploitation des données de connexion aux seules fins de la lutte contre le terrorisme.
Surtout, ce projet de loi permet de définir, pour la première fois, une véritable politique publique de renseignement, et de la doter d’un cadre juridique clair et stable, à la fois plus protecteur pour les agents de ces services et pour l’ensemble des citoyens. Les finalités de la loi de 1991 ont été complétées et précisées et couvrent désormais l’ensemble du champ d’action de nos services, y compris lorsqu’ils agissent à l’étranger.
Le projet de loi organise également un contrôle très strict des activités de renseignement, grâce à un cadre contraignant, des procédures lisibles, une autorité administrative indépendante aux pouvoirs renforcés et un contrôle juridictionnel inédit.
Comme cela a été dit au cours des débats en commission, c’est dans la capacité de la future autorité indépendante à effectuer son contrôle que réside l’une des meilleures garanties de protection des droits individuels. Si la CNCIS a aujourd’hui accès facilement aux données collectées par le Groupement interministériel de contrôle – le GIC –, la variété des techniques prévues par la loi ne permettra plus ce recueil centralisé autour d’un seul service technique.
Monsieur le Premier ministre, le débat permettra de mieux préciser les modalités d’organisation de la centralisation et de la traçabilité des données collectées prévues par la loi et la place que pourra occuper le GIC dans la mise en oeuvre de cette centralisation.
Pour conclure, je dirai que le texte présenté par le Gouvernement est un texte équilibré, tant par les droits nouveaux qu’il accorde aux services que par les garanties qu’il offre, en contrepartie, aux citoyens.
La commission de la défense a donné un avis favorable à l’adoption du projet de loi, après avoir adopté quelques amendements de précision.
L’un vise à donner un contenu à la politique publique de renseignement en faisant référence à deux notions déjà présentes dans notre législation : la stratégie de sécurité nationale, définie par le code de la défense, et les intérêts fondamentaux de la nation, définis par le code pénal.
Un autre visait à donner une protection pénale à nos agents lorsqu’ils agissent, dans le cadre de leurs missions, à l’étranger, sur le modèle de la protection offerte à nos soldats déployés en opérations extérieures, les OPEX. Il n’a pas été adopté par la commission des lois et j’espère que la nouvelle rédaction, plus précise, recueillera un avis favorable sur ces bancs.
Les agents de nos services sont, vous le rappeliez, monsieur le Premier ministre, des fonctionnaires dévoués qui agissent dans le cadre de la loi et il est naturel que les représentants de la nation soient soucieux de leur protection.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR et RRDP.
La parole est à Mme la présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la garde des sceaux, messieurs les ministres, chers collègues, je me joins, bien sûr, à tous ceux qui sont intervenus avant moi et considèrent que ce texte est bienvenu. En effet, soucieuse du respect des libertés individuelles et de la stricte application des procédures administratives, je ne pouvais qu’être inquiète de l’existence de pratiques au fondement légal parfois incertain. Si la gravité des infractions recherchées justifie sans doute des moyens d’investigation particuliers, l’État de droit ne peut que se manquer à lui-même s’il méconnaît ses obligations en termes de respect de la vie privée des citoyens.
Je veux donc remercier le Gouvernement pour avoir accepté de longue date une discussion sur le sujet complexe de l’équilibre entre l’étendue des moyens d’investigation et les garanties offertes aux citoyens. Je remercie aussi les administrations concernées. Même si nos relations sont faites de confiance mutuelle, la volonté commune d’arriver à des solutions utiles et d’intérêt général pour tous doit être signalée. Je relève aussi le rôle tout particulier qu’ont eu la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité et ses présidents successifs dans la prise de conscience de la nécessité de faire évoluer les modalités de contrôle des investigations, ainsi que celui de la délégation parlementaire au renseignement, qui a émis un avis favorable sur ce texte, et de l’ensemble de ses membres.
J’ai déjà dit que le travail sur ce texte a été entamé de longue date – d’autres l’ont précisé avant moi. D’une certaine façon, il poursuit la réflexion entamée par le Livre blanc, puis par la loi de programmation militaire et je me félicite que les bases de ce projet aient été posées avant les attentats de janvier 2015, contrairement à ce que l’on peut lire ou entendre. On peut ainsi affirmer que, même si ces événements et le contexte qui en résulte pèsent, le projet de loi ne constitue pas une réponse ponctuelle à l’événement, mais qu’il est plutôt le constat d’une évolution de la technique et des besoins depuis près de vingt-cinq ans.
Fondamentalement, le projet est une recherche d’équilibre entre la nécessité de renseigner et la protection du citoyen. Le président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité ne l’a pas dit autrement devant la commission de la défense : le projet de loi sera rapidement dépassé s’il parle uniquement de technique, c’est-à-dire s’il s’attache prioritairement à la question des moyens d’investigation. Le véritable enjeu est plutôt la qualité du contrôle qui s’exerce sur l’utilisation des moyens d’enquête. C’est pour cette raison que je me réjouis que les travaux en commission aient permis de préciser l’étendue et les modalités de ce contrôle.
À ce propos, j’ai constaté que, hors de notre assemblée comme en son sein, une confusion pouvait exister sur la nature du travail de la police administrative. Cette police n’a pas moins de légitimité que la police judiciaire et je suis étonnée du procès en illégitimité qui est fait au Conseil d’État, qui serait moins apte à défendre les libertés et à faire respecter la loi que d’autres instances. Une telle vision remet en cause les fondements mêmes de l’organisation de l’État. Je préfère y voir une incompréhension ou un simple emportement corporatiste que nos travaux, j’en suis certaine, permettront de dépasser.
M. Philippe Nauche, rapporteur pour avis, précisera la nature des débats en commission de la défense et les apports au texte. Je le remercie pour son travail.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.
J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.
La parole est à M. Éric Ciotti.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la garde des sceaux, messieurs les ministres, madame la présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur pour avis, au moment où nous entamons l’examen de ce projet de loi, nous savons tous que notre pays est confronté à une menace terroriste islamiste d’une intensité inégalée. Jamais cette menace n’a été aussi forte. La France représente une cible et, hélas, une cible privilégiée.
Les attentats perpétrés les 7, 8 et 9 janvier à Paris par les frères Kouachi et Amedy Coulibaly, ainsi que l’attentat de Nice, quelques jours plus tard, ont révélé tragiquement à nos compatriotes l’ampleur des risques auxquels notre démocratie doit faire face.
Les attaques terroristes se multiplient et ignorent les frontières.
La semaine dernière, TV5 Monde faisait l’objet d’une cyberattaque du groupe Cyber Califat ; à la mi-mars, l’attentat au musée du Bardo à Tunis causait la mort de dix-neuf personnes. Face à ce phénomène sans précédent, il est de notre devoir collectif, en tant que responsables de la majorité comme de l’opposition, de mieux protéger notre pays. Oui, c’est notre devoir ; oui, c’est notre responsabilité. C’est dans cet esprit que s’inscrira la position du groupe UMP.
La guerre contre le terrorisme nécessite de dépasser les clivages politiques et exige l’unité nationale. C’est la raison pour laquelle nous prendrons nos responsabilités en soutenant, de façon très majoritaire, ce projet de loi que naturellement, personnellement, je voterai, même si nous demandons au travers cette motion de renvoi en commission de le retravailler pour l’enrichir des propositions formulées par notre groupe.
Le 13 janvier, monsieur le Premier ministre, vous avez appelé ici même de vos voeux à un rassemblement et à l’unité de tous les Français face au terrorisme. Nous avons répondu à cet appel. Je ne peux toutefois que regretter que cet esprit du 11 janvier, exprimé par des millions de Français dans toutes les rues de France, n’ait pas toujours prévalu de votre côté.
Exclamations sur les bancs du groupe SRC.
Je ne rappellerai pas ici l’attitude indigne de certains au moment de l’affaire Merah. Je n’évoquerai pas plus l’attitude du candidat Hollande, qui n’avait pas souhaité soutenir le texte proposé par le président Sarkozy, le 11 avril 2012, juste après cette terrible affaire.
Exclamations sur les bancs du groupe SRC.
Nous, nous n’avons pas eu la même attitude !
Vous n’êtes pas comptable, monsieur le Premier ministre, de ces postures ou de ces indignités.
Exclamations sur les bancs du groupe SRC.
Je regrette néanmoins que les propositions de loi présentées il y a deux semaines par le groupe UMP aient été balayées d’un revers de la main.
Pourtant, tant la proposition de loi renforçant la légitime défense des policiers, que j’ai eu l’honneur de défendre au nom de mon groupe, que celle instaurant un crime d’indignité nationale pour les terroristes, portée par Philippe Meunier, méritaient d’être soutenues par le Gouvernement et par la majorité.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Dès lors, nous serions en droit de vous demander, monsieur le Premier ministre, ce que vous avez fait de cet esprit de rassemblement et d’unité exprimé le 11 janvier, lorsque vous repoussez avec force toutes nos propositions.
Nous regrettons également la méthode choisie par le Gouvernement : le morcellement des textes et leur étalement nous ont fait perdre beaucoup de temps, trop de temps, au détriment de la sécurité des Français.
Nous pouvons aujourd’hui nourrir le sentiment d’entretenir un retard permanent sur les avancées tragiques des terroristes islamistes.
Le texte que vous nous présentez est le troisième projet de loi de lutte contre le terrorisme depuis le début de mandat de François Hollande.
C’est un projet de loi sur le renseignement : ne faites pas semblant de l’ignorer !
Vous qui nous aviez tellement reproché d’avoir trop légiféré en la matière, vous en êtes aujourd’hui à votre troisième texte !
Le dernier a été publié au Journal officiel le 14 novembre dernier. Six mois après, nous sommes contraints de revenir devant le Parlement.
Le premier de cette législature, c’est vous, monsieur le Premier ministre, qui l’avez porté : vous étiez alors ministre de l’intérieur. Ce texte a été promulgué le 21 décembre 2012.
Je souligne que nous avons tous voté ces deux projets de loi, dans l’esprit que je rappelais tout à l’heure, même si, chaque fois, nous avons souligné leurs insuffisances et vous avons mis en garde sur les lacunes qu’ils contenaient et sur la nécessité qu’il y aurait, de ce fait, à légiférer à nouveau.
L’accélération des départs vers la zone syro-irakienne a commencé, vous le savez, monsieur le Premier ministre, dès la fin de l’année 2012. Or ce n’est qu’au printemps 2014, en avril très précisément, que le Gouvernement a adopté un plan anti-djihad. Que de temps perdu ! Nos voisins européens n’ont pas souffert du même attentisme.
Notre conviction est que toute réforme demeurera imparfaite tant que la lutte contre le terrorisme ne sera pas abordée de façon globale. La guerre contre le terrorisme – oui, la guerre, mes chers collègues, car nous sommes en guerre ! –, exige une action sur tous les fronts.
La France a besoin d’une véritable loi-cadre et d’une vraie loi de programmation budgétaire,…
…et pas simplement d’engagements pluriannuels flous, monsieur le Premier ministre ! Or, vous n’abordez ici que le volet renseignement.
Monsieur Rihan Cypel, s’il vous plaît ! Permettez que l’on écoute l’orateur !
Cette approche est certes indispensable mais elle demeure insuffisante. Vous omettez notamment le volet judiciaire, sans lequel les avancées de votre texte pourraient se révéler totalement inutiles. Pourtant, bien avant les attaques de janvier dernier, les députés de l’opposition et tous les spécialistes des questions de terrorisme vous alertaient, vous mettaient en garde sur l’inadéquation de notre arsenal juridique et sur la nécessité d’adopter enfin une grande loi d’envergure embrassant toutes les problématiques liées au terrorisme, de la prévention au renseignement jusqu’à la sanction judiciaire.
En septembre, je disais à cette tribune, dans le même cadre, au nom du groupe UMP, que la question n’était pas de savoir si nous allions faire l’objet d’une attaque, mais quand celle-ci aurait lieu. Malheureusement, les attentats de janvier sont venus confirmer nos craintes.
Le risque est de taille. Vous avez rappelé les chiffres, monsieur le Premier ministre : en mars 2015, nos services de renseignement ont recensé près de 1 500 ressortissants français concernés par le départ vers les zones de combat syro-irakiennes – 1 496 très exactement, même si la commissaire européenne à la justice a évoqué aujourd’hui des chiffres plus importants : je ne sais pas quelles sont ses sources. Aujourd’hui, 423 se trouvent effectivement dans les zones de combat, dont 123 femmes et 8 mineurs combattants ; 267 ressortissants français auraient quitté les zones de combat, dont 202 auraient regagné notre pays.
Parmi ces quelque 200 individus, au minimum, certains n’ont qu’un seul objectif : commettre un acte terroriste sur notre territoire et s’attaquer à des innocents. Les services évaluent le nombre de projets de départ à plus de 400 – et encore ne s’agit-il que des chiffres officiels : nous savons très bien que cette réalité statistique est très loin de recouvrir la réalité du phénomène.
La commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes,…
…que j’ai l’honneur de présider, et dont le rapporteur est M. Mennucci, que j’appelle au calme,…
…a procédé à de nombreuses auditions et nous avons pu constater que les lacunes de notre droit comme les déficiences en moyens sont aujourd’hui, hélas, manifestes.
Nous espérons, monsieur le Premier ministre, que le Gouvernement et la majorité sauront entendre nos observations afin d’améliorer ce texte. Dans l’esprit constructif que j’ai rappelé au début de mon propos…
…en disant très clairement que je soutiendrais ce texte et que je le voterais (Exclamations sur les bancs du groupe SRC),…
Soyez calmes, mes chers collègues !
Nous avons déposé une série d’amendements permettant d’améliorer ce projet de loi. J’espère que vous serez prêts à accepter nos propositions.
Ce texte propose un cadre légal à des activités de renseignement qui, il faut bien le reconnaître, sont déjà existantes pour beaucoup d’entre elles et jusqu’alors peu encadrées, afin de mieux détecter et prévenir la menace dans un cadre administratif.
À ceux qui formulent des critiques injustifiées contre ce texte parce qu’il n’y a pas d’intervention du juge judiciaire, je rappelle qu’il existe une distinction fondamentale entre ce qui relève de la police administrative, qui vise à détecter la menace, et ce qui relève de l’action judiciaire, qui vise à la sanctionner.
Permettez-moi à ce titre de rendre un hommage appuyé et solennel à l’ensemble de ces hommes et de ces femmes. Vous rappeliez tout à l’heure, monsieur le Premier ministre, les risques qu’ils prennent mais aussi les critiques dont ils font l’objet. Dans la plus grande discrétion, ils sont engagés, parfois au péril de leur vie, dans cette lutte implacable contre le terrorisme, pour la sécurité de tous nos concitoyens.
Certains dans cette assemblée voudraient, cet après-midi encore, opposer de façon caricaturale liberté et sécurité.
Je récuse personnellement ce raisonnement car, pour moi, liberté et sécurité vont de pair : sans sécurité, il n’y a pas de liberté possible.
Qui est aujourd’hui l’ennemi de la liberté ? Le terroriste ou le service de renseignement ? Ne soyons pas naïfs car cela laisserait un avantage décisif aux terroristes et à ceux qui se transforment en véritables bombes humaines – vous rappeliez tout à l’heure les attentats suicides commis en Syrie par sept ressortissants français.
Ayons confiance dans la force de notre démocratie ! Je ne crois pas que l’on puisse me soupçonner de complaisance à l’égard du Gouvernement que vous dirigez,…
…et pourtant j’ai confiance dans la force de la démocratie républicaine que tous, ici, nous exprimons. Oui, nous devons avoir confiance dans cette démocratie, ne pas soulever de risques fictifs, éloignés de la réalité. Regardons la vraie menace en face : elle n’est pas fictive !
Il est certes exact que les techniques de recueil de renseignements prévues par le projet de loi seraient susceptibles de porter atteinte à la vie privée et familiale, à l’inviolabilité du domicile et au secret des correspondances des personnes surveillées.
Mais ces restrictions aux libertés fondamentales seront strictement encadrées. Le rôle de l’État et de la représentation nationale est justement de concilier ces droits fondamentaux que sont la sécurité et la liberté. Rappelons que la sauvegarde de l’ordre public constitue, selon le Conseil constitutionnel, un objectif de valeur constitutionnelle, qui autorise que des limitations soient apportées à l’exercice de libertés fondamentales. Il est dans ce cadre parfaitement et totalement inexact d’affirmer que les mesures proposées ne sont pas conformes au respect des libertés fondamentales.
Ce projet de loi apparaît équilibré. Il prévoit un contrôle administratif indépendant, grâce à la création de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, autorité administrative indépendante dans laquelle siégeront quatre magistrats de l’ordre judiciaire et de l’ordre administratif. Son rôle sera d’émettre un avis préalable à toute autorisation de mise en oeuvre d’une technique de renseignement par le Premier ministre.
Le projet de loi prévoit également un contrôle juridictionnel confié au Conseil d’État. Il pourra être saisi par un particulier ou par la CNCTR si elle estime que les suites données à ses recommandations ne sont pas satisfaisantes.
Si une irrégularité est constatée, le Conseil d’État pourra annuler les autorisations de procéder aux techniques de renseignement, ordonner que les requérants soient indemnisés et que les données collectées soient détruites, vous l’avez dit monsieur le Premier ministre.
Ce projet de loi offre donc, pour nous, dans le contexte que j’ai évoqué et dans le cadre qui a été rappelé, des outils utiles, pertinents, aux services de renseignement. Interceptions de sécurité, accès administratif aux données de connexion, captation, transmission et enregistrement de sons, d’images et de données informatiques, géolocalisation en temps réel de personnes ou de véhicules, détection de signaux faibles par la pose de boîtes noires chez les opérateurs : autant de mesures qui sont réclamées de longue date par nos services.
Notre commission des lois, monsieur le président Urvoas, a amélioré le texte. Les députés ont opportunément élargi les finalités que pourront invoquer les services de renseignement pour recourir à ces techniques de surveillance.
La commission des lois a également adopté un amendement permettant au Gouvernement d’autoriser des services dépendant du ministère de la justice, comme le renseignement pénitentiaire, et manifestement contre l’avis de Mme la garde des sceaux, à recourir aux techniques de recueil du renseignement prévues par le projet de loi.
Dans ce qu’il contient – je dis bien : dans ce qu’il contient –, ce texte comporte donc des avancées positives mais il est marqué aussi par de grands vides. Nous considérons que d’autres sujets que le renseignement devraient y figurer.
Sur la prévention de la menace, d’abord : dans les camps, les combattants volontaires reçoivent une formation paramilitaire et idéologique. Cette formation leur donne les moyens concrets d’une action violente à leur retour dans notre pays. Notre arsenal législatif est insuffisant pour faire face à cette menace et à ces individus qui présentent des risques graves de radicalisation. Ainsi, lorsque qu’une personne revenant du djihad est manifestement susceptible de porter atteinte à la sécurité publique, à l’ordre public, à la sauvegarde des intérêts supérieurs de notre nation lors de son retour en France, il me paraît essentiel de pouvoir la placer dans des centres de rétention pluridisciplinaires afin qu’elle y suive un programme de déradicalisation.
La procédure de placement dans ces centres pourrait utilement se rapprocher de celle de l’hospitalisation sous contrainte, c’est-à-dire d’une procédure placée sous le contrôle du juge judiciaire. J’ai déposé un amendement dans ce sens mais celui-ci a été repoussé au titre de l’article 40. Je vous demande solennellement, monsieur le Premier ministre, de prendre vos responsabilités et de mettre en place ces structures avant que de nouveaux drames ne surviennent sur le territoire national.
Se pose également la question du retour en France des individus binationaux qui sont partis faire le djihad sur les territoires irakien ou syrien. Quelle va être leur attitude lorsqu’ils vont rentrer en France ? Ces individus, nous le savons, représentent un risque manifeste pour notre pays. Ils mettent gravement en danger la sécurité de nos concitoyens. Devons-nous attendre un passage à l’acte et la mise en application des actes de barbarie enseignés en Syrie pour les neutraliser ? Lorsque ces individus sont binationaux, il est légitime qu’on leur refuse l’accès à notre territoire.
Le Royaume-Uni vient d’ailleurs d’adopter le Counter-Terrorism and Security Act qui empêche le retour sur le sol britannique de terroristes venant des zones de combat. Et nous serons d’ailleurs ensemble à Londres, monsieur Menucci, pour nous en rendre compte, lundi et mardi prochains.
L’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme nous offre cette possibilité : « En cas de guerre ou en cas d’autre danger public menaçant la vie de la nation », précise-t-il, un État signataire « peut prendre des mesures dérogeant aux obligations prévues » par la convention.
Nous voulons également poser des questions sur le nécessaire volet judiciaire de la lutte contre le terrorisme.
Dans ce débat, depuis le mois de janvier, vous avez été bien absente, madame la garde des sceaux.
Exclamations sur les bancs du groupe SRC.
Nous vous avons très peu entendue, si ce n’est par allusion : certaines voix qui semblent parler en votre nom soulignent que vous seriez opposée à ce texte, mais nous attendions de votre part, de la part de la garde des sceaux, l’expression forte d’une volonté judiciaire en vue de mieux combattre le terrorisme, de mieux le sanctionner, de mieux le prévenir, notamment par une politique pénitentiaire radicalement différente de celle que vous conduisez aujourd’hui.
Il n’y a rien de tel dans ce texte et c’est cette lacune fondamentale que nous voulons dénoncer.
La lutte contre le terrorisme, mes chers collègues, repose sur deux piliers : le renseignement mais aussi sa prise en compte par l’autorité judiciaire.
Or le texte que vous nous présentez ne contient aucune mesure pour la justice.
Les avancées de cette loi se révéleront donc inutiles si la chaîne pénale ne suit pas. Grâce aux amendements adoptés en commission, le bureau du renseignement pénitentiaire va pouvoir bénéficier, si le décret en Conseil d’État en dispose ainsi, de l’usage des techniques prévues par le texte dont nous débattons. C’est une avancée importante : dans sa version initiale, le projet de loi prévoyait que cette possibilité n’était ouverte qu’à vos services, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le ministre de la défense, ainsi qu’à ceux des ministres chargés de l’économie, du budget et des douanes.
Je tiens à souligner que cette avancée était consensuelle, avec une alliance quelque peu inédite, il faut en convenir : un amendement déposé par M. Cavard et, plus logiquement, un amendement déposé par notre collègue Guillaume Larrivé, qui ont été approuvés par le rapporteur, comme quoi l’unité nationale peut parfois s’exprimer. Le Gouvernement s’y est opposé en commission ; j’espère qu’il en comprend désormais la nécessité et qu’il reviendra sur sa position dans notre hémicycle.
Parallèlement, nous devons nous attaquer de toutes nos forces à la radicalisation en prison. Dans bien des cas, on l’a vu pour Coulibaly et pour les frères Kouachi, le séjour en prison a constitué l’antichambre du passage à l’acte.
Monsieur le Premier ministre, le 13 janvier, vous avez souligné que les phénomènes de radicalisation se développaient en prison. Malgré les nombreuses réclamations du personnel pénitentiaire, pourquoi refusez-vous toujours de modifier l’article 57 de la loi pénitentiaire, relative aux fouilles en prison ?
Selon la directrice de l’administration pénitentiaire, auditionnée par la commission d’enquête, 27 500 téléphones portables ont été saisis en prison en 2014. J’appelle votre attention, chers collègues, sur ce nombre : 27 500 portables, trois fois plus qu’en 2010. Mme Gorce déplorait un « véritable fléau ».
Vous parlez de « fléau », mais encore faut-il avoir la volonté d’y faire face et ce ne sont pas les brouilleurs que vous proposez, madame la garde des sceaux, qui apporteront la réponse, puisque vous-même, devant notre commission, vous nous avez indiqué, de façon pertinente au demeurant,…
Est-ce possible ?
…leur faiblesse technique, puisqu’ils sont impossibles à mettre en oeuvre dans le cadre pénitentiaire.
Oui, c’est possible, madame la garde des sceaux.
De plus, et nous l’avions déjà réclamé à l’automne dernier lors de l’examen du projet de loi de lutte contre le terrorisme, il est nécessaire d’isoler les détenus radicalisés des autres détenus, afin d’éviter tout prosélytisme.
Enfin, certains détenus continuent de présenter, à l’issue de leur peine de prison, un danger manifeste. Là encore, nous devons protéger nos concitoyens et là encore, je vous propose d’étendre les hypothèses de placement en rétention de sûreté
« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC
créées par la précédente majorité.
Enfin, autre grande absente de votre projet de loi : la question du croisement des fichiers, pourtant clé dans cette lutte contre le terrorisme. J’ai noté tout à l’heure en commission des lois, à travers la mauvaise humeur de notre rapporteur qui a donné un avis défavorable, que vous aviez introduit à la dernière minute un amendement sur les fichiers. Nous l’examinerons, mais je veux souligner que cette question est essentielle.
Monsieur le ministre de l’intérieur, lors de votre audition par la commission d’enquête, vous disiez qu’à l’avenir, « nous devrons aller plus loin en matière de croisement de fichiers ; beaucoup d’événements sont intervenus depuis 2010 ». Vous indiquiez, je vous cite : « L’enseignement que je tire des événements récents est que nous devons absolument assurer la fluidité de la circulation des informations entre les services et croiser les analyses. Nous proposerons une organisation permettant d’atteindre cet objectif. »
Quant à vous, monsieur le Premier ministre, vous avez dit le 13 janvier : « J’ai demandé aux ministres de l’intérieur et de la justice d’étudier les conditions juridiques de mise en place d’un nouveau fichier. » Près de trois mois se sont écoulés. Où en sommes-nous ? Nous attendons des réponses. Je constate, là encore, que malgré ces affirmations, votre projet de loi était bien silencieux, avant le dépôt de cet amendement.
Les services concernés sont unanimes : pour mener à bien leurs missions, l’interconnexion des fichiers est indispensable. Comment les services de renseignement peuvent-ils mener efficacement leurs missions s’ils ne sont pas habilités à accéder au contenu de certains fichiers ? Je pense en particulier au fichier des antécédents judiciaires ou aux bases de données utilisées par le renseignement de proximité. Notre droit doit être en la matière adapté, mais s’en tenir à des mesures purement nationales serait inefficace. Je ne reviendrai pas sur la nécessité de renforcer la collaboration avec nos partenaires européens, mais le projet de loi aurait pu l’évoquer.
Nous avons à maintes reprises évoqué la question du Passenger Name Record ou PNR. Il faut enfin que ce dossier avance. Il faut également que la coopération, à l’échelle de la justice ou de la police, devienne une réalité au niveau européen. De nombreux outils pourraient en effet être utilisés à l’échelle de l’Union européenne : je pense à la mise en place d’un parquet européen aux compétences élargies, au renforcement du contrôle des frontières extérieures et du système d’information de l’espace Schengen, au renforcement de la coopération policière européenne, ou encore à une lutte coordonnée contre les sites internet. Si nous voulons être efficaces, monsieur le Premier ministre, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, nous devons intervenir sur tous les fronts.
Monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, la barbarie de l’État islamique qui règne au Moyen-Orient a hélas gagné notre territoire national. Je le redis, nous sommes en guerre. L’État islamique, tout comme ses concurrents sur le marché de l’horreur, sont plus que jamais déterminés à marquer le monde de leur empreinte barbare. Le risque zéro n’existera jamais, nous devons en convenir ensemble lucidement, mais nous devons aussi dire aux Français notre détermination à montrer clairement une réaction unitaire, à la hauteur des risques, de la menace et des enjeux. Notre détermination doit être encore plus forte que celle de ces barbares contemporains.
Dans un esprit de rassemblement et d’unité nationale face au terrorisme, nous souhaitons donc que nos remarques et que nos contributions puissent être entendues et débattues, pour améliorer encore ce texte, car il y va de la sécurité nationale. C’est l’objet, mes chers collègues, de cette motion de renvoi en commission que j’ai eu l’honneur de défendre au nom du groupe UMP.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Je souhaite répondre à M. Ciotti, avant que ne s’expriment les orateurs des groupes. Après cette motion, se tiendra la discussion générale de ce texte qui, je n’en doute pas, va être enrichi par le travail parlementaire, à l’Assemblée nationale puis au Sénat.
Nous pouvons nous retrouver, monsieur Ciotti, sur le diagnostic, c’est-à-dire sur l’ampleur de la menace. Je vous renvoie aux propos que je viens de tenir, mais aussi à ce que le ministre de l’intérieur a pu dire au long de ces derniers mois, notamment lors de l’examen de la deuxième loi antiterroriste, ou, il y a un peu plus longtemps, à discussions que nous avons eues à la fin de l’année 2012, quand j’étais ministre de l’intérieur, sur la première loi antiterroriste.
Nous nous retrouvons donc, disais-je, sur le diagnostic, sur l’ampleur de cette menace et sur son caractère durable. Elle doit mobiliser l’ensemble de nos services – police, gendarmerie, services de renseignement – mais aussi, de manière plus générale, l’ensemble de notre société.
C’est la première fois que nous faisons face à ce type de menace – non pas la menace terroriste en tant que telle car ce n’est pas la première fois que nous sommes en guerre contre le terrorisme, pour reprendre une expression que j’avais déjà utilisée, ou le djihadisme, l’islamisme radical et contre ceux qui s’attaquent aux valeurs fondamentales de notre pays ou d’autres, je l’ai rappelé tout à l’heure – à la fois extérieure et intérieure, avec notamment ces Français ou ces personnes qui résident en France et qui partent combattre en Syrie ou en Irak puis qui, ensuite – ils l’ont déjà fait – peuvent se retourner contre nous.
Parfois, ils n’ont d’ailleurs pas même besoin de partir ni de passer par la case prison puisqu’ils se convertissent à l’islamisme radical d’une manière extrêmement rapide par l’intermédiaire d’internet.
Nous avons déjà évoqué ces sujets-là, sur lesquels nous ne raisonnons pas différemment. Il n’y a donc aucun faux débat à nourrir entre nous.
Je n’en doute pas un seul instant, nous pouvons nous retrouver aussi sur le lien entre sécurité et liberté, bien évidemment. La sécurité est la première des libertés et, en même temps, nous devons préserver nos libertés fondamentales dont les terroristes, précisément, attendent que nous les remettions en cause. Ils veulent créer les conditions d’une rupture et d’un affrontement au sein de notre société.
Nous devons donc être beaucoup plus forts qu’eux et c’est pourquoi, je le répète – j’ai eu l’occasion de le dire ici même le 13 janvier –, contrairement à ce qui s’est passé aux États-Unis après le drame du 11 septembre 2001, même si nous ne sommes pas là pour donner des leçons, nous ne prendrons pas de mesures d’exceptions mais nous répondrons bien entendu d’une manière exceptionnelle à travers les mesures que nous avons précisément annoncées au mois de janvier avec les ministres concernés, Bernard Cazeneuve, Jean-Yves Le Drian et Christiane Taubira à la suite d’un conseil des ministres présidé par le chef de l’État.
Je ne vous demande pas de vous montrer complaisants à l’endroit du Gouvernement mais je crois que nous pouvons tous nous retrouver autour des idées de rassemblement et d’unité.
Où je ne peux pas vous suivre, en revanche, et je le dis très tranquillement, c’est lorsque vous soutenez que nous avons perdu du temps.
Soit nous sommes dans l’unité nationale, soit nous ne le sommes pas.
Le texte est là, des amendements ont été déposés et des critiques formulées, tel est le rôle du Parlement. Dès lors que vous annoncez votre soutien à ce texte, j’ai du mal à comprendre pourquoi vous portez concomitamment une telle accusation.
Lorsque j’étais ministre de l’intérieur, nous avons présenté un texte pour lutter contre le terrorisme qui résultait bien évidemment du travail du Parlement, lequel avait commencé après les événements de Montauban et de Toulouse.
Je ne comprends même pas votre référence à la position de l’actuel Président de la République, surtout au mois d’avril 2012, car nous nous sommes appuyés sur les travaux qui avaient été engagés à l’époque par François Fillon. Nous sommes en effet partis des constats et des leçons que, les uns et les autres, nous avons tirés des attentats de Toulouse et de Montauban, notamment quant à ce que nous pouvions changer profondément dans l’organisation verticale ou horizontale de nos services tout comme dans celle de la police et de la gendarmerie. C’est ainsi qu’a été présentée la loi antiterroriste de fin 2012.
Face aux nouvelles techniques utilisées par les terroristes, il est d’ailleurs assez normal et logique, comme nous l’avions annoncé à la fin de 2012, que la loi change, évolue, s’adapte. Tel a été le sens du texte présenté par Bernard Cazeneuve il y a quelques mois qui, là aussi, a été adopté à une très large majorité.
Le phénomène des djihadistes, constaté dès l’été de 2012, m’a conduit à prononcer des paroles extrêmement claires, qui m’ont d’ailleurs parfois été reprochées, concernant les notions d’ennemis extérieurs et intérieurs.
Nous sentions bien, en effet, la montée en puissance de ce phénomène concomitamment à la guerre terrible en Syrie et aux événements que nous connaissons en Irak.
Chaque fois, nous avons apporté des réponses et, surtout, des moyens.
Ce fut une des leçons du rapport parlementaire que j’ai évoqué : nous avons changé le périmètre de la Direction centrale du renseignement intérieur en la transformant en Direction générale de la sécurité intérieure. Nous avons tiré les leçons des failles ou des problèmes qui ont été constatés dans le passé, y compris à la suite de la disparition des renseignements généraux, en renforçant les moyens du renseignement territorial.
Moi aussi, je pourrais faire état de ce qui s’est passé auparavant et pointer les pertes de temps.
Nous avons renforcé les moyens humains, techniques et financiers de la Direction générale de la sécurité extérieure et de la DGSI : 532 postes ont été programmés et 800 de plus en incluant le Service central du renseignement territorial, le SCRT.
Monsieur Ciotti, je pourrais aussi vous rappeler le nombre de postes qui ont été supprimés entre 2007 et 2012 dans la police et la gendarmerie, ce qui a touché de plein fouet la DCRI et le renseignement territorial.
Mais je n’ai pas envie de polémiquer de la sorte parce que, précisément, cela nous affaiblit.
Nous avons tiré les leçons pour donner davantage de moyens techniques, budgétaires et humains aux services, et pas seulement dans le domaine de la sécurité car ils ont aussi besoin de différents spécialistes.
Nous n’avons donc pas perdu de temps. Il n’en reste pas moins vrai que la menace est là et qu’elle est durable. Ce terrorisme change en permanence et s’adapte. Telle est sa force et, pour reprendre votre mot, nous devons en effet faire preuve d’une plus grande détermination en nous adaptant nous-mêmes à chaque fois à cette réalité liée aussi à la situation géopolitique, laquelle ne cesse d’évoluer – je pense, par exemple, à ce qui est en train de se passer en Libye, si vous voyez ce dont je veux parler, et qui est particulièrement inquiétant puisque Daech s’implante aujourd’hui dans ce pays totalement désorganisé.
Dès l’automne 2012 – Bernard Cazeneuve a ensuite, bien entendu, poursuivi et amplifié ce travail –, nous avons accru la coopération entre pays européens, qui était à ce moment-là très faible.
Il ne suffit d’ailleurs pas de proclamer qu’il faut faire voter le PNR : il faut y arriver ! J’espère que, cette fois-ci, nous avons convaincu une majorité de parlementaires sur tous les bancs de voter en faveur de la création de cet outil de surveillance indispensable pour lutter contre le terrorisme. Tel est notre engagement. Ne cherchons donc pas de faux débats où il n’y en a pas et où nous pouvons nous retrouver, ici même comme au Parlement européen !
Honnêtement, lorsque l’on s’avise du nombre de pays qui ont été frappés par le terrorisme ou qui sont sous sa menace – la Grande-Bretagne, que vous citez, la Belgique, l’Allemagne, l’Espagne, il y a encore quelques jours où une cellule a été démantelée à Barcelone alors qu’elle s’apprêtait non seulement à poursuivre l’embrigadement de djihadistes, mais aussi, sans doute, à frapper nos amis espagnols –, nous constatons que tous ont dû s’adapter et qu’il a fallu échanger sur les pratiques en vigueur, y compris dans notre pays.
Nous-mêmes nous sommes inspirés des méthodes dites de contre-radicalisation et de mobilisation des familles, y compris de celles dont la culture n’est parfois pas la nôtre sur ces questions.
Ne cherchons donc pas de faux débats où il n’y en a pas.
Le fait est que nous devons nous adapter en permanence.
Regardez le pays qui a été frappé de plein fouet au mois de septembre 2001, à New York et à Washington, dans les conditions dramatiques que nous connaissons tous. Lui aussi a dû faire face de nouveau à des épisodes terroristes à Boston, voilà peu de temps. Sur ces questions-là, il est donc très difficile de donner des leçons. Nous travaillons en bonne intelligence avec le Parlement, en observant ce qui se passe ailleurs, afin de trouver les meilleures solutions. Alors, continuons de la sorte !
Encore une fois, car j’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer longuement et souvent, lors de telle ou telle interpellation pendant les questions au Gouvernement, j’ai présenté ce texte alors qu’il n’y avait pas eu de loi sur le renseignement depuis 1991.
À ce propos, monsieur Ciotti, vous avez fait une confusion : il existe deux lois antiterroristes – s’il en faut une troisième, il y en aura une troisième parce qu’il faut s’adapter en permanence –, mais celle dont nous discutons n’en relève pas.
Cette loi sur le renseignement vient de loin, notamment du travail réalisé par Jean-Jacques Urvoas et son collègue Patrice Verchère.
Je l’ai dit aussi à la tribune : j’avais moi-même été interpellé directement par les directeurs des services extérieurs et intérieurs me demandant une telle loi qui permet aussi de protéger le travail de nos agents, que nous avons tous salué.
Je pourrais même vous dire que c’est toujours avec la gauche ou, en tout cas, une majorité de gauche qu’une loi sur le renseignement est votée.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Si je voulais alimenter une discussion que je crois inutile, je vous demanderais ce que vous avez fait, monsieur Ciotti, depuis 1991.
À l’époque, pour des raisons culturelles que Jean-Jacques Urvoas a très bien rappelées, cela n’avait pas été facile pour le Premier ministre Michel Rocard, que je connais bien, de convaincre François Mitterrand de légiférer dans ce domaine.
S’agissant des services secrets, il régnait précisément une culture du secret. Rappelez-vous d’ailleurs de ce mot de François Mitterrand, qui a fait l’objet d’un livre de Michel Rocard ensuite : « Si ça vous amuse, faites cette loi ! »
Eh bien, la loi de 1991 est particulièrement importante. Quelques années après, une loi qui, une fois encore, n’était pas évidente pour des raisons culturelles, se trouve au coeur des débats du Parlement et de la société. Cette loi que je viens de présenter – il me semble important que le Premier ministre s’engage lui-même – est celle de tout le Gouvernement. Sur cette question, monsieur Ciotti, vous n’enfoncerez pas un coin entre ses membres. La garde des sceaux, Bernard Cazeneuve et Jean-Yves Le Drian ont préparé ce texte ensemble, dans des conditions de dialogue interministériel et parlementaire de très grande qualité.
La garde des sceaux, comme ses collègues, vous le savez parfaitement, a participé aux débats en commission. Encore une fois, je tiens à lui dire toute ma confiance, sur cette question comme sur toutes les autres, parce que j’en ai assez que la même personne soit mise en cause en permanence, dans un jeu de rôles sans intérêt.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.
Dans le débat public, je trouve plutôt bien que la garde des sceaux, contrairement à certains de ses prédécesseurs, ne s’exprime pas en permanence sur tel ou tel sujet alors qu’elle est la garante des libertés fondamentales.
Je salue donc le rôle que joue garde des sceaux !
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Nous allons discuter d’une question qui n’est pas nouvelle – l’équilibre entre liberté et sécurité – et le fruit du travail que nous vous présentons est au coeur du débat qui a été mené par le Gouvernement, dont je suis quant à moi le garant de l’unité, de la cohésion et de la cohérence. Ne lisez pas les gazettes : observez uniquement le rôle du Gouvernement et la nature de ce texte. C’est cela qui me paraît essentiel et c’est cela qui intéresse les Français !
Vous avez posé beaucoup de questions, monsieur Ciotti, et vous avez formulé un certain nombre de propositions que nous examinerons évidemment, en faisant preuve d’ouverture d’esprit. Je souhaite en effet que la détermination que vous avez rappelée soit partagée par une très large partie du Parlement…
…et, d’une manière plus large, par l’opinion. Lorsque l’on écoute nos compatriotes, il me semble qu’ils sont parfois prêts à aller encore plus loin sur un certain nombre de sujets parce qu’ils ont parfaitement compris, mieux que certains, la menace à laquelle nous sommes confrontés.
En tout cas, pas de faux débats ! Avançons sur le fond, c’est cela, l’exigence du 11 janvier. À cet égard, et j’en termine par là, monsieur Ciotti, oui, il y a bien une exigence – je ne sais pas s’il s’agit d’un esprit – du 11 janvier : que nous soyons, les uns et les autres, à la hauteur de ce que nous demandent les Français. Pas de faux débats, pas de fausses polémiques, pas de divisions inutiles et stériles mais un rassemblement et une unité pour une seule chose : l’efficacité dans la lutte contre le terrorisme !
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.
Autant ce texte est singulier parce qu’il est présenté par le Premier ministre et que quatre ministres sont présents sur ces bancs,…
…ce qui n’est pas si courant pour examiner un projet de loi, autant il existe des figures de style, en l’occurrence la motion de renvoi en commission. Il s’agissait d’ailleurs, en réalité, d’un résumé des différentes propositions de loi que le groupe UMP a eu l’occasion de déposer,…
…et dont le lien avec le présent texte était assez éloigné.
J’ai noté qu’Éric Ciotti a tenu quinze minutes avant d’attaquer la garde des sceaux…
Rires et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
L’exercice était donc assez habituel et M. Ciotti n’a pas forcé son talent. Il s’est toutefois un peu contredit puisqu’il nous reproche de perdre du temps, alors même que le renvoi en commission ne nous en ferait pas gagner.
Sourires.
Il défendra des amendements sur lesquels il ne sera pas surpris d’entendre des avis défavorables – créer des zones de rétention pour des personnes qui reviennent de conflits, modifier la composition du fichier des personnes recherchées, interdire le retour sur le territoire des binationaux, tout cela n’a qu’un lien très éloigné avec un texte sur le renseignement.
Bref, je préfère en rester au soutien au texte évoqué par Éric Ciotti plutôt que de me concentrer sur le reste de ses propos. Comme nous allons rejeter cette motion, cela lui permettra d’en venir au coeur du sujet, donc d’approuver le projet qu’il a lui-même soutenu !
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Nous en venons aux explications de vote.
La parole est à M. Jean-Jacques Candelier, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Monsieur le Premier ministre, madame la garde des sceaux, messieurs les ministres, chers collègues, la complexité de ce projet de loi et la nature même des activités de renseignement méritent un débat de fond. Rassurez-vous, je ne me livrerai pas à un réquisitoire ! Toutefois, les députés du Front de gauche déplorent le recours à la procédure accélérée.
Pourquoi y recourir sur ce texte très technique ? Un mois seulement sépare la présentation du projet de loi en conseil des ministres et son examen aujourd’hui.
Un tel projet mérite, par respect pour le peuple, que nous représentons, un examen réellement apaisé et approfondi. D’autant plus qu’une question fondamentale est posée : celle de la protection des libertés publiques…
…de nos concitoyens. Tout l’enjeu consiste à concilier la nécessité d’assurer la sécurité et le devoir de préserver les droits et libertés. Dans un pays qui se dit pays des droits de l’homme, qui se targue d’accorder la liberté de penser, de s’informer et de se défendre à ses citoyens, peut-on réellement imaginer la mise en place d’un tel système de renseignement ? Peut-on laisser s’instaurer en France la peur de critiquer, de commenter, de s’informer, sous peine d’être ensuite écouté et fiché ?
« L’adversaire d’une vraie liberté est un désir excessif de sécurité », disait Jean de La Fontaine. Benjamin Franklin disait aussi que : « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux ».
Un renvoi du texte en commission nous paraît donc utile, même si ce n’est pas pour les mêmes raisons que M. Ciotti, et nous voterons donc cette motion de renvoi.
La parole est à M. Pascal Popelin, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Moi aussi, j’avoue que j’ai un peu de mal à comprendre la démarche qui vous a conduit à déposer cette motion de renvoi en commission, monsieur Ciotti. En effet, vous avez plutôt dit beaucoup de bien de ce texte, ce qui n’est pas habituel dans ce genre d’exercice.
Vous avez indiqué que vous alliez voter ce projet de loi, mais vous ne voulez pas le faire tout de suite. Il y a, monsieur Ciotti, une forme de paradoxe à écumer les plateaux de télévision en répétant en boucle que le Gouvernement ne va pas assez vite et assez fort – vous avez vous-même parlé de retard ou de temps perdu tout à l’heure – et à demander le renvoi de ce texte en commission – Jean-Jacques Urvoas l’a noté avant moi.
Vous conviendrez en effet qu’en faisant droit à votre demande de renvoi en commission, nous ne hâterions pas l’application de dispositions que vous jugez par ailleurs urgentes.
Sourires.
Je crains que cette motion, que vous avez eu bien du mal à justifier à la tribune, ne fasse que répondre à une commande politique de la rue de Vaugirard…
…où l’on préconise une opposition frontale, bien éloignée de ce fameux esprit du 11 janvier, dont vous vous êtes vous-même réclamé tout à l’heure. Cette motion m’apparaît comme un nouvel épisode du procès continuel que vous vous efforcez d’instruire, sans charge, contre l’action du Gouvernement, de manière tout aussi permanente que caricaturale…
…dès qu’il s’agit de sécurité. Et j’ai l’impression, de surcroît, que la présence de la garde des sceaux vous rend tout fous.
Afin de ne pas nous écarter de la volonté de rassemblement qui a prévalu durant l’examen de ce texte en commission, nous oublierons rapidement ce petit intermède en forme de diversion et nous voterons naturellement contre cette motion, ce qui nous permettra de nous remettre le plus rapidement possible au travail et à l’examen de ce texte.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
La parole est à M. Bruno Le Maire, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame et messieurs les ministres, je ferai d’abord une petite remarque sur cette question d’union nationale, de concorde et d’esprit du 11 janvier.
Je ne suis pas certain, monsieur le Premier ministre, que la référence à François Mitterrand, alors que nous débattons d’un texte sur les écoutes téléphoniques, soit de nature à favoriser l’union et la concorde nationales.
Exclamations sur les bancs du groupe SRC.
C’est précisément ce que j’ai dit ! Vous ne m’avez pas écouté !
Ce texte sur le renseignement, ensuite, est-il nécessaire ? Oui, monsieur le Premier ministre, nous avons besoin d’un projet de loi sur le renseignement. Ce texte est utile et nécessaire, parce qu’il permet de donner un cadre légal à des activités administratives qui, jusqu’à présent, ne disposaient pas du cadre légal nécessaire. Il est utile, parce qu’il permet de renforcer les moyens des autorités administratives dans la lutte contre le terrorisme, laquelle, comme chacun d’entre vous l’a dit sur les bancs de cette assemblée, est une nécessité absolue.
Mais il faut que les choses soient claires, monsieur le Premier ministre : l’objet de notre débat n’est pas de savoir s’il faut être pour ou contre le renforcement des moyens de lutte contre le terrorisme. Nous sommes tous totalement mobilisés dans la lutte contre le terrorisme. Nous sommes tous déterminés à doter la République des moyens les plus efficaces de lutte contre le terrorisme et l’islamisme radical, qui nous menace aujourd’hui aussi bien à l’extérieur de nos frontières qu’à l’intérieur de celles-ci, sur notre propre sol.
Notre débat – et c’est un vrai débat – porte sur les restrictions que nous acceptons aux libertés publiques pour nous protéger contre le terrorisme. Il porte sur les restrictions que nous acceptons aux libertés individuelles pour lutter contre le terrorisme. Ce débat mérite que l’on prenne un peu de temps ; il mérite que l’on s’interroge sur deux ou trois questions fondamentales. Quel est le champ d’application de la loi ? Avons-nous la certitude, dans le champ d’application, tel qu’il a été défini, que toutes les libertés publiques, et toutes les libertés individuelles, seront préservées ? Des inquiétudes se sont manifestées jusque dans la société civile française. Elles sont légitimes…
…et nous devons y répondre.
La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement est-elle aujourd’hui la mieux adaptée ? Est-elle aujourd’hui, dans sa composition, la mieux à même de répondre à ces inquiétudes ? Je pense que cela mérite débat. Par ailleurs, pouvons-nous encore compléter ce texte, comme l’a proposé Éric Ciotti dans la présentation de sa motion de renvoi ? Je pense que oui.
Pour ces trois raisons – le champ d’application de la loi, la composition de la Commission nationale de contrôle et les possibilités de compléter la loi pour garantir les libertés publiques et les libertés individuelles dans notre volonté commune de lutter contre le terrorisme –, nous voterons pour cette motion de renvoi en commission.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
La parole est à M. Alain Tourret, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Monsieur Ciotti, vous êtes un homme de conviction, mais vous êtes aujourd’hui à contre-emploi, à la limite de l’absurde.
Sourires.
Vous dites que vous voterez ce projet de loi et, dans le même temps, vous refusez d’entamer son examen, en demandant son renvoi en commission. Par une telle motion, qui tient de la posture, vous divisez au lieu de rassembler, et vous brisez l’élan unanime du mois de janvier. Or la meilleure réponse à apporter à nos ennemis communs, c’est notre unanimité.
Mais surtout, en renvoyant l’adoption de ce texte à Pâques ou à la mi-Carême, vous cassez finalement les services de renseignement.
« Oh ! » sur les bancs du groupe UMP.
Parce que retarder le vote de la loi, cela revient à supprimer les moyens que l’on peut donner aux services de renseignement.
Votre motion aurait un sens si nous avions repoussé tous vos amendements, mais nombre de vos amendements ont été adoptés en commission, et vous avez la possibilité d’en faire passer d’autres.
Tout cela est complètement contradictoire avec votre motion de renvoi en commission : soit on passe à l’examen des articles, soit on demande un renvoi en commission. Tout cela, je le répète, est absolument incompréhensible.
Ce qu’il nous faut, ce que nous revendiquons, c’est la clarté et la fermeté. C’est pourquoi nous ne voterons pas votre motion de renvoi en commission : ce serait rendre un trop grand service à ceux qui nous attaquent.
Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et SRC.
Il est vrai, monsieur Ciotti, que la figure de style par laquelle vous avez demandé un renvoi en commission était intéressante. Je dois dire qu’elle m’a même un peu intrigué et que j’attendais de voir si vos arguments allaient me convaincre.
En définitive, les voies de la procédure sont impénétrables et vous ne m’avez pas tout à fait convaincu. D’abord, parce que vous avez expliqué ce dont vous souhaitiez que nous débattions en commission. Or vos propositions, nous en avons débattu, et nous les avons rejetées il y a quelques mois déjà. Depuis trois mois, vous nous avez abreuvés de propositions de loi très opportunistes, très électoralistes…
…totalement concentrées sur le terrorisme, et précisément sur la déchéance de nationalité. Or vous connaissez ma position sur ce sujet, et c’est pour cela que je ne voterai pas votre motion de renvoi en commission, même si la tentation était grande – je vous le dis franchement.
La tentation était grande, parce que, j’estime, à l’instar de mon collègue du groupe GDR, que la procédure accélérée qui a été choisie pour le Gouvernement est une faute. Comme ce fut déjà le cas avec la loi de 1991, qui avait été présentée au nom de et par le Premier ministre.
On ne peut pas vouloir un très grand débat avec la société et avec les Français sur ces questions qui nous intéressent tous et, dans le même temps, limiter la durée du débat au Parlement et amputer les parlementaires de leurs prérogatives. On ne peut pas vouloir un très grand débat, un débat argumenté, et utiliser des mots qui blessent, qui dénigrent, qui méprisent celles et ceux qui ne partagent par les orientations fondamentales de ce texte.
Pour toutes les raisons que j’ai déjà évoquées, je ne voterai pas cette motion de renvoi en commission, mais j’attends du débat qu’il nous permette de clarifier les dispositions qui sont problématiques et qui posent question à un certain nombre d’acteurs qu’on ne peut pas suspecter d’être des agités ou d’être mus par des fantasmes. Ils sont des représentants reconnus de la défense de nos droits et de nos libertés fondamentales.
Nous avons collectivement l’obligation de répondre à ces interrogations, et je ne crois pas que nous ayons si bien commencé à le faire, puisque les mots employés à la tribune n’ont pas toujours été au niveau de ce débat. Je le regrette et j’espère que, au cours du débat qui s’ouvre, les questions posées trouveront des réponses adéquates. Cela déterminera d’ailleurs mon vote.
La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Jacques Candelier.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le ministre de la défense, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, monsieur le président et rapporteur de la commission des lois, madame la présidente de la commission de la défense, monsieur le rapporteur pour avis, chers collègues, nous débutons l’examen d’un texte qui propose de définir un cadre juridique clair et unifié aux activités de renseignement.
Les députés du Front de gauche ont toujours affirmé que le terrorisme, sous toutes ses formes, où qu’il se produise et quels qu’en soient les responsables, devait être fermement combattu. Notre détermination est sans faille. Nous partageons le souci du Gouvernement d’offrir un cadre légal aux activités des services de renseignement. Nous souhaitons aussi souligner le travail sérieux mené par les députés Jean-Jacques Urvoas et Patrice Verchère, qui ont rendu un rapport sur l’évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement.
La complexité de cette question et la nature même des activités de renseignement méritent un débat de fond, un débat à la hauteur de l’enjeu. C’est la raison pour laquelle nous déplorons le recours à la procédure accélérée. Pourquoi y recourir sur ce texte très technique ? Un mois seulement sépare la présentation du projet de loi en Conseil des ministres et son examen aujourd’hui. Un tel projet mérite, par respect pour le peuple, que nous représentons, un examen réellement apaisé et approfondi. D’autant plus qu’une question fondamentale est posée : celle de la protection des libertés publiques de nos concitoyens.
Tout l’enjeu consiste à concilier la nécessité d’assurer la sécurité et le devoir de préserver les droits et libertés. Le Gouvernement considère que ce texte est équilibré, parce qu’il subordonne le recours aux mesures de surveillance à l’autorisation du Premier ministre et au contrôle d’une autorité administrative indépendante et du Conseil d’État.
Dans un État de droit, il convient d’offrir de réelles garanties, solides et proportionnées, aux atteintes aux libertés que peuvent occasionner les missions du renseignement. Que disait Raymond Carré de Malberg, juriste français ? « L’État de police est celui dans lequel l’autorité administrative peut, d’une façon discrétionnaire et avec une liberté de décision plus ou moins complète, appliquer aux citoyens toutes les mesures dont elle juge utile de prendre par elle-même l’initiative, en vue de faire face aux circonstances et d’atteindre à chaque moment les fins qu’elle se propose : ce régime de police est fondé sur l’idée que la fin suffit à justifier les moyens. » À l’État de police s’oppose l’État de droit.
Venons-en au détail du texte. Tout d’abord, celui-ci accroît les pouvoirs des services de renseignement en leur permettant de recourir à certaines techniques qui ne sont permises, aujourd’hui, que dans un cadre judiciaire : balisage de véhicule, sonorisation de lieux privés grâce à des micros, captation d’images dans des lieux privés, captation de données informatiques et accès aux réseaux des opérateurs de télécommunications. Ces techniques pourront être utilisées dans des domaines qui dépassent largement le terrorisme. De nouveaux motifs d’action et une rédaction plus extensive des missions anciennes conduisent à l’élargissement du domaine d’intervention des services de renseignement. À cet égard, permettez-moi de souligner que les modifications apportées par la commission des lois n’ont ni restreint, ni précisé leur sphère d’intervention.
Nos inquiétudes demeurent : c’est la raison pour laquelle nous proposerons des amendements. En effet, en commission, des amendements ont été adoptés à l’initiative du rapporteur pour autoriser les services à utiliser des techniques très intrusives pour défendre et même promouvoir les intérêts économiques, scientifiques et industriels majeurs de la France, ainsi que les intérêts majeurs de sa politique étrangère. Ces termes sont flous et extensifs : qu’est-ce qu’un « intérêt majeur » ?
Un autre point me tient à coeur : le projet de loi évoque la « prévention des violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale ». Par son imprécision, ce motif fait courir le risque d’utilisation de techniques très intrusives envers des militants politiques, associatifs et syndicaux. En définitive, la sphère d’intervention des services de renseignement serait très étendue, de manière injustifiée. Au regard des risques d’abus, nous ne pouvons que nous y opposer.
Le recours à des techniques de surveillance nombreuses et très intrusives dans des domaines élargis sera – nous dit-on – encadré strictement par une nouvelle autorité administrative indépendante, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, la CNCTR, et par une procédure relevant du Conseil d’État. Pourtant, permettez-moi de douter que cela suffise à garantir un juste équilibre entre les moyens mis en oeuvre par les services de renseignement et les atteintes portées aux libertés publiques.
Nous ne sommes pas les seuls à le penser. Voici une liste d’organisations ayant exprimé des réserves sur ce texte : la Ligue des droits de l’homme, Reporters sans frontières, Amnesty International France, le Syndicat de la magistrature, l’Union syndicale des magistrats, le Centre d’études sur la citoyenneté, l’informatisation et les libertés, des opérateurs réseaux – y compris des fournisseurs d’accès à internet –, la CNIL, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, l’Ordre des avocats de Paris, la CGT-Police, le Conseil national du numérique, et le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe ; sans compter les nombreux citoyens inquiets, qui nous ont tous interpellés. Leurs avis n’ont, pour l’instant, pas été entendus.
Il y a pourtant de quoi être inquiet quand, outre-Atlantique, le New York Times titre : « La France, État de surveillance ». Ce quotidien estime lui aussi que ce projet de loi comporte le risque d’une « surveillance gouvernementale indûment expansive et intrusive » des citoyens.
La procédure d’autorisation pour le recours aux techniques de recueil de renseignements n’est pas suffisamment encadrée. Comme le souligne parfaitement le Syndicat de la magistrature : « Alors même qu’il ambitionne de mettre notre droit en conformité avec les exigences démocratiques, le projet maintient le Premier ministre au coeur du système de renseignement, actant une logique de pouvoir d’État au détriment de la soumission à l’État de droit. » En effet, dans la procédure d’autorisation, le pouvoir décisionnel est confié au Premier ministre,…
…lequel n’est aucunement tenu de suivre l’avis consultatif de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. En outre, en cas d’urgence, le chef de service de renseignement pourra autoriser la mise en oeuvre immédiate d’une technique de recueil de renseignements en informant, sans délai, le Premier ministre et la CNCTR. Cette procédure d’autorisation n’est pas satisfaisante pour garantir un contrôle réel et indépendant de la mise en oeuvre de techniques de renseignement.
De même, le contrôle effectué a posteriori par la CNCTR n’apparaît pas suffisant : aucun délai pour agir n’est spécifié, le contrôle est limité par le secret défense, et la commission ne dispose pas d’autre moyen d’interpellation publique que le rapport annuel. La seule possibilité réelle de recours juridictionnel laissée à la commission sera la saisine du Conseil d’État. Au surplus, cette saisine n’interviendra qu’a posteriori : le mal sera fait ! Le texte ouvre la saisine du Conseil d’État à la CNCTR, ainsi qu’à toute personne y ayant un intérêt direct et personnel – ce qui exclut les associations.
Nous notons que l’existence d’un contrôle juridictionnel constitue une avancée, mais nous regrettons l’insuffisance de ce contrôle. D’une part, le contrôle du Conseil d’État sera rendu, en pratique, très difficile du fait que la procédure sera placée sous le régime du secret défense : absence du contradictoire, huis clos. Le Conseil d’État n’aura aucun pouvoir d’appréciation sur la pertinence de la classification secret défense des informations qui lui seront transmises.
D’autre part, il n’est pas compréhensible, comme le souligne l’USM, que les atteintes les plus graves à la liberté individuelle, impliquant à la fois la violation de la vie privée et celle du domicile, ne soient pas soumises au juge judiciaire. Pourtant, le principe de la compétence du juge judiciaire pour les atteintes aux libertés individuelles est reconnu constitutionnellement. Il y a, malgré tout, un élément positif : la commission des lois a restreint l’utilisation des appareils qui interceptent, dans un périmètre donné, toutes les communications en imitant le fonctionnement d’un relais de téléphonie mobile ; je reviendrai sur ce point.
Ce projet de loi organise toutefois une véritable surveillance de masse, sans garanties suffisantes. Comment peut-on accepter de suivre les dérives des États-Unis ?
Après les révélations et la réforme promise par la Maison-Blanche, la NSA continue ses pratiques d’espionnage de masse en toute impunité, à tel point qu’elle espionnerait la majorité des ordinateurs dans le monde ! Nul ne peut nier la nécessité de protéger au mieux notre pays ; mais pour ce faire, plutôt que de multiplier les lois potentiellement contre-productives, il faut donner à notre système judiciaire dans son ensemble les moyens humains et matériels nécessaires.
En résumé, nous sommes fermement opposés à toute forme de surveillance de masse. C’est pourquoi nous souhaitons restreindre le champ d’intervention des services de renseignement ainsi que le nombre de services de l’État qui pourront avoir recours à des techniques de renseignement. Il faut réfléchir aux techniques de renseignement qu’il convient de rendre légales, et à celles dont il convient de condamner l’usage. Il faut aussi introduire un véritable contrôle a priori et a posteriori afin de garantir réellement le respect des libertés individuelles. La surveillance de masse menée par les organismes de surveillance américains n’a abouti à aucun résultat concret ; pourtant, nous devrions la reproduire !
En résumé, nous sommes fermement opposés à l’instauration de toute forme de surveillance de masse. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons restreindre le champ d’intervention des services de renseignement, restreindre les services de l’État qui pourront avoir recours à des techniques de renseignement. Il faut réfléchir aux techniques de renseignement qu’il convient de rendre légales, et à celles dont il convient de condamner l’usage. Il faut aussi introduire un véritable contrôle, a priori et a posteriori, des dispositifs proposés, afin de garantir réellement à l’ensemble des citoyens le respect des libertés individuelles.
Nous serons très attentifs à l’évolution de ce texte, et en tiendrons compte dans notre appréciation définitive ; nous proposerons des garde-fous.
Mme Sandrine Mazetier remplace M. Claude Bartolone au fauteuil de la présidence.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, messieurs les ministres, madame la présidente de la commission de la défense, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, ce projet de loi sur le renseignement fera partie des textes ayant le plus fait couler d’encre, ayant suscité le plus d’inquiétude – que cette inquiétude soit sincère ou principielle. L’on a manifesté auprès de moi – comme auprès de vous tous – cette inquiétude ; j’ai notamment été le destinataire d’un certain nombre de tweets me demandant si j’étais pour ou contre la surveillance de masse. Il me semble qu’une telle question mérite mieux qu’une réponse en 140 signes ; je mettrai donc à profit les cinq minutes dont je dispose pour creuser cette intéressante question.
Un pays comme la France doit-il être doté de services de renseignement ? Comme notre rapporteur, je réponds clairement : oui, car il s’agit d’un outil de souveraineté. L’existence de tels services, les finalités qui leur sont assignées et les moyens qui leur sont donnés doivent-ils être consacrés par la loi ? Ma réponse est encore oui. Cette exigence vaut pour toute démocratie moderne ; or la France accuse un véritable retard de ce point de vue ; il nous revient de le combler, aussi bien pour nous-mêmes que vis-à-vis du droit international et européen.
Nos services de renseignement doivent-ils pouvoir agir sur tous les moyens techniques et technologiques utilisés par ceux qui ont pour projet d’attenter à la sécurité ou aux intérêts de la France et des Français ? Là encore, je réponds oui sans hésitation. Ces outils présentent-ils un risque pour la vie privée ? Par nature, incontestablement ; c’est pourquoi leur usage doit être encadré par des règles et contrôlé de manière stricte. De qui doit relever ce contrôle ? S’agissant d’actes de police administrative mis en oeuvre afin de prévenir des crimes et délits avant qu’ils soient commis, la formule d’un contrôle d’une autorité administrative indépendante et d’un jugement par la plus haute juridiction administrative de notre pays, à savoir le Conseil d’État, me paraît tout à fait adaptée du point de vue des principes de notre droit.
L’expérience de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, la CNCIS, créée par la loi du 10 juillet 1991, témoigne de son efficacité en matière de défense des libertés publiques. La procédure qui régit les interceptions de sécurité effectuées à titre administratif ne me semble pas moins encadrée ni contrôlée que celle qui fixe les conditions de réalisation des écoutes commanditées par l’autorité judiciaire. Tous les Paul Bismuth du monde, leurs défenseurs et les magistrats avec lesquels ils échangent ou pas, nous ont offert un intéressant regard sur la question !
C’est bien en s’inspirant des principes fondant l’action de la CNCIS qu’ont été conçues les prérogatives élargies, et non amoindries, de la future CNCTR, dont la commission des lois a encore accru les pouvoirs et possibilités d’investigation.
Sondes et algorithmes, que certains désignent sous l’inquiétant vocable de « boîte noire », ont aussi suscité un certain émoi. Ces pratiques sont à l’heure actuelle utilisées de façon massive par des entités privées afin de vendre, par exemple, de la lessive, ou tout autre produit possible et imaginable. Elles sont admises dans ce cadre, et la puissance publique, elle, devrait s’en priver pour tenter de débusquer les criminels ? Est-ce bien raisonnable ?
D’autant – faut-il le préciser ? – que les investigations que ce projet de loi propose d’autoriser ne permettront pas de surveiller les contenus – à moins que les services aient une raison valable de le faire, et disposent d’autorisations spécifiques – mais seulement les données de connexion, à la différence des pratiques commerciales que je viens d’évoquer. J’ai suivi de près l’élaboration de ce texte. Ma conviction est qu’il concilie de manière juste et équilibrée deux impératifs : d’une part, notre devoir de donner à l’État les moyens de nous protéger face aux menaces protéiformes sur lesquelles il n’est nul besoin d’insister, tant nous les connaissons tous – ; d’autre part, l’impérieuse nécessité de garantir la protection des libertés publiques.
Pour rechercher cet équilibre difficile, le meilleur moyen est de légiférer. Je remercie donc le Président de la République, qui a voulu ce texte ; le Gouvernement, qui a eu le courage de le porter ; notre rapporteur, Jean-Jacques Urvoas, qui l’a inspiré, et l’a beaucoup fait évoluer ; nos collègues de tous les groupes, qui se sont attachés à l’améliorer substantiellement en commission. Il nous revient de poursuivre cette tâche ensemble en séance publique. Dans ce cadre, je porterai, au nom du groupe socialiste, républicain et citoyen, quelques amendements de nature à renforcer encore l’indépendance de la CNCTR, et à préciser les délais de conservation des données recueillies.
Reste une question : quel usage un gouvernement animé par des envies autoritaires pourrait-il faire d’une telle loi, malgré toutes les garanties dont nous l’avons assortie ? Il me semble qu’il s’agit là d’un faux sujet : si, pour le plus grand malheur de la France et des Français, un tel gouvernement arrivait au pouvoir, il ne s’embarrasserait d’aucune contrainte légale ; la Révolution nationale de 1940 nous en a apporté un cruel exemple. Ceux qu’ils appelaient terroristes, la République les a honorés comme résistants.
Le seul moyen de parer à ce risque ne réside donc pas dans les textes législatifs, mais dans le combat sans faiblesse qui doit réunir tous les défenseurs de la démocratie et de la liberté.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Madame la présidente, madame la ministre de la justice, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le ministre de la défense, chers collègues, il y a des moments, dans la vie d’un parlementaire, où il faut savoir non seulement monter à la tribune, mais aussi s’élever au-dessus des polémiques du Café du Commerce. Le texte que nous examinons n’est pas apparu d’un coup ; il est issu de multiples réflexions, menées sous différents gouvernements. Je vous rappelle que c’est le Président Sarkozy qui a créé la délégation parlementaire au renseignement, à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir, et qui a été renforcée au cours de cette législature.
On voit bien que ce texte répond à plusieurs nécessités. Nous nous devons de donner à nos services un cadre légal : c’est une nécessité incontournable que M. le rapporteur, Jean-Jacques Urvoas, a soulignée tout à l’heure. Vous savez que la CEDH a rendu des décisions à ce sujet, notamment sur le fondement de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. C’est ainsi que la Roumanie a été condamnée parce que sa loi n’était pas assez précise, et pas assez proportionnée. Bref, il est clair que nous devons encadrer l’action de nos services de renseignement, sans nous cacher derrière notre petit doigt en arguant du secret.
Surtout, il ne faut pas considérer que l’action des services de renseignement relève de la barbouzerie ! On ne le dira jamais assez : le renseignement est un service public agissant dans le cadre d’une politique publique nécessaire à toutes les démocraties, pour faire face aux multiples menaces auxquelles elles sont confrontées, et sur lesquelles je reviendrai tout à l’heure.
Deuxièmement, il est clair que ce texte prend en compte l’évolution des technologies. Nous le savons, la loi de 1991, qui a été très bien rédigée, a longtemps permis de faire face aux menaces et elle a évolué pour prendre en compte l’évolution des techniques. Au passage, je constate avec sidération que certains critiquent certaines facilités technologiques données aux services, alors que ces mêmes facilités existent dans le domaine privé et peuvent être utilisées par des officines sans aucun contrôle et au détriment de nos libertés. J’estime qu’il est tout à fait légitime de donner aux services la possibilité d’utiliser un certain nombre de technologies modernes, comme ce qu’on appelle, dans un anglicisme forcé, les international mobile subscriber identity – IMSI – catcher, qui permettent « d’attraper » les numéros de toutes les cartes SIM des alentours, puisque ces technologies peuvent être utilisées par des officines privées.
De plus, je le souligne, ce texte est une avancée pour le justiciable – je le dis comme je le pense – car le contrôle exercé par la CNCTR sera renforcé. Celle-ci pourra ensuite saisir la formation spécialisée du Conseil d’État. Se pose bien sûr la question de la présence ou non de députés au sein de la CNCTR. Pour ma part, je pense qu’elle travaillera à plein-temps. Certains de mes collègues du groupe UMP pensent que la présence de députés est nécessaire. La question reste ouverte et nous en débattrons. Ce qui est certain, c’est que, pour la première fois, des requêtes individuelles devant le Conseil d’État ou par renvoi préjudiciel seront possibles, ce qui renforce évidemment les libertés publiques.
M. le ministre de l’intérieur et M. le ministre de la défense le savent, la menace prend des formes multiples, comme les cyberattaques ou le terrorisme – sur ce dernier point, le texte prévoit de donner des pouvoirs bien encadrés à la CNCTR et aux services. Le projet de loi réserve un traitement spécifique au terrorisme mais il y a également le crime organisé ou le contre-espionnage. Il serait faux de croire que les autres États, y compris nos partenaires européens ou alliés, ne font jamais d’opérations d’espionnage sur le territoire national.
Nos services sont reconnus par le texte comme un grand service public. Les chefs de ces services, que nous avons eu l’occasion de rencontrer, nous ont d’ailleurs toujours dit qu’ils menaient une mission de service public. Je rappelle à ceux qui critiquent ce texte que la première liberté publique des Français, c’est de ne pas être déchiqueté par une bombe posée au coin de la rue. Et cela n’a pas de prix.
Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les ministres, monsieur le président et rapporteur de la commission des lois, madame la présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, le renseignement est un acte de souveraineté par excellence. Il relève donc de la loi. Or, depuis la loi Rocard de 1991, la France n’a fait évoluer qu’à la marge sa législation sur les interceptions, comme si les techniques et les technologies n’avaient bougé qu’à la marge.
Le numérique, l’internet, les téléphones, les ordinateurs portables, les réseaux sociaux, tout cela n’existait pas ou presque pas en 1990. Et pourtant, dans nos textes et dans notre discours, nous parlons souvent encore d’écoute comme si rien n’avait changé, alors que les nouvelles technologies permettent, c’est une évidence, de mettre en place des dispositifs particulièrement intrusifs et portant en eux des atteintes potentiellement profondes à la vie privée et aux libertés individuelles.
Les criminels et les terroristes, les services de renseignement étrangers, les agences privées éventuellement commanditées par de grands groupes, disposent de moyens de communication, de technologies – j’allais dire de moyens de travail –, qui sont sans commune mesure avec ce que la législation prévoyait pour les contrecarrer. Bien sûr, nos services se sont adaptés. Les lois de programmation ont accru de façon considérable les moyens des services de renseignement – 700 postes à la DGSE lorsque j’étais ministre de la défense – et, dans le même temps, la Commission nationale de contrôle a fait évoluer sa jurisprudence pour s’adapter à tout cela.
Mais, très clairement, il était nécessaire qu’il y ait un cadre législatif et réglementaire nouveau pour asseoir juridiquement des méthodes et des pratiques déjà mises en oeuvre.
Oui, il fallait un texte, mais j’ajoute que ce n’est pas parce que ces pratiques et techniques existent qu’il ne faut pas un encadrement très strict et très protecteur de nos libertés fondamentales. Au contraire, c’est parce qu’on sait qu’elles existent qu’il est nécessaire.
Tout d’abord, disons-le, compte tenu de l’ampleur des dispositifs et des champs d’intervention prévus, ce texte s’apparente bien à un Patriot Act à la française, quelles que soient les allégations contraires du Gouvernement, et même si on ne va pas aussi loin que les Américains.
Il faut avoir en tête les conséquences du Patriot Act américain, qui a conduit à l’interpellation sans raison valable de 70 000 personnes, et ce parce qu’il n’y avait pas les contrôles nécessaires sur les services de renseignement.
Le présent projet de loi donne en effet de nouveaux moyens pour la lutte contre le terrorisme mais il va bien au-delà, monsieur Ciotti, du seul champ de la lutte contre le terrorisme. Ce n’est pas un projet de loi sur le terrorisme mais sur le renseignement.
Ma première critique est celle, je l’ai dit en commission, du champ d’application des interceptions.
Avec les amendements adoptés, les interceptions couvrent peu ou prou tout le champ de la vie nationale. Pour ne prendre que quelques exemples, la protection des engagements européens de la France, la défense des intérêts économiques « essentiels », et non plus « majeurs », la lutte contre les crimes et délits organisés, sans qu’il y ait un plancher de peine, les risques liés aux violences collectives, sont autant de champs permettant des atteintes graves à nos libertés si les moyens mis en oeuvre sont entre les mains de personnes mal intentionnées.
J’entends l’argument selon lequel ces champs d’interception étaient déjà ouverts par la loi sur les écoutes. J’entends bien qu’il faille nous protéger de l’intelligence économique mais je comprends aussi qu’avec un tel spectre, on peut facilement légitimer des interceptions dont l’intrusion dans la vie privée est désormais beaucoup plus violente que le seul moyen des écoutes téléphoniques. Quand les techniques permettent de pénétrer votre ordinateur personnel, de surveiller votre clavier même lorsque l’ordinateur n’est pas branché, de rentrer dans votre boîte mail, quand vous pouvez mettre en place des dispositifs qui captent l’ensemble des connexions dans un espace donné, on est très loin de la seule fiche permettant de mettre sur écoute un individu suspecté.
Je prends un seul exemple, puisque nous sommes à l’Assemblée nationale : si l’un d’entre nous, membre de la commission de la défense, rencontre des industriels israéliens, américains ou russes, peut-on légitimement considérer qu’il pourrait porter atteinte aux intérêts économiques essentiels de la nation et à ce titre être mis sur écoute au sens le plus large ? Ce que je dis pour un parlementaire peut être également valable pour des journalistes, des acteurs économiques ou pour tout citoyen. On m’objectera qu’il y a l’avis de la Commission nationale. Certes, mais on peut dans certains cas s’en exonérer ; c’est bien là que le bât blesse et c’est l’objet de ma deuxième critique.
S’agissant des interceptions en cas d’urgence, j’ai bien compris qu’entre le texte du Gouvernement, celui de la commission et le nouvel amendement de la commission, le dispositif a beaucoup évolué. Mais j’insiste sur la question de l’urgence car elle me semble absolument essentielle. On m’explique à juste titre qu’il faut donner aux services les moyens d’opérer avec efficacité, ce qui impose dans un certain nombre de cas très limités de prévoir l’urgence. Sauf qu’on oublie de dire que cette procédure d’urgence, qui écarte l’avis préalable de la Commission, conduit à laisser le Premier ministre seul juge de la mise sur interception.
J’ai bien compris qu’il y aura deux types d’urgence : l’urgence absolue et l’urgence opérationnelle, avec des moyens d’interception différents qui pourront être mis en oeuvre. Je veux prendre le temps de comprendre tout cela mais j’affirme à nouveau que je ne vois pas en quoi la décision du Premier ministre, qui interviendra nécessairement après un processus administratif, empêcherait qu’en parallèle la Commission nationale soit saisie. Il suffit de mettre en place soit un régime d’astreinte au sein de la Commission, soit un régime d’autorisation implicite d’acceptation en cas d’absence de réponse ou, mieux encore, de prévoir un système d’autorisation préalable à partir de cibles déterminées à l’avance comme devant pouvoir faire l’objet de réponse technique rapide.
En tout cas, madame et messieurs les ministres, je ne veux pas que la loi favorise l’organisation de l’urgence afin d’écarter l’avis préalable de la Commission. Je n’ai aucun doute sur le fait que vous et les membres du Gouvernement ou le chef de l’État n’ayez aucune intention de détourner la loi, mais nous légiférons pour le temps long, pour des pouvoirs qui vont se succéder et dans une période d’instabilité politique.
Je ne veux pas que la loi, tombant dans des mains mal intentionnées, soit un instrument qui porte atteinte à nos libertés fondamentales. Car, je le dis sereinement mais résolument, ce texte n’est pas un texte anodin : il revient à mettre des procédures d’exception dans le champ du droit commun.
Puis-je vous rappeler qu’un ancien chef de l’État, qui avait pourtant écrit Le coup d’état permanent, n’avait pas hésité à mettre sur écoute avocats, journalistes et comédiens pour des motifs bien étrangers aux intérêts de l’État et à la sécurité des Français ? Pardon de le dire même si cela en froissera quelques-uns, j’aurai toujours un doute sur la capacité d’un directeur d’administration centrale de résister à l’appel d’un Président de la République ou d’un Premier ministre qui, au nom de l’urgence, demande une interception dont le fondement est pourtant particulièrement douteux.
C’est pour cela que le texte prévoit l’intervention du CNCTR et du Conseil d’État !
J’ai d’autres griefs que j’aurai l’occasion d’évoquer durant les débats, concernant notamment la protection des données personnelles, qui est absente du texte. Mais je voudrais aborder un troisième point, qui est peut-être plus important encore.
Il y a l’amont de l’interception avec l’autorisation de la Commission, mais il y a aussi l’aval de l’interception : la conservation des données et la constitution des fichiers. Le premier garde-fou absolument indispensable est que l’ensemble des éléments interceptés puissent être contrôlés facilement et à tout moment par la Commission nationale. Il doit y avoir une traçabilité totale et la possibilité d’un contrôle permanent par celle-ci. En clair, les interceptions doivent être concentrées dans un même lieu et accessibles à tout moment afin de vérifier que les données collectées soient bien conformes à l’autorisation accordée par le Premier ministre.
Le deuxième garde-fou absolument indispensable, monsieur le ministre de l’intérieur, est le contrôle des fichiers constitués et des données qui y sont inscrites. Je me suis opposé, lorsque j’étais au gouvernement, au fichier EDVIGE : on considérait que, pour des raisons de sécurité, l’on pouvait inscrire dans ce fichier le patrimoine, la voiture ou les orientations sexuelles de tel ou tel responsable socio-professionnel.
Compte tenu des procédés technologiques permettant la pêche au chalut d’informations, du droit ouvert par la loi de mettre sur écoute des personnes involontairement et indirectement associées à des risques criminels et de la mise en place possible d’algorithmes sur ce qu’on appelle d’une formule étrange « la captation des signaux faibles », il est absolument indispensable que la CNIL ou tout autre organisme indépendant puisse accéder à tous les fichiers de la police, les fichiers CRISTINA and co et les autres.
Madame la ministre, messieurs les ministres, la France et les Français ont besoin d’être protégés mais ils ont aussi besoin de voir leur démocratie protégée sur le long terme : en 2015 comme dans les années et les décennies qui viennent. La démocratie, ce n’est pas la faiblesse du pouvoir ni l’organisation de l’impuissance, mais c’est la mise en place, à de nouveaux pouvoirs attribués légitimement à l’exécutif, de contre-pouvoirs aussi forts que les nouveaux pouvoirs de surveillance. À l’hyper-surveillance possible doit correspondre la mise en place d’hyper-moyens de contrôle de la surveillance, seuls remparts contre l’arbitraire.
C’est pourquoi je vous demande simplement d’aborder avec attention les trois sujets que j’ai évoqués. Pour ma part, je ne voterai ce projet de loi que si, à la fin de l’examen du texte, de nouvelles garanties sont apportées à la protection de nos libertés fondamentales. En effet, la France et les Français doivent être protégés mais ceux-ci n’ont pas vocation à vivre dans les prochaines décennies dans une société de surveillance.
Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et sur plusieurs bancs du groupe UMP.
Madame la présidente, madame et messieurs les ministres, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, cette loi n’est pas une loi ordinaire.
Cette loi n’est pas non plus une loi d’opportunité. Le renseignement est en effet intrinsèquement mêlé à la police : plus un État est fort, plus un État est centralisé, et plus le pouvoir s’appuie sur le renseignement. Et il est bien vrai que les protections individuelles – les human rights – sont particulièrement renforcées dans les pays anglo-saxons, à la différence d’un pays comme la France.
La France est pourtant une démocratie qui s’appuie sur un régime et sur une République jacobine centralisés. C’est pourquoi le renseignement est, de ce fait, intrinsèquement mêlé à la police et à l’État, situation qui n’a fait que se renforcer avec l’élection du Président de la République au suffrage universel. Il faut le reconnaître, la tradition remonte à loin : à Louis XIV et à son lieutenant général de police, La Reynie, mais surtout à Fouché, dont on a rappelé la mémoire. Il suffit pour s’en convaincre de relire Stefan Zweig, Jean Tulard, ou encore Emmanuel de Waresquiel.
Fouché a su organiser la préfecture de police et le ministère de la police générale. Ses espions, souvent d’anciens jacobins qui comme lui servirent la Terreur, étaient partout avec leurs écoutes et s’avéraient d’une efficacité redoutable. Il suffit de se rappeler l’efficacité de leurs actions lors de l’attentat de la rue Saint-Nicaise. Et ce n’est pas pour rien que Waresquiel parle de Fouché en disant « la pieuvre ». Le renseignement, c’est donc la pieuvre.
Le symbole du renseignement est, à l’époque, un oeil : c’est tout dire. Surtout lorsqu’il s’accompagne de la devise rappelée par Tulard : on ne se trompe jamais ici que quand on remet en liberté. Le renseignement va, bien sûr, avec le temps, s’appuyer sur les écoutes. Les appuis sont innombrables, les contrôles inexistants : la raison d’État est omnipotente. Chacun a en tête le dévoiement des services de l’État, obéissant sur ordre d’un ancien Président de la République à des fins personnelles ou privées. Des centaines de personnes furent alors écoutées, et l’émotion d’autant plus grande qu’elles appartenaient notamment, pour certaines, au monde du cinéma, ou au Tout-Paris.
La France décida alors de réglementer ses services de renseignement, notamment après les attentats du 11 septembre 2001. Mais comme l’a opportunément rappelé notre président Urvoas, la genèse de ce texte est antérieure à 2001 comme, par ailleurs, aux attentats du mois de mars 2015. Quant à l’affaire Merah, elle mit en évidence que le renseignement avait été défaillant et que les membres des services de renseignement ne disposaient pas, sans doute, d’un cadre légal suffisamment important pour accomplir leur action.
Notre texte va bien au-delà du terrorisme et concerne, en particulier, tout le secteur économique, tant il est vrai que nos entreprises sont pillées par des prédateurs qui sont, souvent, nos alliés. Je me rappelle à ce propos un ancien préfet de Basse-Normandie, devenu préfet du Nord, à Lille, qui attira notre attention, bien souvent, sur ce pillage économique.
Reconnaissons-le : le champ d’application du projet de loi est extrêmement large puisque sept finalités y sont prévues. Ses définitions sont très larges. Or les atteintes et les limitations des libertés doivent être appréciées stricto sensu, ce qu’admet d’ailleurs notre rapporteur. On ne peut que suivre le Défenseur des droits lorsqu’il souligne que la loi doit être d’une clarté et d’une précision suffisantes pour fournir aux individus une protection adéquate contre les risques d’abus de l’exécutif dans le recours aux techniques du renseignement. La nature des mesures susceptibles d’être mises en oeuvre dans le cadre du projet de loi relatif au renseignement implique donc des exigences fortes en matière de prévisibilité de la loi.
Il est en effet vrai que les intrusions, dans le droit, au respect de la vie privée sont, par nature, des atteintes graves. Elles doivent, dès lors, reposer sur des dispositions qui doivent être d’autant plus claires que les procédés techniques se perfectionnent. La Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée en ce sens dans un arrêt très intéressant du 8 avril 2014, Digital rights Ireland et Seitlinger, censurant la directive 200624CE du 15 mars 2006 sur la conservation de données générées ou traitées dans le cadre de la fourniture de services de communications électroniques accessibles au public ou de réseaux publics de communications.
L’interprétation, nous dit-on, doit être d’autant plus stricte que la loi ne précise pas suffisamment les catégories de personnes susceptibles d’être visées par les activités du renseignement, ce qui est contraire à la jurisprudence européenne.
Mais affirmons-le : cette loi n’est pas dangereuse. Elle ne l’est pas car elle répond en elle-même à la plupart des arguments, en soulignant qu’un contrôle exceptionnel sera organisé par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, la CNCTR, grâce à une juridiction spécialisée au sein du Conseil d’État. Ce sera donc le juge administratif, qui, en la matière, sera le juge naturel des libertés.
De manière ironique, quelqu’un faisait remarquer qu’il préférait être jugé par M. Sauvé que par Mme Joly. Mais enfin, peut-être que notre ami M. Coronado sera d’un avis contraire…
Il faut donc faire respecter les principes définis par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui garantit le secret des correspondances et l’inviolabilité du domicile, mais qui reconnaît, aussi, la validité des exceptions à ces principes en cas d’intérêt public, dans des limites fixées par la loi et dans le respect du principe de proportionnalité, que l’on ne souligne pas suffisamment.
La CNCTR est la pierre angulaire de la loi : elle devra être composée de magistrats, de spécialistes et d’élus, plus spécialement d’anciens élus, tant leur tâche sera prenante. Le président Urvoas a en effet rappelé qu’il s’agissait d’un travail à plein temps qui leur serait demandé, et je ne vois pas comment un député pourra, par définition, travailler à plein temps pour cette commission.
Grâce à un texte enrichi par de nombreux amendements, le champ d’application sera plus resserré, avec la détermination des personnes visées par un traitement spécifique, qu’elles soient avocats, magistrats, journalistes, ou, bien sûr, parlementaires. Cette loi n’a donc rien à voir avec un quelconque Patriot Act américain.
Il faut cependant se méfier du renseignement, car le renseignement, c’est la CIA. Le renseignement, c’est le KGB. Le renseignement, c’est également M. Poutine. Et ce ne sont pas des clubs de vacances pour Bisounours.
Le renseignement ne doit pas se constituer en force autonome. Il doit se fondre dans la République pour mieux la défendre.
Quelques observations complémentaires : s’agissant de la durée de conservation des documents ou des fichiers, plus la durée sera longue, moins le principe de proportionnalité sera respecté. Les risques d’utilisation à des fins peu avouables seront alors grands. Deuxième observation portant sur la conservation du fichier des terroristes : il est parfaitement utile qu’il y ait un tel fichier. Mais, madame la garde sceaux, la durée de quarante ans m’apparaît incompréhensible. Elle n’a pas de référence dans notre code ou dans nos usages. Elle apparaît beaucoup trop longue, et, à mon avis, elle sera sanctionnée par la jurisprudence européenne.
Faut-il, par ailleurs, faire de l’administration pénitentiaire un vecteur du contrôle du renseignement ? C’est une question. On sait que la prison est l’école du crime. Mais je pense que cela ne correspondrait pas à la vocation de l’administration pénitentiaire que de se comporter en agent du renseignement.
Alors, oui, cette loi est utile et équilibrée : les avantages l’emportent largement sur les inconvénients et sur les restrictions des libertés. Ce texte sera, je l’espère, voté par la majorité et par l’opposition. Plus le consensus sera grand, mieux sera comprise la riposte des républicains contre ceux qui attaquent la République, donc, contre tous les terroristes. Voilà pourquoi les radicaux, ces fils de Clemenceau qui sont persuadés qu’il n’existe pas de liberté sans sécurité, voteront ce texte heureusement amendé car il renforce l’État de droit et rassure les citoyens.
Mme Laurence Dumont remplace Mme Sandrine Mazetier au fauteuil de la présidence.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, messieurs les ministres, messieurs les rapporteurs, chers collègues, le projet de loi relatif au renseignement qui est soumis à l’examen du Parlement n’est pas un texte de circonstance. La nécessité d’un encadrement de l’activité de la communauté du renseignement est une urgence et, d’ailleurs, une impérieuse nécessité.
Il est en effet vrai que notre pays accuse un retard par rapport aux autres démocraties occidentales. Le rapport présenté par notre rapporteur le met en évidence et le souligne justement : les services de renseignement disposent aujourd’hui de moyens juridiques morcelés, issus d’une lente sédimentation de dispositions législatives, sans cadre général.
Il y a la loi du 10 juillet 1991 qui offre un cadre juridique aux interceptions de sécurité, celle du 23 janvier 2006 sur l’accès aux données de connexion pour la prévention du terrorisme, et celle du 18 décembre 2013 qui unifie les régimes d’accès aux données de connexion et la géolocalisation en temps réel, et, enfin, les lois de 2012 et de décembre 2014 destinées à lutter contre le terrorisme, sans oublier l’article 20 de la loi de programmation militaire et son un dispositif unifié de recueil administratif des données de connexion.
L’urgence de légiférer est donc une réalité. Soustraire bon nombre de pratiques à l’illégalité et aux zones grises, comme l’on dit, est une nécessité.
Légaliser toutes les pratiques, est-ce, pour autant, une bonne décision ? Est-on sûr que l’encadrement proposé aujourd’hui interdira demain toute dérive ? Est-on sûr que toutes les pratiques et tous les dispositifs de surveillance qui existent seront demain encadrés par le texte dont nous débattons ? Légaliser des pratiques ayant cours les rend-elles plus efficaces ? La technique met-elle un terme aux dysfonctionnements des services qui ont joué un rôle extrêmement important dans l’échec de la capture de celles et de ceux qui ont commis les attentats du mois de janvier ? La lecture d’un quotidien du soir me conduit à en douter sérieusement.
Une loi-cadre eut même été nécessaire, mais ce choix-là n’a pas été fait. C’est donc un texte qui ne se limite aucunement à la lutte contre le terrorisme, mais qui vise des champs plus vastes – économiques, politiques, diplomatiques – de l’organisation sociale et de nos institutions.
Force est de constater que les mauvaises habitudes créent une tradition, et il faut le regretter. Le texte de 1991 sur les interceptions de sécurité, déjà présenté par et au nom du Premier ministre, avait également été examiné en procédure accélérée.
Et puisque vous avez beaucoup cité, monsieur le rapporteur, permettez-moi de citer à mon tour. Je me souviens, monsieur le président de la commission des lois, que dans une lettre adressée au président Bartolone, vous regrettiez, à juste titre, qu’avec la procédure accélérée les Français soient privés des conditions d’un véritable débat public et d’un débat parlementaire serein. « Finalement, c’est le Parlement en son entier qui en souffre, car de telles conditions d’examen ne permettent pas aux parlementaires de travailler de manière satisfaisante », écriviez-vous.
Et dans une note sur l’agonie du Parlement, vous souligniez à propos de ce même mécanisme qu’il « est si souvent appliqué depuis le début de la XIIIe législature qu’on en viendrait presque à le considérer comme un outil de droit commun ». Vous ajoutiez : « Parce qu’elle bride la capacité du Parlement à organiser en son sein la navette, une telle faculté, dans l’esprit du constituant, ne devait être qu’exceptionnelle ». Vous regrettiez, enfin, que « cette procédure soit devenue une commodité dont le Gouvernement abuse ». Vous le dénonciez sous la précédente majorité, et vous y voyiez l’ombre d’un président qui n’aimait pas le Parlement. Il est désolant que ce que la majorité d’aujourd’hui dénonçait quand elle était dans l’opposition hier soit devenue pratique courante.
Sur un texte d’une telle importance, l’examen au pas de charge qu’organise la procédure accélérée est une erreur et, je l’ai dit, presque une faute.
Mes chers collègues, renforcer et encadrer les services de renseignement nécessite de concilier l’efficacité en matière de sécurité et les exigences de la légitimité démocratique. Et il est vrai que l’équation n’est pas simple et que la frontière entre surveillance et contrôle est parfois ténue.
Magistrats, juristes et associations mais aussi certains acteurs de l’économie numérique, s’inquiètent légitimement des conséquences du texte. Nils Muižnieks, le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, dénonce « un climat social dangereux au sein duquel chacun pourra être considéré comme un potentiel suspect ». La CNIL s’inquiète des « mesures de surveillance beaucoup plus larges et intrusives » et s’interroge sur le contrôle de ces fichiers.
Le texte fait débat, et ce débat doit faire l’objet de la part du Gouvernement et du rapporteur de considération et de réponses précises. Les qualificatifs qui dénigrent ne sont pas une bonne invitation à un débat serein.
La lecture de ce projet de loi montre qu’il comporte en réalité deux grands volets, que l’on a parfois tendance à confondre.
Le premier organise le cadre administratif et juridique qui doit désormais encadrer les activités des services de l’État. Ce volet aurait pu à lui seul justifier un texte de loi. Il doit encore être précisé. Les finalités doivent être clarifiées davantage. C’est le sens d’un certain nombre d’amendements déposés par le groupe écologiste à la fois sur le périmètre des finalités assignées aux services de renseignement et sur la composition de la future CNCTR.
Le second volet détaille quelques techniques spéciales et organise leur mise en oeuvre et leur contrôle. Les dispositions concernant les nouvelles possibilités de recueil technique du renseignement sont clairement des réponses conjoncturelles aux événements et à la menace terroriste, et leur opportunité tout comme leur efficacité doivent être débattues.
Si elles étaient adoptées, elles seraient d’ailleurs certainement révisées par des textes ultérieurs, tant il est vrai que les techniques et leurs cadres d’usage en ces domaines évoluent, comme le montre notamment l’exemple du recueil des métadonnées, dont le régime législatif a plusieurs fois évolué depuis la loi de 2006 contre le terrorisme, jusqu’à ce projet de loi, en passant par la loi de programmation militaire votée l’an dernier. C’est sans doute le sens de l’évaluation annoncée par le Premier ministre tout à l’heure à la tribune.
À l’inverse, les dispositions de l’article 1er du projet de loi, qui instaure un cadre général du renseignement d’État, sont des règles structurantes, conçues et débattues depuis quelques années, non pas en très grand comité mais en particulier sous la houlette du rapporteur, règles qui ont vocation à une certaine pérennité.
Sur les nouvelles possibilités de recueil technique du renseignement, le débat est vif et c’est justifié. Le Gouvernement ne souhaite pas organiser une surveillance de masse, nous dit-on. Soit. Il n’en demeure pas moins que les outils techniques qui figurent dans le présent texte représentent des possibilités de recueil technique de données, de métadonnées de très grande ampleur, si ce n’est de masse.
De ce point de vue, l’avis rendu par la commission mixte sur les libertés numériques, à laquelle j’appartiens et qui a été mise en place par le président de l’Assemblée nationale, est éclairant. Dans sa recommandation sur le projet de loi, cette commission de réflexion et de propositions a mis en garde contre le risque d’aller, pas à pas, d’une surveillance ciblée à une surveillance généralisée. Rappelons que la légalisation de pratiques de surveillance jusqu’alors peu encadrées ne doit pas être l’occasion d’étendre à l’excès le périmètre de cette surveillance, à moins de remettre en cause l’équilibre entre les libertés fondamentales à protéger.
Le caractère fondamental du droit à la protection des données à caractère personnel et la nécessaire subsidiarité de toutes les mesures de surveillance, qui impose de limiter les atteintes aux libertés individuelles aux cas où le but poursuivi ne peut être atteint par un autre moyen moins intrusif, ont été particulièrement soulignés par la commission car il est important que les activités de renseignement soient proportionnées à un nombre limité et précisément défini de finalités.
Mes chers collègues, ce texte élargit significativement le champ actuel des interceptions de sécurité et du recueil administratif des métadonnées.
Pour les interceptions de sécurité, le texte étend très largement ces interceptions non plus, comme actuellement, aux seules personnes ayant un lien personnel et direct avec une infraction présumée, mais à l’ensemble des personnes appartenant à l’entourage de la personne visée lorsqu’elles sont susceptibles de jouer un rôle d’intermédiaire, volontaire ou non, pour le compte de celle-ci ou de fournir des informations sur l’une des finalités de l’interception.
Ce projet de loi modifie les conditions d’utilisation des techniques actuelles et autorise de recourir à de nouveaux dispositifs jusqu’à présent réservés aux services de police judiciaire.
Pour l’ensemble des finalités des activités de renseignement, le texte permet la géolocalisation administrative en temps réel d’une personne, d’un véhicule ou d’un objet, et l’utilisation en cours d’opération de dispositifs mobiles de proximité de captation directe de certaines métadonnées avec le dispositif dit IMSI catcher. Il permet également, au moyen des sondes, pour les seuls besoins de la prévention du terrorisme, le recueil en temps réel, sur les réseaux des opérateurs de communications électroniques, des données de connexion de personnes préalablement identifiées comme présentant une menace.
Il n’est pas prévu que ces dispositifs administratifs soient assortis de garanties équivalentes à celles qui sont prévues pour les professions protégées par le code de procédure pénale lorsqu’ils sont mis en oeuvre dans un cadre judiciaire. C’est d’ailleurs un point qu’il faudra clarifier au cours du débat.
De surcroît, à des fins de prévention du terrorisme, le texte permet l’exploitation, par les opérateurs de communications électroniques et les fournisseurs de services, des informations et documents traités par leurs réseaux, avec la détection de signaux faibles par la pose de boîtes noires chez les opérateurs, afin de révéler une menace terroriste sur la seule base de traitements automatisés d’éléments anonymes.
Or l’usage préventif de sondes et d’algorithmes paramétrés pour recueillir largement et de façon automatisée des données anonymes afin de détecter une menace terroriste provoque des inquiétudes justifiées et légitimes. L’argument selon lequel cette surveillance porte initialement sur des données anonymes, traitées de façon automatique et algorithmique, ne saurait offrir de garanties suffisantes. Rappelons aussi que les données livrent parfois davantage d’informations que les contenus eux-mêmes.
Le texte porte également de dix jours à un mois la durée de conservation des interceptions, augmentation qui avait été pourtant rejetée au cours des débats sur la loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme. La durée de conservation des données techniques de connexion recueillies par les services de renseignement est également augmentée, passant de trois à cinq ans.
Le recours à ces nouvelles technologies suscite donc une opposition argumentée, nullement fantasmée.
D’autres dispositions ne peuvent rester en l’état, la mise en place d’une immunité pénale pour les agents agissant à l’étranger, l’affaiblissement des garanties de contrôle dès lors que la surveillance concerne des flux avec l’étranger, ou encore l’absence des garanties pour les professions protégées, la durée de conservation et l’établissement de fichiers.
De même, nous ne considérons pas que les possibilités de recours, sous forme de réclamation et ensuite devant une formation spéciale du Conseil d’État, soient réellement effectives.
Enfin, assimiler l’administration pénitentiaire à un service de renseignement est une voie périlleuse.
Nous avons quelques jours pour améliorer le texte, assurer un équilibre juste entre sécurité et protection des libertés. Notre vote dépendra de la capacité du Parlement à faire évoluer ce texte.
Madame la présidente, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous examinons à partir d’aujourd’hui une loi très importante pour les institutions de la République française.
C’est bien une loi sur le renseignement, ce n’est pas une nouvelle loi sur le terrorisme. La lutte contre le terrorisme concerne naturellement le travail des services de renseignement. Elle représente par ailleurs, si j’ai bien compris les propos du ministre de l’intérieur, près de 50 % de l’activité de la sécurité intérieure. Le renseignement est une grande activité qui participe de la souveraineté de notre pays. C’est une politique publique, une politique d’État. Le renseignement doit aider l’autorité politique à décider sur l’ensemble des enjeux qui concernent la souveraineté nationale. Il contribue tout particulièrement à assurer l’autonomie stratégique de notre pays, avec d’autres moyens opérationnels, d’autres moyens pour assurer l’indépendance et l’autonomie stratégique de la France.
Cette loi sur le renseignement est une grande loi parce qu’elle donne enfin un cadre juridique aux activités de renseignement. La loi de 1991 était importante mais elle ne prenait naturellement pas en compte l’évolution technologique et la réalité du monde d’aujourd’hui. Avec cette loi sur le renseignement, nous prenons en compte le contexte stratégique, l’évolution technologique et la réalité juridique, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent.
Pour protéger notre souveraineté nationale, nous devons faire face aux réalités du monde d’aujourd’hui. Les risques et les menaces ont en effet évolué, en raison du contexte géostratégique, des nouvelles menaces, notamment le terrorisme international et le cyberterrorisme, et de l’évolution technologique, qui permet de porter des attaques de très haut niveau contre des infrastructures vitales. L’attaque contre la chaîne publique TV5 Monde n’est qu’une illustration de ce que peut être aujourd’hui la lutte informatique.
Depuis le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008, nous avons placé le renseignement, cette fonction « connaissance et anticipation », au coeur des intérêts de la nation.
Une grande nation démocratique doit avoir la capacité de prendre des décisions en toute connaissance de cause face à une réalité qui la préoccupe.
Nous sommes confrontés à des menaces, les menaces terroristes bien entendu, mais aussi l’espionnage ou les menaces sur le plan de l’intelligence économique. Il y a une guerre économique, en effet, et nous devons pouvoir protéger les intérêts économiques majeurs de la nation, comme ses intérêts industriels, ses intérêts scientifiques et l’ensemble de ce qui permet à notre pays d’être en pointe dans un certain nombre de domaines.
On sent d’ailleurs que certains de ceux qui nous critiquent peuvent aussi vouloir nous empêcher de protéger ces intérêts économiques majeurs, nos intérêts scientifiques. Nous ne devons pas être naïfs face aux stratégies d’ingérence, d’influence, et nous ne devons pas être piégés par ceux qui voudraient empêcher la France de protéger ses intérêts économiques, industriels et scientifiques, qui participent de la compétitivité du pays et qui nous permettent de créer de nombreux emplois.
Le renseignement est une activité noble, et nous devons redonner cette dimension aux services de renseignement dans toute leur diversité, le renseignement intérieur, le renseignement extérieur, le renseignement qui, avec Tracfin, permet de protéger les intérêts économiques et de lutter contre le crime organisé.
Aujourd’hui, les menaces qui pèsent sur la France sont celles qui pèsent sur l’ensemble des démocraties, et, cette bataille, nous devons être en première ligne pour pouvoir l’emporter. Je signale d’ailleurs au passage que c’est grâce à nos services de renseignement que le Président Chirac, en son temps, a pu prendre en toute autonomie et en toute indépendance la décision de ne pas faire intervenir la France en Irak en dépit du grand mensonge fait à l’ensemble de la nation. C’est grâce à la direction du renseignement militaire, la DRM, à laquelle je rends hommage comme à l’ensemble des services de renseignement qui sont au service de la République, que notre pays ne s’est pas engagé dans une guerre qui n’avait aucun fondement.
Aujourd’hui, j’écoute comme tout un chacun l’ensemble des critiques et des observations adressées à ce texte. Elles sont légitimes, mais elles ne sont pas fondées.
Madame, messieurs les ministres, vous proposez par ce texte un encadrement juridique des services de renseignement. C’est une avancée démocratique. Moi qui suis né dans un pays qui, à l’époque, était sous la coupe d’un régime autoritaire, d’une dictature militaire, je mesure pleinement ce que veut dire surveillance de masse ou renseignement politique. Avec ce texte, nous endiguons toute possibilité de manipulation politique des services de renseignement. C’est une belle avancée pour notre République.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Madame la présidente, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, il aura fallu qu’il y ait dix-sept morts et les attentats des 7 et 9 janvier et qu’un militaire soit pris pour cible à Nice le 3 février pour que l’ensemble des groupes politiques prennent enfin conscience de la nécessité de renforcer les moyens d’action de nos services de renseignement.
Oui, reconnaissons-le, ce projet présente des mesures qui vont dans le bon sens, et, que les choses soient claires, je les voterai sans réserves, mais soyons honnêtes : il a fallu attendre plus de quatre mois pour que le Gouvernement présente un texte qui se contente de rendre légales des procédures qui étaient déjà utilisées dans les faits par les services de renseignement.
Oui, j’estime que ce texte ne va pas suffisamment loin. Je le dis avec gravité, il faut d’urgence renoncer à certaines libertés pour sauvegarder la liberté. Ceux qui aujourd’hui prétendent qu’il ne faut rien faire, ceux qui sont soit timorés soit hésitants jouent avec le droit inaliénable de chaque Français à vivre individuellement et collectivement en sécurité.
Il faut en finir avec les demi-mesures, les postures, les slogans et les effets de communication et prendre avec courage des mesures drastiques. Nous sommes en guerre contre des ennemis qui ont juré de nous détruire, des ennemis qui kidnappent, violent, tuent. C’est une lutte à mort, une lutte pour la survie de chacun de nos concitoyens, de notre nation, de nos grandes démocraties. C’est tout simplement une lutte pour la sauvegarde de notre civilisation.
Je reprends ici devant vous, sans hésiter, la fameuse formule des révolutionnaires de 1789 : « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ! » Pas de liberté pour les apprentis djihadistes ! Pas de liberté pour les fanatiques ! Pas de liberté pour les islamo-fascistes ! C’est pourquoi je regrette que votre projet de loi ne s’intéresse qu’au seul renseignement. C’est l’ensemble de la politique de sécurité et de la chaîne pénale qu’il faut réformer pour mieux nous protéger contre cette nouvelle guerre.
La prévention des risques terroristes passe aussi par la lutte contre la délinquance quotidienne. Le Gouvernement souhaite hausser le ton contre le terrorisme, mais la délinquance quotidienne explose sur notre territoire en développant des zones de non-droit. Or, celles-ci sont le principal vivier du terrorisme, dont le recrutement prolifère dans un climat général de délinquance. Votre politique pénale, qui ne répond pas aux besoins des forces de l’ordre qui sont épuisées, encourage la délinquance. Elle n’empêche pas le développement des réseaux de drogue et d’approvisionnement en argent provenant de sources multiples. Le terrorisme se finance tout simplement avec cette délinquance ! C’est en frappant la délinquance que vous frapperez le terrorisme et son développement sur notre territoire.
Ce projet ne renforce pas non plus l’autorité judiciaire. La lutte contre le terrorisme passe également par ce renforcement. Or, après avoir affaibli votre arsenal juridique, en supprimant les peines planchers contre les multirécidivistes ou en instaurant les peines de probation en lieu et place des peines d’emprisonnement, votre projet ne présente aucune mesure sur la justice, ni aucune mesure de sûreté ou de rétention. Une fois de plus, vous vous refusez à adapter la chaîne pénale aux réalités. Ce refus pourrait entraîner l’inutilité des mesures que vous nous présentez aujourd’hui.
Dans un amendement, je propose de développer un fichier unique contenant l’identité des individus poursuivis pour terrorisme ou potentiellement liés à une entreprise terroriste. Il faut créer un délit de participation à une entreprise terroriste, lorsqu’un faisceau d’indices concordants peut laisser craindre un risque de passage à l’acte. Si nos services de renseignement sont très efficaces – je souhaite ici leur rendre hommage –, nous voyons bien qu’ils manquent d’outils juridiques. Nous en avions d’ailleurs discuté ensemble, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le ministre de la défense nationale, lorsqu’un élan républicain vous avait conduits à Nice, quand il avait fallu agir face à un Moussa Coulibaly qui, surveillé, était sur le point de passer à l’acte, mais qui n’avait pas encore commis d’acte matériel. L’autorité judiciaire doit avoir la possibilité de prononcer une rétention de sûreté pour les auteurs d’actes de terrorisme.
Il faut mettre en place des quartiers spécifiques dans les prisons pour les terroristes Au-delà des mots, il faut aussi renforcer de manière significative les moyens humains et matériels de nos services de renseignement intérieur. Or, sur ce point, votre projet de loi ne se donne pas les moyens de l’ambition que vous affichez. Face à la menace terroriste, la République doit être forte. Elle ne doit pas fléchir et elle doit se donner les moyens de combattre cette guerre nouvelle, aussi bien sur notre territoire que sur le plan international. À ce propos, je m’interroge parfois sur la politique diplomatique de notre pays. On refuse de livrer deux Mistral à la Russie,…
…qui est un allié pour lutter contre le terrorisme, mais l’on veut vendre des Rafale à l’Égypte, alors que la solidité de son régime n’est pas garantie. Demain, suite à un nouveau retournement de situation, les Frères musulmans pourraient utiliser les armes vendues contre nous. Je ne comprends vraiment pas la politique diplomatique de notre pays ! Autre exemple : au mois de juillet 2014, on autorisait des manifestations prétendument pour la Palestine, alors que ces manifestations nous permettaient d’identifier un certain nombre de djihadistes qui y participaient.
Le renforcement de l’autorité de l’État doit aller encore plus loin. C’est la condition indispensable pour assurer au maximum la sécurité des Françaises et des Français, la protection de nos valeurs et la défense de notre démocratie. C’est cela que les Français attendent de votre gouvernement.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les ministres, chers collègues, « ce projet de loi est dangereux pour nos libertés individuelles et pour notre démocratie ». Ce n’est pas moi qui le dis, c’est le juge antiterroriste Marc Trévidic. Présenté comme la réponse aux attentats de janvier, comme pour mieux faire passer la pilule, ce projet ne traite en réalité que très partiellement de la question terroriste. Le tout récent rapport de nos collègues sénateurs alerte pourtant sur l’aggravation du péril islamiste : 1 432 Français djihadistes ont été recensés le mois dernier. Premier fournisseur européen de l’État islamique, notre pays enregistre un doublement de nos ressortissants dans les filières syrienne et irakienne sur la dernière année et une hausse de 84 % de Français présents sur les zones de combat. Les mosquées salafistes, terreau du terrorisme, ont doublé en cinq ans dans notre territoire.
Vous prévoyez dans ce texte sept finalités à l’extension des techniques de renseignement dont la prévention des « atteintes à la forme républicaine des institutions » et « des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique ». Cette formulation particulièrement floue accroît largement le champ d’action de surveillance des renseignements, bien au-delà de la menace terroriste, qui devient alors un prétexte à la surveillance politique. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter le ministre de l’intérieur en commission évoquant la mouvance identitaire comme potentielle cible de cette surveillance arbitraire, oubliant par là même que toutes les violences et les dégradations de ces dernières années sont le fait de groupuscules d’extrême gauche.
Comprenez mon inquiétude, lorsque je constate la véhémence des propos du Premier ministre tenus à l’étranger et en France à l’égard du Front National, alors que ce projet de loi fait de ce même Premier ministre le décisionnaire final de cette mise sous surveillance qui échappe à la décision du juge. Évidemment, le Gouvernement nous expliquera qu’il n’en est pas question, mais tout est prévu dans ce texte pour basculer du renseignement criminel au renseignement politique. Il est intolérable, dans un État de droit, de permettre de telles atteintes à la vie privée des citoyens.
D’autres finalités n’échappent pas à ce flou et deviennent une ouverture à toutes les dérives. Il aurait fallu a minima conserver la notion d’« intérêt essentiel », remplacé en commission par « intérêt majeur », pour justifier un tel pouvoir étatique qui, mis entre de mauvaises mains, fait craindre un État « Big brother ». Les techniques de recueil des données de connexion sont considérablement élargies. Les services bénéficieront d’un accès en temps réel sur les réseaux des opérateurs télécoms…
…et des hébergeurs pour récupérer densité d’informations, tels que les numéros de téléphone, l’adresse postale, la localisation ou les correspondances détaillées. Vous allez encore plus loin que la loi de programmation militaire, en créant un libre-service du renseignement qui permettra l’aspiration directe et massive de données. L’algorithme et les dispositifs techniques de proximité ouvriront la surveillance généralisée des réseaux de communication : consultation, interceptions, détournement des correspondances et géolocalisation des équipements. Comme l’a précisé la CNIL, l’anonymat que vous avancez est un mensonge.
Quant aux écoutes prévues dans les interceptions de sécurité, elles pourront être étendues à des personnes susceptibles de jouer un rôle d’intermédiaire, volontaire ou non, pour la personne écoutée. C’est donc tout l’environnement social, sonore et numérique d’un individu qui sera aspiré, ce qui constituera un levier d’espionnage généralisé. La création de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité n’est qu’un leurre administratif qui a pour seul but d’apaiser les inquiétudes légitimes des Français. Ses avis ne sont pas contraignants : quelle que soit sa décision, c’est au Premier ministre que reviennent tous les pouvoirs.
La CNCTR doit investiguer et non contempler. Or, force est de constater la faiblesse de sa composition : un seul technicien et aucun ancien membre du renseignement. Les quatre parlementaires ne pourront pas exercer le contrôle continu et permanent dévolu à la commission. Le pessimisme de l’ancien président de la CNCIS sur la compétence technique de la nouvelle CNCTR doit nous conduire à la faire évoluer vers un collège de personnalités qualifiées pour défendre les droits des citoyens. L’exécutif accapare l’ensemble du dispositif de renseignement, en contournant le contrôle par le juge judiciaire pour conférer à l’administration le pouvoir décisionnaire. Or, la justice est garante des libertés individuelles et elle veille à ce que l’équilibre soit respecté entre atteintes aux libertés et intérêt national.
Ôter la garantie nécessaire que symbolise le contrôle du juge revient à octroyer un blanc-seing au pouvoir politique et à ses dérives liberticides et intrusives. Les citoyens visés par le renseignement ne pourront donc saisir le juge administratif, à travers le Conseil d’État, qu’a posteriori et après le filtrage de la commission. En cas d’illégalité constatée, le Conseil d’État n’est même pas contraint d’annuler l’autorisation du recueil et la destruction des renseignements collectés irrégulièrement.
Sans surprise, en revanche, le Gouvernement est bien timoré dans le domaine de la surveillance pénitentiaire. Seule une possibilité est laissée au Gouvernement d’intégrer par décret le renseignement pénitentiaire dans la communauté du renseignement, alors que cela aurait dû être entériné dans ce texte. Il y a urgence ! Le monde carcéral est devenu l’un des principaux foyers de l’islam radical. Merah et Nemouche se sont radicalisés en prison. Face à un phénomène de plus en plus massif et dissimulé, il est essentiel de renforcer les effectifs du renseignement pénitentiaire et de professionnaliser sa formation et ses méthodes, en l’intégrant à part entière dans la communauté du renseignement.
Aujourd’hui, on a repéré tellement de djihadistes que l’on n’a pas assez d’officiers de police judiciaire pour les arrêter. Pour défendre réellement notre pays, cessez donc de limiter les effectifs et les budgets de nos armées, de nos forces de police et de gendarmerie, contraintes de rationner les munitions, et de nos services pénitentiaires. À défaut de prendre de véritables mesures en aval sur le financement des filières islamistes, les flux migratoires, le recul de la laïcité et la politique pénale, votre projet de loi est une réponse partielle et dangereuse à la menace terroriste. En dépit de l’augmentation nécessaire des effectifs que je soutiens, je ne peux le voter en l’état, car je ne peux expliquer aux Français que leur sécurité se fera au prix de leur liberté.
Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, il y a près de six mois, nous adoptions la dernière loi sur le terrorisme, une loi nécessaire et utile, qui avait déclenché la même polémique, les mêmes critiques et les mêmes procès d’intention que le projet de loi que nous examinons aujourd’hui. On nous accusait de vouloir, à travers la création de l’entreprise terroriste individuelle, mettre des centaines de Français sous les verrous. Six mois après, la justice n’a pas encore mis en oeuvre cette nouvelle peine. On nous accusait de vouloir paralyser internet à travers le blocage des sites. Six mois après, des sites internet faisant l’apologie du terrorisme ont bien été bloqués, sans la moindre difficulté technique.
On nous accusait déjà de mettre en place un Patriot Act à la française. Six mois après, les libertés de nos concitoyens sont-elles rognées ? Pourquoi vouloir systématiquement faire peur et inquiéter nos concitoyens ? Cette loi sur le renseignement est une loi nécessaire et attendue. Assurer la protection de notre souveraineté nationale et de nos concitoyens est une nécessité impérieuse face aux menaces protéiformes. Il était donc temps que notre démocratie donne à ses services de renseignement les moyens de travailler dans un cadre juridique modernisé et efficace. C’est ce que propose le texte que nous examinons aujourd’hui, qui est une avancée majeure pour l’État de droit.
Il est l’aboutissement d’une réflexion approfondie de notre président de la commission des lois, M. Urvoas, que je tiens à saluer. C’est bien parce que ce projet de loi n’est pas un texte d’émotion, ni de réaction qu’il est équilibré. Il donne un nouveau cadre légal, alliant sécurité et respect des libertés publiques et de la vie privée. Il met fin aux zones grises. J’ai la conviction que ce texte est protecteur des libertés. Face aux inquiétudes entendues de part et d’autre, concernant l’atteinte aux libertés individuelles, je rappellerai que nous ne sommes en aucun cas dans une opposition entre impératif de sécurité nationale et respect de l’État de droit et des libertés individuelles.
Les pouvoirs de la nouvelle Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, héritière de l’actuelle CNCIS, seront étendus. Elle détiendra des prérogatives indispensables ; elle émettra un avis préalable auprès du Premier ministre ; elle répondra aux demandes d’avis du Premier ministre, des présidents des assemblées et de la délégation parlementaire au renseignement. Elle aura la capacité de contester un avis délivré par le Président et de saisir le Conseil d’État. Nos concitoyens pourront, eux aussi, saisir le Conseil d’État, ce qui est une avancée considérable qui permet surtout de garantir le respect des libertés de tous. Le contrôle parlementaire sera lui aussi renforcé, avec la délégation parlementaire au renseignement.
À ces contrôles s’ajoute l’exigence de proportionnalité et de subsidiarité : plus les techniques seront intrusives, plus le contrôle sera grand ; et les techniques les plus intrusives ne seront possibles que si les autres techniques n’ont pas donné les résultats escomptés. Ces éléments prouvent la volonté du Gouvernement et de sa majorité de renforcer les libertés individuelles.
Une autre inquiétude couramment répandue concerne la surveillance des citoyens et la collecte des renseignements. La loi affirme le principe d’une surveillance limitée à quelques individus qui représentent une menace avérée. La mise en oeuvre d’une technique fera l’objet d’une surveillance limitée à quelques individus et devra préciser la personne concernée, les finalités et la durée prévue.
Quant à l’usage des IMSI catchers, qui suscitent de nombreux fantasmes, je me réjouis que le Gouvernement ait retenu ce dispositif que j’avais proposé avec Jean-Jacques Urvoas lors de la dernière loi sur le terrorisme. Il sera encadré et autorisé pour le terrorisme, l’espionnage et la criminalité organisée ou les violences graves portant atteinte à la sécurité publique. Il n’y aura donc pas de surveillance de masse. D’ailleurs, la loi prévoit de garantir la destruction des données non pertinentes sous trente jours. La loi prohibe les techniques de surveillance généralisée par la NSA. Toute demande sera écrite et motivée par les ministres de tutelle des services concernés. En outre, les récoltes seront centralisées et soumises à un contrôle absolu.
Il faut le répéter, inlassablement peut-être : la loi renseignement n’est en aucun cas un Patriot Act à la française. Les motifs de surveillance sont précis et inscrits dans un cadre légal ; la surveillance est ciblée, limitée dans le temps, en direction d’un individu constituant une menace avérée. Albert Camus disait : « Si l’homme échoue à concilier la justice et la liberté, alors il échoue à tout. » Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, avec cette loi, nous aurons plus de sécurité, tout en garantissant nos libertés individuelles.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les ministres, madame la présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, ce projet de loi a été présenté à l’opinion publique comme étant la mère de toutes les batailles contre le terrorisme alors qu’en réalité celui-ci n’est concerné qu’à la marge par ce texte, qui traite de bien d’autres domaines, dont les atteintes à l’ordre public, économique et social.
Il faut avoir le courage de le dire : jamais un gouvernement n’aura eu autant de moyens d’intrusion dans la vie des citoyens et des administrés.
Ce projet de loi est aussi la mère de tous les fantasmes… Mais oublions-les car il ne mérite ni les compliments de certains, ni les outrances des autres. Madame la ministre, messieurs les ministres, des collègues estiment que vous n’allez pas assez loin,…
J’appartiens plutôt à la catégorie de ceux qui refusent de tomber dans la naïveté face à un texte qui peut être dangereux s’il est mal utilisé – ce dont je ne vous soupçonne absolument pas. Et puis il y a ceux qui savent bien que les pratiques que vous nous proposez d’encadrer sont déjà, j’allais dire, « sur le marché ». Nous avons donc le choix entre le bandeau sur les yeux, le bandeau de l’ignorance des mauvaises moeurs, et les menottes de l’intrusion dans nos vies personnelles.
Si l’on peut s’accorder sur l’intérêt qu’il y a à contrôler des activités criminelles, surtout dans une période troublée où nul ne sait où l’on va dans la violence politique, et à contrôler les risques d’abus que peut commettre un État dit de droit pour la répression de ces activités, votre texte peut sans doute être l’objet d’une notable amélioration, notamment quant au dit contrôle. Je doute en effet de l’efficacité du fonctionnement de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, composée de quelques parlementaires qui auront bien d’autres choses à faire dans l’exercice de leur mission et dans leur vie politique, de quelques magistrats plus ou moins à la retraite dont on peut au moins souhaiter qu’ils seront gaillards et clairvoyants. Cela m’apparaît bien mince pour contrôler l’activité de cinq ou six services à la recherche de toujours plus de moyens d’intrusion dans la vie des citoyens. Que ce contrôle soit a priori ou a posteriori, y compris devant le Conseil d’État, cela est tout à fait insuffisant face aux velléités et réalités de la recherche du toujours plus de renseignements de la part de certains services parfois mal avisés – nous l’avons déjà constaté dans la période récente.
Vous savez bien que ce texte n’aurait pas permis d’arrêter les frères Kouachi et Amedy Coulibaly avant leurs crimes, tout simplement parce qu’ils avaient « disparu des écrans », selon les propres termes de M. Squarcini. J’aurais imaginé un système plus judiciarisé avec des magistrats de permanence, comme cela se fait au parquet antiterroriste que j’ai eu l’honneur de diriger. Mais je prends conscience de l’irréalisme de ma proposition puisque nous sommes dans un cadre administratif et préventif où le juge est constitutionnellement chassé de ce domaine au profit de l’administration et du pouvoir politique, en application de la loi de 1790. Dès lors point de juge et point de garantie judiciaire.
Il me reste à en imaginer une autre, et je me tourne vers vous, monsieur le rapporteur et président de la commission des lois car je vous sais, attaché au contrôle parlementaire des services de renseignement, au réel contrôle, je le précise, et non pas à la vague délégation créée par la loi du 9 octobre 2007,…
…dans le cadre de laquelle les services de renseignement peuvent bien raconter tout ce qu’ils veulent à des parlementaires éblouis par la fréquentation d’agents secrets ! Ce n’est pas à un tel contrôle que je pense, celui que nous avions imaginé en 2006 et en 2007, à l’initiative de la précédente majorité – et qui s’est conclu, au grand soulagement de certains, par l’institution de cette délégation alibi et sans aucun moyen matériel,…
…mais à un contrôle parlementaire comme celui que j’ai eu l’occasion de voir fonctionner aux États-Unis, où trente fonctionnaires aguerris, souvent anciens officiers de renseignement, autour d’un sénateur ou d’un représentant, font un contrôle sur pièce et sur place, et par audition de toutes les agences de renseignement, lesquelles y regardent à deux fois avant de mentir ou de faire de la rétention d’information ou de l’intrusion illégale.
Voilà le véritable chantier, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le ministre de la défense, que vous devriez lancer. Il y aurait là une réforme de société importante, et si votre bonne volonté est avérée, je voterai sans doute, bien que réticent, un texte que vous aurez amélioré dans l’intérêt de la protection de nos citoyens, c’est-à-dire de notre sécurité mais aussi de notre liberté.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les ministres, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, nous voici dans un débat à double portée. En effet, ce projet de loi résulte d’abord d’un travail de longue haleine sur le fonctionnement des services de renseignement, travail dont il faut féliciter le président Urvoas, rapporteur de ce texte, ainsi que notre collègue Patrice Verchère. J’espère qu’ils n’ont pas découvert une grotte Chauvet d’où s’échapperont des bisons et des créatures fantastiques, mais cette mise au jour était très profondément utile en termes de transparence démocratique. Car pour se préserver, une démocratie, qui ne peut pas tout dire, tout dévoiler, doit prévoir les mécanismes par lesquels elle entend contrôler ceux-là mêmes qui ont, dans l’ombre, la charge de la préserver. C’est un paradoxe qu’il faut assumer.
Mais le texte poursuit également un autre objectif : un objectif d’efficacité républicaine. Il s’agit de compléter les deux lois sur le terrorisme qui ont développé des moyens de police administrative et de répression pénale en les complétant par de nouveaux moyens donnés aux services de renseignement, des moyens convenant à un État de droit mais aussi au principal défi qui se pose aujourd’hui à nous, celui, bien sûr, du terrorisme.
Il fallait donc se pencher sur la définition d’un contrôle des services de renseignement. Leur mise au jour à travers la légalisation de leur action fait apparaître la sophistication nouvelle des techniques, leur extension et l’importance des données en cause, y compris des métadonnées. Tout cela peut bien sûr soulever des interrogations. Mais il est du devoir du législateur que de définir l’équilibre qu’il entend voir se mettre en place pour ce qui concerne l’encadrement de ces activités. Il ne s’agit pas seulement de l’équilibre entre la sécurité et la liberté, même si c’est un résumé correct, mais d’un triangle vertueux que nous devons instituer : sa première pointe correspond aux missions, la deuxième, aux techniques, la troisième, aux contrôles.
S’agissant des missions, je souligne ce qui devrait être un principe clair dans tout État de droit : à mes yeux, plus la mission est large, c’est-à-dire les objectifs diversifiés – terrorisme, sécurité nationale, espionnage économique –, plus le champ de l’investigation doit être limité et précis, avant même le contrôle. À l’inverse, plus la mission est précise – je pense à la lutte contre le terrorisme –, plus la technique peut prendre de l’ampleur. C’est la raison pour laquelle l’algorithme imposé aux opérateurs se justifiera d’autant plus que la mission sera précise, relativement limitée et en tout cas contrôlée.
Reste la troisième pointe du triangle : le contrôle. Les mécanismes mis en place seront déterminants à cet égard. Mais le législateur ne statue bien évidemment que sur leur cadre. La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement est évidemment bienvenue et je pense que faire appel à une formation spécialisée du Conseil d’État est une solution inventive et très bienvenue car le juge administratif suprême plonge de longue date dans les réalités de l’ordre et de la sécurité publics. Il a l’art et la manière de peser les choses parce qu’il est au coeur de l’État tout en étant à la bonne distance de l’appareil d’État proprement dit. C’est le point essentiel. Mais il y a un point sur lequel j’appelle de mes voeux une évolution du texte retenu par notre commission : le Conseil d’État ne doit pas être privé de son mode de fonctionnement normal ; il faut que la formation désignée en son sein puisse être contrôlée par les formations supérieures que sont la section ou l’assemblée du contentieux, composées d’un petit nombre de juges, ce qui en faciliterait l’habilitation. En effet, la garantie qu’offre le Conseil d’État résulte bien de son mode de fonctionnement tel qu’il s’est imposé dans l’histoire.
J’ai par ailleurs deux interrogations, que je développerai lors de la discussion des articles : l’une porte sur l’inclusion du renseignement pénitentiaire dans le périmètre des services, et je pense que la garde des sceaux a parfaitement raison de rappeler qu’il ne faut pas se tromper de périmètre ; l’autre porte sur la possibilité donnée aux chefs de service de décider eux-mêmes en cas d’urgence, avant saisine de la Commission nationale, de mettre en oeuvre certaines techniques, car je préférerais nettement que cette responsabilité relève du responsable politique, en l’occurrence le ministre.
Ce texte consensuel devrait, après quelques modifications utiles, être adopté. Je conclurai en soulignant qu’il aura besoin d’être évalué dans ses effets parce qu’il est très neuf et que des contradictions internes pourraient surgir. Il est bien de la prérogative du Parlement d’examiner non seulement les modalités d’encadrement futur des services à travers ce texte, mais aussi comment celui-ci pourrait évoluer à partir de la manière dont il sera reçu et compris dans la société.
Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les ministres, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, chers collègues, ce projet de loi répond utilement, selon moi, aux besoins opérationnels de nos services spéciaux comme à la nécessité de protéger juridiquement leur action tout en apportant les garanties nécessaires à la protection des libertés.
L’amélioration, en commission, de la définition des finalités des services de renseignement concernant les intérêts majeurs de la France et l’ajout de la notion de prévention de toute ingérence étrangère correspondent mieux à la réalité, tout comme l’apport de l’algorithme anonyme afin de détecter les échanges suspects sur internet.
Quant à la prévention des violences collectives, à l’heure où notre pays doit faire face à de nouvelles tactiques d’action ultra-violente de groupuscules utilisant le vecteur des manifestations pour contester voire déstabiliser l’ordre républicain, elle me paraît indispensable, d’autant que le ministre de l’intérieur nous a assuré qu’elle ne pourrait être utilisée à l’encontre de mouvements pacifiques, telle la Manif pour tous ou d’autres de ce style.
J’ai pu constater, en tant que secrétaire de la commission d’enquête sur le maintien de l’ordre républicain – son rapporteur, Pascal Popelin, ne me démentira pas – l’intérêt du renseignement dans ce domaine très précis afin justement d’empêcher des violences extrêmes.
Mais le projet de loi doit aller plus loin pour améliorer le fonctionnement de la communauté du renseignement et pour conférer une base juridique solide à l’utilisation de techniques nécessaires, je pense par exemple à la surveillance des détenus radicalisés et des moyens de communication qu’ils introduisent clandestinement en prison. De plus, le deuxième cercle de la communauté du renseignement, privé aujourd’hui de base législative, gagnerait à intégrer d’autres services spécialisés tels que la direction générale de la gendarmerie, la direction générale de la police nationale et celle du renseignement de la préfecture de police de Paris. Il est assez incompréhensible que TRACFIN et la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières y appartiennent, et que la gendarmerie en soit exclue !
Un de mes amendements proposera donc de pallier cette incohérence.
Mais réformer la communauté du renseignement ne saurait suffire s’il n’est pas mis un terme aux rivalités entre les services, dénoncées par les syndicats de police et par le rapport sénatorial de Jean-Pierre Sueur consacré aux filières djihadistes.
Alors que les services dénoncent la précarité de leurs conditions de travail, la question des moyens se pose, que ce soit en termes de formation, de budget ou même du niveau des interceptions et de la non-fongilibilité des quotas d’interceptions de sécurité entre la police et la gendarmerie.
La surveillance des détenus radicalisés est tout aussi indispensable. Aussi ne peut-on se satisfaire du texte issu de la commission des lois. La suppression de l’article 12 prive de base légale la captation en prison des données illicitement échangées au moyen de téléphones portables et d’ordinateurs alors qu’en vertu d’une jurisprudence constante, il appartient au législateur de définir ce cadre. C’est une nouvelle occasion manquée de donner force de loi à l’interdiction faite aux détenus, en vigueur dans la plupart des pays européens, de posséder un téléphone portable et de se connecter de façon autonome et non contrôlé à internet, qui est pourtant, on le sait, le premier vecteur de radicalisation islamiste. Je proposerai donc un amendement actant cette interdiction, clarifiant ainsi la position des pouvoirs publics, notamment face à la tentative de la contrôleure des lieux de privation de liberté de les autoriser, dans le silence complaisant de la garde des sceaux – qui vient hélas de nous quitter.
Je vous manque déjà ?
Sourires.
Les éléments prosélytes devraient également faire l’objet d’une surveillance renforcée, de fouilles et d’interdiction de parloir le cas échéant, comme le proposait fort justement le rapporteur de la précédente loi antiterroriste, et la rétention de sûreté, que la garde des sceaux veut abroger, devrait au contraire être étendue aux terroristes.
J’aurais dû me douter qu’ils ne pourraient pas faire deux phrases sans moi…
Il est infiniment dommageable, comme l’a souligné notre collègue Ciotti, que la majorité n’ait pas eu recours à ce véhicule législatif pour sanctionner plus sévèrement et même symboliquement ceux qui s’en prennent au fondement même de notre démocratie.
Merci de ne pas nous avoir quittés, madame la garde des sceaux !
À défaut de l’adoption de notre proposition de loi sur la perte de nationalité, de la pénalisation de la consultation de sites djihadistes et de la privation systématique des droits civils et sociaux pour les djihadistes, nous vous exhortons à adopter au moins la peine de perpétuité incompressible pour les actes terroristes comprenant des crimes de sang, comme l’a préconisé le rapporteur lui-même.
Le danger qui nous menace et la guerre dans laquelle nous sommes désormais engagés exigent que nous prenions toutes les mesures qui s’imposent, car la République se doit d’être armée…
…face aux terroristes qui guettent la moindre de ses faiblesses pour la frapper jusqu’au coeur – à commencer par le désarmement pénal général introduit par la loi Taubira.
Retenons au moins la leçon d’un passé qui nous a fait payer du prix du sang et de l’oppression notre impréparation face aux ennemis de la République !
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.
Mme Sandrine Mazetier remplace Mme Laurence Dumont au fauteuil de la présidence.
Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les ministres, monsieur le rapporteur, chers collègues, le projet de loi présenté aujourd’hui est essentiel et fondateur en ce qu’il donne un cadre juridique aux services de renseignement, qu’il les définit et qu’il organise le contrôle de leurs activités. Il est essentiel pour prévenir des menaces réelles qui pèsent sur notre pays et nos concitoyens, mais aussi pour garantir le respect de la vie privée de ces derniers et une limitation au strict nécessaire de l’accès et de l’utilisation de leurs données personnelles. La CNIL, la Commission de réflexion et de propositions sur le droit et les libertés à l’âge numérique, ainsi que d’autres institutions entendues lors des auditions ont rappelé que le droit à la protection des données personnelles était un droit fondamental. À ce titre, il devrait figurer expressément dans la liste arrêtée à l’article 1er du projet de loi, aux côtés du secret des correspondances et de l’inviolabilité du domicile.
On m’opposera que la protection des données personnelles, elle, n’a pas de valeur constitutionnelle. Pourtant, le Conseil constitutionnel a rappelé que la collecte de données à caractère personnel était soumise au droit au respect de la vie privée, dont la méconnaissance « porte atteinte à la liberté individuelle, qui constitue une des libertés publiques constitutionnellement garanties ». Il consacre donc le droit à la protection des données personnelles comme faisant partie intégrante du droit à la vie privée constitutionnellement garanti.
Alors, pourquoi ne pas aller plus loin ? Il y a nécessité, je pense, à constitutionnaliser la protection des données personnelles de façon autonome et spécifique, de manière à prolonger la protection de la vie privée à l’ère du numérique, qui ne cesse de se développer et dont les techniques évoluent chaque jour. Bien entendu, ce n’est pas avec ce texte que nous le ferons, mais l’objet de ce dernier ne peut que nous conduire à nous interroger sur une telle nécessité. C’est la raison pour laquelle je me permets de demander à nouveau, à l’occasion de l’examen du présent projet de loi, qu’une révision de la Constitution soit engagée.
J’en reviens au texte qui nous occupe aujourd’hui, et au sujet duquel je tiens à saluer le travail du rapporteur.
Légaliser les pratiques de renseignement est fondamental ; proportionner et limiter la surveillance l’est tout autant. Il me semble qu’il serait possible d’aller plus loin dans cet équilibre. J’en donnerai quelques exemples.
D’abord, la seule prévention du terrorisme ne permet pas de couvrir l’ensemble des besoins de renseignement nécessaires pour la protection de nos intérêts. Aussi l’établissement d’une liste de finalités, ouvrant droit à la mise en oeuvre des techniques de renseignement, n’est-elle pas contestable. Néanmoins, ces techniques doivent rester proportionnées et limitées. Je souhaite à ce sujet relayer les craintes de nombreuses institutions et de particuliers, dont nous recevons un nombre croissant de courriers à mesure que nous progressons dans l’examen du texte. Il me semble que l’élargissement des finalités prévu à l’article 1er mériterait d’être restreint ou précisé, notamment la cinquième finalité, relative à la prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions et des violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale.
Ensuite, je regrette que la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement – CNCTR – n’émette que des avis, et qu’elle ne joue pas, à l’instar de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité – CNCIS –, de rôle centralisateur de l’ensemble des demandes, relevés des fichiers et transcriptions.
Le texte prévoit que la CNCTR « dispose » d’un droit d’accès, mais elle ne sera pas automatiquement destinataire de ces données, pourtant nécessaires à l’accomplissement de sa mission. Vu les délais de réalisation des opérations concernées, cette absence d’automaticité peut nuire, je le crains, à l’efficacité de son contrôle.
D’autre part, je souhaiterais évoquer la possibilité de collectes massives et de traitement généralisé de données à caractère personnel prévue par l’article L. 851-4. Cette disposition instaure une surveillance massive à l’aide de dispositifs techniques et d’algorithmes sur lesquels la transparence semble impossible. Elle se heurte à la loi informatique et libertés, ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour européenne des droits de l’homme – même si le Premier ministre a bien précisé dans son propos introductif que, dans un premier temps, l’on procéderait à une simple expérimentation, pour une durée de trois ans.
Enfin, de mon point de vue, d’autres aspects du projet de loi mériteraient d’être encore améliorés – je pense notamment aux dispositions relatives à la durée de conservation des données et au contrôle des fichiers. Ces aspects seront évoqués au cours du débat, qui devra déboucher sur l’adoption d’un texte proportionné, utile, assurant l’adaptation de nos pratiques à l’évolution technologique fulgurante à laquelle sont confrontés les services, sans jamais cesser, bien évidemment, de respecter nos libertés individuelles.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
La discussion générale est close.
La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
Je souhaiterais, par courtoisie envers le Parlement et dans un souci de clarté du débat, apporter quelques éléments de réponse aux interrogations légitimes qui viennent d’être soulevées par les orateurs. La réponse à la discussion générale sera en outre une manière d’éclairer utilement la discussion sur chacun des articles.
Je veux tout d’abord insister à mon tour sur le cadre nouveau dans lequel ce texte a été élaboré. Les technologies ont en effet considérablement évolué. La loi de 1991 – dernier texte dont nous disposons – donnait la possibilité d’avoir accès à quelques données de connexion et de réaliser des interceptions de sécurité dans une société où la numérisation n’existait pas, où les technologies utilisées n’étaient pas les mêmes et où les risques auxquels nous étions confrontés étaient d’une nature très différente de ceux qui prévalent aujourd’hui.
Par ailleurs, nous sommes dans une démocratie où le contrôle et l’encadrement des activités des services de renseignement sont très largement insuffisants. Il faut aussi, parce qu’une grande démocratie est une démocratie qui parvient à regarder ces sujets avec recul et maturité, considérer les services de renseignement non pas comme des services entièrement à part devant éveiller en permanence notre suspicion, mais comme des services publics à part entière, soumis à des règles de fonctionnement et à des contrôles a posteriori de la part du Parlement et des autorités chargées de les contrôler.
C’est parce que nous voulons prendre en compte ce contexte nouveau que nous proposons le présent projet de loi. Ce dernier suscite toutefois un certain nombre d’interrogations, et je dois vous dire, mesdames et messieurs les députés, que depuis que ce texte est sur le métier, je suis extrêmement surpris du décalage qui peut exister entre les commentaires que j’entends et ce que le projet de loi contient effectivement. Je pense que la situation est suffisamment grave – je dirai tout à l’heure un mot de la nature de la menace à laquelle nous sommes confrontés – pour que nous allions bien entendu au fond du débat, mais en partant de ce que le texte contient réellement, et non en fonction de ce que l’on aimerait y trouver ou des craintes que l’on éprouverait. Je souhaite par conséquent apporter des réponses extrêmement précises à certaines interrogations qui ont été formulées.
Premier point : les finalités. Le texte en définit sept, alors que dans la loi de 1991, il n’y en avait qu’une, la sécurité nationale, au titre de laquelle on pouvait procéder à des contrôles, de façon bien plus large que ce que propose le présent texte. Nous ne souhaitons pas voir ce procédé se généraliser, et c’est pourquoi nous avons décidé d’affiner les choses et de préciser un certain nombre de finalités.
Contrairement à ce que j’ai pu entendre, ou lire dans la presse, ce texte, du fait qu’il mentionne les finalités qui justifient la mobilisation des techniques de renseignement, est beaucoup plus protecteur des libertés publiques que ne l’était la loi de 1991.
En effet, si le Gouvernement a voulu inscrire ces finalités dans la loi, c’est précisément parce qu’il a souhaité que l’on ne puisse pas recourir à des techniques de renseignement à tout prétexte, sur tout sujet. Et si nous avons souhaité que le Parlement puisse amender le texte, y compris s’agissant de la définition des finalités – j’ai par exemple accepté en commission, au nom du Gouvernement, des amendements relatifs à la question des mouvements sociaux que vient de soulever Mme Dumont –, c’est précisément parce que nous souhaitons qu’il n’y ait aucune ambiguïté sur les objectifs visés par cette loi.
Je veux en profiter pour apporter des réponses précises à tous ceux qui, telle Mme Le Pen, ont exprimé leur crainte qu’un dispositif de contrôle des groupes politiques puisse être instauré par l’intermédiaire de ce texte.
Que faire lorsqu’on est ministre de l’intérieur ou tout autre responsable de l’État et que l’on apprend que des groupes violents sont susceptibles de commettre, dans les heures qui viennent, des actes pouvant porter gravement atteinte à l’intégrité physique de personnes ? Vous semblez considérer, madame Le Pen, que certains mouvements identitaires d’extrême droite ne posent pas de problème. Mais lorsqu’on me transmet des informations selon lesquelles ces groupes s’apprêtent, à la sortie de synagogues ou de mosquées, à se livrer à des violences extrêmement graves, devrais-je ne rien faire…
…et attendre que les actes aient été commis, avec les conséquences que l’on sait, pour laisser le soin au juge judiciaire de judiciariser la situation de leurs auteurs ?
Madame Le Pen, lorsque des manifestations sportives présentent des risques de violence extrême de la part de groupes radicaux, de hooligans, dans le monde tel que vous l’imaginez, le ministre de l’intérieur ne fait rien ?
Il attend tranquillement que les violences se produisent, de manière à être sûr que le juge judiciaire pourra intervenir et que la situation des fauteurs de troubles sera judiciarisée ?
Ce n’est pas ma conception de la protection de Français !
En présence de groupes dont on sait qu’ils peuvent commettre des violences extrêmes, la responsabilité de l’État est de protéger les Français contre ce risque. S’il ne le fait pas, il faillit gravement à sa mission !
Mais c’est la mission du procureur ! Supprimez le parquet, dans ce cas !
Moi, madame Le Pen, je ne confonds pas les groupes susceptibles d’être à l’origine de ces violences extrêmes – groupes qui sont parfaitement identifiés – avec des organisations syndicales ou politiques qui exercent leur capacité à revendiquer dans le respect des règles de la République et de la démocratie. Je trouve qu’il y a dans cette forme d’amalgame, d’une part une manière d’édulcorer les risques réels, d’autre part une volonté de susciter la peur en soulevant des problèmes qui n’existent pas. Il convient au contraire de permettre à l’État de s’organiser afin qu’il puisse faire face à la vraie difficulté à laquelle il est confronté, c’est-à-dire la prévention des violences extrêmes dans une société où il existe une forme de radicalité violente.
Voilà très exactement ce que nous voulons faire, par des mesures de police administrative.
Je veux aussi préciser que si nous prenons ce type de mesures visant à prévenir que soient commis des actes extrêmement graves, pouvant porter atteinte au pacte républicain, aux valeurs de la République, à l’ordre public, il y aura bien entendu, contrairement à ce que j’ai entendu dire, un juge qui procédera au contrôle des actes de police administrative mis en oeuvre par l’État. Il s’agit du juge administratif, dont le rôle est précisément de veiller à la conformité au droit des décisions prises par l’État dans le cadre de ses pouvoirs de police administrative.
D’aucuns ont tendance à considérer que si le juge judiciaire n’intervient pas, il n’y a pas de juge.
Mais le juge administratif est un juge ! Et lorsqu’il intervient, il le fait avec la volonté rigoureuse de protéger les libertés publiques ; c’est ce qu’ont fort bien montré l’arrêt Canal, l’arrêt Benjamin et l’arrêt Gisti, s’agissant de la protection du droit des étrangers.
Si, cela a tout à fait à voir, monsieur Goasguen, puisque l’arrêt Canal a été rendu par le juge administratif en 1962 dans un contexte où l’État se proposait de remettre en cause, par l’intermédiaire de mesures administratives, un certain nombre de libertés auxquelles le juge administratif, et notamment le Conseil d’État, tient tout particulièrement.
C’est en effet le rôle du juge administratif d’assurer la protection des libertés publiques lorsque l’État use de ses pouvoirs de police administrative.
Et il s’agit bien, monsieur Goasguen, d’un principe constitutionnel : c’est un principe de séparation des pouvoirs inscrit dans les principes généraux de notre droit et dans nos principes constitutionnels, et auquel le législateur doit se conformer lorsqu’il élabore la loi !
Je voulais apporter ces réponses très précises pour dire que tout ce que j’entends sur l’absence du juge est faux, y compris, d’ailleurs, s’il s’agit du juge pénal, puisque, dans le texte de loi que nous proposons, le contrôle juridictionnel qui s’exercera permettra au juge administratif, comme, d’ailleurs, à la CNCTR, de saisir le juge judiciaire lorsqu’il constatera une infraction pénale, de telle sorte que l’action publique puisse être enclenchée sur la base de cette constatation. Donc il y a un décalage considérable entre ce que le texte dit et la lecture que l’on en fait,…
…et je tenais à pointer cela devant l’Assemblée nationale, parce que je pense que, sur des sujets aussi graves que ceux dont nous parlons, il est bon que la plus grande rigueur intellectuelle…
…et les principes juridiques les plus solidement établis par notre droit soient convoqués, plutôt que des approximations, des amalgames et des raccourcis.
Le troisième point sur lequel je voudrais insister, c’est la surveillance de masse. Il n’y en a pas, dans ce texte.
Je voudrais d’ailleurs évoquer les trois techniques qui sont mobilisées par les services et qui ont fait l’objet d’interrogations, pour apporter des réponses extrêmement précises. Mme Dumont a évoqué le sujet, d’autres orateurs l’ont fait. La détection sur données anonymes concerne ceux dont on est convaincu qu’ils peuvent être engagés dans des opérations à caractère terroriste, puisque la détection sur données anonymes, ce que vous appelez la surveillance de masse, est réservée au seul terrorisme. Par conséquent, elle n’est pas « de masse », puisque, à ma connaissance, il n’y a pas soixante-cinq millions de Français qui sont concernés par des activités terroristes. Et, si nous mettons en place ce dispositif-là, c’est précisément pour faire en sorte qu’il soit ciblé. Il ne s’agit absolument pas, pour le Gouvernement et pour l’État, de procéder à une surveillance de masse de l’ensemble des Français par la mobilisation de cette technique, il s’agit au contraire de cibler l’usage de cette technique sur ceux dont nous sommes convaincus qu’ils peuvent être engagés dans des activités à caractère terroriste.
Je vais prendre des exemples très concrets, pour bien montrer de quoi il s’agit. Lorsque nous savons, parce que nos services de renseignement font un travail estimable, qui mérite d’être valorisé devant la représentation nationale, que des groupes terroristes procèdent au téléchargement d’un certain nombre de vidéos, puis viralisent des sites, qu’ils vérifient les téléchargements en question et qu’ils utilisent un certain nombre de techniques parfaitement identifiées, on sait quels sont leurs comportements et on sait, par conséquent que, par la mobilisation de techniques ciblées, il est possible de prévenir leurs actes en regardant sur internet la manière dont ils se comportent. C’est cela dont il s’agit. La mobilisation de ces techniques sur internet permet de cibler ceux qui sont susceptibles de commettre ces actes…
…dans le cadre de mesures de police administrative qui sont destinées à prévenir la commission d’actes terroristes graves, dans un contexte où les terroristes utilisent le darknet, la cryptologie, et où ils doivent être suivis par nos services de façon efficace et ciblée.
Quant au suivi en continu des terroristes, il ne s’applique qu’à ceux dont nous savons, parce que nos services de renseignement ont fait une partie du travail, qu’ils sont susceptibles de commettre des actes.
De la même manière, en ce qui concerne le dispositif de proximité IMSI catcher, dont vous avez parlé, s’il est possible d’utiliser cette technique, nous ne gardons que les données de connexion de ceux sur lesquels nous avons une interrogation quant aux activités qu’ils peuvent éventuellement engager,…
…et le contenu des conversations n’est accessible qu’après un nouvel avis de la CNCTR. Donc il y a un décalage considérable entre les commentaires qui sont faits sur la loi et les dispositions qu’elle contient.
Moi, ce que je souhaite, tout simplement parce que je vois le risque en face, c’est qu’on ne finisse pas, alors que le risque est aussi grave, alors que nous sommes soumis à une telle menace terroriste, par soupçonner ceux qui nous en protègent de vouloir remettre en cause nos libertés publiques, alors que ce sont précisément, on l’a vu, encore avec la cyberattaque contre TV5, les terroristes qui sont susceptibles de porter atteinte aux libertés publiques !
Ces techniques, monsieur Lellouche, ne concernent que la lutte contre le terrorisme, qu’il s’agisse de la détection sur données anonymes ou du suivi en continu. Donc, moi, je suis désolé, je souhaite, alors que nous sommes confrontés à une menace aussi sérieuse et aussi grave, alors qu’il y a des services qui se mobilisent de façon extrêmement professionnelle et dont le rôle mérite d’être valorisé devant cette assemblée,…
…qu’on donne à ces derniers les moyens de travailler, et qu’on le fasse à travers cette loi, et que l’on s’attache à améliorer cette loi non pas en fonction des fantasmes que l’on a mais en fonction des dispositions qu’elle comporte.
Et je rejoins absolument ce qu’a indiqué le Premier ministre tout à l’heure, parce que cela correspond absolument à la vérité. Cette loi n’est pas une loi de surveillance généralisée, c’est une loi de contrôle des services par des dispositifs qui, jusqu’à présent, ne s’appliquaient pas à eux : contrôle d’une commission administrative indépendante, contrôle juridictionnel, contrôle parlementaire. Cette loi est une loi…
Si, un contrôle juridictionnel, parce que le Conseil d’État est une juridiction, monsieur Goasguen, et que lorsque le Conseil d’État exerce son contrôle…
Il n’est pas compétent pour les libertés individuelles ! Lisez l’article 66 de la Constitution !
Si, il est compétent en matière de libertés publiques, monsieur Goasguen, je suis désolé de vous le dire. Arrêt Canal, arrêt Benjamin, arrêt GISTI, ce sont des arrêts dont le juge administratif a montré qu’ils étaient destinés à défendre les libertés publiques…
Mais justement ! Justement, monsieur Goasguen ! Vous apportez de l’eau à mon moulin. L’article 16 était un article qui…
Monsieur Goasguen, l’arrêt Canal est un arrêt qui a permis au Conseil d’État de protéger les libertés publiques, comme l’arrêt Benjamin. Je vous renvoie à leur contenu, et vous aurez alors la démonstration que ce que je vous dis correspond à l’exacte réalité.
Quant à l’article 66 de la Constitution, il ne concerne que les mesures privatives de liberté, c’est-à-dire la détention…
Non, pas du tout. Il concerne la détention et la rétention, et, comme vous le savez, monsieur Goasguen, il n’est absolument pas question, dans les différentes dispositions de ce texte, de traiter des sujets dont vous parlez à l’instant.
Je souhaite simplement, sur ces questions, qu’on soit extraordinairement rigoureux et précis.
Je le suis parfaitement, et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle, en ce qui me concerne, je ne suis pas énervé.
La précision et la rigueur n’appellent pas, généralement, l’énervement, et je souhaite que, pendant tout ce débat, nous puissions avec la plus grande rigueur et la plus grande précision traiter de ce que ce texte contient et non pas des fantasmes qu’on a dans la tête.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, puisqu’on parle de décalage et de précision, je voudrais, en complément de ce qu’ont dit le ministre de l’intérieur et aussi, tout à l’heure, le Premier ministre, bien clarifier les choses en ce qui concerne les mesures de surveillance des communications internationales.
Puisqu’il s’est dit beaucoup de choses, je voudrais préciser très clairement, premièrement, qu’il n’existe pas, contrairement à ce que prétendent certains commentateurs – je ne l’ai pas entendu dans la discussion générale, mais je le précise néanmoins –, de captation massive des communications des Français. C’est une pure invention. Certes, la DGSE dispose de capacités d’interception, mais elles ne concernent en aucun cas les communications électroniques échangées sur le territoire national. Il faut dire les choses très clairement.
Seuls sont concernées les communications internationales, celles qui sont échangées à l’étranger ou entre la France et l’étranger. J’ajoute que ce type de surveillance, dont nous avons besoin, s’exerçait jusqu’à présent sans aucun encadrement juridique, puisque la loi de 1991 l’avait évacué de son dispositif.
Nous allons mettre le droit dans ce type d’interceptions à l’extérieur.
Cela veut dire, en ce qui concerne les interceptions à l’étranger, que le Premier ministre interviendra à deux reprises, au moins, pour chaque opération : pour autoriser le recueil, dans un premier temps ; pour autoriser l’exploitation, dans un second temps. Cela veut dire aussi que la CNCTR aura la responsabilité de veiller à la conformité de la manière dont les services usent de ces mesures de surveillance aux règles juridiques, qu’il s’agisse du régime légal ou des décrets, et de veiller à ce que les instructions et autorisations du Premier ministre soient respectées. La loi sur le renseignement, désormais en débat, va renvoyer à deux décrets : un décret en Conseil d’État, classique, relatif aux conditions et aux procédures applicables et un autre, relatif aux modalités de recueil des données nécessaires, celui-là n’étant pas public, pour ne pas dévoiler nos propres capacités à nos adversaires – ce qui serait une erreur profonde. Mais ces deux décrets, qui n’existent pas aujourd’hui, puisque nous ne sommes pas dans le cadre de la loi de 1991, seront soumis à l’avis préalable de la CNCTR et du Conseil d’État, et communiqués à la délégation parlementaire au renseignement. Nous remettons du droit là où il n’en existait pas.
Je voudrais aborder un dernier point, qui n’est pas secondaire et concerne le lien entre les communications à l’étranger et notre territoire national. Lorsqu’une communication internationale met en jeu un identifiant rattachable au territoire national, en clair, lorsque l’étranger cible de la surveillance sera en contact avec une personne vivant en France, alors le droit commun français, le droit en vigueur sur le territoire national, s’appliquera. Les procédures seront celles prévues pour les interceptions de sécurité, c’est-à-dire effectuées par le GIC sous le contrôle du Premier ministre et de la CNCTR.
Il s’agit donc d’une avancée du droit, y compris dans ce domaine.
Exact ! C’est pour cela que nous n’avons pas fait de critiques sur ce point !
Je pensais qu’il fallait bien clarifier les choses en ce qui concerne les communications internationales et le rôle particulier de la DGSE. Et, comme le Premier ministre l’a indiqué, la CNCTR pourra saisir le Conseil d’État en cas d’irrégularité sur ce point. Ce sera l’objet d’un amendement déposé en vue de la séance publique, que le Gouvernement sous-amendera dans le sens que je viens d’indiquer.
J’ai assisté à la totalité des débats depuis le début de l’après-midi. Je voudrais vous dire, avec beaucoup de respect et d’estime pour Mme la garde des sceaux et MM. les ministres de l’intérieur et de la défense, parce que je suis sûr que nous essayons tous ensemble de servir les intérêts de la République et sa sécurité, qu’il devient difficile d’entendre certaines choses, chaque fois que nous émettons un avis contraire – et notre groupe, vous l’avez vu, est divisé : il y a ceux qui soutiennent à fond le texte et trouvent qu’il ne va pas assez loin et d’autres qui ont des inquiétudes légitimes pour les libertés publiques. Que ces derniers se voient en permanence asséner soit qu’ils n’ont pas lu le texte, dixit le Premier ministre, soit qu’ils nagent dans le fantasme – et le mot fantasme a été une nouvelle fois repris par le ministre de l’intérieur –, soit qu’ils pourraient être soupçonnés d’être complaisants à l’égard des terroristes, franchement, c’est inacceptable, on dépasse les bornes.
Monsieur Lellouche, cela a peu de choses à avoir avec un rappel au règlement.
…parce qu’il y a un fait personnel. Et vous ne respectez pas l’opposition,…
…vous l’empêchez de répondre à vos arguments. C’est inacceptable, sur un texte aussi grave. Je suis désolé, madame la présidente, il y a ici un certain nombre de juristes, on peut ne pas partager l’avis de M. le ministre de l’intérieur,…
Oui, et le débat va se dérouler conformément à notre règlement, monsieur Lellouche.
Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente de la commission de la défense, monsieur le rapporteur, sans vouloir indûment prolonger les débats, je crois qu’il est indispensable de faire le point sur l’esprit de ce texte de loi, et peut-être d’évoquer quelques réponses à des questions qui ont été posées, tout en sachant que les articles et les amendements nous fourniront l’occasion d’approfondir les sujets qui préoccupent les députés qui se sont exprimés à la tribune au cours de cette discussion générale.
Sur l’esprit de ce texte, il est évident que les techniques de recueil de renseignement sont susceptibles de porter atteinte à la vie privée, aux droits des personnes en matière de vie privée et de vie familiale, de porter atteinte à l’inviolabilité du domicile, ainsi qu’au secret de la correspondance. Ce sont des droits qui sont garantis par notre Constitution, bien entendu, inscrits dans notre code civil, essentiellement aux articles 9 et 10, ce sont aussi des droits que la France s’est engagée, dans ses relations conventionnelles, à respecter, puisqu’ils figurent à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Et le Gouvernement a eu le souci, constamment, dans l’écriture de ce texte, de respecter ses propres obligations, ses obligations inscrites dans le code civil, ses obligations conventionnelles, ses obligations constitutionnelles. Et c’est pour cela que nous avons eu le souci, constamment, en écrivant ce texte, de veiller à trouver la bonne mesure entre les nécessités opérationnelles et la protection des droits et des libertés.
Je rappelle que dans ce texte, dès le titre Ier, les finalités du recueil de renseignement sont énoncées, et les commissions des lois et de la défense ne se sont pas privées de proposer des précisions à cet énoncé.
Par ailleurs, deux principes sont très précisément et explicitement affirmés : celui de nécessité et celui de proportionnalité. Tout notre souci a été de faire en sorte que les moyens donnés aux services de renseignements leur permettent d’assurer la protection des Français contre les dangers qui les menacent, qu’ils soient liés au terrorisme ou à la criminalité organisée, qui sont souvent liés. Les vecteurs modernes sont utilisés de façon très sophistiquée pour frapper les Français, la loi donne aux services de renseignement les moyens d’assurer leur protection. Mais nous avons évidemment conservé le souci de nous prémunir des risques d’intrusion intempestive dans la vie privée et familiale des Français.
C’est donc avec ce souci que nous avons rédigé ce projet de loi, et c’est dans cet esprit que la composition et les missions de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement ont été conçues. Le Conseil d’État, qui a montré depuis un siècle qu’il était tout à fait protecteur des libertés, sera compétent car il s’agit de remettre en cause des décisions prises par le Premier ministre et des actes accomplis par des services administratifs. Il pourra être saisi par la commission ainsi que par des citoyens. Je rappelle d’ailleurs que le Parlement pourra également exercer un contrôle, d’abord par le rapport annuel que devra lui remettre la Commission nationale, mais aussi parce que la délégation parlementaire peut se saisir à tout moment de tout sujet et entendre la Commission.
Nous allons revenir sur certains points précis que vous avez évoqués, tenant à l’action que nous menons dans le domaine judiciaire ou au service pénitentiaire et à la nature des missions qu’il doit assumer. Nous reviendrons sur ce contrôle administratif, juridictionnel et parlementaire, et sur le souci qu’a eu le Gouvernement du premier au dernier mot de ce projet de loi – que les commissions ont par ailleurs enrichi – de trouver la juste mesure entre la nécessité pour les services de renseignement d’être efficaces et la préservation des droits garantis par la Constitution, par le code, ainsi que par la Convention.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite du projet de loi relatif au renseignement.
La séance est levée.
La séance est levée à vingt heures cinq.
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Catherine Joly